Nous publions ici une version abrégée de la présentation de Lyndon LaRouche à la conférence de l’Institut Schiller à Bad Schwalbach (Allemagne) le 14 décembre 1997.
Imaginez que, par une nuit claire, vous observiez dans le ciel un astre familier et que vous le voyiez peu à peu devenir plus lumineux et son mouvement angulaire sensiblement s’accélérer. La nuit suivante, le même astre apparaît, un peu plus lumineux et avec une vitesse encore plus grande. Disons que ce corps est le fameux dragon asiatique, la Corée du Sud. Lorsque vous vous réveillez chaque matin, la devise sud-coréenne a perdu 10 % de sa valeur par rapport à la veille. Hier, elle a encore perdu 10 %, non en une heure, mais en quelques minutes. Que vous répondrait un astro-physicien si vous lui décriviez un tel comportement de la part d’un astre ?
Sans doute hésiterait-il un instant avant de hausser les épaules et, avec un sourire ironique de résignation, de lever les bras vers le ciel en s’écriant : « Boum ! ». Une catastrophe se prépare dans les cieux.
Telle est la situation à laquelle Michel Camdessus, le directeur du Fonds monétaire international (FMI), va devoir faire face. Le problème se pose déjà en Asie de l’Est et du Sud-Est. Si le gouvernement des Etats-Unis refuse d’accorder immédiatement les 100 milliards de dollars de nouveaux fonds que réclame M. Camdessus pour assurer les renflouements nécessaires, et si les pays européens refusent également d’accéder à de semblables demandes, alors tout le système fera « boum ».
A court terme, la Corée du Sud a besoin de 200 milliards de dollars pour pouvoir se maintenir à flot. Si elle devait se retrouver en défaut de paiement - et la faillite d’une seule grande banque coréenne suffirait à déclencher un effet de dominos dans tout le système bancaire - ceci aurait des effets sur le Japon, qui entrerait dans une crise similaire, alors qu’il ne s’est toujours pas remis de sa crise précédente. (...) Le yen s’effondrerait, provoquant des répercussions dans toute l’Asie du Sud-Est et de l’Est. On assisterait alors à des défauts de paiements en chaîne, qui n’épargneraient pas le Brésil - déjà au bord de la déflagration - et qui coïncideraient avec les crises financières dans les anciens pays du Comecon, comme la Tchéquie et la Russie.
Une telle évolution serait certes déplorable, mais l’autre option le serait plus encore. La situation sera bien pire en effet si les Etats-Unis acceptent d’accorder dès la semaine prochaine les 100 milliards de dollars demandés, ce qui paraît cependant peu probable. Mais un tel renflouement ne pourrait être que temporaire et déclencherait un processus d’hyperinflation semblable à ce qui s’est passé en Allemagne en l’espace de moins de deux ans, de la fin de 1921 jusqu’au dernier trimestre de 1923. Rappelez-vous qu’un beau matin, la monnaie allemande s’est brusquement volatilisée, sans plus aucune valeur. L’Allemagne se serait alors effondrée si les Etats-Unis n’étaient pas intervenus pour lui permettre d’obtenir une nouvelle monnaie en vertu du plan Dawes.
Mais aujourd’hui, si le monde entier s’enfonce dans une spirale hyperinflationniste - non en deux ans, mais en quelques mois - qui interviendra à partir d’une autre planète pour renflouer la Terre ? On a bien affaire à la pire des situations possibles.
Autrement dit, en restant dans l’ordre financier et monétaire international tel qu’il a évolué depuis la crise de la livre sterling en 1967, il n’est plus du tout possible de garantir la survie, même à court terme, du système actuel. Rien ne pourra maintenir ce système en vie, même à court terme.
Il y a certaines mesures évidentes qu’on pourrait prendre pour contrôler la situation. La première serait d’éliminer le FMI sous sa forme actuelle. Cela voudrait dire que l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et tous les accords internationaux de ces 30 dernières années, de caractère supranational, seraient révoqués. Comment ? La première mesure devrait être prise par un certain nombre de gouvernements, dont celui des Etats-Unis. Si les gouvernements américain et chinois, soutenus par un groupe d’autres nations, reconnaissent que « le système financier et monétaire international a fait faillite », si certains pays asiatiques, y compris ceux appartenant au monde musulman, les rejoignent, personne ne croira plus à la fiction de ce système. Il s’effondrera.
Mais la faillite déclarée, vous ne devez pas vous contenter de déposer le bilan. Vous ne quittez pas la maison après y avoir mis le feu. (Surtout, vous ne restez pas dedans...) Non, il faut créer un nouveau système. Que fait le gouvernement lorsqu’il met une banque en règlement judiciaire ? Il établit les règles d’une réorganisation de l’institution en question : les paiements qui seront honorés ou pas, ce qui sera gelé. (Au fait, certains auraient sans doute une solution : ils proposeraient de prendre toute la dette insolvable du monde et de la remettre au Crédit Lyonnais, en attendant qu’un incendie se déclare et nous en débarrasse de cette façon !)
Il faut établir de nouvelles règles. La première consisterait à abroger tous les accords financiers internationaux conclus depuis 1967 et à démanteler toutes les organisations créées pour gérer ces accords. Il faut se débarrasser de ce fourbi et recommencer à zéro. C’est ce qui s’est passé à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, lors des accords conclus dans le cadre de la conférence de Bretton Woods, qui eut lieu chez moi, au New Hampshire, pendant la présidence de Roosevelt, au moment où le monde entier était en faillite. En vertu de ces accords du FMI, des règles ont été établies afin d’assurer la stabilité monétaire internationale. Et ces règles, tant qu’elles étaient pleinement respectées - jusqu’en 1959 - étaient efficaces. Par conséquent, nous allons refaire la même chose, si nous sommes raisonnables.
D’abord, que fait-on des spéculateurs ? On introduit le contrôle des changes. Idem pour le contrôle des capitaux. Les mouvements de capitaux à travers les frontières seront réglementés, comme ils le furent pendant les années 50. Quant aux devises, elles auront une convertibilité limitée, conforme aux réglementations du contrôle des changes. Dans ces conditions, on peut s’occuper des spéculateurs. On les met en faillite. Qu’en est-il de leurs droits ? Ils n’en ont pas. La spéculation contre la devise d’une nation doit être considérée comme un crime.
