Présentation de Marcia Baker (Etats-Unis), à la visioconférence de l’Institut Schiller du 20 et 21 mars 2021.
Comme le rappelait récemment le Dr Walter Faggett, pédiatre et ancien haut responsable de la santé de la capitale américaine, lors d’une réunion de médecins et d’agriculteurs, « la nourriture est un médicament ».
Et tout le monde a applaudi. Ce à quoi il faisait référence, ce n’était pas ces réclames que l’on voit à la télévision en fin de soirée pour promouvoir des boissons énergisantes ou les betteraves magiques. Il faisait référence à l’état de santé général de chacun, qui dépend des soins médicaux et des vaccins, ainsi que d’une alimentation quotidienne suffisante et équilibrée.
Nous sommes dans une situation d’urgence. Sur le plan médical, nous manquons cruellement de vaccins et d’infrastructures de santé : infirmiers, aides-soignants, médecins, hôpitaux, R&D, et même simplement d’eau, d’électricité et d’infrastructures sanitaires de base !
Concernant l’alimentation, nous avons des famines qui sont provoquées par l’homme. La carte ci-dessous du PAM montre, en rouge le plus foncé, les nations qui souffrent le plus durement du manque de nourriture en 2018. Vous voyez de grandes parties de l’Afrique, le Yémen et Haïti, entre autres. Plus de 30 pays sont dans cette situation.
Le nombre de personnes en situation d’extrême précarité ne cesse d’augmenter et s’élève aujourd’hui à 270 millions. Rien qu’au Yémen, 20 millions de personnes souffrent de malnutrition.
Même avant même que la pandémie ne frappe, il y avait plus de 800 millions de personnes en situation d’« insécurité alimentaire », c’est-à-dire qui ne mangeaient pas à leur faim, soit environ une personne sur huit sur la planète.
Des intérêts mal intentionnés et certaines pratiques sont responsables de cette faim et de ces maladies. Mais d’abord, voyons ce qu’ils font pour nous empêcher d’agir en cas d’urgence.
Cela commence par un black-out médiatique. Ensuite, ils créent des diversions. Par exemple, la campagne « ne gaspillez pas la nourriture ». Bien sûr qu’on ne doit pas gaspiller la nourriture ! Mais en vous focalisant exclusivement sur cet aspect, vous gaspillez vos passions.
Troisièmement, le grand mensonge est qu’il y a beaucoup de nourriture dans le monde, mais qu’elle n’est pas distribuée équitablement et qu’elle est gaspillée.
Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterrès, a ainsi déclaré, en juin dernier : « Alors qu’il y a largement assez de nourriture dans le monde pour nourrir tout le monde, plus de 820 millions de personnes ne mangent toujours pas à leur faim... »
Il organisera un sommet mondial sur les systèmes alimentaires aux Nations unies en septembre, pour défendre cette supercherie.
Doubler la production alimentaire
En réalité, nous devons doubler la production alimentaire. Prenez les céréales (maïs, blé, riz, mil, orge et avoine, par ordre de production mondiale) comme étalon de mesure. Pour chaque personne, il faudrait en produire environ une demi-tonne par an.
Cela comprend aussi bien la consommation directe que ce qu’il faut pour produire les protéines animales comme la viande, le lait ou les œufs. Sans compter une part réservée à des stocks stratégiques.
Multipliez ce chiffre par le nombre d’habitants de la planète (x 7,9 milliards) et vous découvrez que le monde devrait produire 4 ou 5 milliards de tonnes de céréales par an. A ce jour, avec 2,7 milliards de tonnes, l’humanité n’en produit que la moitié. Bien sûr, c’est un calcul grossier et on peut y apporter des nuances.
Cependant, depuis quelques années, le fait est que dans certaines pays, les récoltes sont en baisse et que la famine augmente.
Voici un instantané de la production mondiale de céréales, et des stocks. Regardez l’écart : les stocks baissent. La situation va donc s’aggraver.
Alors, que devons-nous faire ? A court terme, tirer immédiatement le meilleur parti de la nourriture disponible et l’apporter en urgence aux populations. À plus long terme, augmenter la production.
Prenons l’exemple du maïs, la première céréale au monde en termes de volume de production.
