Pour l’ONU, à Gaza la famine est désormais « totale »

jeudi 9 mai 2024

Interviewée le 5 mai dans l’émission « Meet The Press » sur NBC News, Cindy McCain, la directrice exécutive du Programme alimentaire mondial (PAM, l’organisme d’aide alimentaire de l’ONU et de la FAO), a affirmé que la famine est désormais une réalité à Gaza : « Il y a une famine à part entière dans le nord, et elle se déplace vers le sud. » Et, pressée par l’intervieweuse Kristen Welker qui lui demandait s’il s’agissait d’une « famine totale », Mme McCain a répondu : « Oui, c’est bien ce que je dis. »

La directrice du PAM a précisé que cette affirmation n’était pas une « déclaration officielle » de famine, généralement faite par les Nations unies conjointement avec le pays touché, mais une évaluation « basée sur ce que nous avons vu et ce que nous avons vécu sur le terrain. C’est l’horreur. C’est si difficile à regarder, et à entendre aussi. J’espère vraiment que nous pourrons obtenir un cessez-le-feu beaucoup plus rapidement et commencer à nourrir ces gens, en particulier dans le nord. »

Dans son rapport du 18 mars sur la sécurité alimentaire, le PAM rappelait que l’on parle de famine « lorsque trois conditions sont réunies dans une zone géographique spécifique, qu’il s’agisse d’un village, d’une ville, d’une région, voire d’un pays » :

  • au moins 20 % de la population de cette région est confrontée à des niveaux extrêmes de faim ;
  • 30 % des enfants qui se trouvent au même endroit sont émaciés ou trop maigres pour leur taille ;
  • le taux de mortalité a doublé par rapport à la moyenne, dépassant deux décès pour 10 000 par jour pour les adultes et quatre décès pour 10 000 par jour pour les enfants.

Concernant la situation à Gaza, selon ce rapport, « l’analyse de l’insécurité alimentaire aiguë de l’IPC [organisme d’analyse de l’insécurité alimentaire], menée en décembre 2023, a mis en garde contre un risque de famine d’ici mai 2024, faute d’obtenir la cessation immédiate des hostilités et un accès durable pour l’envoi de fournitures et de services essentiels à la population. Depuis, les conditions nécessaires pour empêcher la famine n’ont pas été réunies, et les dernières preuves confirment que la famine est imminente dans les gouvernorats du nord et qu’elle devrait se produire à tout moment entre la mi-mars et mai 2024 ». C’est chose faite aujourd’hui.

On ne pourra donc pas dire qu’on ne pouvait pas savoir.

Le New York Times, qui a diffusé en avant-première l’interview de McCain le 4 mai, a rappelé l’avertissement lancé en octobre par le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, sur le fait qu’Israël comptait soumettre Gaza à un « siège complet » : « Pas d’électricité, pas de nourriture, pas d’eau, pas de carburant ! » L’article du Times précise également que l’armée israélienne a ensuite détruit le port de Gaza, bombardé ses exploitations agricoles et restreint la pêche.

Disons-le clairement : l’intention de créer la famine est délibérée de la part d’Israël. Et les récentes affirmations du gouvernement israélien, qui prétend acheminer de l’aide à Gaza, bien que totalement discréditées par le témoignage de McCain, ne font qu’ajouter à l’ignominie. D’autant plus que l’État hébreu, secondé par les États-Unis, a obtenu en février dernier la suspension des financements à l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine), qui fournissait la majeure partie de l’aide humanitaire vitale pour la bande de Gaza, sous l’égide des Nations unies. Pour compenser cette perte, l’UE a débloqué 50 millions d’euros.

Ce qui n’empêche que les 17 pays qui ont gelé leur financement, dont la France, devront rendre des comptes pour leur complicité dans cet acte criminel.

Les Israéliens se lèvent contre Netanyahou

Heureusement, le peuple israélien n’entend pas laisser son gouvernement aller au bout de sa folie suicidaire. Samedi soir, des dizaines de milliers de manifestants ont défilé dans les rues contre la politique de guerre de Netanyahou, exigeant la conclusion d’un accord avec le Hamas pour « arrêter la guerre ». Et tandis que les médias américains n’hésitent pas à qualifier d’« antisémites » les très nombreuses manifestations d’étudiants sur les campus américains, il sera difficile d’en dire autant des événements de Jérusalem et de Tel-Aviv…

Le Times of Israël rapporte que les manifestants étaient en colère contre la dernière déclaration du gouvernement, niant qu’Israël s’engagerait à mettre fin à la guerre afin de libérer les otages. Bien que le « haut responsable » à l’origine de cette déclaration soit couvert par l’anonymat, la plupart des médias israéliens l’ont rapidement attribuée au Premier ministre Benjamin Netanyahu lui-même.

Sur les affiches, on pouvait lire « Arrêtez la guerre ». Une partie de la foule a tenté de bloquer un carrefour important, et d’autres ont bloqué une partie du tramway de Jérusalem. Il y a eu des échauffourées avec la police. Au moins trois personnes ont été arrêtées, dont un ancien assistant de Naama Lazimi, membre de la Knesset. La députée, qui a elle-même assisté à la manifestation de Tel-Aviv, a posté sur X : « Ces arrestations arbitraires et cette violence sous le règne du [ministre de la Sécurité nationale Itamar] Ben-Gvir doivent cesser (…). Nous agirons contre cette folie avec tous les outils à notre disposition. » Le chef de l’opposition Yair Lapid a déclaré lors du rassemblement que Netanyahu « devrait envoyer une équipe de négociation au Caire ce soir en leur disant de ne pas revenir sans accord. »

À Tel-Aviv, Einav Zangauker, le père d’un otage, qui a participé aux manifestations, a déclaré lors d’une conférence de presse qu’un accord avec le Hamas était à portée de main, mais que « Netanyahou essaie une fois de plus de torpiller la seule chance que nous avons de sauver les otages. [Il] commet un crime contre son peuple ». Yael Or, dont le cousin Dror a été tué le 7 octobre, a déclaré : « Nous ne pouvons plus écouter ce gouvernement, ces gens extrêmes et cruels, qui retournent encore et encore le couteau dans nos plaies, et nous ne pouvons plus supporter leur méchanceté, leur indifférence, leur inertie et leur manque de respect pour les vies humaines. »

Une région au bord de l’embrasement

Comme l’affirme l’historien israélien Moshe Zimmerman, Netanyahou est un nouveau Néron qui met en péril l’existence même d’Israël, et ainsi, la sécurité de l’ensemble de la région, et la meilleure façon d’afficher sa solidarité avec Israël est de critiquer très clairement la politique de son gouvernement.

Il y a urgence. Les autorités israéliennes viennent de demander à 100 000 Palestiniens d’évacuer les lieux pour rejoindre un camp, en prélude à l’attaque planifiée de Rafah. Au moins 1 million de réfugiés s’y trouvent, et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a publié une déclaration ce vendredi 3 mai, selon laquelle une incursion israélienne à Rafah entraînerait une mortalité et une morbidité supplémentaires substantielles. C’est une situation absolument intolérable que la communauté internationale ne peut plus laisser perdurer. De plus, il est très clair qu’une telle offensive ne ferait que nourrir davantage les protestations étudiantes dans le monde entier, y compris aux États-Unis où, malgré la répression, l’indignation contre ce génocide est trop forte pour quiconque a encore une once de moralité.