Les écrits de Lyndon LaRouche

Le syndrome de Périclès ou la folie d’un vice-Président

vendredi 15 juillet 2005, par Lyndon LaRouche

(Lyndon LaRouche a rédigé ce texte en juillet 2005, alors que l’incompétence manifeste de l’administration Bush-Cheney et l’état mental préoccupant du Président lui-même posaient un problème stratégique et constitutionnel évident. La destitution était et reste une option préconisée par un nombre grandissant d’experts. Cependant, dans ce texte, LaRouche met en garde qu’en cherchant à résoudre ce problème gravissime, on ne tombe dans une interprétation mécaniste de la Constitution des Etats-Unis, au lieu d’en rechercher les sources profondes qui remontent au développement du droit naturel, lui-même processus dynamique en développement constant. C’est ce qu’il esquisse dans ce texte.)

L’affirmation, souvent répétée par George W. Bush, selon laquelle les bons du Trésor américains ne seraient que de simples reconnaissances de dette constitue en soi un exemple typique et tout à fait pertinent de son incompétence à exercer la fonction présidentielle, notamment dans les conditions financières et monétaires actuelles. Malheureusement, la solution au réel problème que cela pose au Congrès n’est pas aussi simple que pourrait l’indiquer ce motif pour l’éloigner de son poste. Considérez, par exemple, le frisson d’effroi que ne manqueraient pas de ressentir les sénateurs, entre autres, à l’idée que l’éviction d’un Président insane puisse amener le vice-Président Dick Cheney à la présidence !

Concernant cet aspect de la présidence de George W. Bush, le psychiatre Jerrold M. Post s’est distingué par ses travaux sur le défi constitutionnel que peut poser l’état mental d’un Président 1. Certains des éléments essentiels à prendre en compte pour évaluer la santé mentale du président Bush lui-même sont traités à nouveau dans la réédition, mise à jour, de l’opinion hautement professionnelle du psychiatre Justin A. Frank 2. L’étude antérieure du Dr Post concernant le contexte plus global des problèmes de ce type portait sur les implications du 25ème amendement de la Constitution américaine. Cet ouvrage, considéré dans le métier comme faisant autorité, ne répond cependant pas au défi particulier que l’état mental de notre Président pose pour le droit constitutionnel, dans les conditions globales actuelles 3.

La très utile étude de Justin Frank sur le Président revêt une importance cruciale en soi, mais ne prétend pas aborder le problème stratégique décisif auquel le Congrès doit faire face dans le cas présent. Il ne s’agit pas seulement de Bush, ni même du duo Bush-Cheney. Le problème essentiel concerne le développement qualitatif, au cours des quarante dernières années, du danger qui menace l’existence de notre République. Comment ensommes-nous arrivés à une situation aussi périlleuse, avec un Président de plus en plus dysfonctionnel, et qui n’est en aucun cas un Périclès, risquant d’être remplacé par celui qui se voudrait un Thrasymaque moderne, le vice-Président Dick Cheney ? Par quel moyen Athènes se détruisit-elle dans la guerre du Péloponnèse ? Comment se fait-il que nous répétions le même genre de folie aujourd’hui, en Irak par exemple ?

Le problème de gouvernance que pose le duo Bush-Cheney ne correspond pas point par point aux prémisses mécanistes du 25ème amendement, ni au précédent évident du renvoi [du président Richard] Nixon et [du vice-président Spiro] Agnew. Bien que le président Bush ait une personnalité mesquine, et même vicieusement sadique, sa culpabilité est celle d’une créature lamentablement niaise, souffrant de surcroît d’un comportement intellectuel et moral défectueux. Il est évident qu’il n’aurait jamais dû accéder à cette fonction. Cependant, nous devons reconnaître que le sort de ce Président est lié presque inextricablement aux crimes et délits du sociopathe préféré de Lynne Cheney : son époux le vice-Président Dick Cheney. Compte tenu des dernières décennies au cours desquelles ces deux hommes ont fait carrière pour accéder aux postes de Président et de vice-Président, et du développement pendant cette même période de la crise du système monétaro-financier, le 25ème Amendement en tant que tel ne saurait répondre aux problèmes de l’heure.

Toutefois, comme je le montrerai dans la conclusion de ce mémorandum, notre Constitution, prise dans son ensemble, fournit, du moins implicitement, des remèdes optionnels au problème du président Bush et du vice-président Cheney, qui laisseraient intacte l’intention de ce document - par exemple, que Cheney soit relevé de ses fonctions le premier. Mais ce n’est là qu’un aspect du problème. Il faut aussi en définir les implications plus vastes dans la crise mondiale actuelle. (...)

Si nous voulons échapper au péril que pose à notre nation le duo Bush-Cheney, nous devons appliquer l’intention unificatrice sous-jacente, reposant sur un principe scientifique, de la totalité de la Constitution des Etats-Unis à la totalité de la menace existentielle pesant sur la nation, au lieu de nous contenter de viser simplement l’élimination de certains des éléments défectueux, aussi importants soient-ils, de la présidence actuelle.

1. Le défaut systémique de la psychologie moderne

Du point de vue de la méthode scientifique, les principales doctrines constitutionnelles de la République américaine, la Déclaration d’Indépendance de 1776 et la Constitution fédérale de 1789, reflètent, sans les contenir, les principes sous-jacents profonds et réellement universels d’un droit naturel vivant, universel et cohérent, mais aussi en développement. La conception de ces doctrines a pour prémisse la loi naturelle.

Ainsi, pour le droit constitutionnel correctement défini, comme pour tout mode valable d’enquête scientifique, le contenu de la pratique constitutionnelle dans son ensemble est susceptible d’un développement constant, perpétuel, à travers la découverte de nouveaux principes particuliers permettant de préserver, dans des circonstances universelles changeantes, l’intégrité de la notion de droit naturel correspondant à l’intention originelle. Le cas actuel Bush-Cheney présente des circonstances changeantes de ce type.

En précisant « correspondant à l’intention originelle », je souligne que l’utilisation, par les auteurs de ces documents constitutionnels, des expressions « recherche du bonheur » et « promotion de l’intérêt général » a une signification unique et délibérée ; il s’agit d’une déclaration constitutionnelle reflétant un principe physique universel.

Cette notion d’un ensemble du droit basé sur un principe physique universel sous-jacent vérifiable s’appelle la loi naturelle. Elle est en opposition principielle avec la notion de loi positive, qui est plutôt un code de conditions négociées entre un ordre, autrement anarchique, d’individus, de nations ou de petits groupes de type familial.

En ceci, le droit constitutionnel exprime sa similitude héréditaire principielle avec ces notions de science physique qui définissent l’auto-développement et l’expansion d’un ensemble de droit naturel. Celui-ci est l’expression des principes spécifiques d’une civilisation européenne puisant ses sources dans l’Egypte antique. Le développement explicite d’un droit reposant sur l’idée de loi naturelle remonte, en dépit de nombreuses contestations d’opinion et de pratique, au travail exemplaire des Pythagoriciens, Solon d’Athènes et Platon.

En dépit de la tendance persistante à imposer une division catégorique entre les idées scientifiques et la composition artistique classique, division qualifiée par C.P. Snow de paradoxe des « deux cultures » 4, les notions du droit sur lesquelles reposent pour l’essentiel la Déclaration d’Indépendance et la Constitution fédérale proviennent de la tradition en science physique et en composition artistique de la Grèce antique, notamment celle de Platon.

Ainsi, au fil de l’histoire de la culture classique grecque qui émergea à l’époque des Pythagoriciens, de Solon d’Athènes et de Platon, en dépit de différentes périodes de régression, les fondations d’une civilisation se développèrent. Ceci nous amène à la question : comment la plus grande civilisation de l’époque acquit-elle les habitudes qui entraînèrent sa destruction, sous la direction de Périclès par exemple ? Comment ce processus s’est-il développé dans l’« Athènes de l’Amérique » que représentaient au XVIIème siècle les Winthrop et les Mather ?

Dans l’histoire de la culture classique européenne, dont les racines remontent à la Grèce des Pythagoriciens, on peut mettre en lumière une expansion sous-jacente continue des principes validés de Solon, des Pythagoriciens et de Platon, du progrès scientifique et afférent, et de ce qu’on appelle un principe d’hypothèse supérieure 5. Tout comme la capacité qu’offre la méthode scientifique expérimentale de découvrir de nouveaux principes physiques universels de notre univers (principes rendus nécessaires par la découverte de nouveaux types de conditions universels) est le trait caractéristique de la science physique, ainsi pouvons-nous découvrir les principes constitutionnels de l’art de gouverner. Ces derniers ont, à ce jour, trouvé leur meilleure réflexion dans le grand Concile de Florence du XVème siècle et dans le principe central énoncé au début des traités de Westphalie de 1648 6, tous deux constituant les racines de la Déclaration d’Indépendance et de la Constitution américaine.

Ainsi, dans tous les domaines de la pratique scientifique, l’histoire réelle montre qu’il existe bien une méthode de générer et de valider la découverte de nouveaux principes physiques universels. Lorsqu’une situation spécifique se présente, par exemple les circonstances anomales instaurées par la brutalité du régime Bush-Cheney, nous devons remonter au-delà des principes et des circonstances ayant inspiré notre Constitution, pour façonner un principe qui soit cohérent avec ses racines historiques.

D’un côté, le caractère de la menace existentielle pesant sur la civilisation planétaire met immédiatement à l’ordre du jour la question de la destitution ou autre mesure similaire, afin de corriger la tendance. Or, compte tenu du type d’action nécessaire, la plupart de nos représentants ne sont pas encore en mesure de définir quand ni comment la nécessaire mesure corrective doit intervenir et dans quel but. Nous devons envisager une telle action, et rapidement, mais nous devons néanmoins veiller à épargner la vie du patient, notre système constitutionnel, au lieu de risquer de la lui ôter par une intervention chirurgicale hâtive. Nous devons réfléchir attentivement à la qualité sans précédent des anomalies immédiates de la crise du système monétaro-financier mondial en cours, car c’est dans ce contexte que se situe la menace incarnée par la présidence en exercice.

Aujourd’hui, l’organe, la présidence, est affligé d’un mal qu’on pourrait décrire comme le régime Bush-Cheney, mais la maladie ne réside dans aucun des deux individus, ni même dans la combinaison des deux, mais dans les aspects systémiques de la situation de crise mondiale, de caractère existentiel, ayant permis à un duo aussi incongru d’accéder à ces fonctions. Les cas de Bush et de Cheney, pris ensemble ou séparés, sont le résultat d’un ensemble particulier de conditions historiques spécifiques. Ce sont ces conditions qu’il faut traiter. Notre objectif premier doit être de remédier au mal ayant permis à ce duo de jouer le rôle pathologique qu’il tient, au lieu d’en faire le bouc émissaire de ce mal.

La pratique de la psychologie

Dans les deux cas, les motifs de destitution relèvent de troubles mentaux : l’incompétence mentale manifeste du Président à occuper cette fonction et la conduite publique du vice-Président Dick Cheney, qu’on peut décrire comme celle d’un sociopathe vicieux. Quelle que le soit la procédure suivie pour les éloigner du pouvoir, le thème fondamental de l’enquête à mener concernera les manifestations de ces désordres mentaux. Bien que le comportement des deux individus soit clairement « anormal », ce terme ne doit pas suggérer que ce qui passe habituellement pour un comportement « normal » aujourd’hui puisse servir d’étalon pour mesurer les implications de leur incapacité. Le seul qui vaille est un comportement exceptionnel, dont le génie s’illustre dans la découverte ou la redécouverte individuelle d’un principe physique universel.

