Introduction
Par Karel Vereycken
Au nom d’une idéologie verte dévoyée, l’Allemagne pâtit de son abandon du nucléaire civil. Plus récemment, à la demande des Etats-Unis qui ont télécommandé le dynamitage du gazoduc Northstream et qui lui vendent leur GNL à un prix trois fois plus élevé, elle a accepté de boycotter les hydrocarbures peu onéreux en provenance de Russie. A cela s’ajoute que des mesures protectionnistes américaines offrent des subventions imbattables à tout industriel européen prêt à délocaliser sa production outre-Atlantique.
Ainsi que le constate une note de la Deutsche Bank, datée du12 août, les investissements directs (IDE) allemands aux Etats-Unis dépasseront bientôt ceux réalisés en Chine :
Les entreprises allemandes et européennes ont été attirées par les vastes programmes de relance de l’administration Biden, notamment l’Inflation Reduction Act et le CHIPS and Science Act, promulgués il y a près de deux ans, qui offrent plus de 400 milliards de dollars de crédits d’impôt, prêts et autres aides, pour soutenir l’industrie manufacturière tout en s’attaquant au changement climatique. Bien que les subventions soient principalement destinées aux entités américaines, les filiales d’entreprises allemandes et européennes peuvent également en bénéficier.
A titre de consolation, les industries automobiles allemande et américaine viennent de remporter une petite victoire à Bruxelles : l’UE va baisser ses taxes punitives sur les voitures électriques venant de Chine. Pourquoi ? Ces taxes pénalisent Tesla, BMW et Volkswagen, qui les produisent là-bas !
Depuis longtemps, les financiers internationaux sont apatrides. Ils peuvent produire dans un pays (la Chine), vendre dans un autre (l’UE), placer leur argent dans un troisième (Londres) et vivre et se divertir dans un quatrième (Dubaï). Leurs choix, que ce soit en production, en finance, en spéculation ou en divertissement, ne connaissent pas de frontières mais se font « à la carte » et selon les circonstances du moment, sans égard pour leurs conséquences sur l’emploi et le niveau de vie des populations qui leur permettent de s’enrichir.
Comme en 1933, sacrifier le peuple allemand ne pose aucun problème pour la finance dite allemande. Formellement parlant, le « modèle allemand », qui consistait à produire des biens industriels de qualité à faible coût pour les exporter, notamment vers l’Asie, à des prix rémunérateurs, a vécu. Et le verdissement tout azimut et la course vers une économie de guerre ne feront qu’aggraver le désastre. Rappelons que si l’Allemagne, dont le PIB est tiré à 30 % par l’industrie et la construction, chute, c’est toute l’industrie de la zone euro qui sombrera.
Si la fin de l’euro est, d’un certain point de vue, souhaitable, il reste à mettre sur la table des mesures permettant d’éviter aussi bien un effondrement brutal que la spoliation des populations, et surtout, de préparer une alternative crédible.
L’économie allemande, secteur par secteur
Voici un aperçu de la situation par secteur, réalisé par Rainer Apel, Claudio Celani et Marcia Merry Baker, journalistes à l’Executive Intelligence Review.
Forte chute de la production industrielle
A la mi-2024, la production industrielle allemande a reculé de 6,6 % par rapport à l’année précédente. Le mois de mai a été le cinquième mois consécutif de chute de la production, en baisse de 2,9 % par rapport à avril (4 % pour les biens d’équipement et 3,3 % pour le BTP). L’économiste en chef de la Commerzbank, Jorg Kraemer, a en tiré cette conclusion : « Cette baisse significative de la production industrielle montre une fois de plus qu’une reprise économique rapide et significative n’est pas à l’horizon. »
L’Office fédéral allemand des statistiques relève également une forte baisse des commandes de biens industriels : - 8,6 % en glissement annuel à la mi-2024. Là encore, le mois de mai a été le cinquième mois consécutif de baisse, affichant un recul de 1,6 % par rapport à avril. « Encore une mauvaise nouvelle pour l’industrie. Il semble que l’amélioration de la situation soit plus éloignée que jamais », a commenté l’économiste de la Landesbank Baden-Württemberg, Jens-Oliver Kiklasch.
