Le Pont terrestre eurasiatique, le chemin vers la paix

mardi 17 juillet 2007, par Helga Zepp-LaRouche

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Le Pont terrestre eurasiatique vu depuis la Chine ; ici surplombant le hall d’une gare.

La Première Guerre mondiale aurait-elle pu être évitée ? Oui. On aurait pu choisir la voie de la coopération eurasiatique, mais l’occasion fut ratée. Aujourd’hui, dans la situation actuelle, les enjeux sont essentiellement les mêmes qu’à la fin du XIXème siècle.

Helga Zepp-LaRouche interviewée en 1998 par la télévision chinoise sur le port de Lianyungang, devant la stèle indiquant le terminus oriental du pont terrestre eurasiatique.

Le désastre provoqué par la politique impériale anglo-américaine en Irak et en Asie centrale montre qu’une guerre planifiée sans définition explicite des buts ni conception claire du plan de paix pour la suite, conduit à un
désastre complet.

La guerre de 1914-1918 a non seulement provoqué la chute du régime tsariste, mais elle fut aussi une véritable tragédie pour l’ensemble de l’Europe. Tous les acteurs avaient perdu la faculté de juger ce qu’étaient leurs véritables intérêts, et comme le niveau de technologie militaire était supérieur à leur capacité de l’utiliser intelligemment, ils étaient incapables d’en prévoir les implications auto-destructrices. La boucherie qui s’ensuivit fut la grande tragédie du XXème siècle.

Sergueï Witte et Gabriel Hanotaux

Cette guerre était-elle inévitable ? Ou existait-il une alternative ? Je réponds « oui », sans hésiter, à la deuxième question.

Dans les années 1890, les nations d’Europe continentale se voyaient offrir une occasion historique de s’unir et de travailler ensemble. En France, le ministre des Affaires étrangères, Gabriel Hanotaux, et en Russie, le ministre Sergueï Ioulievitch Witte partageaient la vision stratégique d’une communauté de principes. Alors que Witte était ministre des Finances, de 1892 à 1903, la Russie connut une grande révolution industrielle. Voyons de plus près ce personnage. Né à Tbilissi (Géorgie), Witte fut le premier directeur du Chemin de fer d’Odessa avant de prendre la tête des Chemins de fer du Sud- Ouest, reliant la Baltique à la mer Noire, avec des ramifications vers l’Allemagne et l’Autriche. Après s’être installé à Kiev, il est nommé, en 1886, membre de la Commission Baranov, créée par le Tsar pour formuler la politique ferroviaire du gouvernement. Il rédige la charte ferroviaire qui est à la base de la première réglementation des voies ferrées en Russie.

Nommé ministre des Transports en 1892, Witte crée la Commission du chemin de fer sibérien, qui prévoit la construction d’une voie ferrée jusqu’à l’océan Pacifique. En octobre 1892, il est nommé ministre des Finances et réforme toute la politique russe dans ce domaine, notamment en donnant au rouble une référenceor. Son ambition est de faire de la Russie, à l’époque pays rural et arriéré, une nation industrielle moderne. Sa collaboration avec Dmitri Ivanovitch Mendeleiev, l’auteur de la Table périodique des éléments et directeur du Bureau des poids et mesures, sera cruciale pour le développement de l’industrie métallurgique en Russie, elle-même indispensable pour le développement des voies ferrées.

Le ministre français des Affaires étrangères Gabriel Hanotaux (à gauche) et le ministre russe Serguei Witte (à droite) défendaient un grand dessin de coopération eurasiatique.

Tous deux étaient des disciples de Friedrich List et de son système d’économie nationale. Witte consacrera même des essais à l’économiste américano-allemand et préfacera la traduction russe de ses ouvrages. Alors qu’il occupe le ministère des Finances, plus de cent nouvelles écoles sont créées, dont le prestigieux Institut polytechnique de Saint-Pétersbourg.