C’est précisément sur ce point que l’argumentaire du Dr Post s’effondre : contrairement à sa méthode, l’individu existe et se développe dans un cadre historique spécifique, de sorte que c’est ce cadre, plutôt que la notion d’une personnalité abstraite évoluant dans un espace historique vide, qui présente les aspects principaux dont nous devons tenir compte en évaluant la conduite d’un dirigeant dans toute action située dans l’histoire 7.

Une maladie collective gagne peu à peu toute la nation, ces Etats-Unis sortis de la Deuxième Guerre mondiale, sous le président Franklin Roosevelt, avec l’économie la plus puissante et la plus productive ayant jamais existé sur cette planète. Cet exploit fut en grande partie dû à la personnalité relativement unique du Président alors en fonction. Roosevelt réussit, en dépit de l’opposition de notre allié britannique dans cette guerre et en dépit du danger représenté par les hyènes de notre système politico-financier, que le président Eisenhower qualifiera plus tard de « complexe militaro-industriel » et qui se tenaient prêtes à démolir le travail de Roosevelt dès qu’il aurait quitté la présidence, en l’occurrence à sa mort. Dès son décès, une campagne de diffamation fut lancée pour le discréditer, vantant à la place la politique de deux modèles de présidence ayant échoué, celles de Calvin Coolidge et d’Herbert Hoover, qui avaient plongé les Etats-Unis dans une grave dépression économique.

Deux décennies après le décès de Franklin Roosevelt, au cours de la deuxième moitié des années soixante, les Etats-Unis s’engagèrent dans un changement de paradigmes culturels qui, au cours des décennies suivantes, allait mener à la faillite virtuelle dans laquelle se trouve aujourd’hui l’économie américaine. Les quelque quarante dernières années de l’histoire économique américaine ont surtout été marquées par un effort de plus en plus vigoureux pour écarter tous les principes sur lesquels se fondait le succès des différents gouvernements Roosevelt. Le Congrès pour la liberté de la Culture mena une campagne contre la « personnalité autoritaire », parrainée par le « complexe militaro-industriel », qui était l’expression de la haine mêlée de crainte qu’il vouait à la mémoire de Franklin Roosevelt et que partageait Winston Churchill.

En raison de cette inconduite des masses, notre nation s’est ruinée. Le bilan du gouvernement Bush-Cheney est certes désastreux, mais le choix de ces candidats par le Parti au pouvoir, le vote des citoyens et les politiques menées sont le résultat d’une longue tendance à la dégradation de la culture nationale.

Voilà la situation dans laquelle nous nous trouvons : la mise en place d’un gouvernement Bush-Cheney est la conséquence de la conduite de plus en plus pathologique des masses, des effets implicites du déclin moral d’une majorité grandissante de notre population depuis quatre décennies ou, en adoptant une perspective plus longue, depuis la mort précoce du président Franklin Roosevelt. Ce déclin est le résultat net de la décadence active, ou tout au moins de l’abstention politique, d’une majorité de la population.

Ces faits historiques étant pris en compte, deux types d’erreur, apparentés mais toutefois distincts, figurent implicitement dans l’argument du Dr Post. Nous devons donc réfléchir sérieusement à la nature de ces erreurs et à la manière de les éviter. Parfois, comme c’est le cas maintenant, même les meilleurs experts en psychopathologie ne parviennent pas à diagnostiquer correctement la nature fonctionnelle du problème. Dans la pratique la plus compétente de la psychologie, se glisse fréquemment une erreur, due au fait que l’on se base sur une conception axiomatiquement mécaniste (c’est-à-dire cartésienne) de la place qu’occupe l’individu dans la société, au lieu de partir de la réaction dynamique réciproque et déterminante entre l’individu cognitif et la société, en considérant cette réaction comme un processus historique dont les caractéristiques sont en évolution constante.

Ainsi, c’est l’histoire séculaire de la maison des Habsbourg, remontant à l’époque où Venise l’avait choisie pour détruire par l’arme du mariage l’héritage de l’empereur Frédéric II, qui a produit le pauvre kaiser autrichien qui allait rendre possible le déclenchement de la Première Guerre mondiale, plan conçu par le roi de Grande-Bretagne, l’exécrable Edouard VII. Or la psychanalyse personnelle de ce kaiser, certes lamentable, n’a aucun intérêt à moins de la situer dans le processus historique ayant donné naissance à l’abomination monstrueuse que fut le régime austro-hongrois de l’époque. Cette culture, qui toléra, à partir de 1815, le système réactionnaire des « têtes couronnées d’Europe », assura ainsi la pérennité de la tendance européenne à s’infliger sa propre ruine, à travers les systèmes dits parlementaires. C’est encore elle qui fait que l’Europe se dirige à nouveau aujourd’hui vers le gouffre de l’autodestruction.

C’est pour toutes ces raisons que la colonisation du Massachusetts fut lancée à partir de l’Europe au cours du XVIIème siècle, afin de libérer les meilleures conquêtes de la civilisation européenne de l’héritage opprimant et putréfié de la tradition alors dominante. C’est parce que la lutte pour l’indépendance américaine était profondément ancrée dans ces conquêtes que nous avons pu, malgré de très grandes difficultés internes, élaborer le modèle le plus fidèle de république moderne et le consacrer dans notre système constitutionnel.

Il faut donc faire la correction nécessaire, en abandonnant les modèles mécanistes, cartésiens, de l’individu dans la société (comme ceux sur lesquels reposaient en grande partie les rationalisations du Dr Post) pour adopter la conception dynamique, partant du développement historique des cultures et au sein des cultures : la base de tout système de droit compétent réside dans la question de cette immortalité spécifique qui distingue l’être humain de la catégorie animale, de type hobbésien ou thrasymaquien. On retrouve cette conception de « bêtes » parmi les disciples dits « néo-conservateurs » du professeur Leo Strauss de l’université de Chicago, lui-même un protégé du « juriste nazi » Carl Schmitt, ou encore dans le duo Bush-Cheney.

Cette qualité d’immortalité s’exprime dans la notion d’idée, celle des disciples des pythagoriciens comme Platon, et plus clairement encore dans le christianisme des apôtres Jean et Paul, tout comme chez Moses Mendelssohn, un juif orthodoxe qui donna son impulsion à la renaissance classique de la fin du XVIIIème siècle en Europe. Personnellement, c’est cette conception œcuménique de l’immortalité personnelle de l’individu qui a été le point de départ essentiel de toutes mes découvertes, en tant que disciple de Gottfried Leibniz qui, par ailleurs, inspira une prémisse centrale de la Déclaration d’indépendance et de la Constitution des Etats-Unis. Ainsi, comme je l’ai montré pour le cas de la science de l’économie physique, la juste notion de l’intérêt propre d’un être humain mortel réside dans l’aspect immortel de son existence, une immortalité s’exprimant spécifiquement par le rôle de cette personne dans la création et la préservation de l’accès de la société à des principes universels, physiques et autres, validés par l’expérience.

Le problème systémique de la conduite de masse aujourd’hui, c’est que l’idée d’un acte créateur distinct, tel que l’acte de découverte conscient et volontaire d’un principe physique universel, est rarement vécu dans l’enseignement actuel de la science physique, même au cours de l’éducation secondaire ou supérieure. Au contraire, on apprend simplement les avantages découlant de l’application d’un tel principe, dans des manuels ou sous forme de formules mathématiques, etc., au lieu de réellement refaire l’expérience de l’acte originel de découverte.

Pour clarifier ce point, j’intercale la discussion suivante.

L’éducation de nos jeunes citoyens

Il y a plusieurs années, à l’époque de la formation du Mouvement des jeunes larouchistes (LYM), plusieurs porte-parole de ces jeunes adultes m’ont posé un défi, lors d’une réunion à Reston, en Virginie : Comment pouvons-nous nous donner une véritable éducation ? J’ai répondu par une double proposition programmatique. « Commencez par Carl Gauss », leur dis-je, notamment sa dissertation doctorale de 1799, dans laquelle il démonte l’escroquerie des idéologues empiristes que furent D’Alembert, Euler, Lagrange, etc., au sujet du théorème fondamental de l’algèbre. « En étudiant cette œuvre de Gauss, dis-je, vous allez découvrir ce que signifie une "idée". Ensuite, vous pourrez étudier l’histoire sous l’angle de l’histoire des idées. » Depuis cette époque, ce programme a eu des succès notables, en moyenne.

L’idéologie empiriste des Galilée, Francis Bacon, Thomas Hobbes, René Descartes, John Locke ou des Newtoniens nie les véritables idées découvrables, au sens où l’œuvre de Gauss les définit. Comme Lagrange, elle substitue aux principes physiques des formules mathématiques (algébriques) purement formelles dans un domaine mécaniste comme celui du système défectueux de Descartes. Ainsi, l’empiriste abandonne la véritable pratique de la science physique en faveur d’une méthode pervertie d’interprétation des phénomènes physiques suivant un système mécaniste arbitraire de définitions, axiomes et postulats « évidents en soi ». Cette méthode cartésienne ne correspond pas à la science, mais à un rite pratiqué par un culte religieux païen delphique, dont les implications remontent à l’antique Babylone. 8

Après avoir établi le concept d’« idée » en travaillant les implications de la polémique de Gauss, de 1799, l’étudiant peut retracer l’argument de celui-ci jusqu’à ses origines dans le concept de puissances des anciens comme Archytas et Platon. Il peut ensuite suivre le développement au-delà de Gauss dans les travaux de Riemann, par exemple sur les fonctions abéliennes. De la même façon, nous pouvons traiter cette notion d’idée telle qu’elle s’exprime dans l’histoire du développement de la composition artistique classique.

L’attaque de Gauss contre les empiristes est centrée sur son rejet de leur traitement arbitraire des racines cubiques. L’approche correcte de ce problème consiste à le considérer comme un problème de géométrie constructive ; on veut construire, géométriquement, un cube deux fois plus grand que celui donné au départ. La célèbre solution à ce problème fut trouvée par le pythagoricien Archytas, un ami et collaborateur de Platon. Mais au cours du XIXème siècle, on s’attaqua au problème du point de vue de l’arithmétique, avec Cardan et d’autres, ce qui donna un ensemble de « nombres imaginaires », pour reprendre l’expression des empiristes, parmi les racines. Si l’on examine le doublement du cube par Archytas, contrairement à D’Alembert, Euler, Lagrange, etc., on ne trouve rien d’imaginaire dans les solutions tentées.

Suivant les Pythagoriciens et Platon, il est impossible de générer une ligne déductivement à partir d’un point, ou une surface à partir d’une ligne, ou un solide à partir d’une surface. La génération du doublement précis du carré et du cube se fait par l’utilisation de puissances (dynamis), telles que les pythagoriciens et Platon les définissaient. Ces puissances ont la même connotation que dans la découverte de la gravitation universelle par Kepler, dans celle du principe physique de moindre action (et non de la distance la plus courte) par Fermat et dans le principe universel de moindre action physique de Leibniz, reposant sur la chaînette.

Chez les différents adversaires des pythagoriciens et de Platon, la notion de puissances est écartée en faveur des prétendues définitions, axiomes et postulats « auto-évidents » de la géométrie euclidienne réductionniste ou du système cartésien. Leibniz, dans sa dénonciation de l’erreur fondamentale de Descartes dans le domaine de la physique élémentaire et dans sa propre élaboration de la science de l’économie physique, utilise la notion de puissances (dynamis) au sens de la capacité de l’homme à utiliser un principe universel comme source d’accroissement de son pouvoir (densité démographique potentielle relative) à maintenir et augmenter la fécondité de l’existence humaine dans l’univers.

