Comment Macron nous fera payer le plan de relance

vendredi 10 juillet 2020, par Karel Vereycken

Emmanuel Macron l’a toujours dit : il n’y a pas d’argent magique. Sauf bien-sûr, pour les banques systémiques qui tiennent nos gouvernements en otage. Pour les autres, une dette cela se paie !

Cela n’a pas fait la une des grands journaux. N’empêche que ce printemps, obligée de dépenser dans l’urgence pour faire face à l’épidémie du coronavirus, l’Italie n’a pas seulement failli faire un défaut de paiement sur sa dette : bien plus soutenue par la Chine, la Russie et Cuba que par Bruxelles, Berlin et Paris, elle a failli claquer la porte de la zone euro et de l’UE.

L’Italie n’étant pas la Grèce, le départ retentissant de la 8e puissance économique du monde aurait fait exploser l’UE et la zone euro en plein vol.

Le plan de relance européen

Bien plus que la pandémie, c’est cette menace systémique sur la zone euro qui a conduit Christine Lagarde à sortir le « bazooka » de la BCE et surtout à convaincre la chancelière allemande de céder aux demandes d’Emmanuel Macron en faveur d’un « Plan de relance » européen de 750 milliards d’euros.

Alors que la BCE, comme les autres grandes banques centrales, fournit encore de la « morphine » monétaire, sans contrepartie, aux méga-banques, pour le plan de relance, c’est la Commission européenne qui, méthode inédite, lèvera des fonds sur les marchés avant de les répartir sous des conditions strictes aux Etats européens : 500 milliards sous forme de « dotations » et le reste sous forme de « prêts ».

Cet argent « magique » arrivera, au plus tôt, l’année prochaine, a insisté Mme Merkel, sous condition, démocratie oblige, que l’ensemble des parlements des pays membres de l’UE veuillent bien ratifier le projet.

En attendant, la plupart des pays européens doivent faire face aux dépenses engendrées par la crise sanitaire et ses conséquences économiques dévastatrices : pertes de recettes fiscales des collectivités et des États, faillites en série de pans entiers de l’économie (tourisme, transports aérien, etc.) et, pour rassurer les actionnaires, licenciements en masse. Sanofi, Renault, Airbus, Air France... longue est la liste de ces entreprises qui paient des dividendes, empochent les aides et présentent, sous le label orwellien des « Plans de sauvetage de l’Emploi » (PSE) des plans de suppression de postes.

« Les chiffres, nous dit La Charente Libre [1],

se transforment en visages défaits, en vies percutées, en familles paniquées. En raz-de-marée de licenciés comme en justifications cyniques insupportables que l’État ne peut que regretter à défaut d’empêcher. Ces chiffres des pertes d’emplois annoncés – 800 000 en France selon le gouvernement d’ici la fin de l’année – ne donnaient rien d’autre qu’une masse invisible de dégâts économiques à venir. 

Autorisé par Bruxelles à outrepasser les sacro-saints critères comptables de Maastricht le temps de la pandémie, chaque Etat a bricolé son propre « plan de relance » en piochant dans ses excédents ou en creusant ses déficits selon sa situation.

Macron annonce 500 milliards d’euros

Cependant, lorsque le gouvernement annonce « mobiliser » 463 milliards d’euros, il ne s’agit que de 136 Mds « de soutien » dont seulement 58 Mds sont à ce stade considérés comme des dépenses budgétaires effectives.

La différence entre ces 136 Mds et les 463 Mds annoncés, ce sont les 327 Mds de garanties (crédits, export, etc.) apportées par l’Etat. Tant que le bénéficiaire honore son crédit, l’État ne paie pas un centime.

Soulignons ici que l’angle mort des Prêts garantis par l’État (PGE), c’est que les entreprises ayant connu une restructuration de leur activité ne trouvent pas de banquier pour les financer.

De manière logique, elles ne bénéficieront pas des PGE puisqu’aucune banque ne leur prête... A cela s’ajoute que la double la perspective d’une activité moindre, notamment en cas de deuxième vague, et d’un endettement supplémentaire, risque de convaincre de nombreux entrepreneurs que le dépôt de bilan immédiat est plus avantageux que la poursuite de l’activité.

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Ensuite, les 58 Mds, inscrits au budget de la nation, financent le chômage partiel (31 Mds d’euros), le Fonds de solidarité pour les petites entreprises (8 Mds d’euros) ou les dépenses de santé engagées de manière exceptionnelles pour lutter contre l’épidémie (8 Mds d’euros). Le reste étant des reports de charges.

