Le souverainisme, c’est servir le peuple

lundi 20 novembre 2023, par Jacques Cheminade

Drapeau français
Frédéric BISSON, CC BY 2.0

La souveraineté nationale est plus que jamais pour notre pays une ardente obligation, dans un monde où le joug de la puissance d’occupation qu’est l’OTAN nous conduit vers une nouvelle guerre mondiale, et où l’Union européenne (UE) est devenue son instrument pour imposer la domination du « monde de l’argent » en se passant des peuples. Cependant, de très nombreux « souverainistes » réduisent la souveraineté à des catégories juridiques ou à une identité fondée sur un territoire autarcique protégé par une ligne Maginot. Ils ne conçoivent pas que faute d’associer notre souveraineté à celle des autres, nous nous perdrons nous-mêmes en tombant dans les pièges identitaires.

La souveraineté, ce n’est pas dire non comme une chose en soi, c’est se battre pour les principes d’un dessein supérieur pour son propre peuple, associé à la souveraineté des autres peuples du monde. C’est bâtir une nouvelle architecture internationale de développement mutuel et de sécurité par un partenariat d’Etats-nations souverains. La Charte des Nations unies et la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, ainsi que les cinq principes de la coexistence pacifique élaborées en 1955 à Bandung par le Mouvement des pays non-alignés, sont les références pour mener notre bataille commune.

C’est pour être catalyseur, médiateur et inspirateur de ce grand dessein que la France a un rôle fondamental à jouer. Défaillir serait commettre un crime contre elle-même.

Jean Bodin

Jean Bodin, portrait gravé par François Stuerhelt, destiné à illustrer les Illustres d'Anjou de Claude Ménard (avant 1620)
Jean Bodin par François Stuerhelt
Larousse, Domaine public

Nous serions inexcusables. Car notre histoire nous donne l’exemple. Dans les Six Livres de la République, Jean Bodin élabore l’idée de souveraineté politique s’élevant au-dessus des factions, fondée sur un dirigeant capable d’harmoniser les dissonances afin d’organiser l’unité nationale, avec cette richesse que seuls peuvent apporter les hommes, et non l’accumulation de monnaie. Charles de Gaulle, dans un discours prononcé à Alger le 30 octobre 1943, invoque cette France :

 (...) il suffit d’avoir des yeux qui voient et des oreilles qui entendent, pour connaître jusqu’à quelle profondeur pénètre encore son influence spirituelle et morale et combien souffre le monde libre d’être encore, actuellement, coupé des grands foyers d’inspiration brûlants de notre pays. (…)
Mais, la flamme claire de la pensée française, comment eût-elle pris et gardé son éclat si, inversement, tant d’éléments ne lui avaient été apportés par l’esprit des autres peuples ? La France a pu, de siècle en siècle et jusqu’au drame présent, maintenir à l’extérieur le rayonnement de son génie. Cela lui eût été impossible si elle n’avait eu le goût et fait l’effort de se laisser pénétrer par les courants du dehors. En pareille manière, l’autarcie mènerait vite à l’abaissement.

La France souveraine est une certaine idée qui se déploie dans l’histoire, comme la Chine considère aujourd’hui que son identité relève d’un « mandat du ciel » historique de plus de 5000 ans. Au passage, je mentionnerai le sinologue François Jullien, lorsque qu’il nous dit, dans De l’Ecart à l’Inouï, que la « pensée doit moins se déraciner que se désenliser ». C’est la démarche d’approfondissement que tout vrai souverainiste doit entreprendre.

La mise en garde de PMF

Pierre Mendès France (1907-1982), photo prise en 1932
domaine public

Continuons avec Pierre Mendès France qui, dans sa République moderne, nous prévenait déjà de ce vers quoi se dirigeait ce Marché commun qui allait devenir l’UE :

En revanche, on imagine mal comment s’intégrerait une planification nationale dans un Marché commun à base strictement libérale, s’interdisant toute intervention publique et abandonnant l’évolution économique aux seules lois du marché. En pareil cas, le progrès économique tendrait à se localiser dans les pays – et, à l’intérieur de chaque pays, dans les régions – dont le développement est déjà en avance sur celui des autres.

C’est le principe même de cette Union européenne qu’il voyait conduire vers sa dislocation, comme aujourd’hui jusqu’à toucher son cerveau allemand.

A cette heure décisive de l’histoire, rester aveugle, sourd ou obstiné devient un crime contre nous-mêmes et contre les générations futures. Car nous sommes dans une économie de guerre, comme Emmanuel Macron l’a reconnu, et une économie de guerre réarme pour faire la guerre si on ne construit pas les conditions de la paix.

