« A qui la faute ? » — Hommage à Victor Hugo

mercredi 13 juillet 2022, par Tribune Libre

Incendie du palais des Tuileries pendant la commune.

« A qui la faute ? », un poème de Victor Hugo (1802-1885), un coup de gueule contre des incendiaires wokistes avant l’heure ? Ou coup de gueule contre une société qui interdit la culture au peuple ? A vous de voir !

Voici le poème en question, suivi d’un commentaire d’Eric Sauzé, militant Solidarité et Progrès.

A qui la faute ?

Tu viens d’incendier la Bibliothèque ?
 - Oui.
J’ai mis le feu là.
 - Mais c’est un crime inouï !
Crime commis par toi contre toi-même, infâme !
Mais tu viens de tuer le rayon de ton âme !
C’est ton propre flambeau que tu viens de souffler !
Ce que ta rage impie et folle ose brûler,
C’est ton bien, ton trésor, ta dot, ton héritage !
Le livre, hostile au maître, est à ton avantage.
Le livre a toujours pris fait et cause pour toi.
Une bibliothèque est un acte de foi
Des générations ténébreuses encore
Qui rendent dans la nuit témoignage à l’aurore.
Quoi ! dans ce vénérable amas des vérités,
Dans ces chefs-d’œuvre pleins de foudre et de clartés,
Dans ce tombeau des temps devenu répertoire,
Dans les siècles, dans l’homme antique, dans l’histoire,
Dans le passé, leçon qu’épelle l’avenir,
Dans ce qui commença pour ne jamais finir,
Dans les poètes ! quoi, dans ce gouffre des bibles,
Dans le divin monceau des Eschyles terribles,
Des Homères, des Jobs, debout sur l’horizon,
Dans Molière, Voltaire et Kant, dans la raison,
Tu jettes, misérable, une torche enflammée !
De tout l’esprit humain tu fais de la fumée !
As-tu donc oublié que ton libérateur,
C’est le livre ? Le livre est là sur la hauteur ;
Il luit ; parce qu’il brille et qu’il les illumine,
Il détruit l’échafaud, la guerre, la famine
Il parle, plus d’esclave et plus de paria.
Ouvre un livre, Platon, Milton, Beccaria ;
Lis ces prophètes, Dante, ou Shakespeare, ou Corneille ;
L’âme immense qu’ils ont en eux, en toi s’éveille ;
Ébloui, tu te sens le même homme qu’eux tous ;
Tu deviens en lisant grave, pensif et doux ;
Tu sens dans ton esprit tous ces grands hommes croître,
Ils t’enseignent ainsi que l’aube éclaire un cloître ;
À mesure qu’il plonge en ton cœur plus avant,
Leur chaud rayon t’apaise et te fait plus vivant ;
Ton âme interrogée est prête à leur répondre ;
Tu te reconnais bon, puis meilleur ; tu sens fondre,
Comme la neige au feu, ton orgueil, tes fureurs,
Le mal, les préjugés, les rois, les empereurs !
Car la science en l’homme arrive la première.
Puis vient la liberté. Toute cette lumière,
C’est à toi, comprends donc, et c’est toi qui l’éteins !
Les buts rêvés par toi sont par le livre atteints !
Le livre en ta pensée entre, il défait en elle
Les liens que l’erreur à la vérité mêle,
Car toute conscience est un nœud gordien.
Il est ton médecin, ton guide, ton gardien.
Ta haine, il la guérit ; ta démence, il te l’ôte.
Voilà ce que tu perds, hélas, et par ta faute !
Le livre est ta richesse à toi ! c’est le savoir,
Le droit, la vérité, la vertu, le devoir,
Le progrès, la raison dissipant tout délire.
Et tu détruis cela, toi !
 - Je ne sais pas lire.

Hommage à Victor Hugo

Par Eric Sauzé, juillet 2022.

Notre mission est de nous mobiliser avec vous, amis lecteurs pour libérer les hommes de la dictature financière qui règne en Occident, sous la botte d’un « complexe militaro-financier » anglo- états-unien et de ses relais ici. Cette oligarchie organise une « occupation militaire », une « occupation financière », mais aussi et surtout une « occupation des esprits », par laquelle elle prétend contrôler la pensée des peuples, vous contrôler.

