Le 31 juillet, paraissait dans la gazette officielle d’Afghanistan le dernier décret du chef religieux suprême des talibans, Haibatullah Akhundzada, qui réside à Kandahar, près de la frontière pakistanaise. En août, l’Afghanistan Analyst Network en publia une traduction non-officielle, sous le titre, « Loi sur la propagation de la vertu et la prévention du vice » (PVPV).
Loi sur la propogation de la vertu et la prévention du vice
S’ajoutant à une centaine de décrets interdisant aux femmes adultes de travailler et d’accéder à l’enseignement supérieur, le PVPV ajoute de nouvelles injonctions sur la manière dont les femmes et les hommes doivent se vêtir. Bien que le Coran ne dise rien à ce sujet, de nombreux dirigeants musulmans ont imposé ces directives pour démontrer leur capacité à régner sur les masses, en invoquant « la tradition ».
Selon des sources sur le terrain, avec la loi PVPV, les partisans de la ligne dure « préparent leurs propres funérailles », car la plupart des Afghans n’acceptent pas ces interprétations extrêmes de la loi islamique, ou ne les suivent pas, et se détournent de plus en plus de cette ligne pour se tourner vers les modérés.
En effet, la loi PVPV va au-delà des extrêmes observés jusqu’à présent, non seulement en affirmant (articles 13:1 et 13:2) que le corps de la femme doit être entièrement couvert lors de toute apparition publique, mais en y ajoutant, dans l’article 13:3, que
la voix des femmes (dans une chanson, un hymne ou un récital devant une assemblée) est également quelque chose qui doit être caché.
Cette interprétation fondamentaliste extrême divise la société afghane. Même une journaliste du quotidien Libération, qui s’est rendue en Afghanistan, a dû admettre le 24 octobre que
les talibans ne constituent pas un mouvement monolithique. Nombre d’entre eux s’opposent discrètement à la rigueur des interdictions scolaires en tolérant l’existence d’écoles clandestines.
En réalité, un large fossé s’est creusé entre les tenants de la ligne dure (appelés « conservateurs ») et les modérés (ou « pragmatiques »), tandis que de nombreuses jeunes femmes envisagent de quitter le pays.
Critiques de l’intérieur de l’islam
L’érudit religieux afghan Mohammad Osman Tariq fait le point :
Notant que la loi interprète grossièrement mal les enseignements islamiques, les érudits religieux ont publiquement défié le régime, alléguant qu’il n’y a rien dans le Coran ou la Sunnah qui vienne étayer l’affirmation des talibans selon laquelle la voix des femmes serait ’awrah’ (nudité) et qu’elle doit couvrir entièrement son corps. Ils [les érudits] citent de nombreux textes religieux qui affirment que la voix des femmes était entendue et respectée à l’époque du prophète Mahomet, ce qui contredit directement la position des talibans.
Par exemple, des versets du Coran tels que 60:12 et 58:1 montrent que les femmes communiquaient verbalement avec le prophète, tandis que les hadiths racontés par Aïcha, l’épouse du Prophète, prouvent que la tradition islamique n’a jamais voulu que la voix des femmes soit réduite au silence. Ces érudits ont souligné que l’application de la morale, selon l’islam, relève de la responsabilité de la communauté musulmane dans son ensemble, et non de l’État, réfutant ainsi les justifications des talibans.
Il y a de plus en plus de signes de division interne au sein des talibans, concernant la mise en œuvre de la loi sur le vice et la vertu. La visite inhabituelle, début septembre, du chef des talibans, Haibatullah Akhundzada, dans huit provinces au nord et à l’ouest de l’Afghanistan, dont Takhar, Badghis, Balkh et Kunduz, met en évidence les efforts déployés pour répondre aux dissensions croissantes parmi les fonctionnaires locaux et les chefs tribaux. Selon les rapports, plusieurs gouverneurs ont refusé d’appliquer la loi sur le vice et la vertu, tandis que le vice-ministre des Affaires étrangères, Abbas Stanikzai (l’un des principaux négociateurs des talibans pour l’accord de Doha de 2020) s’est publiquement prononcé contre les restrictions imposées aux femmes.
