Karel Vereycken : Monsieur Bécoulet, bonjour, très content de vous avoir au téléphone.
Alain Bécoulet : Bonjour Monsieur Vereycken. Si j’ai bien compris, vous êtes intéressé par ce qui s’est passé sur WEST, en lien avec les communiqués de presse qui sont sortis un peu partout vers le 15 mai.
C’est bien cela. Je vous donne mes impressions et vous me corrigerez : j’ai compris que Tore Supra [1] était un peu votre bébé ?
A vrai dire, j’ai été directeur de l’IRFM [2], avec Tore Supra dedans. S’il peut être considéré comme « mon bébé », c’est parce que sous mon ère, on l’a vraiment profondément modifié, puis appelé « WEST ». Avant moi, c’était le bébé de Robert Aymar. [3]
D’accord ! C’est le W qui fait tout : c’est un W pour tungstène. Ça absorbe moins que le graphite et rend donc la machine plus efficace ?
Tout à fait. C’est la modification majeure qu’on a faite avec WEST, on est passé d’une machine dite circulaire-limiteur [4] à une machine « à divertor ». [5]
Sur Tore Supra, l’action verticale du plasma était un cercle posé sur un limiteur graphite (CFC) et le plasma venait simplement le toucher.
Depuis quelques années, on savait qu’en s’amusant à faire un plasma en forme de D, ou en forme de poisson avec un point X (qu’on appelle un « divertor »), on obtient de bien meilleurs résultats de confinement de la chaleur et des impuretés, particules, etc.
Il était donc temps pour Tore Supra de changer pour se mettre dans des configurations plus performantes, et en même temps, il avait lui-même démontré que, pour ITER, on ne pouvait pas continuer avec le carbone (ce qui était son dessein initialement) et ITER avait alors changé pour se mettre en tungstène.
C’est à ce moment-là qu’on en a profité pour mettre un divertor tungstène refroidi dans Tore Supra. De plus, sa mission a toujours été, avant même qu’on parle d’ITER (on en parlait déjà depuis très longtemps), le développement et l’intégration de solutions technologiques, et pas tellement la performance-fusion.
Si l’on met du tritium dans Tore Supra, on ne va pas avoir grand-chose comme puissance : il est trop petit et pas assez puissant, d’une certaine façon, pour faire des réactions de fusion de manière notoire, mais par contre, il est tout à fait pertinent pour tous les développements technologiques (c’est quand même sur Tore Supra qu’a eu lieu le premier test, en grandeur nature et avec succès, des bobines supraconductrices qui sont maintenant celles d’ITER !).
C’est aussi Tore Supra qui a fourni les règles pour refroidir activement tous les composants face au plasma, y compris les diagnostics (instruments de mesure), etc., sans oublier des solutions de chauffage additionnel continu – au final énormément de technologies. Donc l’idée, dans le passage de Tore Supra à WEST, c’était de continuer dans la voie du « divertor en tungstène activement refroidi ».
Je crois que les Coréens aussi, avec KSTAR, avaient déjà....
Il y a plusieurs machines supraconductrices qui ont fait des avancées équivalentes, plutôt successives qu’en même temps, et qui ont inspiré les autres. En l’occurrence, avant de parler de KSTAR, la machine qui est la plus proche de WEST, sa petite sœur (vous allez sourire, mais ce n’est pas pour rien que je l’ai appelée WEST), c’est une machine qui a démarré (alors que Tore Supra fonctionnait déjà) à Hefei, en Chine, qui s’appelle EAST - sans aucune signification d’ailleurs. Les deux laboratoires ont énormément coopéré, autant sur les bobines que sur les composants face au plasma, etc.
J’ai choisi le nom WEST parce qu’on voulait changer le nom de Tore Supra, pour le rajeunir et marquer le fait qu’on faisait cette technologie ; on l’a donc appelée WEST, une sorte de machine-sœur de EAST, et les deux machines travaillent vraiment de concert (EAST a maintenant installé un divertor tungstène, par exemple). Même une partie des modifications réalisées dans WEST ont été faites en coopération, en partenariat, avec la machine EAST, avec l’Académie des sciences de Chine qui nous a fourni des éléments, en particulier les alimentations de puissance pour les bobines de divertor, les nouvelles antennes ICRH, etc. On a fait faire tout ça par les Chinois. [6]
C’est extraordinaire que ce genre de coopération puisse encore avoir lieu dans ce monde de conflits...
