Présidentielle de 1995 : Cheminade avait raison !

mercredi 23 avril 2025, par Rémi Lebrun

Il est désormais évident que la politique française est dans l’impasse. Ce qui s’est passé lors de l’élection présidentielle de 1995 est indispensable pour en comprendre l’origine, mais la campagne de Jacques Cheminade montre dans quel cul-de-sac se trouvent la plupart des « souverainistes » actuels, faute de remonter aux causes de l’occupation financière et culturelle infligée à notre pays.

Comme tous ses prédécesseurs, François Bayrou alerte aujourd’hui sur l’urgence de régler le problème de la dette, appuyant son propos d’un judicieux graphique montrant l’accroissement continu de la dette publique française depuis 25 ans. Sa solution ? Se soumettre à la même règle du jeu que ses prédécesseurs : plus d’impôts ou couper dans les budgets… ou les deux.

En 1995, alors dans l’équipe de campagne d’Edouard Balladur, M. Bayrou a pourtant dû lire dans la profession de foi de Jacques Cheminade (envoyée à tous les Français qui ont désormais plus de 48 ans…) les mots suivants :

« L’on tente de nous faire croire qu’il existe une entité suprême appelée ‘marchés’, à laquelle il faudrait se soumettre car ce serait l’état naturel de la société. Rien n’est plus faux : les marchés ont un visage. C’est celui de l’oligarchie, celle de la City de Londres et de Wall Street, de la Réserve fédérale américaine et du Fonds monétaire international (FMI). Les relais de leur politique sont chez nous la Direction du Trésor, la Banque de France et le petit monde incestueux des cabinets ministériels et des plumitifs de Cour attitrés. »
« Éliminer le cancer financier et mettre en œuvre un nouveau plan Marshall Ouest-Est et Nord-Sud, réorientant les flux financiers vers les infrastructures et la production. »
« Cette démarche suppose que l’État reprenne le contrôle du crédit et de l’émission de monnaie. »
« Une Europe où les taux de chômage et d’endettement croissent en même temps, où les taux d’intérêts réels augmentent plus rapidement que la productivité et où les revenus du capital sont détaxés et ceux du travail écrasés, est une Europe qui va droit dans le mur. »

Un temps que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître

Il faut bien saisir le moment de l’histoire. Après l’Acte unique de 1986, instaurant la liberté de circulation des capitaux au sein du marché européen (Luxembourg compris), le traité de Maastricht, qui instaurera l’euro, fut l’objet de vifs débats en 1992.

Lors de son discours à l’Assemblée nationale le 5 mai de cette année-là, Philippe Séguin disait : « La France, en tant qu’État, n’aura absolument aucune part dans l’élaboration de la politique monétaire. C’est cela, sans doute, qu’on appelle la ‘souveraineté partagée’. Curieux partage qui tendrait à priver la France de toute liberté de décision ! »

A gauche, Jean-Pierre Chevènement s’opposait également au traité de Maastricht. « La France risque de perdre son indépendance monétaire, financière, commerciale, juridique. »

Le traité de Maastricht voté, Philippe Séguin soutiendra la candidature de Jacques Chirac en 1995 et Chevènement celle de Lionel Jospin…

Voilà l’importance capitale de la candidature de Jacques Cheminade et de tous ses soutiens de l’époque : avoir inspiré une force citoyenne capable de dire la vérité sans aucune forme de compromission. Cela ne lui sera pas pardonné.

Sur les plateaux télés, aux heures de grande écoute, doté de la possibilité légale de changer la direction politique du pays, il annonçait le désastre économique et social à venir et la faillite inéluctable du système financier, avec un krach financier risquant de « se produire d’ici dix à douze ans ». 2007…

« Si nous n’étions pas dans cette enceinte, je vous aurais mis une paire de claques »

Voilà en termes polis ce que Jacques Cheminade répondit à Gérard Carreyrou lorsqu’il lui demanda s’il n’était pas « un petit peu » antisémite.

Extrait du Ouest France du 13 avril 1995.

