Fête de la Saint-Patrick : pas de trèfles pour « Joe le génocidaire » !

jeudi 21 mars 2024

Chronique stratégique du 21 mars 2024

C’est un nouveau signe confortant l’hypothèse que la potentielle défaite de Joe Biden et des Démocrates aux prochaines élections présidentielles américaines aura pour principale cause leur soutien à la croisade génocidaire d’Israël contre la Palestine, comme nous l’écrivions dans notre chronique du 9 mars.

Le jour de la Saint-Patrick, jour de célébration du trèfle vert, des milliers de Irish Americans (citoyens irlando-américains) ont défilé dans les rues de New York et de Philadelphie pour manifester leur solidarité avec la Palestine.

S’il est trop tôt pour dire que cette section de la population, qui vote historiquement pour les Démocrates, se retourne contre Biden dans la même mesure que les Arabo-Américains et les étudiants, le moins que l’on puisse dire est que ces événements font ressentir d’autant plus le parfum de la défaite qu’ils se déroulent dans les États « pivots », décisifs pour le basculement des élections d’un côté ou de l’autre.

Ajoutons que cette dynamique électorale américaine s’inscrit dans un phénomène global de retournement des opinions publiques contre « l’ordre fondé sur des règles » de Londres et Washington, imposé à coups d’ordonnances du FMI, de bombes et d’une bonne dose d’hypocrisie. Et les manifestations des Irish Americans, ainsi que des Irlandais eux-mêmes, montrent qu’après le « Sud global », ce sont les peuples de « l’Occident collectif » qui rejoignent le mouvement.

L’un des récents reflets de ce retournement est la déclaration du Premier ministre malaisien Anwar Ibrahim, lors de sa conférence de presse conjointe avec le chancelier allemand Olaf Scholz, le 11 mars à Berlin. Alors que Scholz venait de réitérer sa position selon laquelle Israël a droit à la légitime défense, à l’aide humanitaire, à la libération des otages, etc., Anwar, piétinant les bases mêmes de toute forme de diplomatie rudimentaire, a répliqué : « Comment pouvez-vous espérer trouver une solution si vous êtes si unilatéral ? Qu’en est-il des 60 ans d’atrocités ? Qu’en est-il du comportement des colons ? N’y a-t-il pas lieu de s’en inquiéter ? Où avons-nous jeté notre humanité ? Pourquoi avez-vous cette attitude sélective ? Parce que les Palestiniens sont de couleur ? Parce qu’ils ont une religion différente ? Qu’en est-il des milliers et des milliers de personnes qui se sont exilées depuis la Nakba en 1948 ? »

L’Irlande dénonce le génocide

L’Irlande, elle non plus, n’a pas pris de gants pour dénoncer, à la suite de l’Afrique du Sud, les actes génocidaires d’Israël à Gaza et demander un cessez-le-feu immédiat. Les manifestations à Dublin à la fin du mois de février ont rassemblé plus de 100 000 personnes (soit 1,5 à 2 % de la population irlandaise). Et certains manifestants scandaient « Pas de trèfles pour Joe le génocidaire ! », tandis que d’autres arboraient des trèfles noirs. D’après un sondage « Ireland Thinks » de début février, environ 80 % des Irlandais estiment qu’Israël commet un génocide.

Les Irish Americans pour la Palestine avaient appelé la délégation irlandaise à boycotter la Maison Blanche le jour de la Saint-Patrick. Comme résultat, pour les célébrations du Saint Patron irlandais, Biden n’a reçu que Leo Varadkar, le Premier ministre de la République d’Irlande, et la Première ministre d’Irlande du Nord, Michelle O’Neill. Les autres, notamment la dirigeante du Sinn Fein, Mary Lou McDonald, ont refusé d’y assister. Selon l’agence Reuters, Leo Varadkar a déclaré qu’il comptait dire à Joe Biden que les Irlandais veulent « un cessez-le-feu immédiat, que les tueries cessent, que les otages soient libérés sans condition, que de la nourriture et des médicaments soient acheminés à Gaza ». 

« C’est incroyable de voir à quel point les choses peuvent changer en un an », a déclaré Aodhán Ó Ríordáin, membre du Dáil (chambre basse du Parlement), qui avait accueilli Biden en avril 2023 pour s’adresser aux deux chambres du Parlement, où le président américain d’origine irlandaise avait été adulé. Ó Ríordáin a déclaré à CBS News le 16 mars : « Si cela se produisait aujourd’hui, il n’y aurait personne dans l’hémicycle. (…) Ce que nous voyons, c’est une nation très bien équipée, bien armée et puissante qui se venge d’un peuple assiégé. »

Lors de l’audience publique de la Cour internationale de justice, le 22 février, la procureure générale d’Irlande, Rossa Fanning, a prononcé un réquisitoire virulent contre les « crimes de guerre » d’Israël à Gaza et a appelé l’Union européenne à ne pas conclure d’accords économiques avec Israël tant que la justice n’aura pas été établie en Palestine.
 