Dans la science européenne depuis les pythagoriciens et Platon, c’est l’utilisation de ces puissances découvertes qui est la qualité manifestement caractéristique de l’homme, celle qui le distingue et le place au-dessus des singes et de toute autre forme de vie animale. La génération de la connaissance des puissances et la perpétuation de cette connaissance intégrée dans la pratique physique et la culture de la société constituent donc la qualité de l’espèce humaine qui distingue l’être humain de la bête ; ainsi, VI Vernadski distingue, pour sa part, le travail de l’homme, la noosphère, de toutes autres formes de vie inférieures. Ce sont les pouvoirs créateurs de l’esprit humain, ainsi définis (dont l’existence est niée par les empiristes et autres réductionnistes) qui constitue la distinction caractéristique de l’humanité, et donc de la société et de ses différentes cultures.

Nous identifions également ce principe comme celui de l’immortalité de l’homme. L’activité caractéristique de chaque membre de l’espèce humaine, notamment au sein de la société, est la créativité, dont l’existence est niée par les empiristes et réductionnistes. 9 C’est la transmission de l’acte renouvelé de découverte de ces principes, qui fournit la seule base compétente d’une psychologie scientifique. C’est l’accumulation de tels principes découverts qui définit une culture humaine. Considérez, de ce point de vue, comment Vernadski définit la distinction entre noosphère, domaine abiotique et biosphère.

Ainsi, de manière générale, c’est surtout la culture qui exerce son influence sur l’individu humain, mais celui-ci, en particulier l’individu créateur, intervient aussi sur la culture. La relation entre les deux est dynamique, plutôt qu’une interaction de type mécanique. Le refus de reconnaître cette relation est le défaut le plus courant de la psychologie telle qu’elle est enseignée et exercée.

J’ai abordé les implications de ces faits dans mon récent essai Vernadski & Dirichlet’s Principle. 10 La découverte par Vernadski de la qualité élémentaire des distinctions de principe entre les domaines abiotique, de la biosphère et de la noosphère, illustre la continuité de la méthode de découverte de principes universels que nous associons à la géométrie sphérique de l’Egypte antique, se prolongeant dans la méthode scientifique des pythagoriciens et de Platon, et relancée au XVème siècle, notamment par Nicolas de Cues dans De la docte ignorance. C’est cette œuvre qui ouvrit les portes au développement continu de la science européenne moderne par d’éminents disciples de Cues, dont Luca Pacioli, Léonard de Vinci, Johannes Kepler, Fermat, Leibniz et les leibnizens comme Lazare Carnot, Gauss, Arago, Wilhelm Weber, Alexander de Humboldt, Dirichlet et Riemann.

Ontologie de l’action créatrice

La caractéristique commune de la forme d’analphabétisme scientifique qu’on appelle la méthode de phénoménologie réductionniste a été démontée de façon exemplaire dans un écrit antérieur, par exemple sous la forme des implications de la définition de « biosphère » et de « noosphère » que leur donne le biogéochimiste russe Vladimir I. Vernadski, un célèbre disciple de Mendeleev, Pasteur et Curie. 11

La méthode de Vernadski s’inscrit dans le droit fil de celle de Nicolas de Cues, sur laquelle ce dernier fonda la science physique expérimentale moderne, et de ses disciples. Je vais résumer ici l’argument essentiel car il rend plus intelligible la manière dont sont définis les principes universels du droit naturel, de façon à mieux comprendre le droit constitutionnel. Pour cela, on doit aborder la question de la définition ontologique précise de la créativité, telle que cette notion s’applique à deux catégories connues de phénomènes : la distinction absolue entre l’individu humain et l’animal et la base scientifiquement précise permettant d’attribuer cette qualité de personnalité universelle, à l’individu connu comme le Créateur.

La notion de l’existence du droit naturel dépend absolument de cette notion rigoureusement scientifique de la distinction entre l’être humain et l’animal, le premier étant créé à l’image de Créateur. La méthode dynamique (c’est-à-dire anti-cartésienne) des pythagoriciens, de Platon, Cues et Leibniz trouve une expression tout à fait pertinente et unique dans le développement par Vernadski des concepts de biosphère et de noosphère.

Pour des raisons de place, je limiterai cette partie de mon rapport aux considérations indispensables pour clarifier mon argument.

Pour commencer, il faut bien comprendre que la méthode scientifique en tant que telle a trait à la découverte de la présence efficiente des formes d’existence qui sont à l’origine de nos perceptions sensibles, sans pour autant en être perçues dans les limites de ces sens. Un point de référence utile est fourni par l’attaque de Gauss de 1799 contre le caractère supposé « imaginaire » des racines mathématiques, qui reflète en fait l’action de puissances efficientes. Son œuvre de 1799 constitue une défense de la méthode par laquelle l’astrophysique de Kepler et le principe de moindre action de Fermat ont amené Leibniz à développer le calcul ontologiquement infinitésimal, à l’aide du principe physique de moindre action associé à la chaînette. Depuis l’époque des pythagoriciens et de Platon, on comprend que les principes physiques universels ne sont pas directement des objets de la perception sensible, mais ont pour effet de générer certains types de phénomènes accessibles dans le domaine de la perception sensible. Depuis cette époque ancienne, au minimum, science signifie découverte et utilisation effective volontaire des principes supérieurs efficients qui sont la cause d’effets saisis par les sens, mais dont l’existence n’est pas en soi l’objet perçu par les sens.

C’est sur ce principe que Cues fonda sa Docte Ignorance et d’autres travaux ultérieurs dans ce domaine, en créant la science physique moderne. Quelques exemples essentiels de ce principe : la découverte de la gravitation universelle par Kepler, la découverte du principe de moindre action (la « distance la plus courte ») par Fermat et le principe de moindre action physique de Leibniz avec la chaînette.

Les travaux successifs de Pasteur, de Curie et de Vernadski élargirent considérablement la base expérimentale de l’application de ce principe. La forme générale du résultat se présente ainsi :

Commençons par le principe de la vie. Kepler définit la gravitation comme un effet universel résidant en dehors des limites de la méthode réductionniste de Claude Ptolémée, et il se trouve que la gravitation est effectivement un principe qui n’existe pas en tant que conception systémiquement scientifique dans les limites de la simple phénoménologie. Ainsi, le principe physique universel de la vie est défini, du point de vue expérimental, par des états d’organisation de la matière non vivante qui n’ont jamais pu être générés par des processus non vivants. Autrement dit, la vie est définie par sa capacité singulière manifeste de générer l’accumulation de fossiles qui ne peuvent être attribués à des états non vivants. De même, la cognition est définie par la génération de fossiles qui ne peuvent être attribués à des processus identiques à ceux responsables des fossiles de la biosphère.

La créativité est donc définie comme la génération d’un accroissement du pouvoir d’engendrer les produits fossiles de la noosphère. L’action mentale qui lui donne naissance n’est pas attribuable aux processus vivants en général, mais s’exprime sous forme du changement de la puissance que l’individu humain est capable de générer suite à l’amélioration du taux de croissance qualitative, et pas seulement quantitative, pour une phase donnée de la noosphère.

Cette puissance se produit uniquement dans l’esprit de l’individu humain, et jamais au niveau des processus simplement vivants ni dans l’action collective d’individus humains. Cette puissance, bien que résidant en dehors de l’individu humain biologique, est en interaction efficiente avec lui. Elle se manifeste uniquement, à notre connaissance, chez l’espèce humaine. Nous disons, par conséquent, que la forme humaine vivante convient à la propagation de cette qualité distinctive des êtres humains. C’est un principe universel qui s’empare, comme un virus, de l’apparence biologique de l’individu humain.

Par conséquent, la fin de la vie d’un être humain ne met pas fin à l’existence de cet aspect de lui-même qui le distingue de l’animal.

Le caractère déterminant de cet individu humain est sa découverte ou sa transmission de la connaissance de principes physiques universels découvrables, comme dans toute science physique compétente, ainsi que ses contributions aux modes classiques de composition artistique. Cette action au sein de la société le rend immortel ; de même, la transmission de tels actes créateurs nous donne la certitude de l’immortalité de cette qualité du défunt.

Cette qualité de créativité individuelle ne s’exprime pas comme une action de type mécanique, mais avec la passion que l’être vivant est amené à exprimer durant l’acte de découverte, que ce soit une découverte originale ou une « redécouverte », ou même en revivant l’expérience de la découverte. La reproduction de tels actes de découverte valides, par exemple dans le cadre de programmes d’éducation adéquates, évoque la qualité de passion spécifique que nous associons à la sensation « illuminante » d’un acte de mentation créatrice. Cette qualité imprègne deux compositions chorales simples et exemplaires : Jesu meine Freude de Bach et Ave verum de Mozart. 12

C’est là que réside la distinction entre l’amour bestial (« érotique ») et l’amour agapique, lequel définit implicitement le principe moteur de la loi naturelle universelle. Toutes les maladies mentales types expriment les effets pathologiques de la domination de la personnalité par la qualité bestiale que nous qualifions d’érotique.

L’empirisme, une maladie

La relation entre loi naturelle et créativité de l’être humain caractérise la tradition de Platon, notamment le christianisme apostolique exprimé dans les oeuvres des apôtres Jean et Paul. Apparaissant chez Dante Alighieri comme le trait central de sa conception de la loi naturelle et de l’utilisation de la langue, elle constitue la caractéristique centrale du grand Concile oecuménique de Florence, au XVème siècle. Toutefois, le retour au pouvoir de l’oligarchie financière vénitienne, suite à la chute de Constantinople, déclencha la tradition de haine associée à l’Empire romain et l’alliance de l’oligarchie financière vénitienne avec la chevalerie normande à l’époque des croisades, notamment contre les Albigeois, et pendant la conquête normande, mal qui devait persister jusqu’au « nouvel âge des ténèbres » du XIVème siècle dans l’Europe médiévale. La religion de la haine brandie sous la bannière du Grand Inquisiteur d’Espagne faillit écraser l’Etat-nation souverain, avant les traités de Westphalie de 1648. Pendant cet intervalle d’horreur, entre 1492 et 1648, un changement interne survint dans les rangs de l’oligarchie financière vénitienne, à savoir l’émergence du « nouveau parti vénitien » dirigé par Paolo Sarpi, qui allait former le système libéral empiriste anglo-hollandais.

A travers ses manipulations du stupide « roi-soleil » Louis XIV et, ultérieurement, l’orchestration par la monarchie britannique de la « guerre de Sept ans » entre les idiots couronnés d’Europe, la Compagnie britannique des Indes orientales, de plus en plus sous l’influence de lord Shelburne, s’imposa comme empire dans le contexte du traité de Paris de 1763.

Le trait dominant de ce legs de Sarpi qu’est l’empirisme est la défense de l’aspect fondamentalement inhumain du Zeus de l’Olympe tel qu’il est présenté dans le Prométhée enchaîné d’Eschyle. Zeus alla jusqu’à condamner Prométhée, l’ami de l’humanité, à la torture éternelle pour avoir apporté aux êtres humains la connaissance du feu. Les disciples de Sarpi n’allèrent pas aussi loin, mais leur indulgence fut dictée non pas par la bonté mais par les réalités stratégiques.

La Renaissance du XVème siècle - par exemple, les travaux du cardinal Nicolas de Cues, qui conçut la politique devant amener Christophe Colomb à traverser l’Atlantique, et le génie d’un disciple avoué de Cues dans le domaine scientifique, Léonard de Vinci - déclencha un élan de progrès technologique d’importance stratégique ; ce fut notamment le cas du fondateur de l’Etat-nation français Louis XI et de son admirateur et disciple anglais Henri VII. Vu l’impact des réformes du XVème siècle, les nouvelles réalités ne permirent pas d’éliminer totalement le progrès scientifique et technologique, ce que l’ancien parti médiéval de Venise avait tenté de faire avec sa dynamique de « croissance zéro ».