Voici une carte du monde montrant où le maïs est produit aujourd’hui. Vous voyez la ceinture de maïs des États-Unis, qui produit plus d’un tiers de toute la récolte mondiale, et le Mexique, d’où le maïs est originaire. En Amérique du Sud, on a le Brésil et l’Argentine. L’Europe centrale en cultive beaucoup, et la Chine aussi. L’Afrique du Sud en produit une quantité importante.
A première vue, on pourrait dire : produisez plus de maïs, là où il est déjà cultivé. Une bonne impulsion. Assurez-vous que les agriculteurs bénéficient d’un soutien – un bon prix, des intrants, et faites-le.
Mais regardez les autres parties du monde où l’on en cultive peu, parce que l’agriculture a été délibérément abandonnée, les rendements y étant faibles et les catastrophes agricoles fréquentes. Il faut remédier à cette tendance.
Prenez le sud-est de l’Afrique, l’une des régions de maïs potentiellement les plus riches du monde. Les rendements ici, à l’exception de l’Afrique du Sud, sont cependant inférieurs à 2 tonnes par hectare, contre 6 aux États-Unis, par exemple. Pourquoi ? Tout fait défaut : de bonnes semences, des engrais, de l’eau en temps voulu, la mécanisation... on peut changer cela.
On voit ici (à gauche) du maïs qui pousse sur un sol sec, à partir de nouvelles variétés de semences résistant à la sécheresse. Elles ont été développées au cours des douze dernières années et des programmes de partenariat ont été mis en place pour les distribuer dans différentes régions d’Afrique australe. Le rendement peut être immédiatement augmenté de moitié.
Ci-contre, la carte des pays cibles de la ceinture du maïs en Afrique. Des programmes ont été mis en place pour élaborer de bonnes semences, par le Centre international d’amélioration du maïs et du blé, basé au Mexique, et par l’université Davis de Californie. La Chine fait également des merveilles avec les semences de riz.
A droite un relevé satellitaire du Mozambique en février 2021 qui montre les régions touchées par la sécheresse, après l’ouragan de janvier. 80 % de la population travaille dans l’agriculture. Le maïs représente 30 % de l’alimentation quotidienne. Les nouvelles semences peuvent augmenter les rendements de moitié.
Les semences ne sont qu’une partie de l’évolution possible de l’agriculture et de l’alimentation dans le monde. Mais il faut comprendre qu’agir sur ce point nécessite de remettre en cause le contrôle quasi-impérial des grands trusts de l’agrobusiness qui ont la haute main sur le marché mondial de l’alimentation. (A l’exception, heureusement, de la Chine et maintenant de la Russie.)
La « Corn Belt », la ceinture américaine du maïs, et d’autres secteurs sont utilisés comme zones d’approvisionnement pour ces grandes entreprises, qui dictent ainsi qui mangera et qui ne mangera pas.
Ils nous montent les uns contre les autres. Ils disent aux producteurs de maïs américains que si l’Afrique produit, ils perdront des parts de marché, et aux éleveurs africains que les éleveurs américains les détestent, etc.
Les agriculteurs seront les premiers à vous dire que nous sommes au bout du rouleau, aussi bien les agriculteurs que les éleveurs indépendants.
En Inde, des milliers d’agriculteurs manifestent depuis novembre dernier contre de nouvelles lois agricoles radicales, qui donneront aux cartels alimentaires un vaste contrôle et ruineront les producteurs.
En Allemagne, cette photo montre des agriculteurs qui ont sorti leurs tracteurs en février pour manifester contre ce qui se passe. Ici, à Munich, les panneaux sur les tracteurs disent : « Si l’agriculteur est ruiné, mangerez-vous des produits importés ? » et « Sans la campagne, pas de pain quotidien ! »
A cela s’ajoute le mouvement pour la nourriture synthétique, ou malbouffe, détenue et promue par ces mêmes cartels. Si le produit lui-même peut être adapté pour les voyages dans l’espace et les urgences, sa généralisation relèverait d’un contrôle alimentaire et d’une campagne de dépeuplement.
Ce dont nous avons besoin pour l’alimentation et l’agriculture, comme pour la santé publique, nécessite à la fois des mesures d’urgence, comme les vaccins et l’aide alimentaire, et des mesures à long terme pour la santé et l’agriculture. Cela implique l’exercice de la souveraineté.
