Israël et les USA se mettent hors-la-loi

mardi 28 mai 2024


En quelques jours, face à l’aggravation de la situation à Gaza et au jusqu’au-boutisme suicidaire de Netanyahou et sa clique, les événements se sont précipités : lundi 20 mai, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a déclaré qu’il considère que la responsabilité pénale de trois dirigeants du Hamas est engagée pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Dans une deuxième requête, il pointe la responsabilité pénale de Benjamin Netanyahou, le Premier ministre d’Israël, et de son ministre de la Défense, Yoav Gallant, également pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Si les juges de la CPI confirment les accusations, des mandats d’arrêt internationaux seront lancés contre les accusés.

Ensuite, le 24 mai, la Cour internationale de justice de la Haye (CIJ), organe des Nations unies, a ordonné expressément à Tsahal de ne pas lancer l’assaut contre la ville de Rafah, ce qui n’a pas empêché Netanyahou de passer outre, comme l’indique le bombardement dimanche d’un centre de réfugiés dans le sud de Rafah. Ce qui rend la situation d’autant plus dangereuse.

En début de semaine, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, a donc présenté deux requêtes « aux fins de la délivrance de mandats d’arrêt » à l’encontre de trois dirigeants du Hamas, ainsi que du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et de son ministre de la Défense Yoav Gallant, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis à Gaza et Israël.

Benyamin Netanyahou a dit rejeter « avec dégoût » les mandats d’arrêt réclamés. De son côté, Joe Biden s’est dit « scandalisé » par la démarche du procureur de la CPI. La Cour donne « l’impression de fausse d’équivalence », a regretté quant à lui le ministère allemand des Affaires étrangères, tout en affirmant respecter l’indépendance de la CPI.

Dans une certaine dissidence avec l’ordre dominant, « la France soutient la Cour pénale internationale, son indépendance, et la lutte contre l’impunité dans toutes les situations », annonce un communiqué du Quai d’Orsay à propos de ces mandats d’arrêt.

Ce qui a contribué à rendre d’autant plus hystériques les milieux néo-conservateurs républicains et démocrates américains : « S’ils font cela à Israël, nous serons les prochains », s’est lamenté le sénateur Lindsay Graham, qui avait affirmé quelques jours plutôt qu’Israël avait « le droit de bombarder Gaza avec l’arme nucléaire ».

Ajoutons que la démarche du procureur de la CPI est plutôt inhabituelle, cette Cour étant généralement portée à cibler surtout des dirigeants des pays du Sud, notamment africains, plutôt que des dirigeants occidentaux – ce qui n’a jamais posé aucun problème aux néo-cons…

La Cour de La Haye ordonne à Israël de cesser ses opérations à Gaza

Quatre jours plus tard, le 24 mai, la Cour internationale de justice des Nations unies (CIJ) de La Haye ordonnait qu’« Israël [arrête] immédiatement son offensive militaire, et toute autre action menée dans le gouvernorat de Rafah, qui serait susceptible de soumettre le groupe des Palestiniens de Gaza à des conditions d’existence capables d’entraîner sa destruction physique totale ou partielle ».

La CIJ a rendu en ces termes ses conclusions le 24 mai, après une demande urgente de mesures conservatoires présentée par l’Afrique du Sud le 10 mai. Cette nouvelle mesure est prise « conformément aux obligations qui incombent à Israël en vertu de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, et compte tenu de l’aggravation des conditions de vie des civils dans le gouvernorat de Rafah ».

Deuxième point des nouvelles mesures conservatoires ordonnées par la CIJ : « Maintenir ouvert le point de passage de Rafah pour que puisse être assurée, sans restriction et à grande échelle, la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence. » Cette exigence vaut également pour l’ensemble de la bande de Gaza.

Troisièmement, « Israël doit prendre des mesures permettant effectivement de garantir l’accès sans entrave à la bande de Gaza à toute commission d’enquête, toute mission d’établissement des faits ou tout autre organisme chargé par les organes compétents de l’Organisation des Nations unies d’enquêter sur des allégations de génocide. »

L’État d’Israël est tenu de soumettre un rapport à la Cour dans un délai d’un mois. La Cour a rappelé que ses mesures conservatoires « ont un effet contraignant et créent des obligations juridiques internationales pour toute partie à laquelle les mesures conservatoires sont adressées ».