Dans toute la zone euro, qui comprend 20 pays, la production industrielle est en baisse. Selon Eurostat, en avril, elle était globalement de 3 % sur une base annuelle, l’Allemagne enregistrant la plus forte baisse (- 3,7 %) parmi les grandes économies, devant l’Italie (- 2,9 %) et la France, qui a affiché une croissance anémique de 1 %.
Pertes d’emplois à venir
Stefan Wolf, président de Gesamtmetall (Fédération des associations patronales allemandes des industries métallurgiques et électrotechniques), prévoit une perte de 40 000 à 50 000 emplois dans l’industrie au cours des trois ou quatre prochaines années. Dans un entretien accordé au Funke Media Group, diffusé le 22 mai, il a déclaré qu’on n’était pas « dans le creux de la vague ». Si le gouvernement ne fait rien, affirme-t-il, « je vois déjà les prémices de la désindustrialisation. De nombreuses délocalisations ont lieu, partout. (…) Les grands équipementiers automobiles ont déjà annoncé des licenciements, et j’ai entendu dire que ce mouvement prenait de l’ampleur. »
La taille de la population allemande et de sa main-d’œuvre se contracte. Le nombre d’habitants est actuellement de 83,25 millions, après une baisse continue au cours des trois dernières années. Sans l’apport migratoire, la population allemande aurait cessé de croître depuis 1990.
Un revenu agricole en chute libre
Selon les estimations, pour l’année agricole allant du 1er juillet 2023 au 30 juin 2024, le revenu agricole global (le total des revenus bruts de tous les agriculteurs) sera inférieur de 30 à 50 % à celui de l’année précédente...
Le président de l’Association des agriculteurs allemands, Joachim Rukwied, a déclaré en mai : « Nos exploitations agricoles se trouvent une fois de plus dans des eaux économiques plus difficiles. » Lui et d’autres dirigeants agricoles soulignent que si le revenu agricole a augmenté au cours des deux dernières années, les agriculteurs avaient connu auparavant cinq années de faibles revenus. A l’heure actuelle, les producteurs laitiers, par exemple, sont confrontés à des prix inférieurs à leurs coûts de production. Ce schéma en dents de scie est intenable. Les agriculteurs allemands ont été les premiers d’Europe à manifester l’hiver dernier. Ils réclamaient notamment des prix abordables pour le gazole, les engrais et autres intrants, des prix supérieurs aux coûts de production pour leur produits, l’arrêt des diktats anti-scientifiques et soi-disant verts de Berlin et de Bruxelles, et la dissolution des cartels monopolistiques de vente au détail et de transformation des produits alimentaires.
Malgré la vague massive et sans précédent de protestations des agriculteurs dans toute l’Europe, aucun remède significatif n’a été apporté.
Contraction du commerce
Ancien numéro un mondial des exportations de produits de haute technologie, l’Allemagne connaît une baisse de ses exportations comme de ses importations. Si elle enregistre un excédent commercial sur sa balance des opérations courantes, c’est uniquement parce que ses importations diminuent davantage que ses exportations. D’une année sur l’autre, la valeur des importations a spectaculairement chuté de 8,7 %, alors que ses exportations n’ont baissé « que » de 1,6 % (dont 2,9 % vers les États-Unis, son premier marché d’exportation). Au cours de l’année écoulée, les exportations allemandes vers la Chine ont connu une chute vertigineuse de 10,2 %.