Dans un deuxième temps, on reprend les méthodes classiques d’une économie de type dirigiste, dans laquelle l’Etat planifie la direction générale de l’économie et définit la coopération internationale avec des nations amies, de telle sorte que leur orientation et leur coopération soient harmonieuses. C’est de cette façon que nous avons surmonté le chaos [après la Deuxième Guerre mondiale].
Nous pouvons aussi remonter plus loin, à la période située entre 1861 et 1876 aux Etats-Unis. En 1861, ce pays se trouvait alors en très mauvais état. Elu président, Abraham Lincoln déclara la guerre à cette marionnette de la Grande-Bretagne qu’était la Confédération des Etats du Sud, tout en introduisant une économie dirigiste basée sur le « principe de la machine-outil », c’est-à-dire l’application des technologies de pointe à la production. Au cours de cette période 1861-1876, cette dernière année étant celle du centenaire de la Déclaration d’Indépendance signée à Philadelphie, les Etats-Unis devinrent l’économie la plus développée et la plus puissante du monde. Tous les autres pays étaient arriérés, du point de vue technologique, par rapport aux Etats-Unis. C’étaient des parents pauvres par rapport à la puissance économique qu’avaient bâtie les Etats-Unis en l’espace de 15 ans, grâce à un programme lancé par Lincoln et poursuivi par l’homme qui l’avait formé en économie politique, Henry Carey.
La convention sur les droits de douane de 1876 marqua un changement dans la politique de Bismarck en Allemagne. Cette dernière adopta alors le modèle américain pour son développement économique industriel. L’Allemagne, entre cette époque et la Première Guerre mondiale, devint la première puissance économique d’Europe, jouissant du taux de croissance le plus rapide. L’effet se fit aussi sentir au Japon. Au cours de cette période, le Japon adopta le système américain d’économie politique basé sur l’importance de la mise au point constante et de l’utilisation de nouvelles machines-outils. C’est guidé spécifiquement et directement par Henry Carey que le Japon devint un Etat-nation moderne.
La Russie, un allié des Etats-Unis contre la Grande-Bretagne depuis la période de la guerre de Crimée, à l’époque d’Alexandre II, adopta le même modèle. Un grand chimiste se transforma alors en éminent industriel et bâtisseur de voies ferrées : Mendeleiev. La Russie se développa très rapidement, malgré les entraves que représentait l’ancien système archaïque du servage. Cela se poursuivit sous la direction de Mendeleiev et, plus tard, du comte Sergei Witte, jusqu’à la veille de la Révolution de 1905, qui mit fin à ce processus pendant un temps.
Vers la fin du siècle dernier, la Chine, sous l’impulsion de dirigeants comme Sun Yat-sen, adopta également le système américain et put compter sur la coopération des Etats-Unis pour son développement économique. La politique du gouvernement chinois aujourd’hui, qui dirige la Chine sur la voie d’une grande croissance, dérive des principes du Système américain tels que le Dr Sun Yat-sen les adapta à la culture chinoise.
Après l’heureuse disparition de Napoléon III, la France devint, en un certain sens, un partenaire des Etats-Unis, ainsi que de la Russie et, avec réticence, de l’Allemagne, sous Thiers, Sadi Carnot et le grand diplomate-historien Hanotaux.
Ces pays collaborèrent à un plan destiné à développer l’ensemble de l’Eurasie en construisant des voies ferrées transcontinentales, de la même manière que les Etats-Unis avaient développé le système transcontinental de l’Atlantique au Pacifique. Henry Carey proposa cette idée dans les années 1870 à la Russie et à l’Allemagne, entre autres. Et ces pays adoptèrent pour politique la construction de liaisons ferroviaires qui fourniraient non seulement des moyens de communication ou de transport, mais seraient autant de couloirs de développement - de la même manière qu’on avait construit aux Etats-Unis, sous Lincoln, des voies ferrées de l’Atlantique au Pacifique.
Cet effort constituait une grande menace pour l’Empire britannique. C’est la raison pour laquelle la Grande-Bretagne commença à organiser le Première Guerre mondiale sous la direction du Prince de Galles, qui allait devenir Edouard VII. Ce roi d’Angleterre porte la principale responsabilité de la Première Guerre mondiale. Il manipula la lie de la France, les fascistes de droite, les dégénérés de gauche, un élément par ci, un élément par là, et les réunit pour noyauter un gouvernement qui marchait sur les traces de Napoléon III, l’empereur en moins. Il transforma la Troisième République en un cloaque politique. La France abandonna sa mission civilisatrice pour devenir le chien de guerre de la monarchie britannique, au nom de l’Entente Cordiale.
Après que la France se fut mise à genoux devant Kitchner et l’Empire britannique lors de l’incident de Fachoda en 1898, Londres se servit de la France pour l’aider à persuader la Russie de nouer une alliance contre l’Allemagne, qui était jusque-là son allié. En 1894, la Grande-Bretagne avait provoqué la première guerre sino-japonaise. Le Japon se retourna alors contre la Chine et les Etats-Unis. La Russie se détourna de son allié, l’Allemagne, ainsi que des Etats-Unis, pour s’allier à la France et à la Grande-Bretagne.
Ainsi, les mêmes nations qui entamaient tout juste une grande coopération pour le développement de couloirs eurasiatiques, de la France à la Chine et l’Inde en passant par l’Allemagne et la Russie, jusqu’au Japon, se jetèrent à la gorge l’une de l’autre. Il en résulta une grande guerre qui faillit détruire la civilisation en Europe. Mais l’Empire britannique, nullement satisfait des résultats de la guerre, allait par la suite porter Hitler au pouvoir en Allemagne pour assurer l’éclatement d’une nouvelle guerre qui serait encore plus dévastatrice que la première. (...)