Ce qui doit être fait :
1) Fournir d’urgence de la nourriture à ceux qui en ont besoin. Selon le Programme alimentaire mondial des Nations unies (PAM), le montant de ce qui est nécessaire cette année est de l’ordre de 12 milliards de dollars, soit 5 milliards de plus que les dons récoltés. Les logisticiens des armées y feront merveille.
2) Défendre la productivité des agriculteurs partout dans le monde. Cela signifie des prix justes et stables, un soutien aux agriculteurs indépendants et familiaux, avec des mesures de soutien spécifiques pour les jeunes agriculteurs.
3) Fournir des intrants agricoles d’urgence partout où c’est nécessaire, afin de maximiser ce qui peut être produit dans les prochains cycles de récolte et poser les bases pour le long terme.
Arrêtons le saccage en cours de l’agriculture ! En mai dernier, l’UE a annoncé son invraisemblable « Green New Deal », visant à réduire la production alimentaire.
Baptisé De la ferme à la fourchette, ce programme prévoit que d’ici 2030, on devra réduire de 10 % les terres utilisées pour l’agriculture, de 20 % les engrais, de 50 % les médicaments vétérinaires et de 50 % les produits chimiques antiparasitaires. Cela se traduira par une diminution de la nourriture pour 185 millions de personnes.
Déjà, la Grande-Bretagne et les États-Unis appliquent ces politiques suicidaires.
L’année dernière, la Grande-Bretagne a mis en place ce qu’elle appelle sa loi sur l’agriculture. Aux États-Unis, le 27 janvier, l’administration Biden a publié l’ordre exécutif 14008, qui énonce le plan « 30 x 30 » visant à soustraire 30 % des terres et des zones maritimes américaines à l’agriculture et d’autres usages productifs d’ici 2030.
L’été dernier, Helga Zepp-LaRouche a appelé à la création d’un « Comité pour la coïncidence des opposés » afin de lutter contre ce désastre. Ce comité tire son nom du concept élaboré par le penseur Nicolas de Cues (XVe siècle), faisant référence au principe de la compréhension de l’intérêt commun de toutes les parties impliquées, au-delà des conflits apparents.
Cela apparaît clairement aujourd’hui au vu du bénéfice mutuel que chacun pourrait tirer d’une réelle victoire contre la pandémie et la famine.
Le Comité travaille à l’élaboration de projets pilotes, destinés à fournir une aide et une assistance concrètes, bien qu’à petite échelle, et à catalyser une action toujours plus large à grande échelle.
Cela consiste, par exemple, en un envoi combiné d’aide en Afrique australe, avec des fournitures médicales, de la nourriture et des semences. D’autres actions se déroulent aux États-Unis, afin d’enrôler de jeunes stagiaires dans des services municipaux de santé publique.
L’un des promoteurs de cette vision est décédé il y a un mois. Il s’agit de Santaya Rajaram (1943-2021), un agronome réputé qui développa 480 nouvelles variétés de blé. D’origine indienne, avant de devenir citoyen mexicain, c’était un homme animé d’un optimisme exemplaire. A 29 ans, il commença à travailler avec le futur prix Nobel, l’agronome américain Norman Borlaug (1914-2009, au Centre international d’amélioration du maïs et du blé.
En 2014, il s’est entretenu avec Carolina Dominguez et Fabiola Ramirez, qui l’interviewait pour le Mouvement de LaRouche au Mexique. Après avoir remercié tous ceux qui avaient travaillé avec lui sur les programmes de sélection du blé, il exhorta les jeunes non seulement à travailler dur, mais à avoir une vision aussi large que possible.
Il déclara :
Après la ‘Révolution verte’, pendant la période où j’ai dirigé la recherche sur le blé et son développement, le monde a pu produire 200 millions de tonnes de blé supplémentaires. C’est un grand progrès dans la disponibilité de la nourriture mondiale. De nombreux pays, plus de 50, ont bénéficié de ce développement, y compris le Mexique.
Nous pouvons y arriver. Voici une scène au Yémen l’année dernière. De la nourriture et des médicaments : nous pouvons y arriver !