« L’Institut Pasteur était sous l’Occupation allemande la pharmacie centrale des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI)… (Il) a prêté en outre des sommes importantes aux mouvements de résistance ainsi qu’aux services de renseignement français. » AFP, 13 décembre 1944.
Dans les circonstances exceptionnelles de l’occupation allemande, les membres de l’Institut Pasteur sont confrontés à des responsabilités inattendues. En effet, le statut spécial des scientifiques en temps de guerre les a mis devant un fait accompli : l’accueil de médecins SS qui utiliseront leurs recherches sur le vaccin contre le typhus pour les expériences criminelles menés sur des détenus dans l’enfer de Buchenwald.
Pendant les années d’occupations, ils réussirent pourtant à ralentir des livraisons de vaccins aux troupes allemandes, et ceci, tout en stockant des médicaments destinés aux combattants de l’ombre dans les caves de l’Institut Pasteur. De plus, le président de cette institution, Joseph Louis Pasteur Vallery-Radot (PVR), entraîne avec lui 15 % de ses collègues dans les réseaux de la Résistance.
C’est un retour historique inédit sur le plus célèbre établissement de recherche français que nous livre Nicolas Chevassus-au-Louis dans sa dernière parution : La guerre des bactéries, l’Institut Pasteur sous l’Occupation, Editions Vendémiaire.
Juge et partie
Rien n’est simple en temps de guerre, mais plus encore, les jugements sont grinçants sur l’histoire de la collaboration, surtout lorsqu’ils sont fortement teintés par l’ambiance culturelle et politique dans laquelle baigne le rédacteur d’un article ou d’un livre sur le sujet.
C’est ainsi qu’en 2004, le jeune journaliste Nicolas Chevassus-au-Louis a consacré un livre à la vie scientifique sous l’occupation, tout à son rêve de « révélations sensationnelles » dans un esprit de critique politique de la science, avec « une vision quelque peu noire de l’attitude de la génération de mes grands-parents durant l’Occupation », précise-t-il. L’époque s’y prêtait et ce fut une vision largement servie par le cinéma de Claude chabrol dans « L’Œil de Vichy » ou d’Henri Rousso sur le « mythe résistancialiste ». Dans les années 90, ces derniers jetèrent une suspicion durable sur les figures les plus respectées de la Résistance, notamment au sein du journal Libération qui soumit le grand résistant Raymond Aubrac (1914-2012) à des entretiens inquisiteurs.
Néanmoins, il reste vrai que les thèses eugénistes entretenues dans le livre L’homme cet inconnu d’Alexis Carrel, prix Nobel de physiologie et de médecine, ont alimenté le discrédit sur nombre de savants. De plus, certains étudiants en sciences se sont laissé influencer par les analyses existentialistes du Mouvement de la critique politique radicale de la science, issu de Mai 1968, et de l’un de ses animateurs, Jean-Marc Lévy-Leblond, qui appelait à « la nécessité d’une intelligence publique des sciences, où se noueraient savoirs, recherche, culture et politique [...]. Afin de préserver d’authentiques discours scientifiques et éviter un fossé d’incompréhension entre les spécialistes et le grand public envers les sciences » [1].
Encore aujourd’hui, un monde de pseudo-scientifiques professe au sein des universités une « antiscience » et entretient la critique systématique et le doute permanent sur les chercheurs et la découverte scientifique.
Pourtant en 2010, Nicolas Chevassus-au-Louis reprend ses notes et constate que son point de vue s’est inversé :
Là où je m’indignais des livraisons massives de produits pharmaceutiques à l’occupant, je voyais des quantités, non moins massives, qui lui avaient été soustraites […] je me mettais à recenser les pasteuriens impliqués dans des organisations de la Résistance. [p.14]
Après enquête, c’est avec étonnement qu’il constate qu’au moins un sixième du personnel scientifique français s’est engagé dans la Résistance, une proportion considérable par rapport au reste de la population générale.
L’Institut Pasteur, 1939
15 mars 1939 : l’Institut Pasteur célèbre avec faste son cinquantième anniversaire. Mais les savants connaissent l’envers du décor. En effet, la maison de Pasteur, déclinante, est promise à n’être plus qu’un musée. Son sous-directeur, Gaston Ramon (1886-1963), se montre très critique et décrit l’institution comme une « coquille vide » dispersée dans une « poussière de laboratoires ».