Car ce fut un harcèlement constant qui fut mis en place par les chiens de garde du système. Le 7 avril, deux semaines avant le premier tour, l’AFP Washington publia une dépêche faisant état de la proximité de Jacques Cheminade avec Lyndon LaRouche, « condamné par la justice aux Etats-Unis », suite à une véritable chasse aux sorcières, de l’aveu même de l’ancien ministre de la Justice américain Ramsey Clark (précision absente de la dépêche AFP). Lyndon LaRouche, « qualifié un jour par le sénateur démocrate Daniel Moynihan de ‘fasciste’ et d’‘antisémite’ ». Lyndon LaRouche « dont les thèses ont évolué de l’extrême gauche à l’extrême droite »

L’Evénement du jeudi du 13 au 19 avril 1995.

S’ensuivirent des séries de copiés-collés dans toute la presse française, nationale et régionale. Même la visite en France d’Amelia Boynton Robinson, figure majeure de la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis, et collaboratrice de Martin Luther King puis de Lyndon LaRouche, venue apporter son soutien au candidat, n’y changera rien. La rumeur – la malédiction – était lancée.

Le flambeau de la France résistante n’est jamais resté au sol

Le crime qu’a commis Jacques Cheminade, et qu’il est vital de comprendre aujourd’hui pour notre avenir commun, c’est d’avoir continué le combat mené par les révolutionnaires humanistes, Jaurès, Jean Moulin, De Gaulle, le combat international contre l’impérialisme et toute forme d’esclavagisme, aux côtés de Lyndon LaRouche.

L’affiche de campagne de Jacques Cheminade pour l’élection présidentielle de 1995.

C’est là que Jacques Cheminade diffère de la plupart des soi-disant « souverainistes ». La plupart d’entre eux se sont affirmés comme tels après la trahison du référendum de 2005, faisant d’eux des souverainistes d’« évidence », des souverainistes « légalistes », et non de vision. Les souverainistes français sont encore souvent des souverainistes franchouillards peu convaincants… Ils confondent trop souvent le refuge identitaire derrière une nouvelle ligne Maginot, avec le « pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde ».

Ce que Jacques Cheminade présentait à l’ensemble des Français dès 1995 était d’une tout autre nature et, il y a trente ans déjà, traçait les grandes lignes de ce que la France devrait faire aujourd’hui pour relever le défi de l’oligarchie financière.

Ainsi disait-il alors : « La question à se poser – celle que les autres ne posent pas – est la suivante : pouvons-nous mettre en place un système économique viable qui empêchera que se brise la trame sociale, que se désintègre notre système de gouvernement représentatif et qu’un monde en contraction aille à la guerre ? »
« Les spéculations insensées sur les produits dérivés, le trafic de drogue et le casino de l’immobilier sont au cœur de ce système [en place, ndlr]. » « Quiconque n’attaque pas d’abord cet ennemi condamne son pays à l’impuissance, lui laisse perdre son âme et le livre aux idéologies du sol, du sang et de la race. »

Sur le changement de cap économique, ceci complète les citations en début d’article.

Pour le reste :

Politique étrangère

« Briser net notre nouvelle ‘Entente cordiale’ avec la City de Londres. (…) On ne peut prétendre défendre la paix dans le monde avec le parti de la guerre financière. »
« Il faut certainement et totalement redéfinir notre politique avec l’Afrique. Il ne faut plus de ces clientélismes identifiés au nom de Charles Pasqua. Il faut une autre politique qui soit une politique de développement de ces pays, pas de constitution de groupes ou de réseaux. Il faut autre chose. C’est le plan Marshall, le nouveau plan Marshall vis-à-vis de ces pays. Et c’est désenclaver, c’est-à-dire faire que des régions d’Afrique qui, aujourd’hui, ne communiquent pas, puissent communiquer entre elles pour se vendre des produits. Jusqu’à maintenant, les chemins de fer ont été faits pour piller les ressources. Il faut faire des chemins de fer pour développer l’intérieur du pays. »

« L’Europe ne pourra jamais se construire elle-même et retrouver son âme si elle abandonne le continent africain. En effet, il est impossible, dans l’ordre mondial actuel, d’appliquer en même temps des logiques économiques opposées : d’une part, prétendre développer l’Europe orientale, d’autre part se borner à extorquer des matières premières à bas prix au sud de la Méditerranée. »

« Soutenir avec de réels moyens financiers le plan de paix au Proche-Orient, mobilisant les technologies françaises pour relever le défi de l’eau potable et reverdir les déserts. »

Education

Une partie du programme présenté par Jacques Cheminade en 1995.