Les craintes de génocide se sont « matérialisées »

Rappelant ses préoccupations exprimées dans son communiqué du 16 février 2024 au sujet de l’évolution de la situation à Rafah, la Cour estime que celles-ci « se sont matérialisées et que la situation humanitaire doit désormais être qualifiée de désastreuse. (…) Après des semaines d’intensification des bombardements militaires sur Rafah, où plus d’un million de Palestiniens avaient fui à la suite d’ordres d’évacuation israéliens couvrant plus des trois quarts de l’ensemble du territoire de Gaza, le 6 mai 2024, près de 100 000 Palestiniens ont reçu l’ordre d’Israël d’évacuer la partie orientale de Rafah et de se réinstaller dans les régions d’Al-Mawasi et de Khan Younis avant une offensive militaire prévue », peut-on lire dans les ordonnances du 24 mai.

« La Cour considère que les événements susmentionnés, qui sont d’une gravité exceptionnelle, en particulier l’offensive militaire à Rafah et les déplacements répétés à grande échelle de la population palestinienne déjà extrêmement vulnérable qui en ont résulté dans la bande de Gaza, constituent un changement de situation au sens de l’article 76 du Règlement de la Cour. (…)

« La Cour conclut que la situation actuelle résultant de l’offensive militaire israélienne à Rafah comporte un risque supplémentaire de préjudice irréparable aux droits plausibles revendiqués par l’Afrique du Sud et qu’il y a urgence, en ce sens qu’il existe un risque réel et imminent qu’un tel préjudice soit causé avant que la Cour ne rende sa décision finale. »

Par 13 voix contre deux, la Cour a donc voté pour que l’État d’Israël, conformément aux obligations lui incombant au titre de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, et au vu de la dégradation des conditions d’existence auxquels sont soumis les civils dans le gouvernorat de Rafah, « cesse immédiatement son offensive militaire, et toute autre action menée dans le gouvernorat de Rafah, qui serait susceptible de soumettre le groupe des Palestiniens de Gaza à des conditions d’existence capables d’entraîner sa destruction physique totale ou partielle ».

Passer outre le blocage au Conseil de sécurité

« Félicitations à la République d’Afrique du Sud et à la Cour internationale de Justice ! s’est exclamé Francis Boyle, professeur de droit international à la faculté de droit de l’Université de l’Illinois. [C’est] exactement ce dont nous avons besoin, au Conseil de sécurité et à l’Assemblée générale des Nations unies, pour mettre fin à la catastrophe humanitaire génocidaire en cours à Rafah, en vertu de la résolution ‘Unis pour la paix’ », faisant ici allusion à la résolution 377 (V) de l’Assemblée générale des Nations unies, adoptée le 3 novembre 1950.

Cette résolution habilite l’Assemblée générale à passer outre le Conseil de sécurité de l’ONU dans le cas où celui-ci est bloqué — en l’occurrence, par les États-Unis – et si la situation nécessite une intervention urgente afin de préserver la paix et la sécurité internationales. Le site Web des Nations unies, concernant les sessions extraordinaires d’urgence, indique que la résolution 377 « veut que si le Conseil de sécurité, en raison de l’absence d’unanimité des membres permanents, n’exerce pas sa responsabilité principale pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales dans tous les cas où il semble y avoir une menace contre la paix, une rupture de la paix, ou une agression active, l’Assemblée générale examine immédiatement la question en vue de faire des recommandations appropriées aux membres en vue de prendre des mesures collectives, y compris, en cas de rupture de la paix ou d’agression active, l’emploi de la force armée si nécessaire, pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales. »

Dès la publication de l’ordonnance de la CIJ, Benny Gantz, membre du cabinet de guerre israélien et parfois présenté comme une « alternative » à Netanyahou, a téléphoné au secrétaire d’État américain Antony Blinken, puis, sûr de son soutien, a publié une déclaration disant : « Israël est obligé de continuer à se battre pour délivrer ses otages et assurer la sécurité de ses citoyens, à tout moment et en tout lieu, y compris à Rafah ».

Il apparaît donc qu’Israël et les États-Unis, tous deux signataires de la Charte des Nations unies qui a établi la Cour internationale de Justice en tant que son principal organe judiciaire, ont fermement l’intention de s’asseoir sur le droit international et le code éthique qui lui est propre en poursuivant le massacre de la population de Gaza.