Le déclin a commencé après la mort de René Vallery-Radot (1853-1933), gendre de Louis Pasteur et président du Conseil d’administration de l’Institut en 1933. Ce décès est rapidement suivi de la mort en 1934 de son sous-directeur, Albert Calmette, et de celle d’Emile Roux, directeur depuis 1904. Faute de direction, ces disparitions ouvrent la porte à une décentralisation excessive des activités en 35 laboratoires sur 12 sites en France, chacun disposant de sa propre trésorerie répartie sur 11 comptes bancaires différents qui échappent à toute investigation. Une véritable usine à gaz où chacun conserve précieusement sa caisse.
De plus, chaque laboratoire, travaillant pour ses propres intérêts, garde par devers lui les bénéfices de l’exploitation de ses découvertes qu’il revend à différentes firmes commerciales. Pire encore, certains laboratoires n’ont plus aucune activité et son personnel traîne, oisif, dans leurs locaux.
C’est un tableau accablant que décrit le roman policier La mort en blouse blanche d’Etienne Aleret (pseudo de Stefan Nicolau,1896-1967), collaborateur de l’Institut Pasteur dans les années 1930 :
La science n’est plus un apostolat ; c’est un métier qui doit ‘rendre’. Il faut y ‘arriver’, il faut acquérir du galon. Ce n’est pas en faisant des découvertes, c’est en faisant des publications… Qu’importe si plus tard vos ‘découvertes’ sont infirmées, vos ‘théories’ démolies puisqu’elles vous ont fait décrocher titres, fonctions, traitements. [p.43]
Bien que conscient du déclin de l’Institut, Gaston Ramon, « l’homme des anatoxines » qui ont permis la vaccination contre le tétanos et la diphtérie, n’a pas suffisamment de poids pour l’inverser et maintenir une activité centralisée. Le laboratoire ainsi dilapidé court à la faillite. En effet, relevant du droit privé, l’Institut pasteur ne peut compter que sur ses propres revenus, qui lui viennent principalement de la générosité de ses donateurs.
D’ailleurs, il faut ajouter au tableau que la IIIe République accuse un retard sur d’autres pays européens par les faiblesses de sa politique de santé publique et dans le domaine de la recherche. On soulignera notamment l’incapacité du gouvernement français à mettre en place une véritable politique vaccinale sur son territoire. Seule la montée en guerre en 1940 rendra indispensable la vaccination contre la variole et la typhoïde pour les soldats menacés par les épidémies, et ceci, malgré les oppositions politiques diverses.
Ce n’est pas sans ironie que nous rappellerons ici que Philippe Henriot, secrétaire d’Etat à l’Information et à la Propagande de Pétain, était un « antivax » virulent : « La défense de la race » est menacée par « ce complot contre le sang français », affirme-t-il.
Eh oui, il faudra attendre le gouvernement provisoire de De Gaulle et les initiatives du Conseil de la Résistance pour que soient mises en place la Sécurité sociale et les réformes attenantes dans la santé et la recherche.
L’institut Pasteur résiste aux sollicitations de l’Etat français et de l’occupant
En 1940, la nouvelle administration, avec son directeur Jacques Trefouël (1897-1977) et le président Louis Pasteur Vallery-Radot (1886-1970), redonne un souffle à l’institution tout en faisant fermement face à la collaboration pétainiste et à l’occupant nazi.
Dès son premier conseil, cette nouvelle administration institue « une simplification de l’organisation interne » ainsi que la fermeture de plusieurs petits laboratoires. Elle crée un registre des employés et un outil comptable centralisé jusque-là inexistant. Un tout nouveau conseil scientifique, largement épuré, est aussi mis en place en éloignant les éléments les plus collaborateurs avec l’occupant et surtout les employés menacés par la politique gouvernementale d’épuration des Juifs, pour les mettre à l’abri en zone libre et parfois même à l’étranger.
Certains chercheurs, comme Ernest Fourneau (1872-1949), devenus des relais de délation pour les autorités allemandes, sont mis à l’écart par la direction. Le délateur Albert Peyron (1884-1947) voit son laboratoire transféré à l’Institut du radium (codirigé par l’Institut Pasteur et l’Université de Paris) avant d’être radié le 24 octobre 1941 pour « manquement grave » au bon fonctionnement de l’institution. (p.83)
En pleine tourmente, les jeunes quarantenaires que sont Trefouël et Pasteur Vallery-Radot réussissent à maintenir à flot l’Institut Pasteur, malgré la pression des autorités allemandes qui tentent de détourner la production de leurs laboratoires au profit de l’armée nazie.
