Note : cet article a été écrit avant le 29 mai 2024, jour où Emmanuel Macron a fait une déclaration catastrophique, donnant son accord à l’Ukraine pour utiliser des missiles français pour frapper le sol russe.
Avec les « BRICS plus », c’est-à-dire ses pays fondateurs (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), désormais rejoints par l’Égypte, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, l’Éthiopie et l’Iran, proposition est faite au monde de tourner la page de l’ère coloniale, de mettre fin à l’Empire anglo-américain qui, avec son dollar et ses forces militaires, terrorise et pille les ressources économiques de la planète depuis la chute du Mur de Berlin, et de créer un monde de nations souveraines, coopérant ensemble pour assurer leur développement économique et la paix.
C’est ce qui a été appelé l’ordre mondial « westphalien », issu de la paix de Westphalie qui mit fin, en 1648, aux guerres de Religion menées par les Empires de l’époque, dont le bilan s’est soldé par 4 à 7 millions de morts. Outre la liberté religieuse, ce traité décréta le pardon de toutes les offenses commises durant ces guerres et établit la souveraineté des Etats pour assurer le bien-être de leurs populations, mais aussi « l’avantage d’autrui », valorisant la coopération entre les Etats.
Il y a 60 ans, naissance d’une coopération entre deux nations souveraines
La visite de Xi Jinping en France, les 6 et 7 mai, ne pouvait tomber à un meilleur moment, dans une Europe embourbée dans une guerre en Ukraine très coûteuse pour ce pays, mais aussi pour les populations européennes : augmentation massive des prix de l’énergie et du coût de la vie, invasion de produits agricoles ukrainiens qui ruinent nos agriculteurs. Une situation au bord de dégénérer en nouveau conflit mondial !
Or, cette guerre n’est pas européenne. Elle a été provoquée et alimentée par les pouvoirs anglo-américains sur notre territoire, dans l’objectif avoué de détruire la Russie. La publication par de grands journaux occidentaux – Wall Street Journal, Die Welt et Le Figaro – de l’accord de paix que Russes et Ukrainiens s’apprêtaient à signer en avril 2022, avec des conditions bien meilleures pour Kiev que celles d’aujourd’hui, prouve qu’on aurait pu mettre fin à cette guerre quelques semaines après le début de l’intervention russe. Ce traité imposait la neutralité à l’Ukraine (pas d’adhésion à l’OTAN et pas d’armes de l’OTAN stationnées en Ukraine) mais sans lui interdire d’adhérer à l’UE. Si la Crimée restait russe, rien n’avait encore été décidé à propos du Donbass.
Il est aujourd’hui attesté que c’est le Premier ministre britannique de l’époque, Boris Johnson, qui, lors d’un voyage express à Kiev, en avril 2022, a fait pression sur les autorités ukrainiennes, leur promettant des armes pour gagner la guerre. Promesses réitérées auprès du président Zelenski par les chefs du Département d’Etat américain et du Pentagone, Anthony Blinken et Lloyd Austin, à Kiev, en avril 2022.
Une France, puissance d’équilibre ?
Or, c’est précisément pour faire face à une situation où deux blocs sont lancés l’un contre l’autre qu’en 1964, la France de Charles de Gaulle et la Chine de Mao Zedong et Zhou Enlai ont noué des relations diplomatiques. Deux nations souveraines prêtes à intervenir ensemble pour trouver une solution pacifique quand les rapports de force de la géopolitique menacent de conduire le monde à l’abîme. A l’époque, l’affrontement opposait l’Union soviétique et les Etats-Unis. Aujourd’hui, il met aux prises les Etats-Unis et une Russie répondant en Ukraine aux provocations américaines.
Si, de facto, Emmanuel Macron a jusqu’ici fait preuve de servilité vis-à-vis des Etats-Unis, allant jusqu’à envisager l’envoi de troupes au sol en Ukraine, il a parfois aussi théorisé et annoncé sa volonté de refaire de la France ce qu’elle a été sous de Gaulle : une « puissance d’équilibre » entre les blocs. Au début du conflit, il avait engagé le dialogue avec Vladimir Poutine. Plus tard, alors que le camp occidental pensait pouvoir l’emporter haut la main, il avait même plaidé pour que l’on évite d’humilier la Russie. Depuis, il a abandonné ce dialogue.