Nous sommes un pays occupé. Lorsqu’un président de la République s’accointe avec l’oligarchie financière, c’en est fini de l’indépendance et de la souveraineté nationales. Comme De Gaulle l’exprimait clairement :

Pour marcher droit vers un but, il faut que la nation soit guidée par un Etat cohérent, ordonné, concentré, capable de choisir et d’appliquer impartialement les mesures commandées par le salut public. (…) La démocratie se confond exactement, pour moi, avec la souveraineté nationale. La démocratie, c’est le gouvernement du peuple par le peuple, et la souveraineté nationale, c’est le peuple exerçant sa souveraineté sans entrave.

Trouver une bonne place

Voilà, diront les pseudo-souverainistes, des choses qu’on sait déjà. Ce qui compte, c’est de trouver une bonne place sur une bonne liste aux élections européennes et les moyens financiers pour y parvenir. Pourquoi pas, répondrais-je, si c’est pour défendre ce qui compte en France et dans le monde ? Cependant, je vois plutôt dans les démenées des uns et des autres les ombres de Messer Gaster et de Messer Nombril.

Comment prétendre un instant défendre la souveraineté nationale lorsqu’on se précipite vers les gamelles de divers identitarismes français ou anglo-américains ? Je ne donnerai pas ici les noms des affamés, mais ceux des institutions qui, sous prétexte d’un nouveau-parler souverainiste, promeuvent la soumission. A Paris, en cette deuxième semaine de novembre, la Worldwide Freedom Initiative réunissait un quarteron de trumpistes zemmouriens répétant « liberté, liberté », sous la tutelle du président américain de la Chambre des représentants, Mike Johnson.

Londres, berceau du nouveau monde ?

A Londres (en plus luxueux car là se trouve le cœur de la bête), l’Alliance for Responsible Citizenship (ARC) réunissait des « intellectuels de haute volée engagés dans le Brexit dur », selon le Financial Times. A la sauce financière occidentale, c’est l’option B pour après la désintégration de l’UE, prévoyant une association de nations sous tutelle de l’oligarchie financière. Avec les apparences de la souveraineté et les dents de loup d’un capitalisme mondialiste.

Le point commun est leur attitude fondamentalement hostile vis-à-vis de la Chine. Pourquoi ? Parce qu’elle représente aujourd’hui le seul projet d’une économie productive physique et non l’hégémonie de l’oligarchie financière et de ses capitaux fictifs, comme ceux du Legatum Institute et des « philanthropes » Arthur C. Brooks et Bjon Lomborg, enseignant à Harvard et à Copenhague « the smartest way to do good » – la manière la plus intelligente de faire le bien – c’est-à-dire de jouer les dames patronnesses du capital financier et du lobby militaro-industriel qui lui est associé. Ecoutons le promoteur britannique de l’ARC : « Nous sommes les porteurs du message éternel de l’Occident, dont nous avons chacun hérité d’une part divine de valeur dans notre lieu d’origine, que nous devons sauver et faire croître. Nous avons un rôle cardinal et irrépressible à jouer dans l’existence du monde. » Le message dominateur est dans le massage sirupeux des mots.

La réalité est qu’il faut s’attendre à une classe dominante beaucoup plus dure que par le passé, nous conduisant à toujours plus d’austérité financière, à la destruction du service public et à la guerre. C’est contre elle qu’il faut réunir les forces réellement souverainistes pour le combat décisif. Celui que nous menons a besoin des forces authentiquement communistes, par-delà les apparences officielles, et du christianisme social d’un Sillon qui influença l’idée, malheureusement avortée, de participation gaullienne.

Servir le peuple

Pour être plus direct, je vois deux preuves pour reconnaître le vrai du faux. D’abord, ne pas se livrer au pouvoir culturel de l’autre, comme Léon Blum le fit dans son accord avec Byrnes, en 1946, qui permit de promouvoir la « culture hollywoodienne ». Ce qui paraît insidieux peut être plus dangereux que le frontal, et l’attrait pour le capital fictif, sans valeur humaine et physique, y rend totalement vulnérable.

Seconde preuve : celui qui ne se bat pas contre la pauvreté, pour une juste éducation des enfants dans les 1000 premiers jours, pour une Education nationale promouvant le savoir et non des compétences pour servir un système inhumain, celui qui ne se bat pas pour des crèches, des EHPAD et des maisons de répit dignes, celui qui ne considère pas le revenu du travail comme la contrepartie de toute une vie, y compris pendant sa retraite, celui-là n’est pas un vrai souverainiste, car il n’aime pas le peuple.

Je m’aperçois pour finir que je n’ai pas cité Henri Barbusse, Paul et Marie-Claude Vaillant-Couturier et Ambroise Croizat, dont on détruit aujourd’hui l’œuvre et qui nous inspirent pour notre avenir souverainiste. Tirons avantage de la tempête que nous subissons pour inspirer les plus jeunes à qui nous devons l’espérance de jours heureux.