Nous ne pouvons pas refaire simplement ce que nous avons fait après la Deuxième Guerre mondiale, car aujourd’hui, les banques centrales sont de fait en faillite. A l’échelle mondiale, il y plus de 100 000 milliards de dollars d’encours. Nous ne pouvons donc pas utiliser les banques centrales. Il faut plutôt reprendre la pratique de banque nationale, c’est-à-dire une banque d’Etat créée par le gouvernement de l’Etat-nation en question. La monnaie nationale sera émise par le gouvernement et gérée par la banque nationale qui contrôlera en même temps les mouvements de capitaux vers l’étranger. Une telle banque nationale adoptera un mode de fonctionnement inspiré en grande partie du modèle de la Kreditanstalt fuer Wiederaufbau 1, de façon à favoriser, avec des crédits d’Etat, des programmes de développement. On relancera l’économie en mettant en oeuvre certains projets décisifs, notamment dans le domaine de l’infrastructure de base : énergie, transports, développement urbain, tout ce dont le secteur productif a besoin. Pour réaliser ces projets d’infrastructure, l’on fera entrer en jeu des entreprises privées, comme celles spécialisées dans les machines-outils. En même temps, un nouveau souffle est donné à toutes sortes de secteurs, dont le bâtiment et les divers fournisseurs des projets d’infrastructure. Avant tout, il faut remettre en valeur la conception de nouvelles machines-outils.
C’est plus ou moins ce qui a été réalisé aux Etats-Unis, dans les années 30, par Franklin Roosevelt. C’est le même modèle que l’on retrouve dans la plupart des pays du monde où l’on a pu organiser une véritable reprise économique. Cette méthode a fait ses preuves à de multiples reprises. On sait qu’elle marche. Il ne s’agit pas de conceptions sans précédent dans la pratique. Nous avons également essayé la méthode opposée, le libre-échange, et nous savons qu’elle ne marche pas. Elle n’a jamais marché. Le libre-échange est une escroquerie que la Grande-Bretagne exporta aux pays victimes, aux clients, sans jamais l’appliquer chez elle.
La puissance dirigeante sur cette planète aujourd’hui est l’Empire britannique. Il existe bel et bien, politiquement et financièrement. En Amérique centrale et du Sud, par exemple, 80 % des capitaux étrangers sont britanniques. 90 %, ou plus, des investissements financiers étrangers en Afrique proviennent du Commonwealth, non des Etats-Unis. De même, Londres contrôle 65 % des transactions de métaux précieux dans le monde et à peu près le même pourcentage des transactions financières. Tout ceci est contrôlé par la Couronne, non par l’insignifiant Parlement britannique.
Le véritable gouvernement de Grande-Bretagne, et par là-même du Commonwealth, réside dans une organisation appelée le Privy Council (Conseil privé). Celui-ci décide la politique de l’ensemble du Commonwealth et contrôle aujourd’hui la majeure partie des matières premières stratégiques du monde, y compris l’or. Il contrôle l’Afrique, de la base au sommet, malgré quelques points de résistance ici et là, et jouit d’une influence énorme dans la majeure partie de l’Europe.
Actuellement, les Anglais jouent le pétrole de la mer Caspienne comme une opération anti-américaine en Asie centrale. Dans le cadre de ce jeu, le pétrole de l’Asie centrale ne sera pas vendu à la Chine, la Russie ou l’Iran mais sera transporté directement vers la Méditerranée, via la Turquie, pour être commercialisé sur les marchés mondiaux.
Vous avez la Russie, la Chine, l’Iran, l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh, la Malaisie, la Birmanie, l’Indonésie, des pays qui devraient tous engager une stratégie de coopération mutuelle. Et au milieu de ces pays, vous avez l’Asie centrale. Que font les Britanniques ? Ils y mènent des opérations de déstabilisation.
Actuellement, comme vous le savez, je me préoccupe du président Clinton qui a un problème de couardise. Ce n’est pas un mauvais gars, mais c’est un baby-boomer, un soixante-huitard, et comme vous le savez, les soixante-huitards ne sont pas très forts quand il s’agit d’aller au feu ou de confronter de sérieux conflits. Et donc, il se dérobe, il fait des compromis. Il est faible, il est idéologique. Nous devons trouver le moyen d’obtenir que le gouvernement américain rompe avec la Grande-Bretagne. Clinton lui-même déteste l’idéologie britannique pour de bonnes raisons.
La puissance américaine à elle seule n’est pas suffisante, mais, alliée à celle de la Chine et d’autres Etats, elle formera une corrélation de forces suffisante pour déterminer l’avenir de cette planète. Une telle corrélation de forces aurait les moyens de mettre en oeuvre les réformes nécessaires pour sortir le monde du chaos au bord duquel nous nous trouvons aujourd’hui. Les forces en question comprennent la Chine, l’Inde, l’Iran, l’Asie du Sud-Est et quelques pays d’Afrique. C’est ce qu’on appelait autrefois les pays du tiers monde.
Le tiers monde ne s’est pas beaucoup fait entendre depuis l’après-guerre, notamment depuis 1966-67. Mais s’il obtient largement voix au chapitre dans l’organisation de la future politique monétaire et économique de cette planète, que se passera-t-il ? De nouvelles règles émergeront, celles de la justice pour l’humanité. La Chine a 1,3 milliard d’habitants. L’Inde dépassera bientôt le niveau démographique de la Chine. Il faut aussi compter avec le Pakistan, le Bangladesh, l’Indonésie, les pays du Sud-Est asiatique, la Russie, etc. Cela représente la majorité de la population mondiale.
C’est donc la majorité de l’humanité, représentée par l’intermédiaire des nations, qui aura bientôt le pouvoir de déterminer la politique économique future de notre planète. Cela amènera un changement fondamental de la politique telle que nous l’avons connue dans l’après-guerre. Cela signifie que la population devient l’unité qui détermine la politique. Les revenus, le bien-être et l’amélioration des conditions de vie de la population deviennent l’aune à laquelle est mesurée la politique économique sur Terre. Dans cette optique s’imposent de nouvelles règles du jeu, et c’est un jeu que j’aime bien.
Nous nous trouvons aujourd’hui en Allemagne. C’est un pays qui doit redevenir un grand centre de la machine-outil. Pourquoi ? Parce qu’il en manque en Asie. En dehors du Japon, les pays asiatiques manquent de capacités pour développer et produire des machines-outils. Or, sans ces équipements, aucune économie ne peut prospérer. Toute recette de réussite économique passe par l’équipement en machines-outils, qui représente l’application au niveau technologique de principes scientifiques. Ces machines-outils servent par la suite à fabriquer de nouveaux produits, de nouvelles qualités de produits, tout en changeant et révolutionnant les procédés de production.
