Forum France-Chine de Paris 2024

Face aux risques multiples qu’affronte l’humanité, la France et la Chine doivent montrer la voie

mardi 24 décembre 2024, par Christine Bierre

Voici le double message de ce Forum Chine-France organisé au Musée Guimet, le 17 décembre, par l’Ambassade de Chine : d’un côté, une amitié franco-chinoise forte, fière de ses 60 ans d’accomplissements depuis l’ouverture des relations diplomatiques par De Gaulle en 1964, et prête à ouvrir un nouveau soixantenaire. De l’autre, un monde de plus en plus inquiétant, où les tensions commerciales entre l’UE et la Chine s’aggravent, notamment autour de la compétition sur les voitures électriques, et où, par ailleurs, toute la conjoncture s’assombrit.

Dans sondiscours d’ouverture, l’Ambassadeur de Chine, Lu Shaye, a évoqué un court terme où des « cygnes noirs » et des « rhinocéros gris » — les conflits au Moyen-Orient et en Ukraine — sont devenus monnaie courante, un moyen terme où la mondialisation économique est ?reléguée au second plan « par une logique de la puissance », et un long terme où

les risques communs auxquels l’humanité est confrontée (dérèglement climatique, baisse du ?taux de fécondité, intensification des antagonismes ethniques et religieux, remise en cause des valeurs traditionnelles, etc.), n’ont jamais été aussi nombreux et imprévisibles .

Concernant l’avenir, il pose les problèmes sans aucune ambiguïté :

La société humaine se trouve à la croisée des chemins. Va-t-elle s’abîmer dans la guerre et la récession, ou partir vaillamment à la recherche de la paix et du développement ? La réponse est évidente. Mais il faut travailler dur pour outrepasser les rapports de force ?géopolitiques et la démondialisation.

Coopération ou compétition avec la Chine ?

Pour l’Ambassadeur Lu Shaye, les tensions commerciales, dont la récente augmentation de 35 % des droits de douanes sur ses véhicules électriques n’est que le cas le plus extrême, sont surtout un problème entre la Chine et l’UE. Malheureusement, suite à des « perturbations extérieures », certains pays européens, dont la France, sont plus enclins « à politiser » les mesures commerciales contre la Chine, ce qu’il déplore.

Face au protectionnisme à tout va de l’UE, l’attitude chinoise est totalement différente. Elle préconise d’abord la coopération. L’ambassadeur a rappelé que c’est en coopération avec la France et d’autres pays que la Chine, très en retard dans l’électronucléaire, avait pu « atteindre le niveau mondial » dans ce domaine. Et aujourd’hui, elle contribue au rétablissement de l’industrie nucléaire en France.

Si la situation de l’automobile est très difficile en Europe aujourd’hui, l’ambassadeur a énuméré d’autres domaines, outre les voitures électriques, dans lesquels la Chine est en pointe : la 5 G et les nouvelles énergies, invitant l’Europe « à coopérer avec elle pour s’engager sur des voies rapides de développement » dans ces domaines. En outre, il a rappelé qu’en juillet dernier, le IIIe plenum de son 20e Comité central avait réaffirmé sa politique de « réforme et d’ouverture » et de « développement de haute qualité », mettant de l’avant 300 initiatives d’ouverture dans les marchés chinois de marchandises, de services, de capitaux et de travail. La Chine a également préconisé l’annulation totale des mesures restrictives sur l’accès des investissements étrangers au secteur manufacturier, ou encore la promotion de l’ouverture progressive ?des secteurs de ?télécommunication, d’internet, de l’éducation, de la culture et des soins médicaux, sans oublier les mesures plus concrètes sur l’octroi d’un traitement national aux ?entreprises étrangères et de mesures facilitant la vie aux étrangers installés en Chine.

Le rôle de l’amitié franco-chinoise

C’est en faisant appel à leur alliance et à leur amitié multiséculaire que Chinois et Français pourront déjouer les pièges de la géopolitique. Car si De Gaulle a rouvert les relations diplomatiques entre les deux pays en 1964, les premiers dialogues France-Chine remontent à Louis XIV, et notamment à l’envoi, par Colbert, en collaboration avec Leibniz, d’une mission de jésuites scientifiques en Chine.

Pour le président Xi Jinping, « chaque rencontre entre la Chine et la France dans le long fleuve de l’histoire peut générer une grande énergie et influencer la direction de la marche du monde ». Et l’ambassadeur chinois d’ajouter : « La Chine et la France doivent assumer des responsabilités à la hauteur de leur statut de grand pays. Plus de dialogue et moins de méfiance entre nos deux pays induisent plus de coopération et moins de confrontation entre la Chine et l’UE, et plus de stabilité et moins de bouleversement dans le monde. Espérons que dans plusieurs décennies, quand nos enfants et petits-enfants repasseront en revue ce qui se passe aujourd’hui, ils se réjouiront que la Chine et la France aient une fois de plus fait le bon choix à un moment crucial ?de l’histoire. »

Jean-Pierre Raffarin : une amitié, ça se jardine

Le Forum France-Chine de Paris, version 2024, s’est terminé sur une note d’émotion : un discours de clôture très chaleureux prononcé par ce fidèle ami de la Chine qu’est l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, mais aussi un discours d’au-revoir à Lu Shaye, qui quittait ses fonctions et la France le lendemain.

