Euthanasie

Le débat politisé sur le « droit à mourir »

vendredi 24 février 2023, par Agnès Farkas

Quels sont les enjeux réels d’un débat politique sur le « droit de mourir dans la dignité » ? Sommes-nous tous égaux devant celui-ci ? Comment savoir si une demande d’euthanasie est réellement faite en toute liberté ou si elle n’est pas soumise à une contrainte sociale. Elle peut être une décision sous influence.

Selon la jurisprudence européenne,

le droit à la vie est d’abord de ne pas en être privé.

L’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme reprend la même disposition dans son alinéa premier :

La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

Contrairement à ce qui est martelé dans les médias et le monde politique, notre société ne dissimule pas la mort ; elle la magnifie dans une recherche exaltée pour lui donner un sens. Notre société baigne dans un environnement culturel incitant de plus en plus à la sollicitation personnelle d’une vie abrégée.

« Etalonner la valeur de l’existence, c’est admettre in fine que des raisonnements économiques, financiers, philosophiques ou théologiques puissent conduire à justifier d’y mettre fin prématurément », écrit Robert Holcman, inspecteur-auditeur à la direction de l’inspection et de l’audit de l’AP-HP.

Fait notable, l’ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité) a publié le livre Auto-délivrance en 1982, l’année même de la sortie de Suicide, mode d’emploi, de Claude Guillon et Yves Le Bonniec, qui relate l’histoire, les différentes techniques et l’actualité du suicide, ainsi que les « recettes médicamenteuses » et les noms de médicaments mortels.

Tombant sous le coup de la loi no 87-1133 du 31 décembre 1987 tendant à réprimer la provocation au suicide, ce livre est interdit en France, où cette loi est toujours en vigueur. Alors pourquoi, près de 50 ans plus tard, dans notre société qui rejette le suicide, cette question est-elle encore débattue dans les plus hautes instances de la République ?

C’est ainsi que l’ADMD, qui revendique explicitement sa volonté de changer l’image du droit au suicide et à l’euthanasie dans la société, a fortement influencé Alain Claeys et Jean Leonetti dans l’élaboration de leur rapport relatif aux droits des malades et à la fin de vie, soumis aux autorités le 9 juin 1999. Pire, si c’est possible, ce rapport d’information stipule que le décès peut être provoqué par un tiers (famille, amis ou personnel soignant), ce qui va à l’encontre des lois en vigueur sur la criminalité.

La sédation terminale est définitivement introduite dans notre droit et adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en 2005 pour devenir la loi Claeys-Leonetti.

L’exigence des bien portants

Le 27 janvier 2000, dans son « Avis sur fin de vie, arrêt de vie, euthanasie », le CCNE (Comité consultatif national d’éthique) souligne qu’« il n’est jamais sain pour une société de vivre un décalage trop important entre les règles qu’elle s’est données et la réalité des pratiques que ces règles sont censées encadrer ».

Autrement dit, les leaders d’opinion que sont les politiques, les médias et les sondages présentent l’euthanasie comme une avancée sociale, au besoin en lui donnant un autre nom, se mettant en contradiction avec la loi. Est-ce tenable ? Bien sûr que non ! Mais une bonne mobilisation médiatique et une série de sondages orientés ont fait entrer le débat chez un public non averti.

Ainsi mis sous influence, le plus grand nombre a semblé séduit et a adopté une forme de tolérance « exceptionnelle » vis-à-vis des recommandations du CCNE.

Avant tout, et ce n’est pas anodin de le rappeler ici, la loi sur la criminalité « interdit de provoquer délibérément un décès », car plus qu’un meurtre, l’euthanasie est considérée comme un assassinat en raison de la préméditation qu’elle implique et de la faiblesse de la personne concernée. Même si elle donne son consentement, l’acte reste répréhensible par la loi pour les tiers ayant provoqué l’acte de « suicide assisté ».