Mais c’est avec la Chine, et porté par la hauteur de vue d’un Charles de Gaulle qui, en ouvrant les relations diplomatiques avec elle, reconnaissait avec admiration qu’elle pourrait retrouver un jour son ancien statut de principale puissance mondiale, qu’Emmanuel Macron a semblé être au plus près de faire rejouer à la France ce rôle historique de puissance d’équilibre.
Eviter la logique de blocs
Dans cette optique, la visite à Paris du président Xi Jinping a été propice. Lors de la conférence de presse conjointe des deux chefs d’Etat, M. Macron a évoqué sa volonté d’« éviter la logique des blocs ». Par ailleurs, s’il a réitéré son soutien à l’Ukraine, il a précisé que la France n’était pas pour autant « en guerre contre la Russie et le peuple russe » et « n’a pas non plus une approche consistant à changer le régime en Russie ».
Au niveau des relations entre la Chine et l’UE, Macron est resté, là encore, hors des blocs. Lors de la réunion tripartite avec Ursula von der Leyen, il a rejeté la logique de découplage et de guerre prônée par les Etats-Unis :
La situation internationale (...) nécessite plus que jamais ce dialogue euro-chinois (…), qu’il s’agisse des échanges économiques, avec une logique de découplage qui serait néfaste, ou de notre responsabilité à assurer des règles équitables pour tous.
Dans cet élan, et constatant que la France a un déficit commercial de 46 milliards d’euros (qu’elle s’est engagée à résorber) avec la Chine, il l’a invitée à investir en France, pour rattraper son déficit en matière d’investissements directs (IDE), la France ayant investi trois fois plus en Chine que réciproquement.
Si la visite de Xi Jinping était essentiellement politique, la France a fait savoir qu’elle était intéressée par des investissements chinois en France dans les batteries électriques, et par de plus grandes ouvertures à la vente de cosmétiques et de produits agricoles français en Chine.
Dans ce dernier domaine, des accords ont été signés portant sur l’exportation des abats blancs de porc, dont les Chinois sont friands, contrat qui pourrait représenter une augmentation de 10 % des échanges français et 26 milliards d’euros de bonus pour nos agriculteurs qui en ont bien besoin.
Autre accord signé : deux grands crus de Bourgogne, Mâcon et Gevrey-Chambertin, ont vu leur appellation contrôlée reconnue, ce qui ouvre la voie à la reconnaissance de tous les vins de Bourgogne.
En cette occasion, la France a inauguré ce que certains ont appelé la « diplomatie de la courtoisie ». Une fois la relation d’amitié clairement établie, les deux parties peuvent aborder avec sérénité les domaines où leurs intérêts s’opposent. Macron a ainsi soutenu les enquêtes de l’UE sur les subventions d’État accordées par la Chine à ses constructeurs de voitures électriques.
En outre, il a obtenu de la Chine qu’elle sursoit aux sanctions annoncées contre le cognac, jusqu’à ce que l’enquête pour dumping ouverte par Beijing contre les exportateurs d’eaux de vie européens ait été menée à son terme.
Quatre déclarations conjointes
En conclusion de la visite, des déclarations conjointes ont été émises sur des domaines où les deux pays comptent développer leur coopération :
- la paix au Proche-Orient, où leurs positions convergent sur la nécessité d’un cessez-le-feu immédiat, l’ouverture de négociations de paix et la création de deux Etats, vivant côte à côte dans les frontières de 1967 ;
- l’Intelligence artificielle (IA), où les deux pays s’engagent à collaborer au plus haut niveau, la Chine invitant la France à son Congrès mondial de l’IA de 2024, et la France lui rendant la politesse pour le Congrès qu’elle organise en 2025 ;
- les questions agricoles ; et
- une coopération renforcée sur la biodiversité et l’océan.
Une dissidence française ?