C’est vrai ! Concernant KSTAR, c’est une machine assez similaire, mais que je qualifierais de moins pionnière. Elle arrive seulement maintenant dans ce genre de monde. Elle a pris beaucoup de retard – ce n’est pas pour blâmer, car vu que les équipes sont plus petites, c’est plus difficile - ce qui ne nous empêche pas de beaucoup coopérer avec KSTAR. Sa seule vraie différence par rapport à WEST réside au niveau des bobines, qui sont toutes à l’intérieur d’un seul cryostat (système de réfrigération), comme pour ITER, alors que dans Tore Supra, quand on l’a fait, les bobines étaient chacune dans un cryostat particulier.
Pour résumer : aujourd’hui les grandes machines supraconductrices qui accompagnent le projet ITER, c’est WEST, EAST, KSTAR et maintenant la nouvelle machine JT60SA qui vient d’entrer en fonctionnement au Japon. Elle a la taille du JET (à Culham, au RU) en supraconducteur, mais n’a pas encore, et ce pour plusieurs années encore, d’environnement tungstène. Elle n’est donc pas encore complètement dans un monde aussi pertinent, mais elle arrive ! Et comme elle est plus grosse, elle sera probablement plus performante que les machines EAST, WEST, etc.
La presse, et le communiqué officiel, rapportent qu’il y a un gain de 15 % de l’énergie produite - qui reste moindre que l’énergie dépensée pour la réaction - et en même temps, ils parlent d’un doublement de la densité du plasma…
Attention ! Les machines comme WEST, EAST, KSTAR, ne feront jamais de puissance-fusion, pour au moins deux bonnes raisons : 1/ elles sont trop petites ; 2/ elles ne sont pas faites pour y mettre du tritium. On ne fait donc pas de fusion dans ces machines.
Aussi, attention aux gains en énergie et autres, ce sont des gains en énergie stockée à l’intérieur de la machine, mais pas du tout en énergie fournie, en énergie produite par une énergie de fusion.
Ce n’est pas encore le « break-even » (lorsque l’énergie produite dépasse celle de la réaction) ?
En fait, on améliore le confinement et on fait monter le temps de confinement. Ça améliore d’autant la possibilité de faire de la fusion, mais on ne s’amuse pas à faire de la fusion dans ces machines-là, elles sont trop petites et pas assez performantes pour ça, notamment au niveau du plasma de cœur.
Par contre, on les utilise parce qu’elles ont des caractéristiques très voisines d’ITER dans leur plasma de bord, c’est-à-dire le plasma qui est dans le plasma, en interaction justement avec les structures comme le tungstène, etc. C’est pour ça qu’elles sont très intéressantes, et comme ce sont des machines qui peuvent faire des plasmas de très longue durée, les tests faits dans ces machines sont parfaitement pertinents pour ITER.
Je reviens donc sur l’une de vos questions, à savoir en quoi cela fait avancer les promesses d’ITER. ITER se construit, on est en train de manufacturer des choses, mais ITER est une espèce de gros gourmand demandant sans cesse : « Pouvez-vous continuer la recherche ? pouvez-vous me dire si c’est bon ? pouvez-vous me dire si je vais trouver un problème ? » etc. Évidemment, on est dans des choses qu’on n’a jamais testées, donc tout ce qu’on peut tester, tout ce qui peut nous déboguer est le bienvenu. Du coup, ces machines-là, en particulier WEST et EAST, nous aident à nous conforter, à la fois en termes de design et de solutions de fabrication : un divertor comme l’actuel divertor tungstène refroidi, il marche ! Et ce que vient de démontrer WEST - par rapport à la dernière fois où il a fait de très grandes performances, notamment en durée, avec la configuration Tore Supra, sur limiteur carbone - il l’a fait dans des conditions encore plus pertinentes, grâce à un divertor tungstène.
Ils ont donc fait 364 secondes, soit 6 minutes et 4 secondes, avec une énergie injectée de 1,15 GJ, une température stationnaire de 50 millions °C (4 keV), ainsi qu’une densité électronique deux fois supérieure à celle des décharges obtenues dans la configuration précédente du tokamak, celle de Tore Supra.
Cependant, ce qui est vraiment nouveau et très important pour ITER, c’est que ces machines font cela avec des composants face au plasma qui sont les mêmes qu’ITER. On a fait très attention à ce que le divertor de WEST ait exactement la même technologie que celui d’ITER. Voilà comment on teste cette technologie, sur des durées et des flux de puissance arrivant sur ces composants qui sont très pertinents, car représentatifs des conditions dans lesquelles ils vivront dans ITER.