Toujours plus d’euthanasie et de suicides

Soulignons au passage que contrairement à ce que sous-entend la presse en les prenant pour exemple, les législations des Pays-Bas et de la Belgique, et même celle de l’Etat de l’Oregon, n’ont nullement légalisé l’euthanasie, mais ont seulement « ajouté » au code pénal une « exception d’euthanasie », soustrayant de fait à l’accusation de meurtre prémédité les tiers ayant provoqué la mort. Un sophisme qui met à l’abri de toute poursuite judiciaire les médecins, ainsi autorisés, sous conditions, à prescrire des produits mortels sous couvert de traitement médical.

Théo Boer souligne que « dans certains endroits des Pays-Bas, jusqu’à 15 % des décès résultent d’une mort administrée ». En effet, dans ce pays, le nombre d’euthanasies est passé de 2000 cas en 2002 à 7800 en 2021. Cette augmentation s’est poursuivie en 2022, précise le magazine Généthique. Les discussions portent désormais sur les personnes âgées de plus de 75 ans sans pathologie.

Le prix de la vie

Il faut oser se poser une question troublante : comment la société a-t-elle pu instiller chez les personnes fragiles un tel sentiment de culpabilité qui les pousse à réclamer une mort anticipée, et de quelle valeur est leur avis quand elles demandent qu’on les tue ? La personne qui souffre se demande si sa « vie, indigne d’être vécue », peut encore être tolérée par ses proches ou par la société. Alors, la promesse d’une « mort douce » serait la bienvenue. C’est négliger le fait que c’est dans une société financièrement déclinante, avec un système de santé qui s’étiole, que la question se pose.

Fortement endettée, la France économise ses ressources au détriment du service public.

Le gouvernement applique des réformes dans le secteur public (retraites, sécurité sociale, énergie, transports ou santé), là où les coûts sont les plus importants car c’est là qu’il a le plus grand nombre. Pour vendre sa politique, il porte le débat sur la place publique. Ici, il faut mettre le doigt sur la plaie de l’eugénisme : c’est une stigmatisation des plus faibles dans un système économique qui s’effondre. On suggère insidieusement que chaque vie est évaluée selon son coût.

« Dans toutes ces propositions, c’est l’Etat qui organise, incite même, les plus faibles et les moins productifs à quitter la vie, mettant en place pour ce faire un réseau de structures de dispensation de la mort »
, selon Robert Holcman.

Rien de neuf !

Bien avant l’Allemagne nazie, le docteur Charles Binet-Sanglé, médecin militaire et psychologue français, recommandait la création d’« Instituts d’euthanasie » rattachés à l’Assistance publique, appelant à la responsabilité de l’Etat.

Bien évidemment, dans ce schéma, les classes moins favorisées ayant une espérance de vie moins longue sont davantage exposées à l’euthanasie. C’est un fait avéré, les cadres vivent plus longtemps sans incapacité que les ouvriers. La bonne santé est implicitement corrélée à la classe sociale.

A souligner, les Néerlandais âgés, qui en ont les moyens, s’expatrient vers l’Allemagne, où le risque d’être soumis à une euthanasie est exclu. Un privilège pour les nantis, alors que les plus démunis, qui n’ont d’autre choix que de rester au pays, sont de fait plus exposés à voir leur vie abrégée par un suicide assisté. Une forme moderne de barbarie sociale, où l’appréciation de la bonne fortune augmente vos droits à la vie.

Pourtant, l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme peut légitimement conduire les autorités politiques à protéger une personne suicidaire contre elle-même :

Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement…

Il n’existe pas de suicide digne et catalyser le débat sur quelques cas atypiques (comme celui de Vincent Humbert, tétraplégique, sourd, muet et aveugle), aussi douloureux soient-ils, ne doit pas faire oublier la véritable valeur de la vie.

Liberté, Egalité, Fraternité

Ces trois mots sont la devise de la République française. Ensemble, ils représentent les valeurs qui nous unissent en tant que Français. Elle s’inspire des principes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et en ce sens, les droits de chaque être humain restent inaliénables à tous les stades de son existence.