« L’éducation nationale doit respecter et élever les pouvoirs créateurs des enfants en leur faisant revivre les grands moments de notre histoire et les grandes découvertes de nos savants. »
« L’oligarchie, depuis toujours, a eu pour politique le contraire : gérer un monde de ressources finies, et pour ce faire, fournir un enseignement de qualité à une minorité et une simple collection de recettes pratiques à la majorité. En sommes-nous loin, avons-nous dépassé cette situation ? »
« L’école doit aller au-delà de l’école. Une clé majeure pour l’égalité des chances se trouve, à l’horizon du prochain siècle, dans l’éducation permanente, l’école tout au long de la vie et l’école hors les murs. »

Démocratie

« Il faut arrêter la dérive vers une dictature d’opinion, les matraquages d’une télévision sous contrôle des marchés et une manie des sondages généralisés. En un mot, il faut former des citoyens libres pour l’aventure commune qui, seule, peut nous ouvrir les portes de l’avenir. »
« Défendre notre principe républicain de laïcité en rendant celle-ci positive, en l’enrichissant à l’école par la confrontation des expériences et des traditions religieuses et humanistes. La différence doit inspirer la curiosité plutôt que la peur. »
« Comme dans les années trente, la classe politique française est aujourd’hui paralysée par son esprit de système. Ce n’est pas d’elle que viendra le sursaut... »

Territoire

Extrait de La Dépêche du 4 avril 1995, un des rares articles honnête sur la campagne de Jacques Cheminade en 1995.

« Faire cesser la logique de concentration en Ile-de-France et décentraliser la régionalisation elle-même en évitant l’asphyxie des grandes métropoles régionales. »
« A titre d’échec patent, on doit citer l’opéra Bastille, temple d’une élite qui absorbe plus des deux tiers du budget public de la musique, alors qu’il aurait mieux valu aider à la diffusion du classique dans de multiples centres de la région parisienne et en province. »

Narcotrafic

« Fait capital pour l’avenir de notre pays, les statistiques révèlent que l’initiation [des jeunes à la drogue] a lieu à deux moments clés : le premier, en pleine adolescence, entre 16 et 17 ans ; le deuxième, à 23 ans. Ces deux échéances nous amènent au cœur des véritables causes du problème de la drogue. En pleine adolescence, alors que le jeune commence à se découvrir face à la vie, faisant, en même temps, les premiers pas vers son émancipation de la cellule familiale, quel avenir lui propose-t-on ? Nos nations ont perdu tout sens de mission et d’idéal. »
« Depuis quelques années, des campagnes racistes et démagogiques tentent de faire de l’immigration le bouc émissaire du trafic de drogue. Les immigrés, même ceux qui se livrent à de petits trafics, sont bien loin d’être les principaux bénéficiaires de ce commerce. Aujourd’hui [en 1995], le revenu annuel du trafic international de la drogue dépasse les 2500 milliards de francs [600 milliards d’euros actuels, ndlr] et il n’y a presque plus de banque, de maison d’investissement, de Bourse ou de marché financier dans lesquels la drogue ne joue pas un rôle important ! »
« Il faut traduire en justice toutes les personnalités du monde de la finance, des jeux, de l’audiovisuel, de la politique ou de l’administration, quel que soit son rang, impliqué dans le trafic de drogue ou le blanchiment d’argent provenant du trafic de drogue. Les prisons sont pleines de petits trafiquants – 10 000 sur les 50 000 prisonniers français ont été condamnés pour des affaires de drogue – alors que les véritables commanditaires ou bénéficiaires du trafic travaillent tranquillement auprès des gouvernements, des Bourses ou dans les salons feutrés des banques d’affaires. »

Banlieues

« L’espace des banlieues n’est pas quelque-chose d’étranger ou de différent, c’est là où s’exacerbent les maux de notre société : chômage, ségrégation sociale, repli communautaire, absence ou insuffisance de formation, perversion du marché foncier. »
« C’est cette spirale de la paupérisation qu’il faut arrêter, pour redonner aux habitants des banlieues le sens d’un futur, d’une participation normale et légitime à la vie du pays, sans les traiter en citoyens de seconde zone. »

Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris, c’est Vichy maintenant !