En même temps, les travailleurs doivent apprendre à utiliser ces nouvelles technologies. Il faut donc les former pour qu’ils soient capables d’assimiler de nouveaux principes scientifiques rapidement et efficacement. Le secteur développé fournit ainsi de nouvelles conceptions de machines-outils, pour que l’économie dispose des moyens de traduire l’amélioration des qualifications des travailleurs en augmentation de productivité dans le pays en question.
La Chine, l’Inde et tout autre pays à forte densité démographique doivent se procurer à grande échelle des machines-outils auprès des pays qui en fabriquent, comme les Etats-Unis, l’Allemagne et le Japon. Ces pays « autrefois industrialisés », dotés d’un fort secteur de machines-outils, doivent fournir aux régions les plus peuplées du monde les capacités en machines-outils dont elles ont besoin pour augmenter suffisamment la productivité.
Pour ce qui est de la Chine, le problème est évident. La Chine est une économie en voie de développement, mais le grand obstacle, le plus important goulot d’étranglement qu’elle ait à surmonter vient du manque de machines-outils. La seule autre partie du monde dotée d’une importante capacité en machines-outils, c’est la Russie, à partir de son ancien complexe militaro-industriel et scientifique. Il faudrait relancer ce secteur, et le faire sur la base de projets intégrés dans lesquels les capacités scientifiques trouvent une application pratique dans la conception de nouvelles machines-outils.
Il reste cependant à se demander s’il existe quelque part dans le monde la volonté de déclarer le système actuel en faillite. Où peut-on trouver en effet la volonté d’imposer le démarrage immédiat des programmes de reprise tels que je viens de les présenter ? Pourtant, tout ce que j’ai évoqué a déjà été mis en pratique, il suffit d’appliquer les leçons de notre expérience humaine aux problèmes qui se posent aujourd’hui. Je ne propose rien de farfelu. Au contraire, il faut rejeter une fois pour toutes les idées qui se sont révélées mauvaises et retourner à celles qui ont marché. Où est le problème ? C’est le manque de volonté.
Nous devons donc passer à une autre dimension. Ne parlons pas de la politique économique incompétente qui est enseignée à l’université. (Il existe des économistes compétents parce qu’ils sont compétents en tant qu’être humains, non à cause de la matière qu’on leur a enseignée.) Il nous faut aborder la question culturelle.
Qu’est-ce que l’histoire ? C’est la première question que l’on devrait se poser dans un cours d’histoire. Est-ce une chronique d’événements ? Est-ce l’étude de qui a réussi ou échoué ? Nous apprend-elle comment réussir en politique ou en quelque autre matière ?
Les animaux ont-ils une histoire ? Non. Les animaux ne se développent pas ; ils restent dans la même espèce, ont toujours les mêmes tendances en termes de comportements, tout au long de leur existence. Ils peuvent apprendre, mais uniquement dans les limites de ces tendances qui apparemment sont génétiquement fixées ; ils réagissent toujours de la même façon.
En quoi l’homme diffère-t-il ? L’homme change volontairement les caractéristiques de son comportement, non pas par accident, mais volontairement. Comment ? Très simplement, en découvrant des principes de la nature, appelés principes physiques. On ne peut pas voir, sentir, entendre ou toucher un principe physique. On peut néanmoins prouver que ces principes sont efficaces et on peut précisément les identifier.
Comment obtient-on un principe physique ? Quand l’esprit humain se trouve devant un vrai paradoxe ontologique, qui n’a pas de solution déductive ou formelle dans le cadre des axiomes des idées existantes, il peut alors générer la découverte du principe qui permet de corriger l’erreur de ces idées, de révolutionner sa pensée et, ensuite, de révolutionner son comportement.
L’histoire de l’humanité est l’histoire de ces découvertes. Elles se divisent en deux catégories : l’une, que nous appelons « principes physiques », qui existent bel et bien même si on ne peut les voir, les sentir ou les toucher ; et l’autre, qui est la cognition elle-même. Celle-ci a des caractéristiques très intéressantes. La cognition est un processus qu’on ne peut pas apprendre dans le sens où on apprend dans un manuel ; il faut plutôt le reproduire. C’est très intéressant. Comme vous ne pouvez pas voir comment le processus de cognition engendre effectivement une idée, la seule façon d’engendrer une idée découverte par quelqu’un d’autre consiste à refaire dans son esprit la même expérience. Vous ne pouvez pas l’apprendre. De même, si quelqu’un découvre un principe de la nature et décrit cette découverte dans un manuel, ce n’est pas en apprenant les mots de la description que vous en comprendrez le principe.
Voilà le problème de la majorité des écologistes aujourd’hui, ou de ceux qui rédigent les thèses écologistes, comme celle sur le réchauffement global. Ce sont des escroqueries, de l’incompétence scientifique, où tout est basé sur l’apprentissage, jamais sur la cognition. C’est un comportement animal. On ne pourra jamais comprendre un principe scientifique que si on reproduit soi-même l’expérience de la découverte du principe.
Dans une école ou un système d’éducation compétent, tel que celui connu en Allemagne comme les « réformes de Humboldt », l’éducation doit reposer sur l’idée de faire revivre aux élèves l’acte de découverte, que ce soit en géométrie, ou en suivant l’évolution de la culture grecque classique d’Homère à Platon, et au-delà. Il s’agit de reproduire les expériences ou les découvertes en géométrie, les découvertes de principes d’astrophysique, de telle sorte que vous ne pouvez jamais dire que vous savez quelque chose si vous n’avez pas revécu l’acte de découverte originelle.
La même chose vaut pour la musique. Si une oeuvre d’art est bonne, vous ne pouvez apprendre à la composer. Vous devez reproduire l’acte créateur à l’origine de la découverte. [Le chef d’orchestre] Wilhelm Furtwaengler disait qu’il fallait entrer dans l’esprit du compositeur, pour revivre l’expérience de sa composition. Après, on revient aux notes et on interprète les notes et les signes selon sa compréhension de cette idée unificatrice qu’est le principe de composition.
Quand vous voulez présenter un poème, il n’y a aucune façon de réciter les vers un par un, ou les mots, qui puisse donner une interprétation compétente du poème. Vous devez entrer dans l’esprit du poète et revivre l’acte de composition. Vous reproduisez en votre esprit l’idée qui amène le poète à choisir certaines images, ensuite vous utilisez les termes choisis par le poète, afin de transmettre cette idée. Furtwaengler appelait ce processus l’interprétation « entre » ou « derrière » les notes. Vous ne pouvez pas interpréter note après note ou mot à mot, pas plus que vous ne suivez des règles pour interpréter. C’est de l’incompétence, ce n’est pas de l’art !
