Les analyses de Jacques Cheminade

Une autre politique pour élever les minima sociaux !

jeudi 7 janvier 1999, par Jacques Cheminade

La colère monte en moi lorsque j’écris ces lignes : face à une revendication de justice et de minimum de dignité humaine, légitimement exigée par les organisations de chômeurs, le gouvernement ne répond que par l’évacuation des locaux occupés et la classe politique dans son ensemble par la nécessité de « maîtriser le déficit public ». Tout le monde reconnaît que le niveau de vie des exclus est inacceptable, mais personne ne propose un projet politique cohérent permettant réellement de combattre l’exclusion.

La colère monte en moi lorsque je pense à une année perdue : en décembre 1997, la situation n’était pas différente, et l’on a laissé aller les choses. Certes, la gauche plurielle au pouvoir a pris quelques mesures, comme la création de Commissions d’action sociale d’urgence (Casu), l’adoption du dispositif Trace, qui vise à faciliter l’accès à l’emploi des jeunes en grande difficulté, ou du nouveau contrat d’emploi consolidé (CEC), destiné aux plus de cinquante ans en grande difficulté. Des comités de liaison entre associations de chômeurs et service public de l’emploi (ANPE et AFPA) se mettent en place.

Les relèvements des prestations sous conditions de ressources ont bien eu lieu, mais pour des montants dérisoires au regard de ce qui devrait être. L’allocation de solidarité spécifique (ASS) a bien été augmentée... de 6% au 1er janvier 1998 et l’allocation d’insertion de 29% à la même date, mais par rapport au... 1er janvier 1986 ! Le RMI a été revalorisé, lui aussi. Un décret sur le cumul minima sociaux-retour à l’activité a bien été pris fin novembre et, désormais, pendant trois mois, il permet d’ajouter 100% des allocations aux revenus du travail, puis pendant les 9 mois suivants, 50% - mais après, plus rien. En 1999, un effort financier devrait être fait pour "répondre aux situations d’urgence", mais il ne s’agirait que de redéploiements budgétaires pour un montant de quelques centaines de millions de francs, somme dérisoire par rapport aux besoins.

Certes, Martine Aubry va encore relever les minima sociaux, en particulier le RMI et l’ASS, un relèvement supérieur à la hausse des prix, mais à partir de montants qui sont aujourd’hui quasi-insultants.

En effet, les chiffres sont terribles : le montant mensuel maximal du RMI est, pour un célibataire, de 2429F, celui de l’ASS de 2401F, celui de l’allocation spécifique d’attente effective (ASA) de 1750F, celui de l’allocation d’insertion de 1691F et enfin, celui de l’allocation de parent isolé (API), de 3198F pour une femme enceinte. Ces chiffres sont tout simplement scandaleux. Quant à la possibilité de cumul dégressif du SMIC avec des rémunérations, sa logique est d’inciter à la reprise de l’emploi en retirant, mais progressivement, le soutien de l’Etat aux allocataires. Ce serait encore défendable s’il y avait un véritable retour à l’emploi, mais dans le monde actuel gangrené par le chômage, c’est une insulte. En effet, le « système » aboutit à un dopage temporaire puis à une baisse du revenu très importante : hors allocation logement, le revenu d’un RMiste travaillant pour un SMIC à mi-temps sera de 5069F le troisième mois, de 3749F le quatrième et tombera à 2640F le treizième. C’est absurde.

La colère monte en moi lorsque j’écris ces lignes car j’aurais pu les écrire en 1998 et, en fait, de ce que j’ai écrit alors dans notre numéro du 23 janvier 1998, presque rien ne peut malheureusement être retiré car aucune revendication fondamentale n’a été satisfaite. Les occupations s’étendent comme alors dans tous les pays, certes organisées par une minorité mais soutenues par toute l’opinion. Il faut répéter que les objectifs du mouvement sont justes et légitimes :

 revalorisation et remise à plat de tout le système d’indemnisation du chômage, ainsi que des minima sociaux ;

 sans attendre, une augmentation de 1500F pour les minima sociaux ;

 le droit à un revenu minimum pour les jeunes de 18 ans et de moins de 25 ans, aujourd’hui exclus du RMI et à qui on a fait subir les pires effets de la crise ;

 une aide d’urgence de 3000F.

Nous soutenons ici pleinement ces revendications, parce qu’elles constituent le minimum de reconnaissance de l’autre et de justice sociale nécessaires pour former le socle d’un Etat de droit. Nous sommes toujours convaincus qu’en terme de pouvoir d’achat, il faut assurer à chaque Française et à chaque Français le niveau minimum du SMIC actuel, et un SMIC et demi pour les couples sans enfant, revenu de base garanti à tous et à toutes.

La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 dit bien, dans son article 23, que « toute personne a droit à un travail, au libre choix de son travail, à des conditions satisfaisantes et équitables de travail et à la protection contre le chômage ». Une vraie protection, pas le simulacre actuel ! Le préambule de notre Constitution du 27 octobre 1946, repris dans la Constitution du 4 octobre 1958, prévoit que « chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi », et aussi que « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. »

Dans les faits, avec les chiffres des minima sociaux actuels, ce sont ces deux textes fondamentaux, ces deux textes fondateurs de notre vouloir vivre en commun, qui sont aujourd’hui violés.

