En 1812, il y a exactement deux siècles, la jeune République américaine et la Russie étaient menacées d’annihilation, au moment où les Britanniques débarquaient sur la côte Est des États-Unis pour brûler la nouvelle capitale, Washington D.C., et où les Russes se voyaient obligés de brûler Moscou pour empêcher l’avancée de Napoléon Bonaparte.
A l’époque, l’ambassadeur américain à Saint-Pétersbourg, John Quincy Adams, et son interlocuteur privilégié, le comte Nikolai Rumyantsev, ministre du Commerce, des Affaires étrangères et Chancelier du Tsar Alexandre Ier, cherchaient tous deux à conjuguer leurs efforts pour contrer le danger que représentaient l’Empire britannique et son jouet Napoléon.
Aujourd’hui, le nouvel ambassadeur américain Michael McFaul, envoyé à Moscou par un autre pantin britannique, Barack Obama, n’est au contraire qu’un idéologue, déployé par l’oligarchie britannique pour déstabiliser la Russie.
McFaul a lui-même exposé sa mission lors d’une entrevue en juin 2011 avec le site Slon.ru : « La plupart des observateurs de la Russie sont des diplomates, des spécialistes en matière de sécurité ou d’armement. Ou bien de la culture russe. Je ne suis rien de tout cela, je ne peux pas réciter Pouchkine par coeur. Je suis un spécialiste en démocratie, en mouvements anti-dictature, en révolutions. »
Au moment des manifestations associées à la « révolution orange » en Ukraine en décembre 2004, McFaul avait candidement admis dans un éditorial publié par le Washington Post que « des agents d’influence américains préféreraient utiliser un langage différent pour décrire leurs activités – assistance à la démocratie, promotion de la démocratie, soutien à la société civile, etc. – mais leur travail, peu importe l’étiquette qu’on cherche à lui coller, vise à influencer le changement politique en Ukraine ». Il énumérait ensuite les sources de financement allouées à cette opération par le gouvernement américain, soit directement, soit à travers diverses ONG, ainsi que l’implication de l’Open Society Institute du requin financier George Soros. [1]
« Ce type d’intervention viole-t-il les codes internationaux ? Plus maintenant », répond McFaul : « Il fut une époque où la défense de la souveraineté des nations était une idée progressiste, puisque le développement du statut d’Etat souverain avait aidé à détruire les empires. Aujourd’hui cependant, ceux qui défendent la souveraineté des Etats avant tout le font souvent pour préserver l’autocratie, tandis que ceux qui défendent la souveraineté des peuples sont les nouveaux progressistes. »
Ainsi, selon cette doctrine, les Etats-nations peuvent être écrasés sans complexe au nom des « peuples », même si ces derniers sont appelés à se soumettre à la tyrannie d’une oligarchie impériale d’une brutalité sans précédent dans l’histoire récente.
L’arrivée de McFaul comme ambassadeur en janvier dernier montre que c’est maintenant la Russie qui se trouve dans le collimateur, et beaucoup de Russes en sont parfaitement conscients.
Lors d’une récente conférence internet avec l’économiste américain Lyndon LaRouche, un activiste de longue date pour les droits civiques en Russie lui a demandé pourquoi Obama avait nommé une personnalité aussi « marquée » comme ambassadeur. « McFaul n’est pas un diplomate de carrière, mais un spécialiste de la Russie qui a été pendant plusieurs années associé aux réformateurs libéraux », a-t-il expliqué. « Il a lui-même confié à plusieurs personnes que je connais qu’il était venu en Union soviétique vers la fin des années 80, jusqu’au début des années 90, dans le cadre de projets de ’démocratisation’, mais qu’il ne s’intéressait pas du tout à développer la démocratie en tant que telle. Il était seulement intéressé par l’effondrement de l’Union soviétique. Lundi dernier [le 16 janvier], McFaul a présenté ses lettres de créance. Et dès mardi, il rencontrait des représentants de l’opposition libérale au Kremlin. (…) McFaul n’a-t-il pas été envoyé avec l’intention de casser la Russie, comme cela avait été le cas vis-à-vis de l’Union soviétique il y a 20 ans ? »
La même question a été posée par l’ancien ministre des Affaires étrangères Igor Ivanov, lors d’une interview le 20 janvier avec le quotidien Rossiyskaya Gazeta.