La composition classique, que ce soit en poésie, en musique ou dans le théâtre dramatique, s’adresse directement aux processus cognitifs de l’esprit humain, qui sont brillamment démontrés par tout grand compositeur. Celui-ci pose toujours un défi. Il part toujours d’un paradoxe ontologique qu’il s’attache à résoudre : dans l’art, on l’appelle métaphore. Le compositeur accumule métaphores sur métaphores et produit ce faisant un effet dramatique, une idée dite belle. Elle est apparentée à la notion de bonheur, qui est très rare. Les gens modernes ne connaissent pas le bonheur, tel que nous qui sommes plus âgés le connaissons. La génération du baby-boom, éduquée suivant les instructions de l’Ecole de Francfort, s’est éloignée du bonheur et lui a trouvé un substitut dans une succession monotone de plaisirs momentanés. Maintenant, les gens regardent la télévision à la recherche du plaisir momentané, pour échapper au bonheur. Très peu de gens de cette génération sont heureux.
Nous avons affaire à un problème culturel. Chaque être humain, par son appartenance à l’histoire des idées, a les mêmes capacités potentielles, à la naissance, de se développer et de reproduire les idées de l’humanité qui l’a précédé, dans un certain ordre. Ainsi, l’enfant qui bénéficie du type d’éducation approprié peut revivre le moment de découverte survenu dans l’esprit de quelqu’un ayant vécu des années, des siècles ou même de millénaires avant lui. Ainsi, chaque enfant qui bénéficie d’une forme classique d’éducation consistant à reproduire les découvertes des idées est une personnalité historique. Si en outre, au-delà de sa propre culture, il a appris à en connaître d’autres, il sera une personnalité historique mondiale, dans la mesure où il incorpore, en lui, l’histoire vivante de l’humanité.
Cet enfant aura développé une conscience, lui interdisant de trahir ce qui, en lui, représente la vérité du progrès de l’humanité. Ses ancêtres, les meilleurs d’entre eux, regardant par-dessus son épaule, habitent son esprit tout le temps. La présence de ses ancêtres fait partie de sa conscience. Un enfant qui comprend et reconnaît les grandes découvertes en art, en science, en art de gouverner, du passé se considère lui-même comme une personne du futur ; il sait que les idées que nous transmettons à nos enfants et aux autres enfants, notre héritage, vont transformer le futur. La manière dont nous résolvons les problèmes, ou omettons de les résoudre, va déterminer l’avenir de l’humanité.
La fonction d’une éducation classique est de transformer ce petit morceau de chair qui vient de naître, avec son potentiel cognitif, en une personnalité historique mondiale dans l’esprit de laquelle réside l’expérience revécue, reproduite, de la découverte d’idées transmises du passé de l’humanité. C’est un esprit qui est tourné vers l’avenir, qui dit : « Je vais faire ceci, telle est ma mission, ma vocation. Et l’avenir bénéficiera de mon existence. Je suis un représentant de toute l’humanité ; je vais faire le bien. » Une telle personne, lorsqu’elle éprouve la beauté de ce que lui a légué le passé, et la beauté d’être une personne oeuvrant pour le bien de l’humanité, est heureuse.
C’est la même qualité d’émotion qu’éprouve le chercheur en faisant une découverte juste, ou l’artiste qui compose un poème ou un morceau de musique, ou l’interprète de manière appropriée. Cette émotion, qu’on appelle en grec agapê, est celle par laquelle Platon, par la bouche de Socrate, identifie l’engagement à la justice et à la vérité. C’est l’opposé de l’éros. l’agapê émane de la conscience d’être une personne historique mondiale. Lorsqu’on devient pleinement ce genre de personne, l’on est heureux ; lorsqu’on partage ce sentiment avec d’autres, l’on est heureux. Cela ne se traduit pas par des actes de charité individuelle en tant que tels, comme la distribution de soupe aux nécessiteux - même si ce travail peut rendre heureux ; l’important n’est pas tant de donner des biens matériels aux autres, mais de donner à l’humanité à venir les moyens de survivre, de vivre une vie meilleure.
C’est comme le travailleur qui est fier d’avoir compris un certain principe de machine-outil. Ou l’enfant qui est fier d’avoir réussi à composer quelque chose, et de l’avoir fait suivant le principe classique. Alors le visage de l’enfant s’illumine, comme si une lumière intérieure éclairait son être - un état de bonheur.
Nous ne sommes pas un peuple heureux. Il y a peu de gens heureux sur notre planète. Nous vivons dans une société fortement érotique, fortement dégénérée, démoralisée, pessimiste - le pessimisme culturel est profond. « Rien ne changera. Vous n’allez jamais réussir. Il ne faut surtout pas nager à contre-courant. Restez avec nous. » Vous, vous répondez : « Je ne veux pas nager du tout dans ces égouts-là ! Je veux rester sur les hauteurs, bien loin. » Voilà notre problème.
Voyons maintenant les implications de tout cela. Nous voulons faire comprendre ce qu’est l’humanité, pour que cessent les idioties du genre « telle nation est l’ennemi de telle autre nation ». C’est absurde. Toutes ces notions géopolitiques, la stratégie habituellement utilisée, l’opinion publique qu’on entend couramment - sont des stupidités ! Nous qui sommes ici dans cette salle, qui nous connaissons, avons une grave préoccupation qui nous tient à cœur : la Russie se fait détruire, l’Afrique est en pleine désintégration, l’Amérique centrale et du Sud est ravagée, tout comme l’Asie, les populations souffrent tandis que la maladie se répand, la pauvreté s’étend, et nous nous trouvons au bord d’un âge des ténèbres !
Pouvons-nous être préoccupés par le sort d’une seule nation, au détriment d’une autre ? C’est ridicule ! Nous sommes préoccupés par toute l’humanité. Et nous reconnaissons dans les nations des véhicules pour faire face au problème. Nous savons aussi que la coopération entre nations est nécessaire pour y faire face. L’Etat-nation est bien sûr essentiel pour ses habitants, mais il n’y a pas de « conflit naturel », ni de conflit opposant un être humain à un autre. Ce n’est pas naturel du tout.