Par conséquent, plutôt que de bannir le progrès scientifique, les disciples de Sarpi au sein du « nouveau parti » s’attaquèrent à ce qui l’avait rendu possible, en tentant de supprimer la science de Léonard, Kepler, Fermat et Leibniz. Cette attaque allait mener à la mystification systémique introduite par la méthode cartésienne, puis par ses émanations, propagées jusqu’au milieu du XVIIIème siècle par le réseau de salons « newtoniens » orchestré par l’abbé Antonio Conti, un agent vénitien basé à Paris. Les cercles de Mazarin et de Colbert, y compris le protégé de ce dernier, Leibniz, jusqu’à sa mort en 1716, incarnaient une puissante résistance contre cette tentative du nouveau parti vénitien de paralyser le progrès scientifique et technologique.

Dans la période précédant la mort de la reine Anne d’Angleterre, le Parti anglo-hollandais du tyrannique Guillaume d’Orange et de Marlborough réussit à s’imposer un temps comme la force politique dominante en Europe, jusqu’aux débuts de la résistance américaine, au cours des années suivant le traité de Paris, en février 1763.

La résistance américaine et européenne à la nouvelle vigueur de la tyrannie impériale libérale anglo-hollandaise définit l’environnement de la renaissance européenne classique dont la lutte pour l’indépendance américaine allait progressivement devenir le sujet central. C’est au cours de cette renaissance de la fin du XVIIIème siècle que la tradition scientifique de Leibniz fut relancée.

Durant cette période, la science n’était pas morte mais elle avait subi un grave revers après le décès de Leibniz. Suite aux traités de Westphalie de 1648, qui furent en grande partie l’œuvre du cardinal Mazarin, la France de Jean-Baptiste Colbert, lui-même un protégé de Mazarin, resta à la tête du progrès fondamental de la science européenne, jusqu’à ce que l’Allemagne assume ce rôle à partir de 1830 environ, période coïncidant avec l’arrivée à Berlin du français Lejeune Dirichlet, un protégé d’Alexandre de Humboldt. Les cercles de Monge et Carnot préservèrent avec ténacité l’héritage de Colbert en France, notamment pendant la période la plus prolifique des travaux de l’Ecole polytechnique, avant le déclin inauguré par l’adoption de Lagrange par Napoléon et la destruction de l’Ecole sous la direction d’Augustin Cauchy, un protégé de Laplace, soupçonné de plagiat. 13

Gauss, adopté par l’influent Alexandre de Humboldt, fut un représentant type de la renaissance leibnizienne qui, en fin de compte, assura le progrès jusqu’au milieu du XIXème siècle. Cependant, avec la destruction progressive des normes de rigueur établies par Gauss, Wilhelm Weber, Dirichlet et Riemann, destruction orchestrée depuis la Grande-Bretagne, la science allemande fut de plus en plus minée, comme on peut le voir dans la campagne sauvage destinée à rendre fou Georg Cantor et aussi dans l’attaque ultérieure, après la Première Guerre mondiale, des disciples positivistes d’Ernst Mach contre Max Planck.

Aujourd’hui, avec la décadence culturelle extrême et l’hégémonie relative du positivisme radical et de l’existentialisme, la fertilité scientifique en matière de principe physique s’est éteinte, surtout depuis la disparition des grands noms des années 30, 40 et 50 et l’impact culturel catastrophique de l’accession à des positions de pouvoir de la génération du « baby boom », dont les facultés cognitives ont été sévèrement et systématiquement endommagées depuis les années 50, sous l’influence d’un Congrès pour la liberté de la Culture fanatiquement existentialiste. La disparition d’un grand public pour l’art classique et l’excellence en musique, théâtre, littérature et arts plastiques s’insère dans le cadre plus large de l’extermination virtuelle des habitudes de créativité scientifique et autre. Ainsi, on arrive aujourd’hui au point où les méthodes empiristes d’écrasement du potentiel créateur au sein de la population mondiale n’ont que trop bien réussi à assurer l’autodestruction des cultures qu’elles dominent depuis trop longtemps.

Cette décadence, issue de l’empirisme, empêche non seulement les nations de comprendre le concept du droit naturel, mais les amène à considérer l’autodestruction presque comme un objectif suicidaire que les passionnément recherché par les populations. La passion aimante de faire le bien, pour le bien, la passion qui doit être le motif de toute importante pratique économique ou autre a été quasiment extirpée de l’opinion publique courante.

2. Le cas de Périclès : l’évolution dynamique des cultures

Contrairement à l’actuel président des Etats-Unis, on ne saurait classer Périclès d’Athènes dans la catégorie des malades mentaux ; c’était une figure publique accomplie et intelligente, faisant malheureusement partie intégrante de cette culture impérialiste, contaminée par le sophisme, qui dominait alors à Athènes. Il appartenait à une classe dirigeante complice de la décision d’imposer une autorité impériale arbitraire sur ses alliés, comme celle revendiquée par les gouvernements de Margaret Thatcher et de George H.W. Bush lors de l’effondrement du Pacte de Varsovie.

Le déclin d’Athènes depuis son apogée moral, à l’époque de Solon, jusqu’à sa descente vers la ruine politique sous Thrasymaque, avec le lancement de la désastreuse Guerre du Péloponnèse par Périclès, trouve un parallèle dans les Etats-Unis modernes : la transformation qui s’est produite entre la mort du président Franklin Roosevelt et le nouvel impérialisme imposé après 1989, formé du partenariat entre le président George HW Bush et le gouvernement du Premier ministre Margaret Thatcher, et de la mainmise du parti de celle-ci sur un président François Mitterrand qui détestait à la fois de Gaulle et l’Allemagne.

Le dogme fantaisiste de « la fin de l’histoire » du néo-conservateur Francis Fukuyama exprime une irrationalité impériale pire que celle d’Athènes, irrationalité qui a atteint les limites de l’obscénité dans le cadre du partenariat entre le Premier ministre Tony Blair (le vrai successeur de Maggie Thatcher) et ses complices Bush et Cheney.

Considérons quelques exemples cliniques des éléments dont il faut tenir compte pour comprendre la relation réciproque entre l’intervention d’un individu visant à changer une culture et la manière dont les changements de cette culture s’opèrent effectivement - moins la manière dont le comportement des membres individuels de la société change, que la manière dont le comportement modifié des individus, notamment des dirigeants, peut changer les caractéristiques de la culture. Ce sont les implications des modifications de la culture, et non des personnes en tant que telles, qui nous intéressent au premier plan lorsque nous considérons le droit constitutionnel.

Comme ce fut le cas avec Périclès, l’hystérie d’une masse de gens prise dans un torrent de décadence morale les entraîne tous, à part les hommes et les femmes de principe dotés d’une force de caractère exceptionnelle, avec une puissance frôlant la psychose de masse. Nous avons constaté ce phénomène lors de la capitulation du Sénat américain face aux flots de mensonges de Dick Cheney, lorsqu’il autorisa, en violation de la Constitution, le lancement d’une guerre contre l’Irak menant à un bourbier sans issue, qui ne cesse de s’aggraver. Autrement dit, pour comprendre pourquoi le Sénat s’est laissé impressionner au point de capituler face à Cheney et ses mensonges, nous devons tenir compte du fait que la plupart des gens, sauf les plus exceptionnels, se laissent prendre par une panique populaire qui s’empare d’eux avec la force d’une psychose de masse. Il serait enfantin d’ignorer les caractéristiques dynamiques des processus sociaux dans lesquels l’individu est à la fois source et conséquence de la dynamique du processus historico-culturel dans son ensemble.

Dans l’Athènes de Périclès, la corruption morale qui joua le rôle d’une panique quasi-psychotique fut la même maladie sophiste manifestée par le parti démocrate d’Athènes qui ordonna l’assassinat juridique de Socrate, un sophisme similaire à celui dont furent victimes les enfants des ménages américains dans les années 1950 et 1960, bombardés par l’influence combinée de la mobilisation en vue d’une guerre nucléaire « préventive », du « maccarthysme » et de l’impact du Congrès pour la liberté de la culture (CLC). Les mensonges éhontés sur l’histoire propagés par le CLC et sa promotion du sophisme corrosif associé, dans son expression allemande, à l’ « école de Francfort » sont typiques de l’endoctrinement des enfants dans les banlieues terrorisées des années 50 et 60, menant à la propagation d’une dépravation morale et culturelle parmi la génération dite du « baby boom » à la fin des années 60 et dans la décennie suivante.

Ce conditionnement des secteurs concernés de la population mena à une variante de ce que j’ai souvent décrit comme le « syndrome du bocal à poissons ». La population touchée adopte un ensemble d’hypothèses, certaines raisonnables, d’autres parfaitement absurdes, qui servent d’éléments plus ou moins axiomatiques à ses croyances jugées « évidentes ». Toute réalité située hors de portée de ces hypothèses est soit écartée, soit rejetée activement d’une façon qui tend à imiter les fuites hors de la réalité que l’on associe à une véritable psychose fonctionnelle. Cet ensemble de structures de croyance exclut l’existence de tout ce qui ne rentre pas dans le cadre de ce que le « syndrome du bocal à poissons » considère comme « crédible ».

Dans une forme de psychose de masse comme le sophisme, les caractéristiques de ces expressions de non-croyance viennent en grande partie du fait que les éléments que le sophiste a lui-même exclus le privent de sa capacité de prouver une quelconque des propositions que la logique du syndrome du « bocal à poissons » exclut, par principe. Ainsi, le sophiste trouve un substitut à la vérité dans ce qu’il considère comme l’opinion populaire, présumant que son illusion est partagée, plus ou moins activement, par d’autres irrationnels comme lui. « Je n’ai pas vu ça dans les médias » veut donc dire, pour le sophiste, « cela ne s’est jamais produit ». Ainsi, alors que l’économie physique américaine s’enfonce en réalité dans un appauvrissement grandissant, le pauvre sophiste l’encense pour sa création de richesses sans fin, simplement parce que les derniers « rapports du marché » répètent frauduleusement, comme pendant la campagne électorale du président Herbert Hoover en 1932, que « la prospérité est au coin de la rue ».

Ainsi, le même type de syndrome qui conduisit jadis à l’effondrement de la civilisation grecque antique, suite à la guerre du Péloponnèse, mène aujourd’hui les Etats-Unis, sous Bush et Cheney, à propager des guerres ruineuses et inutiles, comme actuellement en Afghanistan et en Irak, où il est impossible pour les Anglo-Américains de remporter une véritable victoire. Ce régime Bush-Cheney, avec l’establishment financier contrôlant Blair, dirige l’ensemble de la planète vers l’effondrement funeste du système anglo-américain global d’hégémonie partagée.

Prenons la guerre par procuration menée en Afghanistan contre le « ventre mou de l’Union soviétique », lancée sous l’égide de Zbigniew Brzezinski, de la Commission trilatérale, et encouragée par le vice-président George Bush et le Britannique Jimmy Goldsmith. Ceci a conduit à un état permanent de guerre irrégulière, financée par le trafic de drogue, s’étendant, à partir d’un Afghanistan détruit, à l’Asie centrale et au Transcaucase, jusqu’à l’Ukraine et au-delà. A ce jour, les forces secrètes (qui ne le sont pas tant que ça...) des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne continuent de soutenir ce type de guerre irrégulière. Entre-temps, celle-ci épuise les capacités, militaires et autres, de l’Amérique, tandis qu’un concert d’entreprises (dont Halliburton), qui contrôlent l’administration Bush-Cheney, saigne à blanc le Trésor américain.

Après la dissolution du bloc soviétique, le président George HW Bush et d’autres triomphalistes se sont vantés d’en être les instigateurs, alors que seulement quelques mois plus tôt, les mêmes jugeaient « inenvisageable » un tel développement.

Le cas de l’Initiative de défense stratégique (IDS) revêt encore une grande importance pour comprendre la situation dans le monde aujourd’hui.