Jean-Pierre Raffarin a, lui aussi, mis en garde contre le délitement de l’amitié franco-chinoise. Après cette citation de René Char : « Aimer, c’est vouloir que les choses soient ce qu’elles sont », il a poursuivi : « Il faut le vouloir ; l’amitié ça se jardine, il y a du travail dans l’amitié. (…) Deux peuples très sensibles, les Français et les Chinois (…) communiquent par les yeux, l’écoute, la culture est l’essentiel dans les relations entre la Chine et la France (…) Et quand vous aimez, ça se voit ! » « Les Chinois, dit-il encore, ont beaucoup d’intérêt pour nous. Mais nous pouvons perdre cette amitié ; le mépris, les doutes, les accusations… Il ne faut pas laisser un ami dériver. »

Trois sessions

Animées de main de maître par la journaliste Fabienne Lissak, trois sessions, stratégique, économique et culturelle, ont décliné ces thèmes. L’aspect stratégique a été abordé par de hauts fonctionnaires, militaires et diplomates ayant participé à la construction du soixantenaire, tel Jean-David Levitte, qui conseilla pratiquement tous les présidents français, à commencer par Georges Pompidou en 1973, et jusqu’à Sarkozy ; le général de La Maisonneuve, président de la Société de stratégie, qui a enseigné la stratégie en Chine, et M. Xu Bo, président de l’Association Les amis de Wu Jianmin, ambassadeur de Chine très respecté sous Jacques Chirac. C’est ici qu’on a appris quelques anecdotes savoureuses, comme le fait que Jacques Chirac, amateur de culture chinoise, avait voulu lui-même expliquer au Président Hu Jintao et à son épouse, toute l’importance de Confucius pour la France, lors de leur visite officielle dans notre pays en 2004, en leur faisant visiter l’exposition sur Confucius du Musée Guimet. On a appris également qu’à la fin de son mandat présidentiel, Valérie Giscard d’Estaing avait décidé d’apprendre le Chinois. Enfin, deux économistes spécialistes de la Chine, Jean Paul Tchang et Hervé Azoulay, vice-président chez AA&W Strategy Consultants, ont tenté d’évoquer, à la fin de cette session, l’avenir de la Chine sous la nouvelle Administration Trump.

La session économique a réuni des capitaines de très grandes industries, françaises à l’origine – Jean-Paul Agon, président du groupe L’OREAL, Marc-Antoine Jamet, secrétaire général du groupe LVMH,Bertrand Stoltz, vice-président exécutif du groupe STMicroelectronics, et Léo Liu ( Liu Enshuo), directeur général de Huawei France. Chacun a présenté son épopée fondatrice au sein de cet énorme pays, où grâce à la vitalité de la population chinoise et à leur montée en gamme dans la très haute technologie, leurs entreprises sont devenues des géants de la productivité, servant le marché chinois mais aussi international.

Pour finir, une session culturelle, et non des moindres, rassembla des artistes, spécialistes des musées, sinologues et professeurs de langues. Ils ont transmis au public à quel point la culture est le lien émotionnel qui unit Chinois et Français. Yannick Lintz, présidente du Musée national des arts asiatiques-Guimet, présenta l’histoire de la création de ce musée, devenu le premier musée en Europe des arts asiatiques, et l’un des premiers au monde. Elle fut suivie de Jiang Qiong’er, artiste et architecte, qui a réalisé pour l’occasion les décors sur la façade du Musée Guimet. S’inspirant des grottes chinoises bouddhistes de Longshan et de Dunhuang, elle a créé, grâce à l’intelligence artificielle, douze êtres mythiques, qu’elle a placés dans de petites grottes rouges. On y retrouve les caractéristiques de la mythologie chinoise mêlées à d’autres mythologies. Les êtres mythiques de cette œuvre, qu’elle intitule « Gardiens du temps », incarnent chacun une valeur : « authenticité », « bravoure », « sagesse », « temps », « paix », « fraternité », etc.

Autre intervenant, Joël Bellassen, sinologue et ancien professeur des universités à l’Inalco (Institut national des langues et civilisations orientales), fut l’un des premiers universitaires à se rendre en Chine dès la fin de la Révolution culturelle, en 1973, pour y poursuivre ces études. Tout au long de son intervention, il a martelé une vérité : en matière d’enseignement de la langue chinoise, la France a toujours été pionnière. La première approche scientifique à la langue chinoise fut celle du père Prémare, un jésuite français. Le premier titulaire d’une chaire de philosophie dans le monde fut Jean-Pierre Abel-Rémusat, nommé professeur de chinois au Collège de France en 1814, en même temps que Champollion. Tous deux se connaissaient et s’appréciaient. En 1843, le premier département de chinois est créé à l’Inalco. Toute une série de manuels de chinois, classique mais aussi parlé, circulaient déjà à l’époque. Mais c’est à Lyon que fut créée pour la première fois une spécialité universitaire, en chinois. Autre date importante : 1958. Un premier établissement secondaire voit le jour, au lycée expérimental de Montgeron, à Lyon. Dix ans plus tard, le chinois est intégré aux langues qu’on peut présenter au baccalauréat. Pendant longtemps, la France restera le seul pays à le faire. En 1998, Joël Bellassen devient professeur à l’Inalco et c’est à ce titre qu’on lui demande de rédiger les premiers programmes scolaires de chinois en France et dans le monde. On connaît l’importance de ces programmes : ils « disciplinarisent » l’enseignement, le structurent en discipline avec une progression, des objectifs et une vision sur ce que doit être l’enseignement d’une langue si particulière. Pour finir, Nicolas Idier, inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche, est intervenu à son tour en tant que chercheur associé au Centre de recherche sur l’Extrême-Orient de Paris-Sorbonne, spécialiste de l’œuvre du sinologue Pierre Ryckmans.