conférence internationale du 12 et 13 juillet 2025 à Berlin organisée par :
- l’Institut Schiller,
Le droit international et l’« ordre fondé sur les valeurs » des États-Unis
Wolfgang Effenberger,
officier de la Bundeswehr (cr) et auteur,
Allemagne
Mesdames, Messieurs,
Malgré leurs différences, les termes « droit des gens » et « droit international » sont souvent utilisés comme synonymes dans le langage courant.
Le droit des gens, qui prime sur le droit international [1], contient des principes fondamentaux tels que :
- la souveraineté et l’égalité des États ;
- l’interdiction de la violence ;
- les droits de l’homme et le droit humanitaire. [2]
Il comprend des traités internationaux tels que la charte des Nations unies et les Conventions de Genève. Les principes juridiques généraux du droit international sont énoncés dans le statut de la Cour internationale de justice (CIJ). [3]
Pour faire respecter ces principes, des représailles ou des mesures multilatérales telles que des sanctions, l’exclusion des organisations internationales ou, dans des cas extrêmes, une action militaire sont généralement utilisées, souvent sous couvert de sécurité collective. [4]
Etant donné que le respect du droit international dépend d’une coopération volontaire et internationale, l’Organisation des Nations unies a été fondée peu avant la fin de la Seconde Guerre mondiale. Des représentants de 51 pays se sont réunis à l’Opéra de San Francisco pour préparer la fondation de l’ONU sur la base de la « Charte des Nations unies », qui engageait les nations participantes à régler pacifiquement tous les différends internationaux sur la base de l’égalité officielle. À l’avenir, tout recours à la force contre l’intégrité et l’indépendance d’autres États devait être renoncé. [5]
En 1795, 150 ans plus tôt, le philosophe Emmanuel Kant, alors âgé de 71 ans, avait publié son ouvrage La Paix perpétuelle. Il y formulait les conditions préalables à la coexistence pacifique :
- aucune paix injuste ne devait être conclue, susceptible de nourrir de futurs conflits, comme le Traité de Versailles après la Première Guerre mondiale ;
- aucun territoire national ne devait être échangé ou acquis ;
- aucune armée permanente ne devait être dissoute ;
- aucune dette d’État ne devait être contractée pour des affaires extérieures.
La Première Guerre mondiale, par exemple, n’a pu être menée qu’avec le soutien massif de l’Entente, par le biais d’emprunts de Wall Street sur plusieurs années. Or, du fait que les titres de dette auraient perdu toute valeur en cas de défaite de l’Entente, les États-Unis furent finalement contraints d’entrer en guerre en 1917.
En fin de compte, dans le Traité de Versailles, les dettes contractées par l’Entente conduisirent à tenir l’Allemagne pour seule responsable, car il fallait bien que quelqu’un paye la facture ! [6]
Une autre affirmation fondamentale de Kant est :
Cette interdiction de l’intervention violente est reflétée dans la Charte des Nations unies. Il ne faut pas non plus que « la confiance mutuelle dans la paix future soit rendue impossible ». [7]
Selon Kant, la meilleure forme de gouvernement pour éviter l’arbitraire est une constitution civile aussi « républicaine » que possible et, au niveau international, un fédéralisme d’États libres, car tout État mondial mène au despotisme. [8]
La citoyenneté mondiale devrait se limiter à un droit de visite et n’inclure ni droit de résidence ni même de conquête – Kant fait ici référence à la politique coloniale injuste menée lors de la colonisation de l’Amérique et de l’Afrique. [9]
Les principes de Kant ont été intégrés à la Charte des Nations unies. Malheureusement, ils sont largement ignorés dans la réalité, notamment par le « protectorat » occidental des États-Unis. Il existe de nombreux exemples documentés de non-respect du droit international par les États-Unis. Parmi les plus importants, on peut citer :
- Guerre contre la Yougoslavie en 1999 : pour la première fois sans mandat de l’ONU, les États-Unis ont bombardé principalement la population et les infrastructures civiles pendant 78 jours, en utilisant des munitions à l’uranium interdites. Depuis, toutes les guerres américaines ont été menées sans mandat de l’ONU.
- Invasion de l’Irak en 2003, fondée sur des mensonges concernant des armes de destruction massive.
- Reconnaissance de la souveraineté israélienne sur les territoires occupés sous la présidence Trump.
- Déploiement de troupes américaines en Syrie depuis des années, sans aucun fondement juridique international.
- Détention sans procès et recours à la torture, par exemple à Guantánamo ou dans les prisons irakiennes. [10]
- Rejet et contournement de la juridiction internationale : en vertu de leurs lois nationales, les États-Unis protègent leurs citoyens contre les poursuites judiciaires de la Cour pénale internationale. La loi dite « Den Haag Invasion Act » (ou « loi d’invasion de La Haye") est particulièrement connue.
- Les résolutions contraignantes du Conseil de sécurité de l’ONU, comme celle sur le cessez-le-feu en Palestine, sont ignorées ou bloquées par les États-Unis.