Pour les secteurs sinistrés, 18 Mds iront au secteur du tourisme. Sont comprises les mesures de chômage partiel, de prêts garantis par l’État et près de 3 Mds d’exonération de contributions sociales ou reports d’impôts. L’industrie automobile profitera de 8 Mds. Outre l’aide au chômage partiel et les emprunts garantis, ce montant inclut 1 Md d’euros pour soutenir la demande de véhicules et un autre milliard pour encourager les investissements à produire les voitures hybrides et électriques en France. L’État consacrera 15 Mds d’euros à l’industrie aéronautique et au transport aérien, dont 7 Mds de prêts accordés à Air France-KLM. Enfin, Le gouvernement prévoit 600 millions d’euros supplémentaires pour les start-up technologiques, en créant notamment un fonds d’investissement. D’autres aides sont prévues pour la culture, le BTP et l’agriculture.

La dette, la dette et encore la dette !

A ce jour, cela représente à l’échelle européenne près de 2 300 Mds d’euros. Sur ce total, une petite moitié (43,5 %) a été injectée en Allemagne. Arrivent derrière l’Italie (19 %) et la France (17,9 %). L’Espagne suit, avec seulement 4 %…

La France s’en tire particulièrement mal, souligne Le Monde :

Avec un produit intérieur brut (PIB) qui devrait chuter de 10,6 % en 2020, elle fait à peine mieux que l’Italie (– 11,2 %) et l’Espagne (– 10,6 %), et fait donc partie du peloton de queue de l’UE. A titre de comparaison, l’Allemagne devrait voir son activité se contracter de 6,3 % cette année, tandis que la Pologne affiche la moins mauvaise performance (– 4,6 %).

Résultat : la dette publique française atteindra 121 % du PIB à la fin de l’année. C’est une mauvaise situation que la France n’a connue que lors des deux conflits mondiaux, durant lesquels le taux d’endettement avait même franchi le seuil des 250 %.

Dans ce contexte, une vraie Banque nationale, émettrice du crédit souverain sous contrôle citoyen comme le propose Jacques Cheminade et S&P, fait cruellement défaut.

Car notre destin est aux mains des banques. S’interdisant toute annulation ou transformation de la dette par crainte de se mettre à dos « les marchés » qui, avec l’argent magique gratuit de la BCE, ont la gentillesse infinie d’acheter notre dette, le gouvernement doit présenter un échéancier et pire encore, des réformes austéritaires.

« A situation exceptionnelle, solution exceptionnelle », nous dit le gouvernement bien qu’il passe, comme d’habitude, la facture au contribuable. Un discours surprenant quand certains envisagent de transformer l’argent que la BCE prête aux banques en « dette perpétuelle » leur laissant seulement la charge des intérêts...

D’après Les Echos, Bercy cherche à isoler les 150 Mds d’euros de « dette Covid » dans une structure à part.

Et le 15 juin, en première lecture, les députés ont adopté une loi organisant le transfert de 136 Mds d’euros de cette dette, dont 92 Mds à titre prévisionnel pour les années 2020 à 2023, de l’Acoss (qui gère les comptes de la Sécurité sociale) à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES).

Créé en 1996 par le plan Juppé, ce mécanisme alimenté essentiellement par la Contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) de 0,5 % prélevée sur toute forme de revenus des Français, devait s’éteindre en 2024. Évidemment, en chargeant la CADES d’épurer la nouvelle dette, celle-ci se prolongera jusqu’en 2033.

Olivier Véran a assuré que ce n’était « pas un problème mais un enjeu ». « Je suis attaché à ce que l’État paye ses dettes, très attaché à ce qu’on n’engage pas de dépenses aujourd’hui que nous ne soyons pas en mesure de rembourser. » A l’heure actuelle, la loi attend son adoption au Sénat.

C’est donc une double, voire une triple peine que subissent les Français. Ces derniers devront également rembourser la « dette Covid » contractée par les collectivités territoriales et locales. Soit en se passant d’investissements que les collectivités ne réaliseront pas, soit en voyant leurs impôts augmentés l’an prochain, soit les deux à la fois. Car les collectivités ont souvent elles-mêmes contracté des prêts qu’elles accordent à leur tour, sans intérêts le plus souvent, aux entreprises de leur territoire respectif pour faire face et ainsi soutenir l’emploi, conjointement aux dispositifs nationaux.

Le débat sur l’avenir des dettes et un retour au crédit productif public et souverain grâce à une « nationalisation » de la Banque de France revient ainsi brutalement sur la table. Le « projet » présenté par Jacques Cheminade en 2017 et Réparation, Reconstruction et Refondation, la « feuille de route » de Solidarité & Progrès y apportent les réponses.