Lorsqu’on dit que c’est extrêmement grave, la bureaucratie et la nomenklatura en place répondent d’une même voix : il n’y a pas d’argent, il faut respecter les équilibres budgétaires, l’on n’a pas d’autre choix que les critères de Maastricht et le pacte de stabilité de Dublin et d’Amsterdam.

Nous leur disons à notre tour : vous avez choisi les marchés et la dictature des oligarchies contre le minimum de justice. Vous avez choisi qu’il y ait de l’argent, plus d’argent que ce ne fut jamais le cas dans l’histoire, pour les spéculations. Vous avez bafoué les droits les plus inaliénables. Précisément, si les « équilibres » et les « critères » sont une source d’injustice, il faut choisir la justice contre ces « équilibres » et ces « critères ».

Cela pose une question politique, la question d’une autre politique ? Bien entendu. Il y a l’ampleur du chômage, sa durée et sa misère, il y a un mouvement qui demande justice et exige une réponse politique, un choix politique assurant cette justice, créant les conditions pour qu’elle puisse prévaloir.

Le mouvement des chômeurs ne peut donc demeurer à un niveau simplement revendicatif, car alors il sera toujours perdant. Nous devons, en donnant au social une forme politique, nationale et internationale, faire du mouvement des chômeurs le levier d’un projet politique capable de réellement changer l’avenir dans les faits et non dans les discours.

Pour cela, il faut inverser la tendance qui a produit le chômage, c’est-à-dire celle de ces trente dernières années. Il faut articuler une autre politique française avec une autre politique internationale, remettant en cause la « règle du jeu ». Sans cela, l’augmentation des minima sociaux ne pourra pas être obtenue. Il faut sortir du cadre étroit de l’ordre dans lequel nous nous débattons et dont l’exigence majeure des chômeurs, le droit au travail, la reconnaissance du droit à la création humaine, se trouve absente, irrémédiablement absente.

Répondre à l’interrogation et à l’exigence des chômeurs, c’est donc - comme je le disais il y a un an - remettre en place un ordre national et international dans lequel l’argent revienne au travail et à la production, ce qui exige de combattre les forces du marché et non de s’en accommoder, comme tous les gouvernements l’ont fait et le font depuis trente ans. Or, loin de dénoncer M. Michel Camdessus, « patron » du Fonds monétaire international (FMI), qui préside à l’injustice actuelle, MM. Chirac, Jospin et Strauss-Kahn le soutiennent, et non contents de le soutenir, en redemandent : tous veulent donner plus de pouvoirs au Comité intérimaire du FMI. Tous, également, ont soutenu la candidature de M. Trichet à la Banque centrale européenne. Tous se font ainsi les complices de l’oligarchie financière et du monétarisme.

Le krach mondial actuel doit offrir, au contraire, l’occasion d’un nouveau départ, c’est-à-dire d’établir l’ordre de justice et de progrès qui est la seule réponse véritable et durable à l’exigence des chômeurs. Encore faut-il que chacun d’entre nous se montre à la hauteur du combat pour un nouveau Bretton Woods, pour un pont terrestre eurasiatique, pour une solidarité Nord-Sud et Ouest-Est, pour un développement mutuel de pays à pays et d’être humain à être humain. Déjà une espérance se lève en Chine, en Russie, en Inde, en Asie du sud-est et en Amérique latine : comme au temps du général De Gaulle et mieux encore, car la situation est bien plus grave, la France doit répondre.

Sans cette perspective, sans cette espérance, on trahit le mouvement des chômeurs. On ne peut alors lui proposer que les évacuations avec le concours des forces de police, accompagnées de quelques miettes, ou bien les illusions d’une révolte sans perspectives, donc condamnée d’avance. Ici, et dans le programme de Solidarité et Progrès (cf. notre brochure L’Alternative), nous donnons au combat un horizon mobilisateur et nous définissons des amis et des alliés.

Piste 1

Relèvement du revenu disponible de tous les ménages dont les revenus d’activité ne dépassent pas un seuil, croissant avec la taille du ménage, par exemple un SMIC et demi dans le cas de couples sans enfant. Coût de cette mesure : environ 25 milliards de francs. Objection : elle déséquilibrerait les finances publiques. Réponse : d’une part, moralement, la justice minimum et le respect des droits de l’homme doivent passer avant l’équilibre de finances publiques. D’autre part, économiquement, moins de chômeurs et des salaires minimum plus élevés signifient, à terme, plus de cotisations sociales et plus de rentrées fiscales pour le pays.

Piste 2

Formation en entreprise des chômeurs avec des aides publiques contre emploi. Un contrat d’accès à l’emploi est passé entre l’employeur, le demandeur d’emploi et l’ANPE. Il se déroule en deux temps : - une phase de formation et d’adaptation au poste de six mois, effectuée directement dans l’entreprise, pendant laquelle l’intéressé est rémunéré par l’Assedic au titre de l’allocation de formation-reclassement (AFR) ;- l’entreprise s’engage en contrepartie, au cours de la deuxième phase, à lui offrir un emploi salarié, CDI ou au minimum un CDD à temps plein d’au moins douze mois.