Détentions arbitraires et exécutions extrajudiciaires
Malgré les critiques formulées en droit international, les États-Unis justifient généralement leurs actions en invoquant leurs propres intérêts nationaux et le droit à la légitime défense. Ils utilisent souvent des termes vagues destinés à donner une apparence de légitimité au regard du droit international. Ils justifient généralement la légitimité de leurs propres actions non par des normes spécifiques du droit international, mais par des intérêts politiques. Les arguments fondés sur le droit international sont soit invoqués de manière formelle, soit totalement ignorés. [11]
Ils justifient les mesures unilatérales telles que les sanctions ou les actions militaires par la lutte contre le terrorisme, la prévention de la prolifération des armes de destruction massive ou la protection des droits de l’homme. Ces arguments servent à présenter les actions des États-Unis comme moralement et politiquement nécessaires, même si elles ne sont pas défendables au regard du droit international. L’exceptionnalisme américain constitue le fondement idéologique qui les pousse à ne pas s’estimer liés par le droit international ou la Charte des Nations unies, mais à établir et appliquer leurs propres règles « fondées sur des valeurs », au besoin de manière unilatérale et contre la résistance de la communauté internationale.
Les États-Unis se considèrent historiquement et idéologiquement comme une « nation exceptionnelle » dotée d’une mission particulière. De là leur image de ne se sentir liés par les accords internationaux que dans la mesure où cela sert leurs propres intérêts. Les États-Unis considèrent comme universelles et non négociables leurs normes morales et politiques (auxquelles ils n’adhèrent pas eux-mêmes…).
Derrière le mantra d’un « ordre fondé sur des règles » se cache la prétention hégémonique des États-Unis, clairement exprimée par le prix Nobel de la paix Barack Obama à West Point, le 28 mai 2014 :
Les ordres d’Obama concernant les assassinats ciblés par drones sont particulièrement graves. Le président américain est le juge et le bourreau suprême de la nation.
Quelques jours seulement après l’attentat terroriste contre les tours jumelles de Manhattan, le Pentagone inscrivait sept pays sur la liste des cibles devant être attaquées par les États-Unis et dont les gouvernements devaient être renversés au cours des cinq prochaines années : Irak, Libye, Syrie, Iran, Liban, Somalie et Soudan. Vingt-sept jours seulement après l’attaque, sans aucune preuve d’implication, l’Afghanistan était plongé dans la guerre, une guerre qui a duré plus de vingt ans et n’a laissé derrière elle que des ruines.
Au total, la politique américaine a coûté la vie à plus de vingt millions de personnes depuis 1945, avec environ 200 guerres interétatiques et civiles majeures – guerres de « libération », révolutions et contre-révolutions, coups d’État, guérillas et contre-guérillas [13] – sans parler des flux de réfugiés qui continuent de déferler encore aujourd’hui.
Dans sa stratégie de sécurité nationale américaine d’octobre 2022, le président Biden a défini les principaux objectifs suivants :
- réduire la menace posée par la Chine et la Russie ;
- refuser de renoncer à une première frappe nucléaire et
- construire un avantage durable.
Les notes d’information du service scientifique du Congrès américain de novembre 2022 indiquent :
Selon le philosophe allemand Oswald Spengler, cette guerre a débuté dès 1911 : avec l’occupation des villes marocaines de Fès et de Rabat par la France, la guerre de l’Italie contre l’Empire ottoman en Tripolitaine, les activités britanniques en Égypte et en Perse et l’occupation de la Corée par le Japon, les deux guerres balkaniques ont suivi en 1912 et 1913. La quasi-totalité des foyers de tensions actuels se situent le long de ces lignes de fracture. Au cœur de l’Europe se trouvait alors l’Allemagne, nation commerciale prospère, affichant d’importants excédents commerciaux – une épine dans le pied de l’empire colonial britannique en déclin. Aujourd’hui, la puissance montante est la Chine, prise pour cible par la superpuissance déclinante des États-Unis. Le parallèle est évident.
En septembre 2014, le Pentagone a endossé le document « Gagner dans un monde complexe 2020-2040 », qui prépare les forces armées américaines à la guerre contre la Russie et la Chine.
Globalement, il est triste de constater que :
- le droit international est de plus en plus bafoué ;
- on trompe les gens et on leur ment ;
- on attise les conflits plutôt que de chercher à les résoudre ;
- Au lieu de démanteler les armes de destruction massive, on les maintient prêtes à l’emploi.
Et tout cela au nom de l’humanité !
Il est rare que l’on prenne des mesures visant à instaurer la confiance. C’est précisément ce pour quoi nous devons nous souvenir des principes de Kant. Après l’échec de la Société des Nations et de l’ONU corrompue – toutes deux nées d’un esprit de guerre – nous avons besoin d’une communauté de nations fondée sur un esprit de paix, qui ne serve pas les intérêts des puissances unipolaires. Or, le système des Nations unies a été établi sous de faux prétextes et détourné, le rendant irréformable. [14] L’ONU doit être remplacée par une organisation moderne, non dominée par les États-Unis.
Ce n’est en aucun cas faire preuve de naïveté, mais c’est une nécessité si nous ne voulons pas sombrer dans un chaos agressif généralisé. L’argument de Kant reste pertinent aujourd’hui.
Sa « Paix perpétuelle » demeure ainsi un texte fondamental du mouvement mondial pour la paix. [15]
Un monde unipolaire finira toujours dans le despotisme. Le respect entre les États n’admet qu’un ordre mondial multipolaire.