ITER devient donc une expérience scientifique mondialisée, décentralisée et centralisée en même temps.
ITER est l’endroit où l’ensemble de la connaissance mondiale en fusion se synthétise, mais ce processus ne s’est pas arrêté le jour où l’on a signé le traité, ça se synthétise tous les jours !
On continue à alimenter ITER avec des résultats scientifiques et techniques. Par exemple, si une machine nous dit « attendez, vous avez fait ça, mais nous on trouve des résultats qui, maintenant, en ayant travaillé davantage, sont différents », on regarde ça avec beaucoup d’attention, pour savoir s’il y a des impacts ou pas. En permanence, on est en relation avec tous ces gens-là, pour savoir ce qui sort des labos, des expériences, des simulations, et savoir si oui ou non il y a un impact pour ITER, auquel cas on est capable de rectifier selon l’ampleur des choses.
Ce partage des données de la coopération doit se faire dans des conditions de grande confiance ?
De totale confiance même, dans une totale transparence : c’est une communauté scientifique qui marche, qui travaille comme une communauté scientifique, sans a priori, sans arrière-pensée ou autre.
Un peu comme les astronautes de la station spatiale ?
Tout à fait. On a l’habitude de dire que dans le temps, ça allait de soi. Maintenant, c’est vrai que c’est devenu presque surprenant. S’il y a un résultat dans une machine russe ou chinoise, on y a accès et puis on comprend, on travaille, on discute avec eux, c’est vraiment très ouvert.
Voilà qui est très prometteur.
Il nous faut lutter contre les journalistes qui adorent se demander s’il y a de la compétition, s’il y en a un qui a gagné ou je ne sais quoi encore... On n’est absolument pas là-dedans, on est dans un développement coopératif scientifique. Tout le monde travaille dans son coin, certes, mais pour tout le monde ! Il n’y a pas de « moi je sais, nananère ! » Non, tout cela n’existe pas dans le monde de la fusion.
Dans l’article que je prépare pour Nouvelle Solidarité, je conclus en disant que le grand problème d’ITER, c’est qu’il n’y en a qu’un seul !
C’est presque vrai. Ce n’est pas « le grand problème », mais c’est quelque chose qui, effectivement, ne favorise pas l’accélération. La compétition favorise l’accélération, on est d’accord.
Les Chinois ont quand même six réacteurs de fusion...
Attention, ce ne sont pas des « réacteurs », méfiez-vous du vocabulaire ! Ce sont des tokamaks, ce sont des expériences plasma, toutes beaucoup plus petites. La plus grosse dont je vous parlais, au Japon, est dix fois plus petite qu’ITER !
Il y a aussi des start-ups et autres, qu’on est en train de recevoir ici (au centre du CEA à Cadarache, en France) pour trois jours. Elles sont une cinquantaine, en bas dans l’amphithéâtre, à discuter avec nous. Tous sont persuadés qu’ils font des réacteurs, mais non ! Ils ne font que des expériences, des manips, des prototypes expérimentaux. Oui, même ITER n’est pas un réacteur. Attention, le sens du mot « réacteur », c’est le sens de producteur d’électricité, d’énergie, et on n’en est pas là ! Celui qui vous vend un réacteur, vous pouvez lui éclater de rire au nez, parce que ce n’est pas vrai, et ça le restera encore pour un bon moment.
Concernant l’étape réacteur, on commence à peine à aborder, justement avec ITER, l’étape de transition vers l’industrie. C’est ce qu’on fait aussi ces jours-ci, on s’intéresse à comment transférer le savoir des laboratoires (et ITER est le laboratoire mondial, au vrai sens du terme, au sens laboratoire public de recherche) vers les industriels qui vont devoir faire des réacteurs. Mais l’échelle de temps, ici, ce n’est pas la semaine prochaine !
Votre véritable concurrent ne serait-il pas le National Ignition Facility (NIF) ? [7]
Non plus ! Car avec les Américains, c’est d’une certaine façon encore pire, parce qu’ils sont encore moins développés dans leur recherche publique, c’est très loin de la maturité. Ils ont fait une fois une démonstration dans une machine qui n’est pas prévue pour ça, etc.
Si on voulait aller depuis le NIF jusqu’au réacteur, il faudrait déjà rattraper tout le retard accumulé depuis à peu près l’état où était la fusion magnétique avec les grandes expériences du JET en 1997. Il y a donc presque 30 ans de différence pour atteindre des niveaux de maturité technologique, d’intégration, de maturité globale pour aller vers le réacteur. Et nous aussi, on est encore loin d’approcher le réacteur.