Bien que les journalistes aient tous reçu le programme complet de Jacques Cheminade, ses propos apportés devant les Français furent qualifiés, par exemple dans Libération, sous la plume d’Arnaud Viviant, d’« indéfinissable pataquès de Cheminade, gastéropode babélien amassant dans sa coquille vide toutes les pensées creuses ». La presse est quasiment unanime : le projet de Jacques Cheminade est vide ou extravagant…

Alors, il faut bien saisir le moment politique dans lequel se situe ce combat de Jacques Cheminade.

Pour faire court, en 1997, Georges-Marc Benamou reprendra dans un livre entretien, Le Dernier Mitterrand, cet aveu clair de ce dernier : « La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre avec l’Amérique. Oui, une guerre permanente, une guerre vitale, une guerre économique, une guerre sans mort apparemment. Oui, ils sont très durs les Américains, ils sont voraces, ils veulent un pouvoir sans partage sur le monde. C’est une guerre inconnue, une guerre permanente, sans mort apparemment et pourtant une guerre à mort. »

En 1998, L’association ATTAC est créée « pour le contrôle démocratique des marchés financiers et de leurs institutions ». Son objectif : instaurer une taxe sur les flux financiers… Taxer les mafias, ça c’est du courage !

En 2000, la BNP, banque traditionnelle au service des particuliers et petites entreprises, fusionne avec la banque Paribas, banque d’investissement dont les activités se concentrent, elles, sur la gestion d’actifs, les marchés de capitaux, fusions et acquisitions (#Macron) et autres activités de banques d’affaires… C’est ainsi que fut constitué l’un des plus grands groupes bancaires mondiaux, avec 77 000 collaborateurs dans 83 pays, qui fera partie des banques les plus impliquées dans les produits dérivés, produits spéculatifs par excellence.

Voilà la réalité de la mise en place de la dictature que nous subissons aujourd’hui, et face à laquelle Jacques Cheminade s’est levé, publiquement, sans compromis, il y a déjà trente ans.

Il fallait donc le faire taire. Quatre éléments principaux furent utilisés pour fusiller ce résistant avec l’arme de la calomnie et du garrot financier.

Le premier fut les accusations d’extrême droite et d’antisémitisme lancées contre Lyndon LaRouche et Jacques Cheminade (cf. plus haut).

Le candidat inutile

Le mot était passé : cet énergumène de Cheminade n’avait rien à dire. Alors, pourquoi lui donner la parole ?

Dans un commentaire intitulé « Priorité à l’égalité », Thierry Bréhier, éditorialiste au Monde, se permit d’écrire ainsi : « Un seul candidat contestable a franchi la barre [des parrainages, ndlr] : Jacques Cheminade, dont les idées forment un curieux mélange, heureusement peu courant en France. Mais nul ne peut nier que les autres, tous les autres, ne représentent des courants d’opinions qui doivent pouvoir s’exprimer à cette occasion. »

Extrait du Libération du 13 avril 1995.

Insulte à Cheminade, à ses soutiens et aux élus locaux qui avaient parrainé sa candidature.

Le 20 avril, la Commission nationale de contrôle de l’élection présidentielle estima que l’égalité de traitement sur TF1, France 2 et Radio-France « n’y était pas pleinement respecté » et les rappela à leurs obligations… quatre jours avant le premier tour. Ce jour-là, justement, le président du CSA, Hervé Bourges, communiquera à Jacques Cheminade le temps de parole dont avait bénéficié chaque candidat (toutes chaînes confondues) pour les deux dernières semaines de campagne. Quand une moyenne de 1h25 avait été respectée pour tous les autres candidats, Cheminade n’aura eu que 45 minutes de temps de parole. Hervé Bourges constatait par ailleurs que le CSA « a parfois observé un petit sourire narquois de la part de certains [journalistes] lorsqu’Arlette Laguiller parlait ».