La leçon de l’IDS

C’est avec une autorité toute particulière que je peux parler de George H.W. Bush et de l’IDS, car c’est moi qui fus l’architecte de ce que le président Ronald Reagan allait appeler son « Initiative de défense stratégique ». Lors d’une réunion en février 1983, j’avais averti le gouvernement soviétique, dans le cadre des discussions officieuses que je conduisais dans l’intérêt du Président des Etats-Unis, que si le gouvernement américain en venait à lui proposer les négociations alors à l’étude et rencontrait un rejet catégorique de sa part, le système soviétique s’effondrerait, avant tout pour des raisons économiques, « dans un délai d’environ cinq ans ». Le président Reagan fit effectivement cette offre quelques semaines plus tard et Youri Andropov la rejeta sans discussion. L’Union soviétique s’effondra peu après, comme je l’avais prévu.

Cette intervention me valut la haine du gouvernement soviétique, ainsi que de la plupart des adversaires de l’IDS dans l’entourage de Reagan et des dirigeants du Parti démocrate. Cette haine était motivée par le fait que ma proposition était si près de réussir, que si le gouvernement soviétique avait simplement accepté d’explorer les implications de l’offre que je lui avais transmise et que le président Reagan avait officiellement formulée, ceci aurait permis de renverser le processus désastreux relevant de l’attachement émotionnel passionné de ces factions conflictuelles envers le grand jeu de la « guerre froide », en vigueur depuis la mort de Franklin Roosevelt. Mes adversaires dans les deux camps avaient tellement investi dans leur haine mutuelle que celle-ci leur était devenue plus précieuse que l’existence de la civilisation. L’opposition à l’IDS répandue dans une bonne partie de l’administration Reagan et des dirigeants du Parti démocrate resta véhémente, en dépit du soutien conséquent que ma proposition avait rencontré non seulement parmi des cercles américains, mais aussi dans les milieux militaires en France, Allemagne, Italie et ailleurs.

Ainsi, en raison du succès spectaculaire que faillit remporter ma collaboration avec les conseillers les plus proches du président Reagan sur ce dossier, je devins la cible des cercles autour du vice-président George H.W. Bush aux Etats-Unis. La crainte de ma puissance, conjuguée à cette haine, suffit à expliquer les attaques lancées contre moi depuis fin mars 1983 jusqu’en 1989. C’est la seule raison pour laquelle l’appareil secret du ministère de la Justice chargé de la « sécurité intérieure » a contourné ou brisé pratiquement toutes les règles, pendant une décennie, dans ses débats pour déterminer s’il serait plus avantageux de me faire assassiner ou d’orchestrer une condamnation frauduleuse en justice, sous un prétexte ou un autre, menant à un long emprisonnement, en espérant que cela suffirait à éliminer mon importance en tant que facteur de la vie nationale. Ainsi, depuis au moins 1983 jusqu’en 1989 et au-delà, certains éléments américains proposaient de me faire assassiner ou emprisonner, cependant qu’en 1986, le gouvernement soviétique du secrétaire général Gorbatchev réclamait ouvertement à plusieurs reprises une telle action, par la voix de différentes publications.

Après différents procès montés de toutes pièces, je fus condamné à la prison ferme en janvier 1989, quelque six mois avant le début de l’effondrement du système soviétique. Ainsi, un peu plus de six ans après ma prévision de février 1983 sur ce fameux « délai d’environ cinq ans », le système soviétique entama sa désintégration. A ce propos, je rappellerai que, lors d’une conférence de presse à l’hôtel Kempinski-Bristol de Berlin, le 12 octobre 1988, j’avais mis en garde contre la menace immédiate du démantèlement des pays du Comecon, à commencer par la Pologne ; cette conférence de presse fut retransmise telle quelle, dans le courant du même mois, par une chaîne nationale américaine.

Entre-temps, au sein du gouvernement américain, le président Ronald Reagan en était venu, indépendamment de mon initiative, à soutenir sincèrement l’offre que je proposais qu’il fasse au gouvernement soviétique. Depuis longtemps, Reagan, lui-même ancien combattant de la Deuxième Guerre mondiale, s’opposait publiquement et passionnément au système qu’il associait à Henry Kissinger, qu’il dénonçait et méprisait précisément pour cette raison. C’est sur cette convergence de conviction et d’engagement que reposait son assentiment, puis son soutien à ma proposition, radicalement opposée à la concoction ésotérique, et stupide sur le plan technologique, proposée par Daniel Graham de la Heritage Foundation, dans le cadre de High Frontier. En somme, le président accepta ma proposition, qu’il baptisa IDS, car elle représentait un moyen vérifiable de parvenir à un objectif qu’il défendait de longue date : mettre fin à la folie satanique d’un système de terreur basé sur ce qu’il appelait des « armes de vengeance ».

L’IDS était la seule option disponible ayant le double potentiel de déjouer la menace de guerre nucléaire, qui demeura très active jusqu’en 1989, et de stopper le déclin de l’économie, aux Etats-Unis et en Europe, déclenché suite au démantèlement du système de Bretton Woods. L’IDS était le seul moyen, effectivement présenté, qui eût permis de renverser la destruction de l’économie américaine ayant marqué la période 1977-1981. A cette époque, Zbigniew Brzezinski succéda à Henry Kissinger dans le rôle de coordinateur du démantèlement du système protectionniste qui avait assuré la réussite économique aux Etats-Unis sous Franklin Roosevelt, et qui permit au président Dwight Eisenhower d’écarter les pires mesures proposées par des éléments du « complexe militaro-industriel » au sein de sa propre administration.

Le « secret » palpable derrière l’IDS et mon rôle dans ce projet concerne moins les armes de guerre que les vieux principes américains de commerce équitable et de progrès scientifique et technologique appliqués à l’industrie et à l’agriculture, principes qui avaient placé les Etats-Unis à la tête des économies nationales du monde. Le « secret » palpable de l’IDS n’était donc pas un secret mais un fait bien établi : la supériorité des aspects hamiltoniens du Système américain d’économie politique, qui avaient d’ailleurs été repris avec succès par l’Allemagne de Bismarck, la Restauration Mejii au Japon, etc., à partir d’environ 1877, après que différentes études en aient démontré la supériorité (et celle d’Hamilton, de Frederick List et d’Henry C. Carey) sur tout autre système économique du monde, depuis la défaite de la Confédération.

Comme le démontra avec brio le roi de France Louis XI, les meilleures guerres sont celles que l’on ne mène pas, préférant cultiver son avantage et l’utiliser pour se montrer généreux, en amenant l’adversaire, réel ou potentiel, à accepter de coopérer pour la simple raison que c’est dans son intérêt. Voilà l’exemple d’une véritable stratégie, de celles que les gouvernements Bush-Cheney et Blair ont, dans leur démence, effectivement bannies tant que leur gouvernance sera tolérée. Elle consiste à rendre sa nation supérieure du point de vue des aspects positifs de la vie, en faisant preuve d’une générosité qui réponde à l’avantage commun de tous. On devrait bannir à jamais Thomas Hobbes et étudier la sagesse de Mazarin et de Jean-Baptiste Colbert. Comme ce dernier, on doit éviter la prodigieuse folie d’un Louis XIV, qui embrassa la Fronde décadente et implicitement traître.

Pour ce qui est de l’Union soviétique post-rooseveltienne, son « talon d’Achille » fut l’« oblomovisme » d’une économie civile doctrinaire et bureaucratisée à outrance, sous l’influence de la folie réductionniste du « matérialisme dialectique ». En revanche, le secteur militaire, qui intégrait le progrès scientifique, réalisa en pratique des miracles scientifiques et technologiques. Le point décisif de mon argument, à partir de fin 1977, consistait à dire que si les Etats-Unis et l’Union soviétique mettaient à contribution leurs capacités conjointes afin de développer des modes scientifiquement faisables de protection efficace contre le succès stratégique net de toute attaque par missile balistique stratégique, un accord allant dans ce sens permettrait d’inverser la tendance de l’économie américaine vers la stagnation technologique et l’effondrement, tout en orientant le secteur civil de l’économie soviétique vers la défaite du pire ennemi interne de la population soviétique, à savoir la présence de cet « oblomovisme » foncièrement hostile au progrès dans la production civile et l’infrastructure de base. Le partage de ces nouvelles technologies, développées à marche forcée et appliquées à des fins civiles dans le monde entier, se traduirait par une transformation révolutionnaire pour la société mondiale, conformément aux exploits du système américain d’économie politique.

Tel était l’objectif de l’IDS ; le Dr Edward Teller, récemment décédé, la décrivit en 1982 comme une option de défense permettant de s’éloigner du mode conflictuel pour se mettre au service des « objectifs communs de l’humanité ». Le problème politique spécifique auquel nous nous heurtions dans l’appareil soviétique, c’est que le régime d’Andropov n’incarnait plus ce que les anciens socialistes pragmatiques auraient considéré comme des objectifs humains pour la paix et la tâche d’améliorer les conditions de vie générales de la planète. Les graines de la corruption massive, incarnée plus tard par les jeunes apparatchiks parrainés par Andropov et formés par les Britanniques (ces futurs milliardaires qui allaient piller le système post-soviétique), avaient déjà amené Andropov à rejeter sans autre forme de procès la généreuse proposition du président Reagan. Celle-ci reflétait la haine du Président américain pour le système de « destruction thermonucléaire mutuelle et assurée », qu’il avait à juste titre identifié, sans détours ni complaisance, à la personnalité plutôt haineuse du prédateur Henry A. Kissinger.

L’échec des efforts du président Reagan et de mes propres efforts pour mettre fin à ce cauchemar mena automatiquement au renforcement des options militaires soviétiques, dont le plan Ogarkov. C’est sur ce point que j’attirai l’attention de mon interlocuteur soviétique en conseillant à Moscou d’accepter l’offre d’un programme conjoint de défense stratégique anti-missiles nucléaires ; en février 1983, je l’avertis que le rejet d’une telle offre conduirait le système soviétique à s’effondrer « dans un délai d’environ cinq ans » sous le poids des dépenses militaires. A cette époque, le plan Ogarkov en tant que tel était déjà mort, mais l’irrationalité qui l’animait était encore bien vivace. La décision soviétique de maintenir à l’ordre du jour l’option d’une troisième guerre mondiale relevait davantage des factions américaines hostiles à l’IDS que du gouvernement soviétique. Si nous avions insisté plus fermement sur la proposition originale présentée par le président Reagan le 23 mars 1983, nous aurions pu emporter l’accord de la partie soviétique.

Après la chute du mur de Berlin, lorsque certains aspects des plans et des capacités du régime est-allemand furent dévoilés, après 1989, notre côté découvrit que le projet d’une attaque soviétique imminente contre l’Allemagne était pratiquement sur la rampe de lancement au moment où le mur tomba.

La stupidité de ceux qui n’ont pas soutenu le président Reagan sur la question de l’IDS et la stupidité et la corruption encore plus grandes du régime Andropov sont désormais percevables, dans les faits, par tous ceux qui réfléchissent honnêtement aux pièces disponibles. Le rejet de l’offre faite à Andropov, combiné au sabotage de cet effort par certains cercles dirigeants aux Etats-Unis, représenta un tournant à partir duquel la situation interne aux Etats-Unis n’a cessé de s’aggraver.

Toutefois, la stupidité frôlant la scélératesse d’une attitude irrationnelle volontairement irresponsable, comme le rejet de l’IDS, est néanmoins une caractéristique de certaines phases de l’évolution de la culture, comme ce fut le cas de l’histoire d’Athènes, de Périclès jusqu’à Thrasymaque, qui constitue le modèle original du secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld et de sa volée de chickenhawks (« faucons mouillés »).