Concernant les concurrents, honnêtement, au jour d’aujourd’hui, personne ne se sent concurrent, et ce n’est pas une plaisanterie : que le meilleur gagne ! Le problème est tellement compliqué, et l’enjeu tellement important, que pour celui qui aura la solution, on se lèvera tous ! Il n’y a pas, mais vraiment pas du tout, cette idée compétitive.
On commence à voir, avec ces nouvelles start-ups, des gens qui disent « oui, mais nous on va vers des solutions industrielles, donc on va peut-être développer des brevets qu’on ne va évidemment pas vouloir révéler ou vendre ». Dont acte ! Quoi qu’il en soit, s’ils savent faire l’une des briques technologiques et qu’elle ait un brevet, tant mieux pour eux. Ce n’est pas ça qui va empêcher de discuter. Un brevet, une fois déposé, ce n’est pas un secret, c’est simplement quelque chose qui vous appartient et que vous pouvez mettre sur la place publique. Celui qui l’utilise va juste devoir payer pour, c’est tout. Ce n’est donc pas non plus une guerre.
Le problème est vraiment extrêmement compliqué, et on est en train, maintenant, d’entrer dans le monde préindustriel de la chose, ce qui est très passionnant, n’est-ce-pas ? J’ai commencé ma carrière en tant que théoricien il y a 35 ans, je peux vous dire qu’on était avec la calculette et même pas encore sur l’ordinateur.
A présent on est dans :
- une démonstration de faisabilité complète de l’ensemble du système avec ITER, qui est d’une certaine façon l’objectif final de la recherche publique fondamentale ;
- le moment où l’on va dire « voilà la grande recette, maintenant à vous de l’industrialiser, de l’améliorer, de la rendre économiquement viable, etc. ».
Mais il faut encore qu’ITER démontre qu’on y arrive. Moi j’y crois, bien qu’on soit toujours en train de construire la machine et qu’on n’ait pas encore fait de plasma ! Là aussi, sur le papier, c’est toujours beau...
Quels sont, d’après vous, les derniers obstacles ? Que peut faire de plus la puissance publique des différents États ?
Je vous encourage à être vigilant jusqu’aux mois d’octobre-novembre, car alors l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIAE) va émettre un document stratégique, préparé par nous tous - et j’en suis l’une des chevilles ouvrières. Il s’agit d’un document stratégique mondial sur le développement vers l’énergie de fusion, c’est-à-dire la production d’énergie par la fusion.
C’est un document très intéressant qui balaye, en une vingtaine de pages, l’ensemble des aspects réglementaires, technologiques, scientifiques, industriels, tout ce que vous pouvez rêver : il y a tout dedans !
Et il y a des indications essentielles sur les défis qui se posent à cette communauté, qu’on est en train de faire muter d’une communauté purement de recherche publique vers une communauté mixte publique-privée, qui va vers l’industrie, et sur ce qu’il reste à faire à cette communauté, concernant la réglementation nucléaire, l’industrialisation, le travail sur l’efficacité globale de tous les sous-systèmes, sur la disponibilité (un réacteur ne peut pas fonctionner que trois minutes par jour, il doit travailler 24 heures sur 24 pendant 40 ans).
Ce document stratégique, qui sera émis par l’Agence internationale, doit permettre à tous les acteurs - je dirais presque « extérieurs » : les investisseurs, la presse, les politiques, etc. - de comprendre où en est la fusion et ce qu’il reste à faire.
C’est donc un document assez ambitieux, dont l’objectif, pourtant si élevé, est rendu simple et lisible pour une fois. Nous avons fait des efforts à cette fin, et je pense qu’on y est arrivé. C’est vraiment un condensé : chaque paragraphe porte sur 40 ou 50 ans de recherche (!), mais je pense qu’il est compréhensible. Pour l’instant, il est en train d’être mis en forme par l’AIEA et paraîtra au début de l’automne.
Très bien.
Alors, que reste-t-il à faire pour la fusion ?
- Certaines briques technologiques. Il y a des choses que même ITER ne fera pas, comme la démonstration complète de la fermeture du cycle du tritium - comment fabriquer le tritium et comment le brûler vraiment sur place. On va faire quelques démonstrations, mais on n’a pas encore le cycle complet et on ne l’aura pas uniquement avec ITER.
- Les matériaux. Puisque la fusion magnétique génère des neutrons très énergétiques, et en génère beaucoup, une machine comme ITER, faite pour vivre un certain temps avec un certain rythme de plasma, n’a aucun problème pour survivre à ces neutrons. Mais si on faisait le même ITER qui fonctionnerait pendant 40 ans 24 heures sur 24, ses matériaux ne tiendraient pas le choc. Il faut en trouver d’autres, faire de la Recherche et Développement sur les matériaux.