Ce mépris pour un homme qui n’est pas de ce beau monde parisien est resté capital. En 2012, alors qu’il avait de nouveau réuni 500 parrainages d’élus locaux, Jean-Michel Apathie lui balancera, sur le plateau du « Grand Journal » de Canal+ : « C’est incroyable que vous ayez les signatures. C’est incroyable… Vous devez être le prototype du candidat inutile dans cette campagne. Totalement inutile. Et que des maires, que des gens élus vous donnent une signature, c’est incroyable. Je sais pas comment vous les avez. Je sais pas comment vous faites, si vous avez un numéro de fakir, mais c’est incroyable. Incroyable ! »

Le « système » Cheminade

Si les journalistes arboraient un sourire narquois lorsque Arlette Laguiller parlait, c’est tous crocs dehors et avec un mépris viscéral qu’ils attendaient Cheminade.

Le hérisson, édition du 19 au 25 avril 1995.

Rapidement, il fut accusé d’avoir trompé les maires. Notamment sur son appartenance à l’extrême droite… A force de démarchage, caméra à l’épaule, les journalistes revinrent à Paris avec le témoignage de maires « trahis »…

On questionne alors Cheminade sur son « système » de financement de sa campagne (dont le budget était de loin le plus modeste de tous les candidats). Le Canard enchaîné se félicite ainsi de la bravoure de Gérard Carreyrou, Robert Namias et Charles Villeneuve, qui transformèrent le plateau de TF1 en tribunal expéditif. « Êtes-vous déjà allé en Irak ? », « D’où vient l’argent de votre campagne ? De l’étranger ?  » et de conclure : « Quand le trouble et sinueux Cheminade, poussé dans ses cordes, balança aux journalistes vedettes de TF1 : ‘Je gagne moins que vous tous autour de la table’, on put entendre la réponse outrée de Carreyrou : ‘Oui, mais nous, on le gagne honnêtement !’ »
Affirmation dont on peut aujourd’hui juger la pertinence...

Extrait du VSD du 13 au 19 avril 1995. Bel exemple de conspirationnisme journalistique !

Face à ce tribunal, lorsque Cheminade expliquera : « Aujourd’hui, je pense qu’il faut se ressaisir et essayer de faire un débat sur ce qui est pour moi fondamental : ce cancer financier, cette machine à détruire qui est en place à l’échelle du monde », Robert Namias lui répliquera très logiquement, « ça n’a pas une connotation d’extrême droite, ça, ‘cancer financier’ ? »

Et Gérard Carreyrou d’insinuer : « En tout cas, moi je n’y arrive pas à vous situer dans la galaxie ‘gauchos’ d’un côté ou la galaxie extrême droite de l’autre. Je vais vous posez une question, en général ça aide à comprendre : d’où vient l’argent ? » « C’est pas une espèce d’association internationale un peu... » (faisant des gestes donnant à comprendre « mystérieuse »).

La corruption au pouvoir, la résistance fusillée

A l’heure du financement des partis politiques à grand renfort de sacs et valises, transitant par porteur ou paradis fiscaux, écarter un lanceur d’alerte ne suffisait pas. Jacques Cheminade allait constituer une force citoyenne, il fallait l’éliminer.

Cela s’est fait par le rejet de son compte de campagne dans les couloirs dorés du Conseil constitutionnel. En 1995, les comptes de campagnes, et leur remboursement par l’État, n’étaient pas encore validés par un organisme indépendant, mais par la plus haute juridiction de notre pays, ne permettant aucun recours suite à sa décision. Autre précision qui a son importance : contrairement aux autres élections, le résultat obtenu lors du scrutin n’entrait pas en ligne de compte, seuls les 500 parrainages et le respect des lois donnant accès au remboursement par l’argent des Français.

Le compte de campagne de Cheminade fut invalidé sur deux points. Le premier est la simple suspicion quant à l’origine d’un prêt provenant d’un compte en suisse (ce qui n’est pas interdit), que le prêteur déclara provenir d’un héritage. Ce versement avait été fait de manière tout à fait transparente, l’origine de l’héritage ayant été certifiée par acte notarié, et non dans le secret de valises africaines (cf. plus loin l’aveu de Roland Dumas).