Cette approche constructive envers la Chine a aussitôt provoqué des cris d’orfraie chez les journalistes atlantistes, tels qu’Isabelle Lasserre, du Figaro, qui déplorait le 6 mai que « le président français le répète dans presque toutes ses interventions :‘La France refuse de s’enfermer dans une logique de blocs’ ». La Chine, s’indigne-t-elle, est « sensible » à ce discours que « Pékin interprète comme une volonté française de se distancier de ‘l’ennemi’ américain et de son ‘bras armé’, l’Otan ».
Les États-Unis demandent de manière insistante aux Européens de se montrer plus fermes vis-à-vis de la Chine, à l’origine, selon eux, de la reconstitution de l’industrie d’armement russe. (...) Mais comme de nombreux Européens, Emmanuel Macron veut garder une politique ‘propre’, indépendante de la position américaine et moins ‘confrontationnelle’ envers Pékin.
Lasserre conclut sa diatribe en rappelant qu’en avril 2023, alors que Macron développait sa stratégie d’« autonomie stratégique européenne », il
avait choqué ses partenaires en affirmant, de retour d’un déplacement en Chine, que l’Europe ne devait pas faire preuve de ‘suivisme’ vis-à-vis des États-Unis à propos de Taïwan. Défendant une ‘troisième voie’, il avait donné l’impression à certains d’inciter Pékin à reprendre le contrôle de l’île…
Notons enfin que c’est pendant cette visite des 6-7 mai qu’on a appris, à la grande fureur du Monde, que la France avait dépêché son ambassadeur en Russie, Pierre Lévy, à la cérémonie d’investiture de Vladimir Poutine, boudée par tout le G7 !
Quant à nous, face au danger d’une nouvelle guerre mondiale, possiblement nucléaire, et sans oublier pour autant tous les « en même temps » du Président, nous nous permettons de l’encourager à persévérer dans cette voie gaullienne, la seule à pouvoir nous conduire à bon port.
De Gaulle et la Chine
Histoire d’une amitié
En 1949, la France ne reconnaît pas la République populaire de Chine et ne maintient ses relations diplomatiques qu’avec le gouvernement de Tchang Kaï-Chek réfugié à Taïwan.
Toutefois, tous les contacts ne sont pas coupés entre la France et la RPC. (…) les accords de Genève (1954), destinés à régler le conflit indochinois, sont négociés entre le Premier ministre et ministre des Affaires étrangères chinois, Zhou Enlai, et le président du Conseil français, Pierre Mendès France.
Mais c’est le général de Gaulle (…) qui va donner une nouvelle orientation aux relations franco-chinoises. Cette orientation est à mettre en relation avec sa politique étrangère. Trois grands principes la régissent : indépendance, grandeur et réalisme.
Ainsi, dès le 6 juin 1962, de Gaulle confie à Alain Peyrefitte, futur porte-parole du gouvernement en 1963-1964, que la politique de cordon sanitaire préconisée par la Grande-Bretagne à l’encontre de la Chine est dangereuse et qu’
il se pourrait bien qu’un jour ou l’autre, [la France] soit amené[e]s à [la] reconnaître et à donner l’exemple au monde.
Les indépendances de l’Indochine en 1954 et de l’Algérie en 1962 lèvent les obstacles géopolitiques au rapprochement franco-chinois, la France n’étant plus alors considérée comme un Etat colonial par la Chine.
En octobre-novembre 1963, Charles de Gaulle envoie l’ancien président du Conseil Edgar Faure en Chine, comme son représentant, afin de préparer la reconnaissance avec les dirigeants chinois.
Lors du Conseil des ministres du 8 janvier 1964, de Gaulle expose ses arguments en faveur de la reconnaissance par la France de la République populaire de Chine :
La Chine est un chose gigantesque. Elle est là. Vivre comme si elle n’existait pas, c’est être aveugle, d’autant qu’elle existe de plus en plus. [...] La Chine meurt d’envie d’être reconnue […].
Le 27 janvier 1964, la France et la Chine établissent des relations diplomatiques.
Source : Fondation Charles de Gaulle