D’autres laboratoires, comme celui des physiciens du CNRS – en particulier Jean Perrin (1870-1942), Paul Langevin (1872-1946), Frédéric (1900-1958) et Irène Joliot-Curie (1897-1956) – tiennent tête à l’occupant. Au sein de l’INH (Institut national d’hygiène, futur Inserm), des personnalités comme leurs administrateurs Maurice Lemoigne (1883-1953) ou André Lemière (1875-1956), sont hostiles à toute intervention d’un Etat collaborationniste au sein de leurs établissements, malgré les menaces de nationalisation. (p.80-82)
Sous la pression de l’occupant
Le 22 octobre 1941, Leonardo Conti, ministre de la Santé du Reich, rend une visite on ne peut plus intéressée à Jacques Trefouël, lui proposant de collaborer avec les usines allemandes (notamment avec IG Farben) pour la production de vaccins et de sérums contre la diphtérie et le tétanos, prévoyant également la livraison en vrac des produits (anatoxines, vaccins, etc.), ce que l’Institut n’a jamais pratiqué pour des raisons de responsabilité morale vis-à-vis des produits. A juste titre, leur livraison en grands conteneurs nécessite une surveillance particulière pour en assurer la pureté. De plus, son statut de fondation d’utilité publique lui interdit toute relation avec une firme privée à but commercial.
Jacques Trefouël joue désormais de diplomatie, utilisant toutes les manœuvres dilatoires possibles pour retarder les livraisons vers le Reich et, sinon, diminuer les quantités à livrer. Pour ne rien laisser au hasard, il s’appuie sur le conseil de l’avocat Pierre Gide (1886-1964), cousin de l’écrivain André Gide et spécialiste du négoce international, L’Institut Pasteur fait appel à lui pour soutenir l’impossibilité, de par ses statuts, d’envisager des livraisons en vrac.
Un aller-retour juridique qui agace les autorités allemandes mais retarde la coopération réclamée par ces dernières. Jacques Trefouël avance avec tact : « Il me paraît possible d’envisager la livraison au gouvernement allemand d’ampoules fabriquées par l’Institut Pasteur », tout en prétextant l’impossibilité de produire en grande quantité les produits demandés.
Ce qui diminue considérablement la livraison, bien sûr, et qui impatiente les autorités du Reich qui devront s’habituer, malgré leurs divers moyens de pression, à des tractations difficiles et des livraisons retardées. En réalité, Jacques Trefouël s’efforce par tous les moyens de gagner du temps pour conserver la production de vaccins pour l’usage des Français.
Quand les épidémies s’en mêlent
En février 1942, une flambée de diphtérie débute en France, maladie souvent mortelle. Le gouvernement qui, jusqu’alors, retardait les vaccinations par idéologie, rend soudainement obligatoire la vaccination contre le tétanos et la diphtérie pour les enfants scolarisés. Il demande à l’Institut de produire en conséquence. Un texte de loi est adopté à la va-vite, sans se soucier de sa mise en application, c’est-à-dire de comment fabriquer et livrer les millions de doses de vaccin nécessaires pour les écoliers de douze classes d’âge.
A l’hiver 1942, le pays compte environ 5000 cas de contaminations par mois, avec une nette accélération début 1943. C’est là qu’on mesure le retard de la France en matière de prévention dans les mesures épidémiologiques et de santé publique. Le personnel est débordé et le service de santé public réorganisé, allant jusqu’à rappeler les retraités à la rescousse. Une vraie pagaille…
Malheureusement, ce n’est qu’à la fin de l’Occupation que l’Institut Pasteur parviendra enfin à produire les quantités de sérums et de vaccins, nécessaires à la population française pour faire face à l’endémie de diphtérie qui dura jusqu’à la fin de la guerre. En 1946, le gouvernement provisoire met en œuvre la vaccination effective de tous les enfants.
Face au typhus
Le souvenir cuisant de l’épidémie de typhus en Europe orientale (3 millions de morts en Pologne en 1920), juste après la Première Guerre mondiale, fait craindre aux autorités du Reich que les prisonniers russes du front de l’Est ne contaminent les soldats allemands. De même, le gouvernement de Vichy s’inquiète d’une possible épidémie parmi les centaines de prisonniers de guerre français entassés dans les stalags. Mais c’est surtout la peur d’une dissémination virale en France, via le retour de ces prisonniers libérés, qui mobilise les autorités. De plus la maladie est endémique en Afrique. En bref, une pandémie européenne de typhus est considérée comme hautement probable.
