Le président Biden avait clairement annoncé les objectifs de son « Sommet climat » des 22-23 avril, auquel il avait convié 40 chefs d’Etat de la planète : son pays entendait non seulement rejoindre l’Accord de Paris, mais bien « diriger » l’action mondiale contre le réchauffement climatique.
Et peu importe que les Etats-Unis, ayant louvoyé sur cette question comme aucun autre, n’aient donc aucune leçon à donner…
Rappelons qu’avant la dénonciation par Trump de l’Accord de Paris, l’administration Bush avait abandonné en 2001 le protocole de Kyoto (adopté par Clinton en 1997) et qu’en 2010, le Congrès avait rejeté les engagements pris par Obama à Copenhague en 2009.
Face à cette nouvelle tentative d’embrigader le monde, la Chine et la Russie auront fait monter la pression jusqu’au bout, en n’annonçant qu’à la dernière minute leur participation à ce Sommet climat. L’enjeu était de taille ! Il aurait suffi que la Chine, considérée comme le premier émetteur de gaz à effet de la planète, décide de pratiquer la politique de la « chaise vide » et le sommet de M. Biden serait devenu totalement insignifiant. Sur ce qui reste l’un des derniers sujets où les Etats-Unis se déclarent encore prêts à coopérer avec ces deux pays, au milieu d’un vacarme de guerre général, Vladimir Poutine, le 19 avril, et Xi Jinping, le 21 avril, ont finalement accepté l’invitation.
Non sans avoir mené auparavant quelques opérations de flanc pour montrer qu’ils ne sont pas dupes des manœuvres de Joe Biden, mais aussi pour défendre leurs propres intérêts.
Le 21 avril, veille du Sommet, dans son discours annuel à la Fédération de Russie, Vladimir Poutine a dénoncé ceux qui, partout dans le monde, « semblent s’être habitués à la pratique des sanctions économiques illégales, politiquement motivées, et aux tentatives de certains acteurs brutaux d’imposer par la force leur volonté sur les autres ». Sur sa lancée, Poutine a aussi évoqué devant les responsables russes, la tentative par ces mêmes acteurs d’orchestrer un coup d’Etat en Biélorussie, et même d’en assassiner le Président. « Nous voulons maintenir de bonnes relations avec tout le monde », a dit Poutine en résumé, mais « ceux qui prendraient nos bonnes intentions pour de l’indifférence ou de la faiblesse (…) doivent savoir que la réponse de la Russie sera asymétrique, rapide et dure ».
Quant à la Chine, elle a bien fait comprendre ces derniers jours qu’elle compte jouer un rôle mondial dans la lutte contre le changement climatique, de sorte que cette politique ne devienne pas, pour l’Occident, un prétexte pour assurer sa prééminence dans le monde, mais favorise au contraire la modernisation des pays en développement.
Sommet video Macron, Merkel, Xi Jinping
Signe de ce nouveau monde qui émerge, au moment même où John Kerry, représentant spécial des Etats-Unis pour le climat, était en Chine pour consultations sur cette question, Angela Merkel, Emmanuel Macron et le président Xi Jinping tenaient leur propre Sommet climat, le 16 avril, à l’invitation du Président français. Il s’agissait pour eux de préparer, en toute indépendance des Etats-Unis, les grandes échéances « climat » de 2021, dont la première était le sommet de Joe Biden.
Dans son édition du 15 avril, le quotidien chinois Global Times (qui reflète la vision du gouvernement chinois) n’y est pas allé par quatre chemins, citant des « experts chinois » pour qui, par ce sommet à trois, la Chine et les puissances européennes ont fait savoir à Washington « qui dirige » la coopération mondiale sur les questions climatiques. Ajoutant que les Etats-Unis devraient au minimum « payer la dette » et convaincre le monde qu’ils ne failliront pas, « une fois de plus », à leur promesse, a assené le quotidien.
Si les trois participants à cette vidéo-conférence se sont réjouis de la rencontre, chacun a pu y exprimer ses positions avec une certaine franchise. Le président Xi a taclé certaines positions américaines mais aussi européennes : « La réponse au changement climatique est la cause commune de l’humanité », a-t-il déclaré à ses interlocuteurs, selon un compte-rendu de CCTV. « Elle ne doit pas devenir un enjeu géopolitique, la cible d’attaques venant d’autres pays ou encore un prétexte pour édifier des barrières commerciales », a-t-il poursuivi, visant, sur ce dernier point, le projet de taxe carbone actuellement envisagée dans l’Union européenne. Cette taxe, mise à l’étude en mars, pénaliserait certaines importations (électricité, ciment, acier, aluminium, verre, etc.) de pays hors-UE, comme la Chine, ayant des normes climatiques moins strictes.
Les Européens n’ont pas hésité à demander à Beijing d’aller plus loin dans la réduction de ses émissions, en arrêtant « de financer les centrales à charbon », ce qui poussa le président Xi Jinping à aller au fond des choses, expliquant que c’est aux pays développés, déjà industrialisés, de faire le plus d’efforts, tout en apportant aux pays en développement une aide économique et financière pour moderniser leurs économies.
Le climat, une arme géopolitique ?