C’est un problème que nous, dans la culture européenne, faisons remonter à Babylone, bien qu’il soit encore plus ancien que cela. La culture de Babylone, de la Mésopotamie, était perverse dès le début. La civilisation européenne a eu beaucoup de mal à s’en débarrasser, elle n’y est d’ailleurs pas encore parvenue à ce jour. De quel genre de société s’agit-il ? Nous en trouvons des traces dans différentes cultures un peu partout dans le monde. Il y a quelques centaines d’années de cela, l’existence humaine était organisée en une société dans laquelle moins de 5 % de la population, représentant l’oligarchie et ses valets, régnaient sur les 95 % restants réduits à l’esclavage ou à la servitude, sinon à l’état de bétail humain. Ainsi, tous les conflits sur notre planète, pour aussi loin que nous puissions remonter dans l’histoire connue, traduisent le rejet de ces sociétés dans lesquelles la majorité de la population est traitée comme du bétail tandis que quelques privilégiés s’en sont instaurés comme gardiens. C’est de là que viennent les conflits.
Ce système de Babylone fut maintenu sous diverses formes, dont celle de l’Empire romain. En effet, dans le premier siècle après Jésus-Christ, Juifs et Chrétiens qualifiaient Rome de « nouvelle Babylone », et la célèbre Apocalypse de Saint-Jean traite l’Empire romain de « prostituée de Babylone ». Byzance fut également une « prostituée de Babylone », tout comme le fut le féodalisme européen. Le système de servage n’était pas « naturel », il était « non naturel », la continuation de la politique de la « prostituée de Babylone ». (...) Vous pouvez constater ce que ce système a perpétré, en considérant l’Empire romain sous Auguste, Byzance, le féodalisme et ce que fut Venise en tant que puissance maritime dominant la Méditerranée et les alentours, jusqu’au XVIème siècle. Aujourd’hui on l’appelle l’Empire britannique, ou encore l’oligarchie anglo-hollandaise qui a remplacé l’aristocratie dite foncière par une aristocratie financière.
Cette aristocratie pollue toutes les parties du monde. La Russie en a été largement infectée dans la période récente sous forme de la mafia et des banques, qu’il devient de plus en plus difficile de différencier. Chaque pays du monde tend à avoir son oligarchie financière qui sert de branche cadette de l’oligarchie anglo-hollandaise. Ses représentants disent : « L’oligarchie financière doit empêcher les gouvernements d’exercer le moindre contrôle sur le système financier. Il faut maintenir une banque centrale privée, autorisée et financée par le gouvernement, mais le gouvernement ne doit surtout pas s’y ingérer ! Il doit laisser libre cours au marché. » Eh bien, c’est cela une oligarchie. Dès lors que nous laissons les contrats financiers, et les transactions afférentes, contrôler la vie des hommes, sommes-nous autre chose que des esclaves ? Et lorsque vient le moment de payer la dette sur ces engagements financiers, allons-nous vendre nos enfants comme esclaves ? Allons-nous laisser des hommes mourir de faim ? Allons-nous faire augmenter le taux de mortalité de la population, sabrer les soins médicaux, priver de traitement les personnes âgées ? Et ce, uniquement pour satisfaire aux besoins de banquiers vautours ? C’est ce que nous faisons aujourd’hui. Voilà le conflit.
Qu’est-ce que l’économie réelle ? Je vais ici enlever les gants, car je pense que c’est nécessaire pour bien comprendre le sujet.
La science économique formelle, telle qu’on l’enseigne aujourd’hui dans toutes les universités que je connaisse et dans tous les livres de classe, ou telle qu’on en parle lors des grands colloques, c’est de la foutaise ! Certes, il existe de bons économistes, non pas parce qu’ils ont assimilé une quelconque théorie économique, mais parce qu’ils ont un certain sens intuitif de comment une économie doit fonctionner en pratique. C’est comme le diagnostique que fait un médecin, qui relève plus du sens clinique que de la théorie. La théorie économique enseignée dans les universités et les institutions officielles est par contre insensée. Une fraude, une escroquerie ! Pourquoi ? Repensez à l’image que j’ai employée au début, ce corps céleste qui devient plus lumineux et dont le mouvement angulaire s’accélère tous les jours. Cela finira par exploser ! Tel est le cas de l’économie aujourd’hui.
Qu’est-ce qu’une économie rentable ? Qu’est-ce que la croissance ? L’homme existe en tant qu’espèce en relation avec l’univers. Ce qui importe n’est pas son activité en tant que telle, mais sa capacité d’accroître sa productivité, autrement dit d’augmenter le pouvoir de l’homme sur la nature et sur l’univers. C’est un pouvoir qui découle de la cognition. Nous découvrons des principes physiques ou de cognition et, si nous modifions notre comportement de nations ou de peuples, en accord avec ces découvertes, nous augmentons notre pouvoir sur la nature. Nous savons que ces principes sont corrects lorsque l’univers accepte les découvertes par lesquelles nous les traduisons et se soumet à notre volonté.
L’homme est donc une créature suprême dans l’univers, la seule qui puisse changer son comportement de façon à augmenter son pouvoir sur l’univers, la seule créature à laquelle l’univers obéit.
Ce qui nous intéresse maintenant, dans l’histoire et dans l’économie, c’est cette question de l’augmentation du pouvoir de l’espèce humaine. Ce n’est pas si simple à réaliser parce que, pour augmenter le pouvoir de l’humanité, il est inadmissible que les gens meurent à l’âge de 40 ans. Si l’espérance de vie est limitée à 40 ans, comment les enfants recevront-ils une éducation adéquate ? Si la vie productive du membre moyen de la société ne correspond pas à une espérance de vie égale à 70-90 ans, quelle chance la population aura-t-elle de s’éduquer et se développer ? Les caractéristiques démographiques de la population sont donc essentielles pour le progrès de l’humanité. Nous aurons davantage de choses à apprendre et davantage de progrès à réaliser pour maintenir simplement la société. Le processus d’éducation sera plus long et de meilleure qualité. Les jeunes gens consacreront une part plus grande de leur vie à l’éducation et la formation. Il nous faut donc améliorer les conditions de vie matérielles, dans la mesure où elles influent sur cette capacité. Les conditions de la vie au foyer doivent s’améliorer ; il faut éliminer les corvées et les travaux pénibles pour que prédomine le rôle du foyer en tant que lieu où la culture est encouragée et se développe. Pour cela, il faut des moyens matériels.