Ce premier argument ne suffisant pas, il fallait en trouver un autre. On allégua que le candidat avait bénéficié de prêts sans intérêts, qui furent de ce fait requalifiés en dons, justifiant le rejet de son compte de campagne du fait que leur montant et leur date de versement, en tant que « dons », ne remplissaient pas les conditions applicables à ceux-ci… Or, contrairement à ces motivations invoquées par le Conseil constitutionnel, la notion de prêt se définit par le caractère restitutoire des fonds et non par la stipulation d’intérêts, conformément aux termes de l’article 1902 du code civil, qui énonce dans sa section III que « l’emprunteur est tenu de rendre les choses prêtées », et de son article 1905, qui confère un caractère facultatif à la stipulation d’intérêts.

Dans ces conditions, non seulement le Conseil constitutionnel s’est assis sur le code civil, mais rien ne permettait au candidat de prévoir cette décision élaborée de toutes pièces pour l’occasion (de l’aveu même de membres du Conseil de l’époque), et donc de plaider son bon droit.

C’est donc sur la base d’une suspicion non justifiée et d’une interprétation infondée des textes que Jacques Cheminade fut condamné à rembourser l’avance d’un million de francs accordée par l’Etat à chaque candidat, en plus de ce qu’il devait à ses prêteurs.

S’ensuivront l’hypothèque de son domicile, la saisie d’une partie de ses biens et celle, dix-sept ans plus tard, de cette avance d’un million sur le remboursement de sa campagne présidentielle de 2012 (validée, elle, par un organisme indépendant de contrôle de financement des campagnes électorales).

Pour mesurer l’ampleur de ce crime de bureau, écoutons l’aveu du président du Conseil constitutionnel d’alors, Roland Dumas. Dans le numéro de septembre 2011 de Lyon capitale, avançant en âge, il se confie sur son histoire. Extrait : « La Françafrique, c’était aussi des liens de financement politique. Vous passiez des valises pour financer la campagne de Mitterrand ? » Réponse : « Oui, bien sûr. Vous savez, cela a toujours existé. Ce n’est pas nouveau. (…) A gauche comme à droite. » « Des journalistes achetés, cela existe parfois ? – [Sourire] Oui, oui, sans doute. »

Roland Dumas, entouré des membres du Conseil constitutionnel, proclame Jacques Chirac président le 13 mai 1995.

Vis-à-vis de Cheminade, c’est donc pire qu’un deux poids deux mesures, puisque lui, contrairement aux autres, n’avait pas violé les textes. Après avoir invalidé le compte de campagne de Jacques Cheminade, les « sages » se penchèrent en effet sur les comptes de Jacques Chirac et d’Edouard Balladur. Selon l’évaluation des rapporteurs (fourchette basse), ce dernier avait dépassé le plafond autorisé de 6 millions de francs et Jacques Chirac de 5 millions.

Tout cela sera finalement rafistolé par des pourparlers entre rapporteurs et équipes de campagne des candidats, sans que Jacques Cheminade ait pu, quant à lui, bénéficier du principe du contradictoire et être entendu. Selon l’enquête de Radio France d’octobre 2020, dans le cas de Jacques Chirac, les « sages » savaient que « 31 personnes se sont présentées à la banque Rivaud le même jour, le 6 mai, la veille du deuxième tour, pour déposer un total de 3,5 millions de francs en liquide. Pour Edouard Balladur, 10,25 millions de francs ont été versés en une fois au Crédit du Nord, trois jours après le premier tour. Interrogée, la banque précise ‘en quatre sacs de billets de 500 francs’. Les deux candidats ont livré la même explication : ces importantes recettes en liquide sont le fruit de collectes dans les meetings et de vente de t-shirts et gadgets divers »

Dans une enquête de février 2012, le magazine Les Inrockuptibles recueillera le témoignage de Jacques Robert, membre du Conseil constitutionnel en 1995. « Nous n’étions pas très fier. La raison d’État l’avait emporté sur le droit. Nous avons servi de caution à une belle entourloupe. » Il raconte aussi que suite à la présentation des comptes de campagne irréguliers d’Edouard Balladur et de Jacques Chirac, élu six mois plus tôt, Roland Dumas prit la parole : « Il a immédiatement dit que si les comptes de Balladur et Chirac étaient irréguliers, il fallait les modifier. (…) l’on ne pouvait pas provoquer une crise de régime pour une affaire financière. »

Le 4 mai 2011, sur France 2, Christophe Barbier interpelle Roland Dumas : « Vous invalidez Jacques Cheminade alors que vous ne touchez pas aux gros ? – Oui, bien sûr. Cheminade était plutôt maladroit, les autres étaient adroits. » Ainsi, en France, ce serait « l’adresse » qui ferait le droit !