Après les régimes de Thatcher et Bush en 1989, le prochain grand pas dans le déclin sera l’arrivée au pouvoir de Blair et du tandem Bush-Cheney, en janvier 2001. Pour comprendre la genèse de cette phase de l’ère post-Roosevelt, il faut considérer l’époque où le grand-père de l’actuel président américain, Prescott Bush, de Brown Brothers Harriman, dirigea, avec Montagu Norman de la Banque d’Angleterre, les efforts pour mettre Adolf Hitler au pouvoir en Allemagne. Le soutien apporté à Hitler par ces banquiers anglo-américains qui, comme Harriman, allaient par la suite se retourner contre lui, est de la plus haute importance pour comprendre la politique américaine aujourd’hui. L’enthousiasme des financiers anglo-américains pour Hitler au début des années 30 avait un précédent chez les complices de Winston Churchill, qui avaient fait appel à un agent du renseignement britannique de l’époque des Jeunes Turcs, Volpi di Misurata, comme architecte intellectuel de la montée au pouvoir, orchestrée en tous points, du dictateur fasciste Benito Mussolini. L’histoire est un processus, et ce processus a une histoire.

Ainsi, le prince héritier britannique, le futur roi Edouard VII, joua un rôle important dans une nouvelle version de la Guerre de Sept ans orchestrée par Londres, à l’issue de laquelle la Compagnie britannique des Indes orientales s’imposa comme empire en 1763. Edouard VII suivit ce précédent en organisant ce qui allait devenir la Première Guerre mondiale.

Néanmoins, à la question posée par certains : « L’histoire se répète-t-elle ? », je répondrai : « Jamais, l’histoire est un processus dynamique, non mécaniste. »

La dynamique d’une culture

Chaque membre de l’espèce humaine se distingue par son pouvoir de raison, sa capacité à générer l’acte de découverte d’un principe physique universel dont l’existence réside au-delà des limites ténébreuses de simples phénomènes. Le niveau supérieur auquel le comportement de l’espèce humaine s’est haussé par rapport à celui imputable à un chimpanzé, c’est-à-dire sa culture, est exclusivement le résultat de la faculté mentale créatrice propre à l’espèce humaine.

En découvrant un principe physique universel, l’action créatrice de l’esprit individuel s’exprime simultanément de quatre manières. Tout d’abord, à travers les modifications des processus abiotiques, modifications qui font partie intégrante de la noosphère telle que définie par Vernadski. Deuxièmement, à travers des modifications de l’ordonnancement de la biosphère, par exemple l’exploitation des accumulations fossiles de la biosphère, qui modifient elles aussi la noosphère. Troisièmement, les changements dans l’ordonnancement de principes de la noosphère elle-même, y compris les changements au niveau de l’individu et des relations sociales, par exemple du système social.

Ces changements incluent les effets réciproques de la réaction, à la fois du domaine abiotique, de la biosphère et de la noosphère, sur la condition d’existence de la société et de l’individu au sein de cette société. En fait, ces relations sont ordonnées par des principes physiques universels découvrables sous-jacents, qui ne relèvent pas de phénomènes décelables dans le domaine de la perception sensible en tant que telle.

Tous les changements de ce type, découlant du choix d’un mode d’action ou du manque de réaction appropriée, font partie de la noosphère. Voilà le sens correct du terme « culture ». Hormis cet ensemble de relations, il n’existe pas d’autre expression de la culture. La mesure ultime des effets ainsi générés est la mesure physique du taux d’accroissement (ou de décroissement) du potentiel de densité démographique relative de l’espèce humaine, considéré partiellement ou comme un tout. La culture est un système dynamique et non pas mécanique. Elle est, essentiellement, la réflexion de l’interaction de principes physiques universels découvrables.

Ainsi, le passé, à travers les apports de l’infrastructure économique de base, ou en complément de ceux-ci, agit sur les individus vivants. Ces apports constituent les prémisses formant les défis auxquels la société doit répondre au moment présent. Ainsi, l’endroit où un individu se trouve à un moment donné n’est jamais le même que celui où se trouvaient les générations antérieures. Seuls des incompétents feraient la bêtise de concevoir le rôle de l’individu dans l’histoire dans les termes absurdes d’un Plutarque, ce prêtre d’Apollon qui compara les vies de personnes célèbres vivant à des époques et dans des endroits très éloignés les uns des autres. Voilà une clé qu’il faut garder en tête lorsque l’on est confronté à la méthode employée par le Dr Post. L’histoire à laquelle doit répondre chaque dirigeant compétent et responsable est d’un genre différent de tout autre pan de l’histoire précédente, que ce soit dans sa propre culture ou dans une autre. L’histoire est essentiellement dynamique, jamais mécanique, contrairement à ce qu’implique la méthode du Dr Post.

Puisque les conceptions que la situation exige de nous aujourd’hui se sont développées au sein de la civilisation européenne, outre quelques apports extérieurs dont il convient de tenir compte, il est nécessaire et judicieux, pour quelqu’un qui est avant tout le produit de cette civilisation européenne, de limiter ses considérations aux connaissances scientifiquement établies concernant la culture, et donc à l’évolution de la culture européenne, relativement bien connue, depuis environ l’époque de Solon d’Athènes et des pythagoriciens.

Les conclusions ainsi obtenues dans les limites de cette approche seront-elles valables, et jusqu’à quel point ? On ne peut répondre de façon compétente à cette question que dans la mesure où nous restreignons les prémisses de nos conclusions à des « facteurs » que nous pouvons définir avec certitude comme des connaissances, de la qualité de celles que l’astrophysique, par exemple, peut démontrer à l’aide des principes physiques universels découverts. Par principes physiques, nous entendons ceux qui sont la réflexion d’effets physiques de type universel.

A ce point de notre rapport, cela doit suffire à titre préliminaire. Portons maintenant notre attention sur les principaux aspects de l’évolution de la culture européenne au cours d’un peu plus de 3800 ans, période couvrant l’époque de l’interaction (y compris à travers des guerres) entre l’Egypte, Babylone et les Hittites d’Anatolie centrale, pâles reflets, néanmoins, de l’imposante culture, bien plus ancienne, des grandes pyramides d’Egypte.

Au cours de son développement, la culture européenne a connu un conflit constant entre la promotion de la liberté de la raison humaine dans la société et les effets contraires, abrutissants, des systèmes impériaux qui, jusqu’à ce jour, se sont efforcés de piller et d’opprimer la majorité des populations au moyen d’une pratique connue comme l’« impérialisme » ou, aujourd’hui, sa forme néo-vénitienne de « gouvernement mondialiste » et de « globalisation »

La réaction de l’ancienne culture grecque, avec tous ses conflits culturels internes, aux pressions de l’impérialisme est associée, principalement, à la lutte contre ses principaux ennemis, l’empire Perse et Tyr. Plus tard, vinrent les systèmes impériaux romains, suivis par leur successeur, le système ultramontain, basé sur un curieux partenariat entre la chevalerie normande et l’oligarchie financière vénitienne. Autres exemples types, plus récents, de cette dépravation néo-vénitienne, l’empire Britannique et le système actuel du FMI et de la Banque mondiale à taux de change flottants, ainsi que la tentative (menée par exemple par le groupe de Sienne, de Robert Mundell) de ressusciter la tyrannie ultramontaine médiévale en substituant aux Etats-nations souverains la « globalisation ».

Pour illustrer le rôle naissant de la phase classique de la culture grecque, il nous suffira ici de noter que la continuité de l’histoire de la civilisation européenne commence à se manifester clairement vers 700 av.-JC, époque à laquelle une Egypte revigorée se défendait en s’alliant aux Grecs de Méditerranée orientale pour se protéger contre Tyr, et aux Etrusques de Méditerranée occidentale, contre la colonie de Tyr à Carthage. Considérez en toile de fond le legs des empires Babylonien et Perse qui menaçaient l’Egypte et l’Europe depuis l’Est. Du point de vue culturel, à l’époque, les principales impulsions positives dans la Grèce antique et au-delà venaient d’Egypte, comme en témoigne le rôle de la sphérique dans la culture grecque. Par contre, la principale menace (avant la montée de Rome) venait d’Asie du Sud-Ouest, du legs vivant des empires Babylonien et Achéménidien.

3. Science, amour, culture et esprit humain individuel

A la racine de la civilisation européenne classique, s’inscrit le principe selon lequel les simples phénomènes qu’une personne inculte assimile à la « certitude sensible », s’ils correspondent à des expériences réelles, ne sont, au mieux, que les ombres projetées sur ses perceptions par l’action d’agents invisibles pour elle. Ignorer les méthodes scientifiques compétentes est tout aussi mortel à cet égard que l’ignorance des réalités, si souvent négligées, de l’histoire politique actuelle.

A la différence des esprits généralement mal éduqués fabriqués dans nos écoles et universités et par les médias, les penseurs de la Grèce classique, tels Platon et les pythagoriciens, bénéficiaient d’une définition de la science héritée de l’Egypte antique - qu’ils appelaient géométrie sphérique. Cette conception égyptienne, fondée sur la notion de cycles tirée de l’exploration astronomique de l’univers entourant la Terre, fournit à la science européenne classique naissante la conception décisive dont dépend l’existence d’une science physique : le concept d’universalité. On peut se faire une idée approximative de ce concept en pensant à l’univers réel invisible, tel qu’on le connaît à travers ses effets projetés sur la profondeur de l’enveloppe sphérique qui fait l’objet de la recherche astronomique de ce grand monde ténébreux, océanique, que nos sens considèrent comme l’univers enveloppant notre existence.

L’idée de principes physiques universels surgit, d’après ce que nous savons de l’opinion explicite de l’humanité, avec la découverte des « singularités » géométriques, pour reprendre le terme courant de la science physique mathématique moderne, ou encore de ce que Gottfried Leibniz appelait les « puissances » ou processus « dynamiques ». Quelques illustrations de la signification de singularités ainsi définies permettront de montrer au lecteur ce qu’il faut entendre par cette « qualité de l’activité mentale sociale de l’individu » qui distingue absolument l’esprit humain du comportement des animaux.

Ne jouons pas avec l’humanité

N’oublions jamais que dans toutes les preuves de découverte connue de l’idée d’universalité en tant qu’objet, celle-ci a une signification physique bien définie, toujours exprimée dans le langage mental de la géométrie, contrairement à l’arithmétique ou à l’algèbre. Si le scientifique tend à utiliser l’arithmétique et l’algèbre à certaines fins, souvent utiles, seule la façon de penser correspondant à la géométrie physique, excluant toute autre forme de mathématiques simples, peut vraiment définir expérimentalement l’existence d’un principe physique. 14

Considérons, par exemple, le fait qu’aucun esprit sain ne pourrait jamais faire découler d’un point, abstraitement, l’existence d’une ligne, pas plus que d’une ligne celle d’une surface, ou d’une surface celle d’un solide. La réalité physique s’exprime toujours, essentiellement (c’est-à-dire ontologiquement, physiquement) sous forme de mouvement ; ainsi la notion de vis viva présentée par Leibniz démontra l’incompétence de Descartes en la matière. C’est le mouvement d’un point qui forme une ligne, le mouvement d’une ligne qui forme une surface et celui d’une surface qui forme un solide. Cette notion sous-tend l’argument d’Héraclite et de Platon selon lequel rien n’existe que le principe du changement continu. 15

Globalement, bien que ces notions de la science aient été préservées en pratique dans le legs de l’Académie platonicienne, notamment jusqu’au décès d’Eratosthène et d’Archimède, l’émergence de l’empire Romain, suite au processus lié aux triomphes de Rome à la fin de la deuxième Guerre punique, fut une catastrophe culturelle pour l’ensemble de l’humanité. La mise à mort de Jésus sur ordre du gendre de l’empereur Tibère, ainsi que la vague de crucifixions, d’actes de génocide et d’horreur perpétrée par Néron et sa suite furent l’expression d’un mal et d’un abrutissement intellectuel foncièrement satanique. Il en fut de même sous la domination du régime ultramontain de l’oligarchie financière vénitienne et de la chevalerie normande sur l’Europe. On peut donc, sans exagération aucune, utiliser le terme de « Renaissance » pour décrire la naissance de l’Europe moderne au XVème siècle, qui permit le développement, généralement positif, de la culture européenne moderne.