Heureusement, la tyrannie porte en elle ses limites : tout parasite, prédateur et non créateur par essence, arrive à sa propre fin lorsqu’il a épuisé sa victime.

Or, dans les pays écrasés par la City, Wall Street, l’Union européenne et l’OTAN, comme ici en France, nous sommes arrivés dans un temps de fin de partie pour l’oligarchie et de rébellion des peuples, qui ne s’arrêtera pas, mais continuera à grandir. Car les horreurs de la dislocation socio-économique et de la guerre de l’oligarchie contre les populations sont devenues de plus en plus insupportables et s’approchent d’un point de rupture.

Dans notre pays, les Gilets jaunes ont été une première expression spectaculaire de cette révolte ; les manifestations considérables de rejet à l’occasion de la dernière présidentielle en sont une autre. Nous avons là les prémices d’un mouvement de fond.

Toutefois, pour que cette révolte populaire prenne forme et aboutisse positivement, il est fondamental de se libérer de cette « occupation mentale ».

Et comme, dans cette émancipation qui ouvre la liberté d’action, l’art élévateur du cœur et de l’esprit, dont la poésie, est un puissant levier, nous vous proposons ce poème de Victor Hugo (1802-1885) : « A qui la faute ? »

L’année terrible

Publié dans L’année terrible, recueil de poèmes paru en 1872, ce texte fut écrit en juin 1871, juste après l’incendie des Tuileries et de sa bibliothèque par des insurgés parisiens. Ce palais ayant été le siège des pouvoirs honnis des monarchies et des deux Napoléon, certains révoltés y mirent le feu ; la destruction de la bibliothèque fut un malheureux dégât collatéral.

Témoin bouleversé par les horreurs de la guerre de 1870-1871, Hugo assiste à la Commune, cette tentative parisienne de bâtir une république, violemment réprimée dans la « semaine sanglante » (6000 à 30 000 morts selon les sources) par le gouvernement réactionnaire d’Adolphe Thiers, que le poète a vertement critiqué, sans tout cautionner de l’insurrection pour autant.

De leur côté, les gardes nationaux de la Commune rendirent un hommage émouvant à Hugo lorsqu’ils le rencontrèrent dans la rue à cette époque.

En lisant ce poème au titre polémique : A qui la faute ?, vous verrez combien il est ironique.

Dialogue avec les incendiaires, il ménage un spectaculaire retournement à la fin. Il est aussi une charge contre l’opposition par principe à quiconque n’est pas comme soi.

Avec l’incendiaire, qu’il n’« efface » pas parce qu’il est « différent » et qu’il le désapprouve, comme le wokisme tend à le faire, le poète ouvre la discussion. Son hymne à la « lumière des livres », qui peut éclairer tous les hommes, vise à éveiller leur créativité, donc leur dignité. Celles-ci sont le principe unificateur le plus haut, qui permet aux différences, à ne pas nier, de s’accorder autour d’un but commun pour toute l’humanité, plus élevé. Ainsi se brise l’atomisation de la société souhaitée par l’oligarchie (« diviser pour régner ») ; ainsi, le plus universel (le but) rejoint le plus intime en chacun de nous (la créativité).

A rebours d’Emmanuel Macron qui envisage, entre autres calamités, de supprimer la gratuité de l’enseignement supérieur, Hugo montre aussi, surtout, qu’il ne suffit pas de publier des livres pour avoir une République, si, comme en 1871, comme encore aujourd’hui, même en France, une grande partie de la population se voit dénier l’accès à la culture de la découverte, qui ouvre cet « autre monde, qui est dans notre monde » (Paul Eluard), qui nous rend tous plus humains.

Ainsi, pour réaliser cette belle « République universelle » que Hugo appelait de ses vœux, il est grand temps de « réparer la faute ».

C’est à nous, à vous, de faire, ensemble, et maintenant. L’occasion est là, source de joie.