D’autres facteurs viennent compliquer et aggraver la situation. Le 5 juillet, les droits de douane punitifs de l’Union européenne sont entrés en vigueur à l’encontre des importations de véhicules électriques en provenance de Chine. Les constructeurs automobiles allemands en sont durement touchés, car ils produisent en Chine puis exportent vers l’Europe. Volkswagen se trouve ainsi soumis au plus fort taux de droits de douane, soit 38 %.
Dans cet environnement hostile, certaines entreprises chinoises ont annulé leurs projets de construction de composants de véhicules électriques en Allemagne. SVOLT Energy Technology, une filiale du constructeur automobile chinois Great Wall Motor Company, a annoncé en mai qu’elle renonçait à son projet d’usine de batteries à Lauchhammer, dans l’État de Brandebourg, suite à l’annulation d’une grosse commande par un constructeur automobile (BMW, selon les rumeurs). Le producteur de batteries CATL a interrompu son expansion à Arnstadt, après que Volkswagen a réduit sa production de véhicules électriques à Zwickau.
Comme l’économiste Folcker Hellmeyer l’a confié au Schwabische Zeitung, le quotidien de la région hautement industrialisée du Bade-Wurtemberg, « l’Allemagne traverse, au petit bonheur la chance, la plus grande crise de l’Occident depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, à cause de ses politiques énergétiques et étrangères insensées... Les signes avant-coureurs se multiplient. Nous connaissons les sorties nettes de capitaux les plus élevées de l’histoire, et de plus en plus d’entreprises migrent vers d’autres pays. »
Détérioration des infrastructures
L’état des infrastructures de base (électricité, eau, transports, système de santé) se dégrade sous l’effet du déclin économique. Par exemple, le secteur des transports est négligé, notamment les chemins de fer. Pour compenser une maintenance réduite, la vitesse moyenne des trains a été fortement diminuée sur de nombreuses lignes. Sur les trains ICE, qui pourraient rouler à 250-300 km à l’heure, la vitesse ne dépasse bien souvent pas 120-160 km/h.
On compte 41 lignes à grande vitesse ou autres lignes principales qui ont urgemment besoin d’être réparées ou refaites à neuf, mais on ne peut pas le faire toutes en même temps, pour des raisons logistiques et financières. La Deutsche Bahn manque à la fois de capacités de construction et de main-d’œuvre. C’est pourquoi le ministère des Transports, qui a trop attendu, est contraint de fermer des lignes.
Deux lignes ICE ont été fermées pour plusieurs semaines à partir du 16 juillet : la ligne Cologne-Francfort et la ligne Francfort-Mannheim. Cette dernière est l’élément clé du service ferroviaire à grande vitesse entre le nord et le sud de l’Allemagne, et sa fermeture a affecté le transport ferroviaire de plusieurs pays voisins.
Augmentation des faillites
Au cours des six premiers mois de l’année, 11 000 faillites d’entreprises ont été enregistrées en Allemagne, soit une augmentation de 30 % par rapport à la même période de 2023. Le secteur des services a été particulièrement touché, avec 6500 faillites, une augmentation de près de 35 %.
Dans le BTP, les faillites ont également connu une forte hausse de 30 %, et de plus de 20 % pour les entreprises de manutention. L’industrie manufacturière accuse une augmentation de 21 %. En outre, il s’agit d’entreprises plus grosses qu’auparavant.
Patrik-Ludwig Hantzsch, directeur de la recherche économique de Creditreform, prévoit plus de 20 000 faillites en Allemagne cette année, ce qui dépasse les niveaux de la période COVID et pré-COVID (18 000 faillites d’entreprises en 2023 contre 18 830 en 2019). En juin, il constatait ainsi : « Au premier semestre 2024, les entreprises continuent de lutter contre les effets de la récession de 2023, les crises en cours et le faible développement économique de cette année. » L’ensemble de ces facteurs va « briser les reins de nombreuses entreprises. La stabilité des entreprises allemandes est actuellement plus précaire qu’elle ne l’a été depuis de nombreuses années. »
Vers une économie de guerre
Au lieu d’entreprendre de moderniser son économie, le gouvernement allemand s’aligne sur l’OTAN, les États-Unis et le Royaume-Uni pour pousser « l’économie de guerre ». Lors du sommet de l’OTAN qui s’est tenu à Washington D.C. du 9 au 11 juillet, Berlin a accepté le nouvel engagement d’expansion de la capacité industrielle de l’OTAN, prévoyant d’augmenter la production militaire et d’armement destiné à l’Ukraine.
