Entretien avec le professeur Renaud Piarroux

mardi 21 mars 2023, par Agnès Farkas

Editions du Ricochet
Nous accueillerons M. Piarroux pour notre prochaine réunion au Café du Pont Neuf à Paris.

Pédiatre et biologiste, le Pr Renaud Piarroux est chef de service au CHU de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Il est spécialiste des épidémies et membre de l’Institut Pierre Louis d’épidémiologie et de santé publique, rattaché à l’INSERM. Il a participé à de nombreuses missions humanitaires et projets de recherche en Afrique et à Haïti sur la dynamique des épidémies, permettant à plusieurs reprises de les stopper. Il est l’auteur de Choléra. Haïti 2010-2018 : histoire d’un désastre (2019, CNRS éditions), La vague : l’épidémie vue du terrain (2020, CNRS éditions) et co-auteur de Pourquoi les pandémies (2022, éditions du Ricochet).

Dans cet entretien avec Agnès Farkas, chargée des questions de santé chez S&P, le Pr Piarroux souligne qu’une véritable prévention pandémique, comme c’était le cas au temps des premiers pasteuriens, passe avant tout par des investissements massifs dans les infrastructures de base, permettant en particulier l’accès à une eau de bonne qualité pour tous les habitants de la planète.

Agnès Farkas : En 1817, une épidémie de choléra a démarré au bord du Gange, elle a atteint la France en 1832. Depuis, le monde a subi sept pandémies de choléra...

Professeur Piarroux : Plus précisément, les six premières pandémies sont issues de la même souche du bacille du choléra (Vibrio cholerae O1 classique). Mais le microbe a changé entre la sixième et la septième pandémie. Cette dernière, qui a débuté en 1961, a été causée par une nouvelle souche (V. cholerae O1 El Tor). Elle perdure encore aujourd’hui. Mais là, on ne parle plus de nouvelles pandémies, on dit première, deuxième, troisième vague de la septième pandémie… Voici qui donne à réfléchir sur le fonctionnement des pandémies et notamment sur celle du Covid 19.

Rien n’a donc changé depuis le début du XIXe siècle ?

Plusieurs choses ont changé la donne, comme l’accès à l’eau potable, le tout à l’égout et la connaissance des microbes. Pour le choléra comme pour d’autres épidémies.

Nous accueillerons M. Piarroux pour notre prochaine réunion au Café du Pont Neuf à Paris.

La différence entre les pandémies du XIXe siècle et celles du XXe et XXIe siècle, c’est que la plupart d’entre elles n’atteignent plus les pays développés. Les pandémies ciblent à la fois un espace vulnérable et le cœur économique en quelque sorte. Lorsque le choléra est arrivé en Europe, la migration vers les villes était intense. La qualité de l’eau de boisson était très mauvaise, et pire, elle était souvent contaminée par les eaux d’égout, favorisant la transmission des maladies. Londres et Paris, qui étaient le centre du monde à l’époque, ont ainsi favorisé l’expansion de pandémies de par leur insalubrité. L’Amérique a été touchée parallèlement.

La dernière peste en France est celle des chiffonniers à Paris, en 1920.

Les Européens ont cru que les pandémies n’existaient plus…

C’est une petite épidémie de peste. Il y a eu peu de cas en comparaison avec l’Inde qui a compté, à la même époque, 12 millions de morts. Aujourd’hui, exception faite des virus à transmission respiratoire comme la grippe ou les coronavirus, les pandémies touchent principalement les pays en développement qui n’ont pas les moyens de mettre en place des stratégies pour protéger leur population. Tout ce qui est transmis par l’eau, les puces, les ectoparasites, tout ce dont on peut se débarrasser quand on est riche et qu’on a de l’espace, épargne les pays riches. Les Européens ont cru que les pandémies n’existaient plus… ou plutôt elles existaient ailleurs.

Mais elles peuvent revenir dans un système économique défaillant.

En situation d’effondrement économique, certaines maladies peuvent resurgir. Un exemple : la Grèce a subi une importante crise économique en 2008, le paludisme est revenu. L’appauvrissement de la population et le déclin du système de santé public ont fait que les gens n’avaient plus accès aux soins, faute d’argent, ce qui a favorisé l’essor de la maladie. Les moustiques ont eu plus de chance de piquer une personne malade et les transmissions locales ont été facilitées. C’était un paludisme à transmission autochtone.

Quel rôle joue l’éducation sanitaire de la population ?

Si une minorité d’individus sont contre la vaccination, la majorité de la population accepte les mesures sanitaires. C’est une question de moyens mis dans la santé pour les familles et de ce que l’Etat peut apporter. Par exemple, l’aménagement urbain comme les égouts ou l’adduction d’eau ne peut être mis en place par la population. Au mieux, ils feront un puits qui est forcément moins « protégé ».

Avoir une adduction est une des conditions nécessaires pour maîtriser les maladies hydriques. En Afrique, il existe des villes où les gens puisent leur eau dans un lac, comme au bord du Tanganyika. Dans d’autres endroits, l’adduction existe mais l’eau est produite et traitée de manière irrégulière. Les canalisations peuvent être infiltrées par les eaux de surface, dont les microbes vont contaminer le réseau.

Exploiter la nature pour en tirer des profits financiers peut-il être source d’épidémies ?