Or, la production de vaccins contre le typhus est lente du fait que la méthode employée en limite l’industrialisation. Sans entrer dans les détails, l’une des méthodes consiste à recruter des centaines de nourrisseurs de poux, acceptant de se voir imposer chaque jour des petites boîtes emplies de poux pendant deux heures sur les cuisses. Ce sont les intestins broyés de ces petites bestioles qui servent à une production de vaccins bien trop restreinte.
A la fin des années 1930, Paul Giroud et Paul Durand (des élèves de Charles Nicolle) de l’Institut Pasteur avaient mis au point une culture sur des poumons de mammifères. Mais ces méthodes n’ont jamais été testées en situation épidémique.
La Judenfieber
Les médecins hygiénistes allemands voient l’épidémie d’un autre œil : « Il faut révéler et isoler le Juif comme vecteur de la maladie. » Dans les années 1920, pour lutter contre la maladie, ils avaient inventé le gaz Zyklon, utilisé contre les poux des voyageurs en provenance de régions d’épidémie, et développé la crémation des corps des personnes décédées. Avec la montée du nazisme, le typhus est rebaptisé Judenfieber (fièvre juive). Dans le projet hitlérien, l’expansion vers l’Est nécessite de combattre la maladie… donc les Juifs. Un combat qui va passer à une phase industrielle : « Isoler, raser, doucher et traiter par un gaz dit hygiénique » dans des camps de concentration.
Evidemment, l’armée allemande réclame à l’Institut Pasteur de produire des vaccins pour ses soldats du front de l’Est. Jacques Trefouël se tourne alors vers le secrétariat d’Etat et demande que soient servis en priorité les prisonniers de guerre français :
Etant donné les difficultés matérielles auxquelles se heurte la production de vaccins, et le besoin immédiat de quantités massives pour prévenir l’extension des épidémies qui sévissent actuellement dans les camps de prisonniers et en Afrique du Nord, j’estime qu’il serait hautement souhaitable que l’Institut Pasteur conserve l’entière disposition des quantités déjà insuffisantes qu’il est à même de produire.
Il obtient gain de cause et en 1942, l’Institut crée un service typhus et démarre la production du vaccin Durand-Giroux. Jacques Trefouël ouvre un centre à Laroche Beaulieu, en zone sud non occupée, en profitant pour y mettre des chercheurs juifs à l’abri des rafles.
Mais la situation politique se durcit en 1943 avec l’arrivée de Pierre Laval (1883-1945) à la vice-présidence du Conseil d’Etat. Il contraindra l’Institut Pasteur à livrer à la Wehrmacht des vaccins contre le typhus, et ceci jusqu’en 1944.
Parallèlement, les médecins nazis ont créé des unités d’expérimentation au Bloc 46 de Buchenwald. Des essais sur des prisonniers de guerre soviétiques sont institués en espérant produire un nouveau vaccin, spécifiquement allemand, sur la base des découvertes françaises. Les expériences sont menées conjointement par la SS, la Wehrmacht, la société IG Farben et l’Institut Robert Koch. Les détenus sont délibérément infectés par le virus et utilisés pour maintenir les virus vivants à disposition. C’est une hécatombe.
Des scientifiques français prisonniers sont alors déplacés d’autres camps vers le Bloc 50 de Buchenwald et contraints de produire un vaccin selon la méthode Giroud. Ce qui sauvera la vie à certains d’entre eux, séquestrés dans ce camp de la mort. Le « Comité international clandestin » de Buchenwald voit le jour à l’été 1943 et n’aura de cesse de freiner la production de guerre allemande.
Pasteuriens et résistants
Si la direction de l’Institut Pasteur résiste clairement aux offres de collaboration économique, peut-on parler d’un Institut résistant ?
Sans aucun doute ! Dans les dossiers homologuant l’action dans la Résistance figurent 16 pasteuriens, dont trois chefs de service, sept chefs de laboratoire et six assistants, sur 112 membres du personnel. Il faut préciser qu’au sein de l’Institut, hormis quelques figures isolées dont la direction s’est débarrassée dès 1940, le personnel est très soudé et a soutenu les initiatives de la direction.