Voilà comment, en 1995, la République prit fin. Un hors-la-loi avéré (de l’aveu même du président du Conseil constitutionnel) devient président et la plus haute instance judiciaire flingue la véritable opposition politique.

Dieu vomit les tièdes et reconnaîtra les siens

Dans l’émission du 5 décembre 2010 sur France 2 animée par Michel Drucker, François Bayrou dira : « Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. (...) Dernier exemple, politique celui-là. Mais c’est quand même terrifiant. Le Conseil constitutionnel a jugé de l’élection présidentielle de 1995. Il s’aperçoit que les comptes des deux candidats principaux, Édouard Balladur [dont Bayrou fut ministre, ndlr] et Jacques Chirac sont faux, et les responsables du Conseil constitutionnel et son président disent, ‘eh bien non, là, c’est trop puissant, on ne peut rien faire’. Mais il y a un candidat qui fait 0,24 %, qui s’appelle monsieur Cheminade (je ne le défends ni ne l’accable), lui, on lui sanctionne ses comptes et on le ruine. Eh bien, ceci est purement et simplement, pour un républicain, pour un démocrate, pour un citoyen, indigne. Alors vous me demandez de quoi il faut s’indigner, il faut s’indigner de ce qui est indigne. »

Les années passant, la crise financière passant, la réalité se faisant plus claire, certaines voix commencent à changer. En 2012, lors d’une interview, Arlette Chabot suggèrera : « On voit votre nom, votre affiche ‘Ni la City ni Wall Street’. Mais moi je dis que c’est le monde rêvé aussi par Nathalie Arthaud (Lutte ouvrière), Philippe Poutou (Nouveau Parti anticapitaliste), un monde sans finance. » Enfin un peu de reconnaissance, même par des propos approximatifs.

Lors de la campagne de 2017, Pierre Lescure, dirigeant historique de Canal+, dira sur le plateau de C à vous, le 17 avril : « En fait le vrai ennemi de la finance depuis toujours, c’est vous. »

Restent les politiques. Au moment de la crise financière de 2007-2008, Nicolas Sarkozy appela à un Nouveau Bretton Woods, un nouveau système financier, et France24 en version anglaise invita miraculeusement Jacques Cheminade pour préciser l’idée. Sarkozy manqua alors plus de courage que d’affaires judiciaires…

En 2012, François Hollande, lors du second tour, reprendra l’idée de couper les banques en deux, qui fut au cœur de la campagne de Jacques Cheminade, et déclara dans son discours du Bourget : « Mon véritable adversaire, il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance. » Pourtant, Cheminade précisait bien les visages de cette finance. François Hollande manqua-t-il de vision ou de courage ? Ou peut-être des deux ? Dieu vomit les tièdes.

Cependant, depuis l’apparition du web et l’émergence de youtubeurs indépendants, les choses changent. Rémi de Juste milieu, Greg Tabibian de J’suis pas content, Pierre-Yves Rougeyron, Florian Philippot, Juan Branco, Idriss Aberkan et j’en passe, tous ont fait part de leur respect pour le combat engagé par Jacques Cheminade. François Asselineau a eu le courage de lui permettre d’expliquer son cas sur sa chaîne. Dans le microcosme politique parisien, tout le monde sait l’injustice qui lui a été faite et le reconnaît en privé. L’omerta prévalant jusque-là commence ainsi à se lever.

Reste à faire en sorte que suffisamment de Français prennent la mesure des idées qui ont porté Jacques Cheminade à se battre et à poursuivre sans relâche son combat, parce que ce sont elles qui permettront un sursaut patriotique et humain.

Deux vidéos pour faire comprendre et faire connaître la bataille de Jacques Cheminade (cliquer sur les images)