Aussi, même compte tenu de certains accomplissements héroïques de la culture européenne au cours de l’âge des ténèbres médiéval, on peut incontestablement considérer les développements ayant mené au grand Concile œcuménique de Florence comme l’événement le plus important de tous les siècles depuis lors. La Concordantia Catholica de Nicolas de Cues, qui supplanta le De Monarchia de Dante Alighieri, fut indispensable à la fondation de la forme républicaine moderne d’Etat-nation souverain. De même, De Docta Ignorantia de Cues constitue l’œuvre fondatrice de la science physique expérimentale moderne. Comparer ces développements, et leurs conséquences, à ce qu’ont accompli Solon, Platon et la Grèce des pythagoriciens n’est nullement exagéré. Il s’agit au contraire d’une comparaison nécessaire permettant d’apprécier avec confiance l’excellence potentielle de l’humanité, l’homme étant la seule créature dont la qualité essentielle se développe à l’image du Créateur.

Par exemple, l’un des aspects les moins connus, et pourtant les plus fondamentaux, des contributions de Cues à la science physique expérimentale moderne apparaît dans ses sermons, où il fait état d’une importante découverte d’un principe universel en science physique : sa correction de l’erreur commise par Archimède dans sa célèbre tentative de parvenir à la quadrature du cercle. Cette découverte fut déterminante pour élaborer la méthode qui lui permit de poser les fondements méthodologiques de toute démarche compétente en matière de science physique expérimentale moderne.

Alors qu’il est certes important de libérer l’enfant des notions « euclidiennes » de « définitions, axiomes et postulats évidents en soi concernant l’espace tridimensionnel », la maîtrise de la géométrie physique sphérique n’est, pour ainsi dire, que le tableau noir sur lequel pourraient être démontrées les véritables constructions de principes physiques. La découverte par Cues de l’erreur d’Archimède posa les bases permettant à Kepler de découvrir la gravitation universelle. (...)

Dans une première approximation, cette approche du concept d’universalité suppose des schémas d’action circulaire, que sous-tend la notion d’une universalité sphérique correspondant à l’astronomie. Cependant, selon certains Grecs de la période classique, les Egyptiens leur avaient transmis une notion supplémentaire, celle des puissances universelles (dynamis), qui constitue la conception centrale du savoir scientifique dans l’œuvre des pythagoriciens et de Platon. Parmi les illustrations les plus commodes de cette notion de puissances universelles, utilisée par les pythagoriciens et Platon ainsi que par des représentants ultérieurs de l’Académie, dont Eratosthène, se trouvent le principe de la gravitation universelle découvert par Kepler et la découverte par Fermat d’un principe universel de moindre action (« le temps le plus court »).

Les pythagoriciens (par exemple Archytas) et Platon démontrèrent la signification physique du principe du mouvement continu dans des cas élémentaires de géométrie constructive, dont le doublement du carré, le doublement du cube et la manière dont la fameuse « section d’or » découle uniquement de la construction du dodécaèdre régulier. L’un des exemples les plus accessibles de cette notion de puissance est la découverte par Kepler d’un principe de gravitation universelle. En corrigeant la mesure de l’orbite de Mars, Kepler démontra que celle-ci était non seulement elliptique mais en changement constant dans chaque intervalle d’action le plus infime, suivant les critères de « temps égaux/surfaces égales » du secteur en question. Les « violations » commises par Kepler de la concoction aristotélicienne de Claude Ptolémée démontrèrent l’existence d’un principe universel relevant de ce qu’on dénomme depuis Leibniz une puissance (en grec : dynamis).

Cette démonstration de ce que Leibniz avait défini comme puissance (en allemand Kraft), pour la science de l’économie physique, et de dynamique pour la science physique en général (contrairement à la mécanique) est identique à la notion de puissance dans l’œuvre des pythagoriciens et de Platon.

Dans cet exposé, cependant, notre sujet principal n’est pas la science physique, sauf dans la mesure où elle constitue un aspect indispensable de la tâche consistant à définir le droit naturel qui doit guider la société lorsqu’elle développe sa vie politique. Nous devons garder fermement en tête la notion de puissance et de dynamique, telle qu’elle s’applique à la science physique, et plus particulièrement à l’économie physique, mais notre préoccupation principale, ici, est la loi naturelle en tant que telle.

Puissance et Passion

Ces puissances universelles sont associées, avant tout, à l’expérience émotionnelle d’un acte de compréhension intuitive chez l’individu, correspondant à la découverte, vérifiable et reproductible, d’un principe universel. Ce type d’expérience émotionnelle a lieu aussi lorsqu’on reproduit un tel acte, ainsi qu’au moment où l’esprit est sur le point de faire l’expérience d’une telle découverte. Cette expérience est associée à l’amour, tel que Platon le définit dans ses écrits, par opposition à l’eros, et tel que le communique la notion d’agape, définie aussi par Platon et identifiée, dans son sens chrétien, dans la lettre de saint Paul aux Corinthiens (I,13). De même, la composition artistique classique exprime l’agape, contrairement au plaisir érotique du romantisme. L’émotion correspondant à l’agape est également le corrélat du sens de l’immortalité.

Ceci doit être reconnu en pratique, aujourd’hui, comme le principe fondamental du droit naturel et, par conséquent, de tout droit constitutionnel compétent. Il doit toujours rester la passion motrice guidant les décisions relatives à la notion du droit constitutionnel invoqué dans toute situation historique spécifique de la vie des nations et de leurs relations entre elles.

Ces puissances, la cause découverte des phénomènes sensibles que nous percevons, situent l’univers réel dans le domaine invisible, mais efficient, des puissances que l’esprit peut connaître, de la même manière que Kepler découvrit la gravitation universelle. Ainsi, l’ordonnancement légitime de l’univers qui génère les phénomènes de nos perceptions sensibles, relève du domaine des puissances découvrables. C’est l’émotion que nous ressentons en découvrant l’existence de ces puissances qui nous fournit une notion de certitude - et une émotion de certitude - concernant l’ordonnancement légitime de l’univers derrière les phénomènes en question. Cette qualité d’émotion, qui caractérise aussi la composition artistique classique, est le corrélat d’une légitimité naturelle, différente des notions du droit uniquement positif.

En religion, la distinction entre agape et eros a été la source de la dissension caractéristique entre différentes expressions nominales de « christianisme » dans l’expérience américaine, depuis les scandaleux procès pour sorcellerie, à Salem, et les obscénités d’un Jonathan Edwards déclamant ses divagations le long du Connecticut. De ce genre de prédicateur hypocrite « revivaliste », type « Elmer Gantry », on dit qu’il a créé plus d’âmes derrière le chapiteau qu’il n’en a sauvées lors des services, à l’intérieur. Le christianisme est marqué par l’émulation de l’amour du Créateur pour l’humanité (agape) tel que l’exprime Jésus-Christ ; il est aux antipodes de la bestialité des foules déchaînées lors d’une cérémonieduKu Klux Klan ou d’un autodafé, ou encore dans la commercialisation politique de la croyance religieuse pratiquée par un Karl Rove imitant Elmer Gantry, pour qui la religion est une question de tradition, et non la conscience par l’individu, en tant que membre d’une espèce créatrice, de sa relation au Créateur.

Cette relation aimante entre la société et le Créateur s’exprime le plus clairement, au sein du droit universel, dans l’engagement de subordonner l’ensemble du droit à la promotion du bien-être général, qui constitue l’aspect central de la Constitution fédérale des Etats-Unis, encore appelé « bien commun ». Dans l’histoire du droit européen moderne, cette notion est exprimée plus particulièrement dans le principe d’accord fondamental sur lequel furent fondés les traités de Westphalie. Considérons maintenant le contexte historique de ces documents.

Alors que depuis des millénaires, la grande majorité des êtres humains étaient réduits à la condition de bétail, sous le joug olympien, delphique et autre, la Renaissance du XVème siècle fit naître, dans la France de Louis XI et l’Angleterre de Henri VII, une nouvelle forme de société appelée « la chose publique » (commonwealth en anglais), ainsi dénommée pour célébrer et affirmer l’établissement d’une forme de gouvernement par le peuple, dans laquelle le gouvernement se met, volontairement, au service de l’intérêt général de tout son peuple et de ses descendants. Par la suite, les forces oligarchiques prédatrices basées à Venise déclenchèrent des guerres de religion dans toute l’Europe, de l’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492 aux horreurs qui ont persisté jusqu’à la conclusion des traités de Westphalie en 1648.

Le but de cette orgie de guerres de religion était d’imposer à la société une caricature d’ordre médiéval ultramontain, similaire à celui imposé par le partenariat entre l’oligarchie financière maritime de Venise et la chevalerie normande. De même aujourd’hui, la campagne pour une « globalisation » sans Etats, dirigée par l’oligarchie financière, vise à éliminer totalement et définitivement l’Etat nation souverain. C’est en effet l’intention du système libéral anglo-hollandais depuis le triomphe impérial de la Compagnie britannique des Indes orientales de lord Shelburne, lors de la conclusion du traité de Paris en février 1763, suite auquel Londres lança des attaques de plus en plus intenses contre les libertés dans les colonies anglophones d’Amérique du Nord.

Le simple hymne luthérien, transformé par Jean-Sébastien Bach en une forme bien supérieure dans son Jesu, meine Freude, a capté un aspect essentiel de la joie ressentie par l’Europe, enfin libérée de ce système de relations bestiales entre êtres humains qui avait dominé presque partout de 1492 à 1648. Voici le principe célébré dans ces traités : l’individu soumet ses passions aux impératifs de l’amour du peuple, notamment celui d’une autre confession ou d’une autre nation.

C’est sur cette base, qui s’exprime dans la Grèce classique des pythagoriciens, de Solon d’Athènes et de Platon et dans le principe d’agape du christianisme, affirmé avec force par les apôtres Jean et Paul, celle de la promotion du bien-être général, que repose la création de notre République fédérale constitutionnelle en tant que concept juridique.

Ceci ne revient pas à éliminer la fonction du droit positif de la pratique d’une société, mais son autorité est subordonnée à la véritable autorité supérieure, celle du droit naturel. Une constitution bien conçue doit être la projection de l’autorité supérieure du droit naturel sur le domaine du droit positif. L’application de cette notion à toute situation de crise, telle la phase actuelle de dégénérescence de notre culture nationale, entamée depuis des décennies, doit être considérée comme obligatoire.

Implicitement, nous sommes obligés de définir l’évolution de la culture sur le même mode.

4. La Constitution am&eacute ;ricaine menacée

(Dans ce quatrième chapitre, Lyndon LaRouche explore plus spécialement la personnalité de Dick Cheney, un « monstre » qui s’inscrit dans la tradition du Grand Inquisiteur. Autour de lui, il y a les « tordeurs de cuillères » et autres planificateurs de guerres et d’horreurs du genre de celles commises à Abou Ghraib. Derrière lui, cependant, on trouve les mêmes forces synarchistes qui, depuis Joseph de Maistre, cultivent le fascisme et mirent au pouvoir, entre autres, Adolf Hitler. Pour finir, LaRouche revient sur la question du droit constitutionnel.)

(...)