Nous devons développer les terres cultivables et en améliorer la qualité, découvrir constamment de nouveaux types de ressources à mettre au point et investir davantage pour préserver ces améliorations. Cela veut dire que la quantité par tête de matériel passant entre nos mains, de génération en génération, doit augmenter. L’infrastructure doit augmenter aussi.
Nous pouvons appeler ces facteurs l’« énergie du système ». Considérant la planète, quelle production totale la société doit-elle fournir, par tête et par kilomètre carré, afin de maintenir ce système humain sans qu’il y ait détérioration ? C’est cela l’énergie du système.
Cette énergie du système, par tête et par kilomètre carré, en termes d’objets et de besoins, doit augmenter sans cesse. Outre cette augmentation, un autre accroissement est nécessaire, qui rende possibles l’exploration, l’élargissement, le développement, et c’est ce que nous appelons le profit ou l’énergie libre. Cela concerne des biens matériels et tout ce qu’il faut pour favoriser la croissance de la population et de sa productivité. Ce n’est pas de l’argent, c’est réel, c’est l’éducation, les soins médicaux, la science, ce sont des logements améliorés, une infrastructure plus adéquate, des technologies plus performantes. On l’appelle cela le « profit ».
Maintenant décrivez-moi, en termes mathématiques, un système dans lequel l’énergie du système augmente pendant qu’en même temps, le ratio de l’énergie libre à l’énergie du système augmente aussi, et de manière constante. Venez au tableau noir et présentez-moi une formule mathématique pour représenter ce processus. Ou prenez n’importe quel livre de mathématiques, ou n’importe quel écrit sur la science économique. Où se trouve cette fonction ? Il existe des théories sur le profit ! C’est le problème, par exemple, de Marx. Il admet à la fin du Capital I qu’il n’a pas tenu compte de la « composition technologie du capital ». Il l’a laissée de côté et c’est pourquoi le Tome III ne tient pas. C’est pourquoi toute son idée du cycle de la reproduction simple et élargie ne tient pas. Parce qu’il omet cet aspect des choses.
Dans quel cas cette fonction s’applique-t-elle ? L’augmentation du ratio d’énergie libre par rapport à l’énergie du système, allant de pair avec l’augmentation de l’énergie du système, par tête et par kilomètre carré - c’est ce qui caractérise toute forme réussie d’économie. Et cela se produit grâce au progrès scientifique et technologique. Une société de croissance technologie zéro est une société qui se meurt. Son économie se désintègre. C’est ce que nous vivons aujourd’hui.
Quel est le problème ? Nous avons bien des mathématiques, mais pas de mathématiques compétentes. Pire, aucune université au monde n’enseigne aujourd’hui des mathématiques compétentes. Si vous n’y croyez pas, prenez le calcul. Tout cours de calcul différentiel comprendra, à quelques exceptions près, la célèbre fraction de Cauchy ou le « théorème des limites », qui aboutit à ce qu’on appelle la « linéarisation dans le petit ». De tout système mathématique qui se base sur la « linéarisationdanslepetit », il sera impossible de faire découler un système dans lequel le ratio d’énergie libre par rapport à l’énergie du système peut augmenter, ou même être maintenu de manière constante, dans des conditions d’augmentation de la densité de l’énergie du système. Cela ne peut pas se faire ! Cela s’appelle de l’anti-entropie.
C’est comme l’idée qu’on se fait de l’homme - c’est généralement la conception hobbésienne ou lockéenne de l’homme, celle des empiristes et des positivistes. Les idées qu’on a de l’homme sont comme des objets dans un univers linéarisé. Dans aucun pays, surtout s’il suit le FMI, la politique économique ne reconnaît la nécessité de fournir à l’individu une certaine qualité minimale d’éducation, de maintenir et d’améliorer les caractéristiques démographiques du foyer moyen, d’augmenter l’apport de la science et de la technologie. Les écologistes, par exemple, ont une philosophie anti-humaine, une philosophie de bétail qui ferait même rougir une vache...
Le problème, c’est que les gens ne sont pas motivés pour se développer en tant que personnalités historico-mondiales. Ils ne se conçoivent pas comme des individus capables de découvertes, mais plutôt comme des personnes désireuses de réussir dans la société. Ce sont des existentialistes, dans le sens où le furent le sympathisant nazi Martin Heidegger et ses amis nazis, comme Theodore Adorno à qui l’entrée au Parti nazi fut refusée parce qu’il n’avait pas la bonne religion et dut donc quitter l’Allemagne. Ou encore Jean-Paul Sartre, qu’on appelle aussi Jean-Paul Sado-Masochiste. Leur conception de l’homme est linéaire. Ce sont les appétits - la convoitise, l’avarice, la haine - qui gouvernent les relations entre personnes ou entre nations. Aujourd’hui, l’on s’intéresse surtout aux « plaisirs personnels ».
La population, celle qui nous entoure comme celle du monde entier, perd la capacité morale de survivre. La racine du problème ne se trouve pas dans nos gouvernants, mais dans le consentement des gouvernés. Ils se comportent comme du bétail.
Considérez le tableau brossé par Jonathan Swift dans son célèbre livre, publié dans les années 1720, Les voyages de Gulliver. Il ne s’agit pas de contes pour enfants, mais plutôt d’histoires vraies racontées dans un contexte de voyages fictifs dans une île. Cette île s’appelle l’Angleterre. A travers ses récits - notamment celui du voyage à Lilliput, où la petitesse d’esprit de la population anglaise apparaît clairement, ou dans la terre des Houyhnhnms - l’auteur décrit la vie en Angleterre à l’époque de George I. Il la décrit telle qu’elle est : un troupeau de chevaux, ou plus exactement d’arrière-trains de chevaux, règne comme des lords sur la population ; ces postérieurs de chevaux dominent une classe d’esclaves qui ressemblent un peu à des êtres humains mais qui, échauffés par le rut, se roulent dans les fossés, incapables de tenir un discours cohérent, ou, lorsqu’ils ne sont pas en chaleur, s’occupent de servir les arrière-trains de chevaux. Ce sont des yahoo.