Le 11 juin, le fabricant d’armes Rheinmetall a ouvert en Ukraine leur première installation commune de réparation de chars. Depuis, il a annoncé que son véhicule de combat d’infanterie Lynx serait également fabriqué sur place. Outre Rheinmetall, deux autres fabricants allemands sont présents en Ukraine, selon son ministre des Industries stratégiques, Oleksandr Kamyshin : le fabricant de chars KNDS Deutschland (anciennement KMW, Krauss-Maffai Wegmann) et Flensburger Kahrzeugbau GmBH, qui entretient et répare d’anciens chars, entre autres.
Le 17 juillet, le gouvernement de coalition a présenté son budget au Bundestag, avec ce qui semble être une modeste augmentation de 1,2 milliard d’euros du budget de la défense - bien moins que les 6,7 milliards d’euros réclamés par le ministre de la Défense Boris Pistorius. Mais il y a un hic : le ministère est autorisé à acheter pour plus de 10 milliards d’euros d’armes, qui devront être payés en 2028. On ne sait pas trop comment… On appelle cette astuce « crédit d’engagement », ou Verpflichtungsermaechtigung, et personne n’est dupe. « Nous devons être en mesure de faire la guerre à partir de 2029 », a déclaré Pistorius au Bundestag le 5 juin.
Plus délicat encore, certains volets d’un plan de défense secret ont été divulgués ce printemps, prévoyant que les fabricants pourront recevoir l’ordre de produire du matériel de guerre, en cas de besoin, et de réintroduire la conscription.
En outre, ces volets comprennent des descriptions fantaisistes de tâches civiles obligatoires. Dans l’hypothèse où les forces américaines devraient traverser l’Allemagne, les civils doivent en être informés à l’avance et des plans concrets, élaborés. Le lieutenant-général André Bodemann a déclaré dans une interview publiée en avril dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ), que « le convoi s’approvisionnerait en carburant dans des stations-services ou auprès de véhicules civils. La Croix-Rouge fournirait des soins médicaux et la nourriture proviendrait d’un traiteur civil. » Selon lui, « il s’agit d’un cas classique ».
Les diktats verts se poursuivent
La série de réglementations relatives au « Green Deal » et les réductions obligatoires de l’activité économique se poursuivent. Les exemples sont nombreux, émanant du gouvernement de Berlin et de l’UE. En Allemagne, la « loi sur le chauffage » interdit l’utilisation de combustibles fossiles dans les nouvelles habitations.
L’UE a décrété une nouvelle réglementation de la chaîne d’approvisionnement qui limite le commerce en prétendant respecter les normes de « durabilité » et les droits des travailleurs. Il est « hypocrite » et « scandaleux » que Berlin l’ait soutenu, a déclaré Christoph Ahlhaus, président de la BVMVV, l’association nationale allemande du Mittelstand, dans une interview publiée le 8 juillet par le FAZ. Les échanges commerciaux entre l’Allemagne et la Chine seront considérablement affectés.
Le 17 juin, les ministres de l’Environnement de l’UE ont voté la fameuse « loi de restauration de la nature ». Avec une minuscule marge de 1 % au-dessus des 65 % requis, la mesure relative au marché vert a été adoptée, imposant aux agriculteurs de mettre en jachère jusqu’à 20 % de leurs terres d’ici à 2030, sans aucune utilisation économique. Cette mesure vise à restaurer la « nature originelle » des marécages, des landes, des forêts et des lacs…