Toujours sous son ministère, près de 24 000 kilomètres de voies ferrées seront construites, soit trois fois plus qu’au cours de la décennie précédente. Le seul Transsibérien parcourt plus de 9000 km entre Moscou et Vladivostok, sur la côte Pacifique. De gigantesques espaces sont ainsi ouverts à la colonisation. En 1902, plus de 900 000 colons sont implantés en Sibérie, où ils se voient attribuer des terres gratuitement. Le volume de marchandises transportées augmente en flèche et l’infrastructure dans l’extrême est du pays connaît un développement gigantesque, améliorant considérablement les relations entre la Russie, la Chine et le Japon, avant que la guerre russo-japonaise, manipulée par les Britanniques, ne vienne rompre cet élan. On peut ici parler d’un projet précurseur du Pont terrestre eurasiatique, tel que nous le défendons aujourd’hui.

En 1902, Witte écrivait :

Personne ne peut plus nier la signification globale de la Route sibérienne. Elle est reconnue dans le pays et à l’étranger. Reliant l’Europe et l’Asie par une liaison ferroviaire ininterrompue, cette route devient un moyen de transit uniformisé par où devra passer l’échange de biens entre l’Ouest et l’Est. La Chine, le Japon et la Corée ont un demi-milliard d’habitants. Et déjà, avec un commerce international s’élevant à plus de 600 milliards de roubles et ce grand système de circulation continentale à vapeur permettant un transport plus rapide et meilleur marché d’hommes et de marchandises, nous pouvons entrer en relations plus étroites avec l’Europe, un marché ayant une culture manufacturière développée, et créer par là même une plus grande demande làbas pour les matières premières de l’Est. Grâce à la Route sibérienne, il y aura aussi une demande plus importante d’usines européennes et de savoir-faire européen, et le capital trouvera un nouveau domaine d’investissement dans l’exploration et le développement des richesses naturelles des nations orientales. » Le chemin de fer sibérien « peut être d’une grande aide pour l’industrie chinoise du thé, en écartant le concurrent le plus dangereux de la Chine, la Grande-Bretagne, de sa position de médiateur dans le commerce entre la Chine et les pays européens, et en assurant aux thés chinois des livraisons plus rapides en Europe.

Vous avez là l’essence des raisons géopolitiques qui poussèrent la Grande-Bretagne à s’opposer à ce genre de coopération. Car naturellement, l’intégration terrestre des infrastructures remet en question la position dominante du commerce maritime. D’où la doctrine des géopoliticiens britanniques, tels Mackinder, Milner et Haushofer, selon laquelle tout développement de la « masse terrestre » eurasiatique représenterait un danger pour les puissances maritimes, autrement dit pour l’Angleterre. Les héritiers américains de ces géopoliticiens anglais appliquent aujourd’hui la même doctrine et s’opposent pour les mêmes raisons à un projet de « pont terrestre eurasiatique », la seule différence étant que, pour eux, la domination du transport aérien s’ajoute à celle du maritime.

Witte proposait que le dernier tronçon du chemin de fer traverse directement la Mandchourie, pour intégrer la Chine dans le développement eurasiatique.

En 1895, Witte et Hanotaux s’efforcent de créer une coalition regroupant la Russie, l’Allemagne et la France, destinée à empêcher la conquête de la péninsule Liaotung par les Japonais. Face à cette démonstration d’unité, le Japon accepte de signer un traité avec la Chine, plutôt que d’annexer ce territoire. Grâce à la collaboration entre Witte et Hanotaux, et à l’aide du capital français, la Chine se voit accorder un prêt substantiel qui doit servir, en partie, à verser au Japon des réparations dans le cadre de la guerre sino-japonaise de 1895, ce qui contribue aussi à calmer momentanément les ambitions impériales des Japonais. La Russie signe ensuite un traité de défense mutuelle avec la Chine, ce qui favorise à son tour les conditions de construction du tronçon mandchou du Transsibérien.