- Cela nous amène à la maintenance : comment apprendre à intervenir dans ce genre d’objets sans trop perturber, travaillant avec la robotique et l’intelligence adaptées, afin de comprendre ces systèmes extrêmement complexes. Donc il faut aussi arriver à les modéliser. Certains éléments sont très difficiles à fabriquer, il faut réfléchir à comment travailler dans le design pour que les industriels aient moins de difficultés à faire ce qu’on leur demande.
- Il y a aussi la réglementation nucléaire.
Ce nouvel appareil de mesure qui vient d’être démontré sur WEST, est-ce vraiment une avancée ?
Les premiers à communiquer sur ce résultat de WEST ont été les Américains, ça m’a surpris, mais pourquoi pas...
Oui, ça m’a étonné aussi.
A cause d’une malheureuse phrase au début de leur article, on a eu l’impression que WEST était une machine du laboratoire de Princeton !
C’est vrai.
Je vous ai parlé de la collaboration avec la Chine. Quand j’ai créé WEST, on a fabriqué un processus collaboratif et partenarial qui est même presque plus ambitieux qu’ITER. Nous avons partenarisé une trentaine de laboratoires dans le monde pour nous aider à faire WEST. C’est ainsi devenu une espèce de machine internationale, opérée sans problème par le CEA, mais une machine internationale, et on a joué le même rôle qu’ITER. On a essayé de faire ce qu’on appelle la fourniture en nature - vous avez parlé des Chinois, qui nous ont donné des alimentations de puissance, des antennes de chauffage, etc., et il y a comme ça beaucoup de pays : les Indiens nous ont fabriqué et fourni des choses, et en l’occurrence le laboratoire de Princeton a conçu, fabriqué et installé un diagnostic. Ce que vous appelez un instrument de mesure est en fait une avancée qu’on teste sur la machine, et les Américains, ou les gens de Princeton, peuvent dire maintenant « voilà, on sait faire ça. La preuve, on l’a testé là et là, etc. ». Ces grands instruments de recherche, en particulier de la fusion, vous pouvez les voir comme des bancs de test pour plein de choses.
Vous avez une machine qui finalement fait du plasma ? C’est un peu comme le CERN, où vous avez un accélérateur de particules qui accélère des particules, puis vous avez plein de gens qui viennent regarder, mettre des particules, les faire collisionner comme ceci, les mettre dans tel détecteur, leur faire faire quelque chose, et exploiter la science qui va avec.
Un tokamak, c’est aussi une sorte de banc de test, pour tester des composants face au plasma, faire des diagnostics, des systèmes de chauffage, etc. Donc ça se prête bien au partenariat, parce que vous avez une unité centrale, un opérateur central qui va faire le gros de la machine, rectifier les bobines ou les enceintes, etc., et ensuite, vous pouvez avoir énormément de gens qui viennent contribuer à une brique qu’on va mettre dans cette machine.
Et WEST fonctionne avec la Chine, avec la Corée, avec beaucoup de laboratoires français (les laboratoires du CNRS et des universités qui nous amènent des diagnostics ou tout simplement des simulations), avec les États-Unis, l’Inde et beaucoup d’autres pays. On a un comité directeur pour cette machine. Ce n’est pas simplement le CEA qui décide de son plan expérimental. Une fois par an, les gens de tous ces labos se réunissent pour examiner ce qu’on a fait et ce qu’on veut faire avec cette machine. Retenez que ce sont toujours des contributions intégrées, qui mélangent la technologie et la physique.
C’est magnifique ! Merci pour vos réponses qui nous ont montré le processus global et partagé, en vue d’un monde plus pacifique.
On essaye... La diplomatie scientifique, on y croit ici. Elle n’est pas facile, pas plus facile que la diplomatie normale, mais ça existe, c’est un aspect auquel on croit et que l’on démontre tous les jours. On montre que ça existe et que ça contribue aussi, effectivement, à la progression de la planète, même si parfois c’est plus difficile... J’ai l’habitude de la comparer à la diplomatie sportive ou artistique : les Jeux olympiques, ça ne devrait pas tourner au vinaigre comme c’est en train de le faire, ça n’a pas de sens.
Merci et félicitations, on est fier de vous et de vos équipes. Continuez la bataille !
Merci beaucoup.
A bientôt, au revoir.