Laissera-t-on Israël faire de Gaza un nouveau « Ghetto de Varsovie » ?

vendredi 16 février 2024

Chronique stratégique du 16 février 2024

La semaine prochaine, la Cour internationale de Justice à La Haye tiendra des audiences au cours desquelles elle examinera si ses ordonnances du 26 janvier, demandant à l’État d’Israël d’empêcher un génocide à Gaza, ont été respectées ou violées.

Compte tenu des événements récents, il y a de fortes chances pour que la Cour opte pour la deuxième option. Et il s’agit d’une véritable course contre la montre, car la menace imminente d’une attaque israélienne à Rafah, où se trouvent près de 1,5 million de réfugiés palestiniens, fait planer non seulement le spectre d’un crime de guerre sans précédent mais aussi d’un embrasement de l’ensemble de la région.

Cependant, l’horreur de la situation et l’aveuglement criminel du gouvernement Netanyahou suscite de plus en plus de réactions dans le monde occidental, à l’image de ce journaliste américain et de ce médecin français dont nous rapportons ici les interventions. Ainsi, un retournement peut se produire à tout moment, à condition que l’on se mobilise.

Israël institue la stratégie du ghetto de Varsovie à Gaza »

 Dans un article publié le 8 février sur ScheerPost, intitulé « Faisons-leur manger de la terre », le célèbre journaliste et correspondant de guerre Chris Hedges affirme que les Israéliens comptent reproduire la tactique nazie qui avait été appliquée en 1942 contre les Juifs piégés dans le ghetto de Varsovie, à l’égard des Palestiniens piégés à Gaza : une famine massive délibérée, dans l’intention d’exploiter les effets physiologiques et psychologiques sur ses victimes.

« Lorsque les dirigeants israéliens emploient le terme de ‘victoire absolue’, ils entendent une décimation totale, une élimination totale, écrit Hedges. En 1942, les nazis ont systématiquement affamé les 500 000 hommes, femmes et enfants du ghetto de Varsovie. C’est un chiffre qu’Israël a l’intention de dépasser ».

En tentant de fermer l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), qui fournit de la nourriture et de l’aide à Gaza, Israël, secondé par son principal mécène américain, non seulement commet un crime de guerre, mais défie de manière flagrante la Cour internationale de justice.

« J’ai couvert pour les médias la famine au Soudan en 1988 qui a coûté la vie à 250 000 personnes », se souvient le journaliste, qui porte encore en lui comme une cicatrice le fait d’avoir vécu au milieu de centaines de Soudanais mourant de la tuberculose. « Solide et en bonne santé, j’ai moi-même combattu la contagion, contrairement à la plupart d’entre eux. A l’époque, comme aujourd’hui vis-à-vis de Gaza, la communauté internationale n’a pas fait grand-chose pour intervenir »

Une attaque israélienne à Rafah révélerait l’intention génocidaire

En France, le Dr Raphaël Pitti, médecin humanitaire et ancien militaire, actuellement chargé de la formation à l’ONG Mehad, a abondé dans le même sens, sans mâcher ses mots. Revenant tout juste de Gaza, le médecin, qui a également couvert de nombreux théâtres de guerre, dont la Syrie, l’Ukraine et le Tchad, était interviewé le 9 février dans l’émission « L’Invite Politique » de Jean-Jacques Bourdin sur Sud Radio. 

Le Dr Pitti a tout d’abord expliqué les difficultés énormes pour se rendre sur place, malgré le fait qu’un collectif de quinze ONG parmi les plus importantes du monde, dont Médecins sans frontières, Médecins du monde, Oxfam, se soit formé pour cela.

Une fois sur place, notamment à l’Hôpital européen — un grand hôpital à mi-chemin entre Khan Younis et Rafah, construit par les Européens, d’une capacité de 400 lits, mais qui compte actuellement 900 patients —, il a pu constater une situation « catastrophique »« Je n’ai jamais rien vu de tel, déplore-t-il. Dès que vous essayez de vous approcher [de l’hôpital], à 40 ou 50 mètres, il y a une foule énorme tout autour ». Environ 25 000 réfugiés du nord de Gaza encerclent l’hôpital, où ils se sont construit des abris en croyant à tort qu’ils seront protégés.

À l’intérieur, c’est aussi le chaos, les couloirs sont remplis de monde. « L’hôpital est débordé ; les équipements médicaux ne sont pas suffisants ». Prévu pour être un hôpital de récupération, il devient un hôpital de traitement : « Et comme on n’a pas le temps pour sauver une jambe, on ampute, pour aller au plus vite, et surtout, dans le triage, on laisse mourir les blessés les plus graves », explique Raphaël Pitti.

Pour le médecin, comme pour le journaliste Chris Hedges, Rafah est en train de devenir un nouveau « ghetto de Varsovie ». « D’après tous les films que nous avons vus, nous avons pu le constater. La population déambulant dans les rues du ghetto, en même temps nous avons vu ces images de personnes victimes de déplacements, affamées, etc. (…) On est dans une situation de déshumanisation ».

Et alors que Jean-Jacques Bourdin lui demande s’il s’agit d’un génocide, le médecin répond : « Si vraiment Netanyahou envisage d’attaquer Rafah — dans cette situation où les gens ont perdu leur dignité et meurent de faim —, alors on peut lui faire ce procès d’intention, c’est-à-dire de vouloir massacrer cette population. (…) Il y a une volonté de tuer  ».

Les jours et les semaines à venir seront décisifs. Bien que les ordonnances de la CIJ soient contraignantes, la Cour ne dispose pas d’un mécanisme d’exécution, et l’affaire devra probablement être portée devant le Conseil de sécurité des Nations unies pour être exécutée.

Dos au mur, les États-Unis et le Royaume-Uni opposeront sans doute à nouveau leur veto à toute résolution du Conseil de sécurité de l’ONU destinée à freiner Israël, jetant à bas leurs masques et révélant leur hideux visage. A moins qu’une pression populaire — tant au niveau national qu’international – ne s’exerce pour contraindre Londres et Washington, confrontés à leur complicité de génocide, à renoncer à leurs veto criminels.