« Oui, la crise s’est éloignée », proclame Dominique Strauss-Kahn dans le Journal du dimanche du 8 novembre, avec le toupet d’un homme soucieux de vendre à bon prix ses actions France-Télécom. Puis à Londres, devant le Center for Economic Policy Research, il prône le lendemain un « policy mix » (dosage de politique monétaire et budgétaire) imitant celui de MM. Greenspan et Clinton : une politique monétaire flexible pour mieux poursuivre la réduction des déficits publics. En clair, jouer avec un euro « compétitif » en gérant une baisse des taux d’intérêt.
Notre ministre de l’Economie et des Finances se rallie ainsi au « modèle anglo-américain » : il espère que le cocktail qui a été à l’origine de « huit années de croissance » outre-Atlantique dopera à son tour l’Europe.
Il a tout faux. Tout.
D’abord, la crise ne s’est pas éloignée. Tout expert quelque peu compétent le reconnaît : la pyramide de produits financiers dérivés douteux et de créances irrécouvrables accumulés sur la tête de l’économie mondiale ne s’arrêtera pas miraculeusement de tomber. M. Strauss-Kahn se moque donc de nous et cherche à gagner du temps, en espérant noyer la politique française dans celle de l’Europe, quitte - après avoir fait adopter à L’Europe le « modèle américain » récent - à dénoncer Washington et le dollar ! Il pousse par ailleurs l’impudeur jusqu’à prétendre que soutenir le Fonds monétaire international (FMI), c’est faire preuve d’indépendance vis-à-vis des américains (cf. son interview dans Le Nouvel Observateur du 24/30 septembre 1998).
Ensuite, le policy mix américain a amené huit années d’argent-roi, mais aucune croissance de l’économie physique. C’est une immense bulle financière qui s’est formée à Wall Street, proche aujourd’hui d’imploser (cf. le rapport des Editions Alcuin, Le mythe de l’inébranlabilité de la Bourse américaine). Le « modèle américain » n’est, dans ces conditions, pas un modèle qu’il est souhaitable d’imiter. De plus, il a été possible dans un système financier qui, aujourd’hui, arrive à sa fin : en réalité, même si on le souhaitait, il serait trop tard pour l’imiter.
Enfin, la baisse des taux d’intérêt n’est pas de nature à relancer l’économie productive. Comme le montre l’exemple du Japon, elle ne contribue par elle-même qu’à permettre d’emprunter davantage pour nourrir le Moloch financier.
M. Strauss-Kahn - et avec lui, le gouvernement français - se soumet totalement à la logique ultra-libérale. A Londres, il a pour la première fois « cadré, théorisé et synthétisé », comme le dit Libération, le « virage de la politique économique traditionnelle de la gauche française ».
A un moment où Massimo d’Alema, en Italie, et le nouveau secrétaire d’Etat allemand aux Finances, Heiner Flassbeck, récusent le pacte de stabilité de Maastricht - en exigeant par exemple que le seuil européen de 3% puisse être dépassé pour des investissements d’Etat, qui ne devraient pas être considérés comme contribuant aux déficits - notre D.S.K. se drape dans la robe orthodoxe à l’ancienne manière et se proclame « attaché à une culture de la stabilité », c’est-à-dire anglo-américaine. Il reste dans le carcan et cherche un compromis avec la Banque centrale européenne, rigueur et flexibilité salariale contre baisse des taux.
Paris devient ainsi, avec Londres, le pire obstacle à un changement de la politique européenne. Prouvant sa volonté de danser avec les loups, D.S.K. a couronné son séjour à Londres en parlant d’une « nouvelle gauche européenne » qui rappelle, et ce n’est pas un hasard, le New Labour du Premier ministre britannique.