Faute de connaître l’histoire universelle telle que je l’ai résumée ici, nos citoyens violent l’intention sous-jacente des principes constitutionnels les plus fondamentaux. Comme le fait le populiste, ils tendent à « interpréter » la Constitution comme un genre de contrat commercial faustien avec le Créateur, sinon avec le diable. Dès lors, ils interprètent la Constitution du point de vue brutal, dénué de principes, du « droit coutumier », comme s’il s’agissait de négocier des questions de territoire et de vengeance entre animaux parlants.

L’incapacité de saisir de manière scientifique la notion d’immortalité nous indique à la fois l’origine et le remède à l’incapacité pour l’individu de relever le défi existentiel le plus essentiel de la vie mortelle. Sa conception de l’immoralité est celle d’un « tordeur de cuillères » - il pense que c’est une chose qui se trouve au-delà de la frontière de l’univers connu. C’est ici, dans ce contexte, que l’on trouve les conceptions les plus essentielles du droit naturel.

Je vais prendre mon cas personnel à des fins pédagogiques.

Depuis une cinquantaine d’années, j’ai été l’un des prévisionnistes les plus fiables à moyen et long terme en matière économique. Ces dernières décennies, j’ai été, d’après les éléments dont je dispose, le seul prévisionniste fiable à long terme. Ma passion pour les phénomènes marquants du processus historique couvrant plus de 2500 ans du passé et quelques générations à venir, me fournit une excellente compréhension de la manière dont un sens actif de mon immortalité personnelle m’amène à agir différemment de ceux qui n’ont pas encore saisi, en pratique, les implications de ce que j’expose ici.

Je pense à la manière dont les générations passées ont créé le présent et dont ce que nous faisons ou omettons de faire maintenant prédétermine en grand partie la qualité et la direction de l’avenir. J’étends mon expérience pratique de l’économie à la manière dont la découverte de principes scientifiques universels, remontant même au passé lointain, a façonné le présent et dont les principes avec lesquels je me suis familiarisé ont déjà prédéterminé les options disponibles pour plusieurs générations à venir. Par conséquent, j’interviens dans le présent en me basant sur mes connaissances d’un passé qui remonte bien plus loin que ma naissance et d’un avenir visible, dans ses principes, pour environ deux générations à venir.

Je ne suis pas seulement un observateur du passé et du présent, j’agis par rapport au futur, en raison des effets que telle ou telle action peut avoir sur lui. Les décisions que j’ai prises auront des conséquences au-delà de ma mort. Je vis maintenant, dans cette existence mortelle, comme un être immortel. Pour moi, c’est la seule façon de mener une vie mortelle décente.

Pour le pauvre gars ordinaire, l’idée de la mort est celle d’un « plancher ». Il espère peut-être ardemment qu’il existe quelque chose de bien en dessous de ce plancher, mais il n’en a aucune connaissance et, par conséquent, sa foi dans ce qu’il peut y avoir est incertaine. Il s’accroche sans doute à la croyance de ce qui peut s’y trouver, parce qu’il a besoin de cette croyance, mais comme elle est ténue et probablement fausse, il doit y mettre d’autant plus de passion, et même se tenir prêt à tuer pour éliminer ceux qui susciteraient en lui des doutes quant à cette croyance.

Ou, dans l’extrême, son désespoir pourrait l’amener à détester Dieu, comme le firent Nietzsche et ses disciples, dont les cercles autour d’Hitler. Comme la vérité finit par se savoir, cette haine apparaît très clairement sur le visage d’un prétendu évangéliste pour qui les passions ressenties dans un meeting « religieux » et celles exprimées dans un rassemblement du Ku Klux Klan sont très proches.

Nous conclurons par cette réflexion.

Le progrès de l’humanité jusqu’à présent, d’après ce que nous en savons, a toujours été le fait d’une poignée de personnes exceptionnelles, qu’on peut considérer comme les véritables dirigeants de leur époque. Par dirigeants, nous entendons ceux pour qui le passé et le futur sont tout aussi réels que toute expérience immédiate dans le présent. A cet égard, Jeanne d’Arc fut tout aussi réelle, dans l’histoire, que le principe de son rôle sublime, tel que Schiller nous le présente dans sa tragédie. Elle voyait l’avenir et contribuait à le façonner, en refusant de le trahir, quitte à subir les supplices imposés par les forces maléfiques de l’Inquisition. Elle fut de ceux qui, comme les martyrs, ont dédié leur vie à l’avenir. Ils ont pu le faire uniquement parce qu’ils avaient placé leur intérêt personnel dans les conséquences futures de leur vie mortelle, en tant que personnes conscientes de leur immortalité. C’est aussi le cas du grand découvreur scientifique et de tous ceux, même dans les conditions les plus simples de la vie sociale, qui vivent pour le futur qu’ils espèrent créer pour l’humanité à venir.

Ce sont les vrais citoyens du monde, et c’est d’eux que dépendent la connaissance et la conscience du droit naturel, ainsi que sa réflexion sous forme du droit constitutionnel.

Ce que fait aujourd’hui Dick Cheney est dégoûtant. Il représente une menace non parce qu’il est dégoûtant, au plus haut degré, mais parce que ses actions constituent une menace pour l’avenir de l’humanité, pour l’immortalité de nos citoyens. Par conséquent, nous ne devrions prendre aucun plaisir à le punir pour le mal qu’il a fait, mais plutôt nous féliciter du fait que le mal qu’il représente ait pris fin et qu’il sera remplacé dans ses fonctions de dirigeant par une personne à qui on peut confier l’avenir. Se contenter de le punir, simplement, serait scalper un bouc émissaire, sans corriger l’erreur ayant permis qu’il occupe ce poste pendant si longtemps.

La leçon du droit constitutionnel qui doit nous guider dans cette crise est la suivante : nous devons développer plus de dirigeants, présents et potentiels, capables d’assurer un avenir meilleur à l’humanité. Cela signifie cultiver chez nos jeunes et, espère-t-on, chez de moins jeunes, le sens pratique de l’immortalité vivante en eux. Car c’est uniquement chez ceux qui ont « un sens d’immortalité », comme Wordsworth tenta de l’exprimer à ses meilleurs moments, que l’on puisse trouver une recherche durable de la moralité.

La plus importante contribution que vous, personnellement, puissiez apporter est de devenir, consciemment, un être humain réellement immortel. C’est même cette tentative, souvent désespérée, de tendre dans cette direction qui a aidé la civilisation à progresser. Même une tentative sincère touche à l’immortalité. Ainsi conçue, l’immortalité est le trait essentiel du droit constitutionnel de nos républiques. C’est ce droit qu’il faut servir.

Notes

1. Jerrold M. Post, médecin, et Robert S. Robins, When Illness Strikes the Leader : The Dilemma of The Captive King (New Haven : Yale University Press, 1993).

2. Justin A. Frank, médecin, Bush on the Couch - Inside the Mind of the President (New York : HarperCollins Publishers, 2004 ; 2ème Edition, HarperCollins, 2005).

3. Dans le récit de Post et Robins, on trouve certains types d’erreurs évidentes, factuelles et historiques, notamment le défaut méthodologique exprimé par le manque de perspective historique. (...) Post est néanmoins considéré comme une référence majeure pour l’étude psychologique de dirigeants actuels et historiques, même s’il n’est pas toujours fiable.

4. C.P. Snow, Two Cultures and the Scientific Revolution (London and New York : Cambridge University Press, réédition de 1993).

5. Connu aussi comme le principe de la géométrie sphérique que les Pythagoriciens, Platon et d’autres adoptèrent à partir des principes de l’astrophysique égyptienne. En termes mathématiques, un principe physique universel survient dans la dynamique que l’on associe au doublement du cube, et aussi dans la façon dont la gravitation universelle est exprimée par une orbite planétaire elliptique, une singularité en termes de géométrie physique, comme le reflète la découverte par Kepler du principe de la gravitation. Cette approche fut développée à l’époque moderne par Bernard Riemann, dans La théorie des fonctions abéliennes. Platon, notamment, concevait cette approche comme la méthode consistant à faire des hypothèses. Elle se reflète dans l’introduction, par Nicolas de Cues, de la méthode scientifique moderne de science physique expérimentale.

6. « (...) chaque partie s’engage à promouvoir le bénéfice, l’honneur et l’avantage », afin qu’« un voisinage de confiance et le maintien garanti des efforts de paix et d’amitié puissent être renforcés et fleurir à nouveau ». Heinrich Steiger dans Essay Volume I:1648 War and Peace in Europe, Klaus Bussmann, Heinz Schilling,éditeurs (Munster/Osnabruck : 1998), p. 438.

7. Ceci est une allusion à une erreur de jugement courante, que l’on rencontre aussi dans le texte de Post et Robbins.

8. Dès lors que l’on reconnaît dans la méthode de Descartes les implications d’une géométrie euclidienne réductionniste, on peut constater à quel point l’influence de la méthode cartésienne a corrompu presque tous les domaines de l’éducation contemporain, depuis les dernières décennies du XVIIème siècle. Ceci nous permet de mieux saisir les problèmes mentaux des couches cultivées en général ainsi que le fanatisme que ce conditionnement a promu chez les professionnels. Le progrès fait par le LYM montre le vaste potentiel intellectuel que l’on pourrait éveiller dans la population, à condition d’écarter de l’éducation publique la corruption systémique du cartésianisme.

9. Dans le monde fantaisiste de l’empirisme, la négation de l’existence fonctionnelle de la créativité peut prendre la forme de cette assertion : « La créativité est ce que je choisis qu’elle sera, suivant mes propres caprices personnels ». Pour eux, c’est une simple question de « différence d’opinion », une assertion hystérique qui est censée bannir toute évaluation critique de la question, par exemple au nom de la « démocratie ».

10. Lyndon LaRouche, « Vernadski & Dirichlet’s Principle », EIR, 3 juin 2005.

11. Ibid.

12. Lorsque ces oeuvres chorales sont interprétées suivant l’intention du compositeur, certains passages suscitent un sens de beauté exquise parmi le public - et chez le chef de chorale. Cet effet reflète le même principe de modalité que l’on associe le mieux au quatuor aux cordes op. 132 de Beethoven et à la modalité lydienne centrale d’Ave verum corpus. Lorsque cette expérience de passion agapique se manifeste, le dirigeant de l’oeuvre peut être sûr que son interprétation de la composition est correcte. Réciproquement, c’est la fonction de ces modalités qui définit la manière dont une composition bien tempérée doit être interprétée, afin de produire ce moment de passion et de découvrir que le façonnage de l’ajustement modal plus subtile des tonalités au sein de l’oeuvre a été correct et a fait en sorte que tout le morceau soit reçu comme une seule idée sans interruption, du début jusqu’à la fin. C’est cet effet qui prouve aux musiciens et aux auditeurs sensibles que cette interprétation répond à la manière correcte de diriger, comme le prescrivait Wilhelm Fürtuwangler, « entre les notes ». Les principes du système bien tempéré de Bach n’ont rien à voir avec les mathématiques réductionnistes concernant la gamme, mais avec la manière d’évoquer les moments voulus de passion de facon à générer l’unité de l’effet.

13. Après la « disparition » d’un document crucial de Niels Henrick Abel portant sur ses contributions à la physique mathématique, une partie de son contenu fut repris dans le travail de Cauchy, sans que celui-ci en reconnaisse l’auteur. A la mort de Cauchy, on retrouva dans ses papiers personnels le document « perdu » d’Abel.

14. Ceci n’implique pas l’hypothèse, non justifiée, selon laquelle la « section d’or » serait le principe générateur de la vie. Comme je l’ai noté dans le résumé de la définition de la biosphère par Vernadski, celle-ci, en tant que phénomène archéologique ou afférent de la chimie physique, est un effet, et non le principe de la vie qu’expriment les phénomènes essentiellement systémiques de la biosphère.

15. C’est le principe écrasant qui sous-tend la réfutation de la sophistique réductionniste, celle des Eléates par exemple, dans le Parménide de Platon.