La résistance croissante à la loi des talibans ne se limite pas aux universitaires afghans. L’Organisation de la coopération islamique (OCI) et ses érudits ont également exprimé leur désapprobation, certaines délégations ayant snobé des responsables talibans lors de récentes réunions. Même des membres traditionnellement conservateurs comme l’Arabie saoudite ont critiqué l’interprétation sévère de la charia par les talibans.
Les femmes afghanes ont adressé une demande officielle à l’Académie de Fiqh de l’OCI pour qu’elle émette une fatwa (un avis juridique ou un décret émis par un chef religieux islamique) contre l’utilisation abusive par les talibans des sources islamiques, notamment le Coran et les hadiths, dans cette nouvelle loi sur le vice et la vertu. Dans une brève réponse, l’OCI a déclaré que les femmes ont droit à l’éducation, à la parole et à être vues. L’Organisation a maintenant l’occasion de revoir la loi et d’émettre une décision juridique officielle condamnant les interprétations erronées des talibans.
En interne, conclut l’auteur, les talibans sont confrontés à des dissensions croissantes au sujet de cette loi, ce qui offre au mouvement taliban une occasion potentielle de se montrer réceptif à ses électeurs et de changer de direction. En soutenant des éléments modérés plus réceptifs au sein des talibans, tels que ceux qui remettent déjà en question la nécessité de la loi, une réorganisation de la direction (ou la reconnaissance de la direction locale) au sein du régime pourrait présenter un retrait comme étant conforme à la jurisprudence islamique et à la surveillance locale. Cette réaction interne pourrait permettre aux talibans de faire marche arrière sans avoir l’air de céder aux pressions extérieures, ouvrant ainsi la voie à des réformes plus vastes.
Sommet des BRICS à Kazan
C’est l’une des raisons pour lesquelles l’Afghanistan n’a pas été admis au sommet des BRICS à Kazan, pas même en tant qu’observateur. On notera que dans ses exigences, la déclaration finale des BRICS prend le contre-pied de l’attitude « isolationniste » et du « laissez-les mourir de faim » de l’Occident global.
Le point 42 de la résolution de Kazan souligne « la nécessité d’un règlement pacifique urgent en Afghanistan afin de renforcer la sécurité et la stabilité régionales » et réclame des « mesures plus visibles et vérifiables » à cet égard.
Contrairement aux Occidentaux qui annoncent la réduction progressive de toute aide, la déclaration des BRICS souligne « la nécessité de fournir une aide humanitaire urgente et ininterrompue au peuple afghan et de sauvegarder les droits fondamentaux de tous les Afghans, y compris les femmes, les jeunes filles et les différents groupes ethniques ». Sans concessions, elle appelle « les autorités afghanes à revenir sur l’interdiction effective de l’enseignement secondaire et supérieur pour les filles ».
Le drapeau afghan sur la monnaie des BRICS
Les BRICS insistent à juste titre que cette question ne peut être résolue qu’au niveau national et dans un cadre de réconciliation et de reconstruction que le monde entier devrait faciliter. Les menaces et pressions extérieures isolationnistes ne peuvent que favoriser les partisans de la ligne dure.
En signe de main tendue, il est intéressant de constater que le drapeau afghan figure, parmi ceux d’autres nations amies du groupe, au verso des billets de banque proposés pour l’hypothétique « nouvelle monnaie des BRICS ».
Les Afghans ont bien compris le message. Khaama Press écrit :
Ce billet symbolique rappelle l’importance de l’Afghanistan, même si le régime taliban reste isolé sur le plan diplomatique. Ce geste souligne une fois de plus l’engagement continu de la communauté internationale envers l’avenir de l’Afghanistan, même sous forme symbolique.