Ainsi, cette « ligue continentale », comme Witte l’appelait, avait empêché l’annexion d’une partie de la Chine et Witte voulait en faire un bloc permanent en mesure de contrer les manipulations britanniques. « Nos hommes d’Etat doivent comprendre la nécessité d’un bloc européen, constitué de la Russie, de l’Allemagne et de la France. Ce serait un bastion de la paix, que personne ne pourrait violer. »

A l’occasion de la visite officielle de l’empereur Guillaume II en Russie, en 1897, Witte tente de convaincre le tsar de la nécessité d’une telle alliance, prévoyant que si l’Europe n’a pas la volonté d’y parvenir, sa grandeur ne sera bientôt plus qu’un souvenir, comme celle de l’Empire Romain, de la Grèce, de Carthage ou de certains Etats d’Asie mineure. Etonné par cette idée, le tsar demande à Witte ce qu’il faut faire pour empêcher un tel déclin. Voici sa réponse : « Imaginez, Votre Majesté, que les pays européens soient unis dans une même entité et ne gaspillent pas de vastes quantités d’argent, de ressources, de sang et de travail en rivalités mutuelles. Qu’ils ne soient plus obligés d’entretenir des armées pour se faire la guerre, comme c’est le cas aujourd’hui, puisque chacun craint son voisin. Si ceci était réalisé, l’Europe serait plus riche, plus forte, plus civilisée, au lieu de sombrer sous le poids de la haine mutuelle, de la rivalité et de la guerre. La première étape vers ce but serait la formation d’une alliance entre la Russie, l’Allemagne et la France. Une fois celle-ci réalisée, les autres pays du continent européen y adhèreraient. En conséquence, l’Europe se libérerait des fardeaux que font peser les rivalités existantes. L’Europe serait puissante et pourrait bénéficier d’une position dominante à long terme. Mais si les pays européens continuent à suivre leur tendance actuelle, ils risquent un grand malheur. »

Witte poursuit : « Sa Majesté m’indiqua qu’elle trouvait mes vues intéressantes et originales, et me quitta gracieusement. »

Vers la guerre

L’occasion fut ainsi manquée. Le tsar Nicolas et ses laquais avaient d’autres idées, comme celle d’annexer la Mandchourie et la Corée et de refuser tout accord avec le Japon. En 1902, tombant dans le piège tendu par le roi d’Angleterre, le Japon signe un traité de défense mutuelle avec la Grande-Bretagne. Déjà en 1897, l’empereur Guillaume avait lui-même joué avec l’idée d’un rapprochement anglo-allemand, suggéré par le Premier ministre britannique Chamberlain. Etape par étape, le terrain se prépare pour la tragédie de la Première Guerre mondiale. La partition de la Chine par les puissances occidentales conduit à la révolte des Boxers. La Russie occupe la Mandchourie et les relations russo-chinoises se détériorent rapidement. Encouragé par la Grande-Bretagne, le Japon lance une attaque surprise contre le port russe de Port Arthur, le 8 février 1904. La guerre russo-japonaise, qui dure 11 mois et sera extrêmement sanglante, se termine par la défaite de la Russie.

Peu après, l’empereur Guillaume II et le tsar Nicolas II se rencontrent sur la côte finlandaise pour signer le fameux accord de Bjorköe. Le tsar était déçu par la France qui, malgré leur alliance, n’avait rien fait pour aider la Russie contre le Japon. En outre, Guillaume II et le tsar Nicolas II étaient mécontents de la politique britannique. L’empereur écrit à son chancelier von Bülow : « Nos conversations ont alors abordé le sujet de l’Angleterre, et il apparut que le Tsar ressentait une profonde colère personnelle envers ce pays et son Roi. Il qualifia Edouard VII de plus grand fauteur de troubles et d’intrigant le plus dangereux qui soit. Je ne pouvais qu’être d’accord avec lui, ajoutant que, personnellement, j’avais eu à souffrir de ses intrigues ces dernières années. Il a une passion pour comploter contre toutes les puissances, passant des accords tantôt avec l’une, tantôt avec l’autre, et toujours divisant pour régner. Sur ce, le Tsar m’interrompit en frappant la table de son poing, et dit, "Je peux dire une chose : je ne me laisserai pas prendre à ce jeu, et jamais de la vie, je ne me retournerai contre l’Allemagne ou contre vous. Je vous en donne ma parole d’- honneur !" »

On put voir par la suite ce que valait cette parole...