C’est à une telle condition que l’humanité s’est laissée rabaisser. Elle s’est dégradée au point de revendiquer le plaisir de se rouler dans les caniveaux. J’ai vu le déroulement de ce processus dans les années 60 et j’ai décrit de manière assez détaillée la situation historique du problème. Nos universités accueillaient de jeunes étudiants, qui étaient censés passer par différentes carrières du monde professionnel et des affaires, et dans l’administration, afin d’arriver aux postes de commande. C’est ce qui s’est passé. Prenez les postes de hauts fonctionnaires ou de responsables dans l’industrie (surtout dans la banque), vous voyez qu’ils sont occupés par d’anciens étudiants de 1964 à 1972. C’est la génération des baby-boomerou des soixante-huitards.
Que faisaient-ils pendant cette période de 1964 à 1972 ? Ils consommaient des substances bizarres pour provoquer un état mental inhumain. Ils se livraient à des ébats dans les amphis ou les sous-sols de l’université à la recherche du plaisir - non du bonheur. C’est une bande de dégénérés, de la génération du « moi » et du « maintenant », qui a abandonné le sens de sa responsabilité historique vis-à-vis de l’humanité, pour se préoccuper de son propre plaisir et de son propre style de vie. C’est eux qui dirigent la société aujourd’hui. Et leurs enfants, qu’on appelle aux Etats-Unis la « génération X », sont les victimes de tels parents. L’éducation qu’ils ont reçue est pire que jamais. C’est vrai aussi en Europe, sous une forme un peu différente.
Nous avons donc permis que la créature la plus noble de l’univers, l’homme, soit rabaissée, non seulement en raison des conditions qui lui étaient imposées, mais par l’état qu’il s’est imposé lui-même. Nous vivons parmi une espèce humaine qui a perdu la qualité essentielle de la capacité morale à survivre.
Sur le plan objectif, nous pouvons résoudre le problème auquel nous faisons face. Les mesures à prendre sont claires, comme le reconnaîtrait toute personne rationnelle. Ces mesures seront efficaces. Nous ne proposons rien qui n’ait déjà fait ses preuves, encore et encore, dans le passé. Mais pourquoi donc ces mesures ne sont-elles pas prises ? Ce n’est pas seulement parce que les gouvernants ne veulent pas les prendre, mais parce que les gouvernés revendiquent, en conformité avec l’opinion publique, le type même de politique qui assure leur propre destruction. Ils revendiquent le libre-échange. Ils sont pour l’écologisme. Ils soutiennent le prétendu droit à « mener sa propre vie » et substituent la recherche du plaisir à l’obtention du bonheur. Ils s’accrochent aussi à des activités criminelles. On leur dit : « Mais c’est fou, vous allez vous retrouver en prison ». Ce à quoi ils répondent : « Je m’en fiche, j’ai choisi mon style de vie. »
Nous aurons encore, bientôt, une chance de sauver l’humanité. Dans la période à venir, il y aura un nouveau choc. La population tombera à genoux, terrorisée. Prenez le premier scénario que j’ai mentionné : le FMI n’arrive pas à fournir un plan de sauvetage adéquat pour la Corée du Sud. (...) Ce pays déclare de fait une cessation de paiements, avec les conséquences prévisibles au Japon, en Asie du Sud-Est et dans le reste du monde. Ce sera le chaos, l’avènement d’un nouvel âge des ténèbres sur la terre.
Dans le cas contraire, à défaut d’une réaction en chaîne de cessations de paiements, le pire se produira : un processus d’hyperinflation global qui se poursuivra jusqu’à l’éclatement du système. Dans ce processus, les prix peuvent augmenter en l’espace de quelques minutes jusqu’à ce qu’un beau jour, les monnaies soient caduques, comme cela se passa au terme de l’hyperinflation dans l’Allemagne de Weimar.
Le choc provoqué par cette réalité réveillera la population, l’obligeant à abandonner ses bêtises de baby-boomers, l’écologisme, etc. Certains d’entre eux auront le bon sens de dire : « Nous avons eu tort, nous devons changer ». Ce sera notre dernière chance.
J’ajouterais un dernier point. Toute l’histoire de l’humanité est celle des idées. Ces idées sont générées par des individus et transmises, par voie de reproduction, à d’autres individus. Les masses populaires ne sécrètent pas la vérité. L’opinion des masses n’a jamais rien produit de valable. Ce sont les dirigeants, venant du peuple, qui élèvent les populations de par leur leadership. C’est cette qualité quihisse les populations au-dessus du danger. Mais la personne qui est qualifiée pour diriger doit patienter jusqu’au moment où les croyances des masses sont tellement discréditées que celles-ci sont enfin prêtes à suivre les idées qu’elles auraient dû écouter bien avant, mais n’avaient pas encore le bon sens de le faire.
Notre problème aujourd’hui est le suivant. L’opportunité nous sera donnée de rejeter ces aspects qui assurent notre destruction, mais si nous n’avons pas de dirigeants capables de saisir cette opportunité, nous allons la rater. Et l’humanité sombrera dans l’abîme, pendant au moins deux générations, d’un âge des ténèbres. Elle y restera tant qu’elle n’aura pas rejeté l’ineptie de ce qu’on appelle l’« opinion populaire », notamment celle des économistes et de certains membres de gouvernement.
Sommes-nous assez nombreux, cependant, pour assurer que les populations reçoivent le leadership nécessaire au moment où elles sont prêtes à écouter et que triomphent alors les idées qui nous permettront d’effectuer une révolution globale de la condition de l’humanité ? Pour établir une fois pour toutes les fondements d’une forme de société humaine dans laquelle le caractère sacré de la créature la plus noble de l’univers, l’homme, l’individu, soit souverain, dans laquelle la société assume pleinement sa responsabilité pour assurer la vérité et la justice à cette créature, à tous les hommes, y compris la justice économique, non seulement pour les vivants mais aussi pour les générations à venir.
Nous avons cette opportunité. Parviendrons-nous à la saisir, je ne sais pas. Je fais de mon mieux, comme vous le savez. Mais si nous n’arrivons pas à inciter suffisamment de dirigeants à saisir l’opportunité au moment où un peuple terrifié attend ce leadership, ces nouvelles idées, alors nous n’y parviendrons pas.
Notes
1 Banque créée en Allemagne après la Deuxième Guerre mondiale pour la reconstruction économique du pays.