L’exploitation de la nature par l’extraction de divers minerais comme l’or, le cuivre ou le coltan, est effectivement source d’épidémies. En RDC, en 2009, une épidémie de choléra s’est déclarée au sein d’une communauté d’orpailleurs, avec aussitôt une centaine de morts lors d’une ruée de dizaines de milliers de personnes. La population locale vit en grande pauvreté.

Souvent les mines sont « artisanales », les trafiquants se contentant de racheter le minerai à bas prix aux mineurs qui doivent se débrouiller pour le trouver, avec tous les risques que cela sous-entend.

Les épidémies de peste dans des villes minières prolifèrent aussi

Les épidémies de peste dans des villes minières prolifèrent aussi, ainsi que celle de Marburg, une fièvre hémorragique. A propos de cette fièvre qui sévit en RDC, Médecine Tropicale, la revue du Service de santé des armées rappelle une investigation menée en 1998 dans la ville de Durba. Là, des mineurs clandestins exploitent une mine dans des conditions d’hygiène et de sécurité dignes de Germinal, cohabitant avec des milliers de rongeurs et de chauves-souris. De plus, l’activité est extrêmement polluante et contamine les rivières au détriment des populations locales.

Où vont tous ces minéraux ?

Il y a plusieurs années, Eva Joly évoquait les paradis fiscaux. Au sud-est de la RDC, les exploitants de mines de cuivre revendent leur production, à un prix dérisoire, à une entreprise basée à l’Île Maurice où les bénéfices sont déclarés au détriment de la RDC. Plus au nord, au Kivu et en Ituri, le maintien d’une situation de guerre permet l’exploitation des mines de diamants et de coltan au profit de pays étrangers. Un pillage est ainsi organisé par le maintien de zones conflictuelles.

En Afrique, la corruption se fait au détriment d’une population dont les besoins vitaux ne sont pas assurés, de même que les besoins sanitaires et l’éducation.

Même en France, le budget n’est pas suffisant pour assurer en même temps les besoins de l’hôpital et les retraites, donc le choix est fait de repousser l’âge de la retraite. Nous ne sommes pas au niveau de la RDC, mais le principe est le même. La priorité est donnée à ceux qui possèdent les richesses.

En 2010, vous êtes intervenu en Haïti face à l’épidémie de choléra qui y sévissait, et vous avez fait face à une négation obstinée de la part de l’ONU sur la source de cette épidémie. Pourtant, vous aviez démontré que la source venait d’un camp de soldats népalais installé dans le pays.

Le 19 octobre 2010, la population a puisé l’eau du fleuve Artibonite, qui venait d’être contaminée par les vibrions cholériques. Des militaires de l’ONU avaient caché qu’ils avaient le choléra et les fosses septiques de leur camp avaient été déversées dans un affluent du fleuve. Les scientifiques américains ont alors élaboré une théorie climatique qui écartait l’hypothèse d’une importation par les militaires. Ces derniers évitaient ainsi d’être la cible des critiques, alors qu’ils auraient dû répondre de leurs actes. Mieux valait pour eux faire un « petit mensonge »…

Aujourd’hui, la population d’Haïti est à nouveau la proie d’une épidémie de choléra.

aucune trace d’investigation menée sur le terrain.

Le monde anglo-saxon vit de statistiques. Recherchez des articles sur la situation en Haïti, vous ne trouverez aucune trace d’investigation menée sur le terrain. Vous trouverez des articles qui vous parlent du génome de la nouvelle souche et des théories qui ouvrent des comparaisons avec la précédente épidémie. C’est ainsi que certains scientifiques poursuivent les théories environnementales élaborées par la Pr Rita Colwell il y a plus de trente ans.
On ne cherche pas la source réelle de l’épidémie.

On spécule sur la vie, la santé, l’alimentation, les sources d’énergie. Ce système crée l’indigence et la pauvreté, et donc les maladies.

Il ne faut pas toucher à l’argent de ceux qui entreprennent. Parler de santé publique et envisager de dépenser de l’argent au bénéfice du public n’a pas de sens pour le « marché ». On est dans un système où il faut que « ça rapporte ».

Même la crise Covid a permis à certains de gagner beaucoup d’argent. L’hôpital public s’est appauvri et n’a plus les moyens de remplir ses missions à cause de l’inflation. La répartition des richesses se fait actuellement au détriment des personnes qui travaillent pour le public et au profit de ceux qui ont capitalisé.

Nous pourrions faire face à d’autres flambées épidémiques ?

Avec le Covid, la France s’en est tirée « à peu près ». Au début de l’épidémie, les hôpitaux français ont bien réagi. Ce ne fut pas le cas de New York, de Londres, de Madrid ni de Milan. Mais notre système ne nous protège pas suffisamment dans ce type de crise. Nombre de décisions politiques qui ont été prises n’avaient pas beaucoup de sens. Sortis de la première vague, on n’a pas su éviter les suivantes.

Pour conclure, une question : quels conseils donneriez-vous aux autorités politiques ?

Se former aux thématiques scientifiques. Pas seulement médicales, à toutes les sciences : nucléaires, physiques… Qu’ils se forment sérieusement. S’ils prennent des décisions, qu’ils les prennent en connaissance de cause.

Nous accueillerons M. Piarroux pour notre prochaine réunion au Café du Pont Neuf à Paris.