Dans son éditorial du 18 avril, le Global Times a élaboré plus avant la vision du Président chinois, posant d’abord la question clé : peut-on faire confiance aux Etats-Unis sur ce dossier ?
L’ambiance entre les grandes puissances n’est pas bonne. (...) Les Etats-Unis veulent montrer leur autorité en travaillant avec la Chine et la Russie sur le défi climatique, tout en faisant obstruction aux deux dans d’autres domaines. Ce n’est pas ainsi que devraient être les relations entre grandes puissances.
A l’intention des Etats-Unis, le Global Times rappelle que l’action climat de l’ONU engage les « intérêts fondamentaux de toute l’espèce humaine, ainsi que les arrangements spécifiques adoptés pour réduire les émissions dans chaque pays, selon les intérêts de chacun ». Pour le Global Times, c’est un problème qui concerne avant tout
les pays développés car ils ont déjà achevé leur industrialisation. (…) Les pays en développement sont encore dans le processus d’industrialisation et certains viennent seulement de s’y engager. Le niveau de vie des populations est encore bas dans ces pays et il est particulièrement important de créer plus de ressources pour améliorer leur niveau de vie à travers une industrialisation accrue. Leur droit à la subsistance diffère donc de celui des pays développés.
La question est de savoir si « Washington, en vue de ses propres intérêts, utilisera sa force nationale comme levier pour obliger d’autres pays à accepter d’aller plus loin. Les pays devraient être vigilants », ajoute Global Times, notant que
si le monde adopte aujourd’hui la neutralité carbone, le développement économique du monde se perpétuera tel qu’il est aujourd’hui (…) et l’écart entre pays développés et sous-développés deviendra alors permanent.
A titre d’exemple, Global Times note que « si la Chine et les États-Unis sont les plus grands émetteurs, il y a d’énormes différences au niveau de leurs populations et de leur développement économique. Malgré tout, les Etats-Unis veulent que la Chine prenne plus de responsabilités dans la réduction des émissions. (...) »
« N’y a-t-il pas de lien entre ces pressions venant de Washington, dans le cadre du réchauffement climatique, et les initiatives directement géopolitiques des Etats-Unis contre la Chine ? » demande Global Times.
« Nous devons promouvoir l’idée que les intérêts communs de l’humanité sont définis conjointement par les intérêts des peuples de tous les pays, plutôt que par une poignée de pays qui veulent monopoliser cette définition. »
Au sommet Biden, Russie et Chine font entendre leur voix
Même si, en dehors des questions climatiques, l’ambiance est à la guerre mondiale, la Chine et la Russie mirent à profit cette invitation pour présenter leurs propres visions et projets. Le discours du président Xi Jinping s’avéra particulièrement inspirant et juste, s’adressant non à tel ou tel pays en particulier, mais à toute l’humanité. L’unité doit prévaloir entre l’homme et la nature, a-t-il dit, rappelant que « depuis toujours, la civilisation chinoise préconise l’unité entre le Ciel et l’homme, le respect des lois de la nature et la coexistence harmonieuse », et appelant la communauté internationale à « agir de concert pour construire ensemble un avenir partagé pour l’homme et la nature ».
Pour lui, cette relation de respect ne peut être atteinte que par l’innovation.
Nous devons suivre le courant de la révolution technologique et de la transformation industrielle de l’époque, saisir les immenses opportunités de développement générées par la transition verte, et valoriser le rôle moteur de l’innovation dans nos efforts visant à favoriser la restructuration et la montée en gamme économiques, énergétiques et industrielles, en vue d’assurer un développement économique et social durable basé sur la protection de l’environnement au niveau planétaire.
Dans ce contexte, le Président chinois présenta la notion de responsabilités différenciées entre pays développés et pauvres.
Les pays en développement font face à de multiples défis tels que la lutte contre la COVID-19, le développement de l’économie et la réponse au changement climatique. Nous devons reconnaître pleinement leur contribution à la lutte contre le changement climatique et prendre en considération leurs difficultés et préoccupations particulières. Les pays développés doivent faire preuve d’une plus grande ambition et prendre des mesures plus énergiques, et en même temps, aider effectivement les pays en développement à accroître leurs capacités et résilience face au changement climatique, leur fournir des soutiens en matière de fonds, de technologies et de renforcement de capacités, s’abstenir d’ériger des barrières commerciales vertes et contribuer à l’accélération de la transition verte et bas carbone dans les pays en développement.
Quant à Vladimir Poutine, il annonça que grâce à la restructuration de son industrie et de son secteur énergétique, la Russie avait déjà réduit de moitié ses émissions depuis 1990, passant de 3,1 milliards à 1,6 milliard de tonnes d’équivalent C02, de sorte que 45 % de son énergie provient de sources propres, dont le nucléaire.
Ce sommet Biden aura donc eu le mérite de permettre à chaque camp de présenter sa vision sur le problème du climat et aux pays en voie de développement de comprendre où se trouve leur intérêt. La suite sera décisive pour voir si le monde pourra s’acheminer pacifiquement vers un nouvel ordre économique international, ou sombrer au contraire dans un nouveau conflit mondial.