La participation des pasteuriens à la Résistance s’est déployée dans diverses directions et dans des organisations très variées comme le renseignement ou l’aide aux aviateurs américains alliés, dans le cadre du réseau d’évasion Shelburn. Ils servent aussi de boîte aux lettres et d’agents du renseignement d’Ile-de-France et Normandie, dans le réseau Cohors-Asturies.
D’autres s’engagent dans des actions tournées vers la propagande et le recrutement, en particulier Libération Nord et le Front national (rien à voir avec le parti actuel…). Ils participent même à des actions de combat pour la libération de Paris. Pour exemple :
Michel Macheboeuf (1900-1953), chef du service de chimie biologique, est d’abord agent du réseau SR-guerre, puis membre du Front national des médecins et du comité de rédaction de son journal clandestin Le médecin français, avant de participer aux combats de l’insurrection de Paris durant lesquels il reçoit une balle dans la cuisse. [p.136]
On peut aussi citer l’action du biologiste René Panthier (1915-1970), recruté comme assistant à l’Institut Pasteur, dans le service du typhus, et son ami Augustin Chabaud (service de la peste), qui ont participé à la création de l’Armée des volontaires, en zone nord. Cette dernière édite le journal clandestin Pantagruel. Ils font notamment partie d’une filière d’évasion d’aviateurs britanniques. Un tribunal militaire allemand a torturé et condamné à mort plusieurs membres de leur réseau, nommé après-guerre Groupe du Musée de l’homme. Ce qui décide Jacques Trefouël à envoyer Panthier en Algérie fin 1942. Panthier est de retour en France en mars 1943 pour reprendre contact avec la Résistance au sein du réseau britannique Jean Millet (pseudonyme de William Savy). Après la Libération, Panthier fera office de médecin dans l’armée française sur le front des poches de l’Atlantique.
Le dépôt pharmaceutique des FFI
C’est avec de solides complicités au sein du personnel de l’Institut Pasteur que Louis Pasteur Vallery-Radot (PVR) installe un dépôt pharmaceutique clandestin dans les caves de l’établissement. Fervent gaulliste et « membre de l’Organisation civile et militaire et de son réseau de renseignement Centurie, qui recrutait principalement parmi les membres de la haute bourgeoisie, PVR fait partie des pionniers de la lutte clandestine ». D’un caractère frondeur, il rompt publiquement avec certains collaborateurs notoires dès le début de la collaboration. Ce qui le pousse à la clandestinité dont il ne sortira qu’à la Libération.
Début 1943, PVR et son adjoint Paul Milliez (1912-1994) réunissent une centaine de médecins au sein de l’armée secrète du général Delestraint, leur chef depuis l’automne 1942. Proche des communistes, le Front national des médecins, dirigé par Robert Debré (1882-1978), forme le Conseil médical de la Résistance (CMR). Le CMR présidé par Louis Pasteur Vallery-Radot est une déclinaison médicale du Conseil national de la Résistance et se sert dans le dépôt pharmaceutique, créé par son président, dans les caves de l’Institut Pasteur.
Jacques Trefouël et son ami et collègue Frederico Nitti (1903-1947), arrivé en France après la prise de pouvoir de Mussolini en 1922, remplissent le stock de vaccins et médicaments de la Pharmacie centrale des Forces françaises de l’intérieur, avec le soutien d’autres membres du personnel.
La France a dû compter 300 000 résistants, dans un pays de 31 millions de plus de 15 ans (1 à 2 % de la population). Le pourcentage de résistants parmi les membres scientifiques français impliqués dans divers réseaux est estimé à 14 à 17 %.
Cette forte implication des pasteuriens dans les organisations résistantes mérite une explication. « L’extrême diversité des engagements résistants des pasteuriens est frappante (…) La famille pasteurienne vit à part, avec ses propres logiques, sa très forte cohérence interne (souvent renforcée par des liens familiaux), et ses valeurs et ses usages (…) elle est en mesure de résister par elle-même à une agression armée ». Fait important, elle se sent vraiment membre à part entière de la société dans laquelle elle vit. On ne défend bien que ce que l’on aime bien.
Au-delà de ses propres enfants, Louis Pasteur a transmis à toute sa famille ses valeurs patriotiques.
De précieux renseignements ont été fournis par les membres de l’Institut sur « les travaux allemands dans la guerre bactériologique » et « les conditions d’emploi par l’ennemi d’armes bactériologiques, typhus exanthématique, charbon, etc. ».