Witte est alors rappelé de sa retraite (il avait été renvoyé à cause de son opposition à l’occupation de la Mandchourie) pour négocier une trêve avec le Japon. Lors d’une rencontre avec l’empereur, celui-ci lui parle du Traité de Bjorköe, et Witte lui dit que c’est une première étape vers la ligue continentale qu’il appelle de ses voeux. L’empereur rapporte ainsi le comportement de Witte à cette occasion : « L’effet fut foudroyant. Ses yeux se remplirent de larmes et d’enthousiasme, et l’émotion l’envahissait au point qu’il ne pouvait parler. Finalement, il cria, "Dieu soit loué ! Dieu merci ! Enfin, ce cauchemar qui pèse sur nous va disparaître". »

Mais Witte s’aperçoit que l’intention n’est pas de parvenir réellement à une entente, mais qu’il s’agit d’un pacte de défense ordinaire, contredisant le traité de paix franco-russe signé douze ans plus tôt. Il rejette donc cette logique d’influence diplomatique, concevant tout le danger qu’elle comporte faute d’objectif plus élevé. De toutes façons, deux ans plus tard, la Russie s’alliait à la Grande-Bretagne.

Je pose encore une fois cette question : la Première Guerre mondiale aurait-elle pu être évitée ? Oui. On aurait pu choisir la voie de la coopération eurasiatique, mais l’occasion fut ratée. Le prix de cette omission fut énorme : deux guerres mondiales et un XXème siècle qui brisèrent la vie de millions d’êtres humains.

Aujourd’hui, dans la situation actuelle, les enjeux sont essentiellement les mêmes qu’à la fin du XIXème siècle. Le développement eurasiatique est plus que jamais impératif. C’est le nom de la paix. Les chances d’y parvenir sont bien plus prometteuses, mais ne pas le faire aurait des conséquences bien plus graves.

De la Terre de feu au Cap... en Maglev !

L’extension du pont terrestre eurasiatique au détroit de Béring poussée par Lyndon LaRouche aux Etats-Unis et envisagée par la Russie, changera la carte du monde !

Le Maglev, comment ça marche ?

Voler à 431 km/h au-dessus du sol. Vidéo explicative de Siemens, conceptrice du Transrapid de Shanghai :

Plus rapide, plus écologique, plus économique, le train n’a plus de roues, plus de moteur ; il « vole » à 15 cm au-dessus du sol.

  • Le moteur électromagnétique linéaire est situé dans la voie et génère un champ magnétique en mouvement.
  • Le maglev utilise moins d’espace au sol que les autres modes de transport.
  • Il a une très grande faculté à affronter des pentes fortes et des courbes plus serrées que les trains à grande vitesse actuels, ce qui le rend moins coûteux puisqu’il nécessite la construction de beaucoup moins d’ouvrages d’arts.
  • Le système de localisation du train est situé directement dans la voie et est couplé au système de motorisation, qui s’active seulement, par segment, lors du passage du train.
  • La puissance est ajustée en fonction des virages, des montées et des descentes.

A bord du Transrapid, 431 km/h de Shanghai à l’aéroport :

  • Il peut voyager à des vitesses comprises entre 300 et 500 km/h, qui est la moitié de la vitesse d’un avion de ligne normal.
  • Il peut accélérer de 0 à 300 km/h en 2 minutes, sur une distance de 5 km.
  • Il utilise 3 fois moins d’énergie que la voiture, et 5 fois moins que l’avion.
  • Il est plus silencieux, plus confortable, plus sécuritaire et les coûts d’entretien et d’opération sont moindres que ceux des trains à grande vitesse classiques.
  • Chaque train peut être composé de 2 à 10 wagons.
  • Il peut aussi être utilisé en mode cargo, pour transporter des biens à haute valeur ajoutée.

Sur le maglev japonais, à 500 km/h :


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