Dans un article publié dans le Washington Post, la journaliste et écrivaine irlandaise Amanda Ferguson explique la position unique de l’Irlande à l’égard du conflit israélo-palestinien, position qui se distingue nettement de celle de la majorité des autres pays européens. Elle rappelle que le pacifisme est au cœur de l’identité irlandaise moderne et que le pays maintient depuis longtemps une politique de neutralité militaire. L’Irlande est l’un des quatre membres de l’UE à ne pas faire partie de l’OTAN. En outre, elle est « l’un des plus ardents défenseurs de la cause palestinienne dans le monde ».

En février, dans une lettre envoyée à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et au chef de la politique étrangère de l’UE, Joseph Borrell, le Premier ministre espagnol et le Premier ministre irlandais avaient appelé l’Union européenne à procéder à une révision urgente de l’accord d’association, afin de déterminer si Israël respecte ses obligations incluses dans ce dernier, concernant le respect des droits de l’homme et des principes démocratiques au regard de ses actions à Gaza.

Le Washington Post souligne également un autre dénominateur commun entre Palestiniens et Irlandais : le fait qu’Arthur Balfour, l’homme politique britannique dont la déclaration de 1917 promettait le soutien britannique à « l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif », s’était opposé, lorsqu’il était Premier ministre, au mouvement en faveur de la souveraineté et de l’indépendance de l’Irlande vis-à-vis de l’Angleterre.

Le souvenir de l’économie physique

Il faut dire que l’histoire du génocide britannique contre leur pays est encore bien vivace dans la mémoire des Irlandais. Depuis la famine de 1845-1850 – le nadir de siècles d’efforts britanniques pour réduire les Irlandais en esclavage ou les éliminer – la population de l’Irlande a en effet chuté continuellement pendant 75 ans ; et en 1920, elle avait perdu plus de la moitié de son niveau de 6 à 7 millions de 1840, tombant à 3 millions !

Et surtout, ce qui est important pour nous aujourd’hui, la façon dont les Irlandais ont mis fin à ce désastre, à partir des années 20, est pleine d’enseignements pour résoudre le problème israélo-palestinien actuel.

Tout d’abord, la politique de boycott, de substitution des importations et d’auto-industrialisation menée par le Sinn Fein, parti fondé 18 ans seulement avant d’arracher aux Britanniques une République d’Irlande souveraine, en 1922. Le Sinn Fein s’est inspiré des travaux de l’économiste du « système américain », Friedrich List, et c’est ainsi que la République d’Irlande a remplacé le boycott des produits britanniques par des droits de douane très contraignants dans les années 1950.

Deuxièmement, l’adoption immédiate par la République d’Irlande d’un plan national de développement des réseaux d’adduction d’eau et des infrastructures, le Shannon River Scheme, rapidement mis en œuvre et achevé en 1929. Digne prédécesseur de l’American Tennessee Valley Authority, le Shannon River Scheme fut sans doute le premier réseau électrique national intégré au monde. D’une capacité installée d’environ 90 mégawatts, conçu par Siemens, conceptualisé par l’ingénieur irlandais Thomas McLaughlin et financé par un cinquième du budget total de la République d’Irlande pendant sept ans, de 1923 à 1929, il a électrifié l’ensemble du pays.

À partir des années 1920, la population de l’Irlande a rebondi, lentement au début, mais pour revenir à 6 millions au XXIe siècle, ayant aujourd’hui accès à une norme de 6000 kilowattheures d’électricité par habitant et par an.

Le développement économique apporté par le projet de la rivière Shannon et d’autres travaux plus modestes a été essentiel pour permettre une « solution à deux États » (la République et l’Ulster), dont l’issue était loin d’être simple. Ce n’est qu’avec l’accord du Vendredi saint de 1998 que la solution à deux États a été officiellement reconnue par les deux parties et ouverte à la possibilité d’une éventuelle unité.

C’est pourquoi le Plan Oasis de développement économique de l’Institut Schiller est aussi essentiel pour parvenir à la paix en Asie du Sud-Ouest, afin de changer les axiomes sous-jacents du paradigme géopolitique actuel dominant-dominé. Ce programme d’économie « physique », qui devrait non seulement développer Israël et la Palestine, mais aussi l’Irak, l’Afghanistan, la Syrie, le Yémen et tous les pays qui ont été détruits par les guerres permanentes des Anglo-Américains, doit servir d’exemple à une plate-forme commune pour la paix entre nations, le développement mutuel et le progrès de l’humanité.