Avec la mondialisation, les peuples du monde sont aujourd’hui réduits au statut de réservoir de main d’œuvre à bon marché, non plus pour la seule extraction des matières premières, comme c’était le cas à l’époque coloniale, mais pour tous les stades de transformation jusqu’au produit fini. Toute personne qui n’est pas directement impliquée dans ce processus est considérée comme excédentaire, condamnée à l’élimination par le Prince Philip d’Edimbourg et autres idéologues de l’Empire. Tout dirigeant insoumis ou susceptible de résister à cette vision est sujet à être renversé, par des mouvements « anti-dictatoriaux » cultivés et déployés soit comme arme à part entière, ou en conjugaison avec une action militaire.
Les origines historiques de l’interventionnisme libéral
Si les sources de financement de ce type d’opération sont relativement bien connues, leurs bases doctrinales le sont beaucoup moins. Elles remontent le plus souvent à l’université d’Oxford, en Angleterre, comme le montrent, parmi bien d’autres, les cas de McFaul et de son acolyte Susan Rice, l’ambassadrice américaine à l’ONU. Tous deux sont des « Rhodes scholars », c’est-à-dire des récipiendaires d’un programme de bourses d’étude de haut niveau institué à Oxford par Cecil Rhodes (1853-1902), selon les volontés exprimées dans son testament, pour recruter et former (en visant particulièrement les Etats-Unis), une élite capable de défendre les intérêts de l’Empire britannique.
Avec la décolonisation qui a suivi la deuxième Guerre mondiale, il fut décidé de développer une forme de domination plus subtile, indirecte, s’appuyant sur les notions de « démocratie » et de « révolution populaire », soigneusement élaborées par la suite à Oxford même.
Tout cela a abouti à un projet nommé Civil Resistance and Power Politics (CR & PP), dirigé depuis 2006 par deux professeurs d’Oxford, Sir Adam Roberts et Timothy Garton Ash. Sir Roberts situe l’origine de l’internationalisme libéral, également nommé interventionnisme libéral ou impérialisme libéral, aux opérations de Lord Palmerston en Europe continentale au cours du XIXe siècle, exemple avant l’heure de l’intervention d’un Etat dans les affaires d’un autre Etat indépendant sous le couvert de « valeurs » libérales. [2]
Notons que Roberts dirige également l’Oxford University Programme on the Changing Character of War, pour insérer l’action non-violente dans une stratégie politique et militaire plus globale.
Lors d’une conférence internationale en mars 2007 au St. Antony’s College d’Oxford, organisée dans le cadre du CR & PP [3], Michael McFaul fut invité par Roberts comme orateur pour la session consacrée au « rôle d’acteurs extérieurs dans la résistance civile ». Rappelons que les études de McFaul à Oxford avaient été consacrées à l’Afrique, mais qu’il s’est converti par la suite en spécialiste de la Russie.
Le mentor de toute l’opération est un certain Gene Sharp, un Américain lui aussi diplômé d’Oxford mais né une génération plus tôt. Sharp est l’auteur du manuel de référence en matière de « défiance civile » [4], contenant 198 tactiques pour fabriquer une révolution, parmi lesquelles on trouve l’usage d’une couleur symbolique pour chacune d’entre elles.
Comme tous ses amis d’Oxford, Sharp s’est spécialisé dans la récupération de mouvements héroïques comme ceux de Mahatma Gandhi et de Martin Luther King, mais en transformant des métaphores puissantes, comme le refus par Gandhi de porter des vêtements non fabriqués en Inde, en simples tactiques de marketing, comme l’utilisation d’une couleur arbitraire.