Les pasteuriens ont servi comme médecins dans les maquis ou dans Paris assiégé. Ils ont même organisé une attaque bactériologique au typhus sur des officiers allemands rassemblés dans une brasserie du XVe arrondissement pour célébrer Noël.
Une douzaine de membres de l’Institut Pasteur bénéficient d’un laisser-passer permanent et s’en servent pour des activités illégales avec la complicité de leur direction. Louis Pasteur Vallery-Radot écrit dans ses mémoires :
Nous avons, Milliez et moi, une grande reconnaissance au professeur Trefouël, alors directeur de l’Institut Pasteur, qui mit à notre disposition une cave de l’Institut, où nous nous rencontrions souvent la nuit pour mettre au point notre principal réseau clandestin.
La direction Trefouël mit un zèle particulier à défendre son personnel, engageant à ses frais l’avocat Jehan Burguburu pour défendre les chercheurs arrêtés par les Allemands durant l’hiver 1941-42. Ce parfait germaniste s’était spécialisé dans la défense des personnes arrêtées par les Allemands et obtint la vie sauve pour plusieurs condamnés.
Une défense devenue plus complexe avec l’arrivée de Laval en 1943 et malgré tous ses efforts, la direction de l’Institut Pasteur ne put cependant rien faire pour sauver des persécutions antisémites plusieurs membres de son personnel.
L’épuration
« Après la Libération, en septembre 1944, des comités d’épuration se constituent dans la quasi-totalité des entreprises et administrations de Paris libéré pour sanctionner les actes de collaboration commis sous l’Occupation », dans un cadre légal du gouvernement provisoire. L’Institut Pasteur étant de droit privé, il fait face à un vide juridique et ne relève pas de l’épuration administrative. Le Conseil d’administration de l’Institut Pasteur met alors en place un comité d’épuration indépendant, composé de 21 de ses membres. « Nous avons dû, nous aussi, constituer un comité de Libération, ainsi que le Général De Gaulle l’a demandé à toutes les administrations », explique Jacques Tréfouël.
Ce comité compte neuf chefs de service, dont André Lwoff et Frederico Nitti, et douze assistants ou chefs de laboratoire. Pasteur Vallery-Radot en tient la présidence.
Ils instruisent à charge, sur témoignages, dans six affaires impliquant un seul scientifique, Gaston Ramon, et le vice-président du conseil d’administration, accusés d’« avoir participé avec les Allemands à des réunions préparatoires à la création d’un institut de vaccination contre la fièvre aphteuse, rattaché à l’Institut Pasteur de Garches, dirigé par Ramon ». En effet, Emmanuel Leclainche (1861-1953) avait publié un article dans une revue scientifique allemande en 1941. Ils sont aussi accusés « d’avoir favorisé les entreprises de toute nature de l’ennemi » et d’en avoir tiré un bénéfice matériel. Le comité demande leur éviction de l’Institut. (p.163)
Rapportées aux plus de 600 personnes, dont 112 scientifiques, qui travaillent à l’Institut en 1944, ces mises en cause par le comité d’épuration constituent une proportion relativement faible, comparable à ce que l’on rencontre au CNRS, où 0,66 % du personnel scientifique et 1,7 % du personnel technique ont été accusés au moment de l’épuration.
Le cas d’Ernest Fourneau est plus difficile. En 1911, il a pris la direction du laboratoire de chimie thérapeutique de l’Institut Pasteur, qu’il conserve jusqu’à la Libération. Agé de 72 ans, il est prisonnier pour « atteinte à la sécurité de l’Etat », à la caserne des Tourelles. Il est gravement malade. La quasi-totalité du personnel scientifique de l’Institut signe une demande de libération. Otto Abetz et Friedrich Grimm, tous deux détenus en France, témoigneront que Fourneau n’a joué aucun rôle au sein de la section politique du groupe Collaboration, ce qui lui était reproché.
Tout a une fin et un début
L’institut Pasteur est sorti grandi d’une période de crise. Selon l’American Broadcasting Station in Europe, Jacques Trefouël peut se glorifier qu’« aucun de ses membres ne parte pour l’Allemagne ». Le président de l’Institut Pasteur, Louis Pasteur Vallery-Radot, devient secrétaire à la Santé du gouvernement provisoire de De Gaulle.
Aujourd’hui, l’Institut Pasteur reste de droit privé, mais est financé en grande partie par des fonds publics, dédiés à la recherche et à la santé publique. Souhaitons-lui longue vie.