LIVRE : L’Empire américain de Nikola Mirkovic

jeudi 20 juillet 2023, par Karel Vereycken

Revue de livre
« L’Amérique Empire »,
Nikola Mirkovic.

Ayant grandi aux Etats-Unis, l’auteur de ce livre Nikola Mirkovic, croyait bien connaître ce pays jusqu’au jour où celui-ci s’est mis à bombarder le pays de son père : la Yougoslavie. Consterné, il a commencé à se renseigner et lire davantage sur l’histoire de ces USA qu’il aimait tant.

Avec une passion toute balkanique, pendant de nombreuses années Mirkovic a travaillé sur l’histoire des Etats-Unis, de l’arrivée des colons jusqu’à la prise du Capitole par les partisans de Trump. Il a découvert le côté obscur de l’Amérique, comment elle a fini par se comporter comme un Empire et par broyer sa propre population.

L’objectif de ce livre « n’est pas de détruire tout ce qui fait rêver dans l’Amérique ni de désigner les Américains comme ennemi suprême mais de bien rétablir la vérité. Il est temps de mettre à nu un des plus grands mythes de l’ère moderne qui est celui de l’Amérique juste et généreuse qui défendrait le monde libre. La réalité mérite d’être nuancée car le constat est sévère » : les Etats-Unis « se sont transformés en machine de guerre dont le but est de défendre certains intérêts financiers au détriment du bien commun national et de la paix mondiale ».

Jusque là, la démarche semble rejoindre celle de S&P. « Patriotes et citoyens du monde », nous nous efforçons depuis toujours d’identifier dans chaque pays, dans chaque école de pensée, courant religieux ou philosophique, ce qui peut, a un moment donné de leur histoire, représenter un progrès, une percée et donc un apport positif à la marche en avant de la grande civilisation universelle.

Or, c’est là où le livre nous laisse sur notre faim. Rien sur l’opposition fondamentale entre la pensée malthusienne britannique et l’optimisme américain, résultat des meilleurs courant de l’humanisme européen (notamment Leibniz). Rien sur le combat de Lincoln contre les esclavagistes soutenus par les cartels financiers de Londres et Paris. Rien non plus sur Roosevelt, ce président atypique, lorsqu’avec Harry Hopkins ils approvisionnèrent en matières premières et en carburant, contre l’avis du Département d’État, l’Union soviétique de Staline pour mettre à genoux l’Empire hitlérien. Rien non plus sur le rôle décisif d’un JFK ou d’un Martin Luther King inspirant les pays du Sud dans leur combat pour l’émancipation. Quand l’Amérique fait mal, c’est sa nature, lorsqu’elle fait le bien, c’est de l’hypocrisie et du calcul, semble être l’unique fil rouge de l’auteur.

Dès lors, si l’on est pessimiste et si l’on veut le rester en sombrant dans un anti-américanisme qui certes est devenu tabou, le livre vous fournit un panégyrique extensif de tout ce qui tourne pas rond dans ce pays. Certes, il y a de la matière : expansion territoriale, massacre des indiens, exceptionnalisme américain à la sauce messianique, guerres étrangères et plus récemment wokisme et cancel culture. Le tableau est complet.

Pour schématiser, pour l’auteur, le fait que les Etats-Unis soient devenus grands et puissants et se croient le centre du monde, font d’eux d’office « un Empire qui ne dit pas nom ». Ne pas le reconnaître vous classe dans la catégorie du collabo.

Oui, les Etats-Unis, se comportent de plus en plus comme un Empire, mais l’auteur, un homme intelligent et sympathique, semble ignorer que les Anglais, à travers leur « relation spéciale » avec Washington, la Pilgrim Society ou encore le Conseil des Relations étrangères de New York (CFR), ont œuvré jour et nuit pour transformer le « géant américain » en pitbull tenu en laisse par « l’intelligence britannique » au service d’une oligarchie mondiale dont les familles patriciennes américaines ne sont que des succursales.

Cet impérialisme-là, tout comme un dollar qui n’est plus américain mais devenu un simple instrument de domination d’une oligarchie mondialisé, tout en arborant l’étiquette « USA », est bel et bien l’extension de l’impérialisme de la vieille Europe oligarchique se servant du « muscle américain » pour défendre ses propres privilèges.

Pas besoin d’être « grand » pour pratiquer l’impérialisme. Des petites cités financières, tels que Venise (par sa mainmise sur les Habsbourg), Gênes (par son contrôle financier sur le Portugal) ou encore la City de Londres (contrôlant la Compagnie des Indes Orientales disposant de sa propre monnaie), ont constitué des vastes empires maritimes dominant le trafic d’épices, d’opium et d’esclaves. Hier, leurs ports d’attaches s’appelaient Anvers, Porto, Macao et Hongkong, aujourd’hui ils s’appellent Londres, New York, Genève et Francfort.

Quant à « l’expansion territoriale », ce que l’auteur reproche aux Américains est tout autant reprochable à la plupart des grands Etats modernes, aussi bien la Fédération de Russie que de la Chine ou encore de la France, qui est le fruit d’une collection d’entités multiformes réunies en Etat-nation France par Louis XI et bien d’autres.

Pour l’auteur, l’histoire ne semble que le résultat de dynamiques purement géopolitiques conduisant fatalement à des guerres et des massacres. Que l’intention de la Constitution américaine fut rapidement trahie et qu’un combat pour aboutir à de vraies républiques (non pas sur le papier mais dans les faits) reste d’une grande actualité aussi bien aux Etats-Unis qu’en France, semble faire partie des convictions de l’auteur. Quant aux moyens pour y arriver, le débat ne fait que commencer.