Notons que les travaux de Sharp sur l’« action non-violente dans la lutte contre des régimes totalitaires » sont largement inspirés, selon ses propres collègues et plusieurs autres historiens, d’un article publié par le patriarche Bertrand Russell dans la revue Atlantic Monthly en avril 1915, promouvant un scénario irréaliste de résistance passive dans le cas d’une invasion allemande de l’Angleterre. Russell défendait depuis longtemps déjà l’idée que l’Empire britannique pouvait se passer des inconvénients de l’industrie et de la science (incluant ses applications militaires) pour se défendre, et devait plutôt compter sur la division et la manipulation pour confondre les puissances montantes de l’époque. Ce grand pacifiste n’allait toutefois pas hésiter à demander en 1946 à ce qu’on lance une bombe nucléaire sur la Russie, pour la forcer à accepter la mise en place d’un gouvernement mondial comme seule autorité habilitée à posséder l’arme nucléaire. [5]
L’offensive du 4 mars
Il ne fait plus aucun doute aujourd’hui, à la lumière des événements récents en Libye et en Syrie, que le CR & PP a été conçu dès le départ comme une forme nouvelle de guerre irrégulière, venant s’ajouter à la panoplie d’armes « innovantes » que sont les drones et les assassinats ciblés, et qu’elles sont massivement déployées par l’administration Obama et l’Empire britannique.
La nouvelle cible de l’oligarchie, la Russie, s’est ainsi déjà vue attribuer la couleur blanche, depuis que le mouvement Golos (Voix), financé depuis longtemps par le National Endowment for Democracy (NED) et l’USAID, a appelé les Russes à manifester avec un ruban blanc pour protester contre la fraude électorale lors de l’élection législative du 4 décembre dernier. Cette opération avait été montée plusieurs mois à l’avance, et la prochaine phase est en préparation pour l’élection présidentielle du 4 mars prochain.
Le Premier ministre Vladimir Poutine avait, lors d’un débat le 8 décembre, noté que les Etats-Unis investissaient des « centaines de millions de dollars » pour manipuler le processus électoral russe. « Nous devons développer des outils pour protéger notre souveraineté contre les interférences extérieures », avait-il dit.
Certains patriotes russes, mécontents de voir leur pays rejoindre les rangs de l’OMC et se soumettre aux règles d’un système financier mondial en banqueroute, sont encore plus outrés par ces interférences dans leurs affaires intérieures et ont exprimé le désir de voir Poutine entamer un virage encore plus marqué, en se débarrassant des quelques membres de son administration proches des intérêts financiers internationaux, mais aussi en enterrant définitivement la politique monétariste imposée à la Russie sous le régime de Boris Eltsine.
Benoit Chalifoux
Cet article est rédigé sur la base d’une étude détaillée de Rachel Douglas, Destabilizing Russia, the ’Democracy’ Agenda of McFaul and his Oxford masters, Executive Intelligence Review (EIR) du 3 février 2012.
L’ambassade américaine investit nos banlieues
Une opération de type CR & PP en France ?
S’il est vrai que la France souffre d’un manque de représentation politique de ses minorités, il est surréaliste de voir l’ambassadeur américain Charles Rivkin, représentant un pays où les inégalités économiques et sociales n’ont jamais été aussi grandes, mettre en place « une stratégie agressive de communication envers les jeunes » de nos banlieues, ainsi qu’une « étude approfondie des causes des inégalités en France », sans quoi notre pays risquerait de tomber selon lui dans « un repli sur soi » et de devenir un « allié moins intéressant ».
Les véritables objectifs de ce programme ne peuvent être que de développer les points d’appuis qui permettront de déstabiliser la France le jour où elle entamera un changement de cap dans sa vision stratégique. (Source : wikileaks, dépêche du 10 janvier 2010 de l’ambassadeur Rivkin au département d’Etat américain)