Chronique stratégique du 23 juillet 2019 (pour s’abonner c’est PAR ICI)
Dans le grand casino financier mondial, où les banquiers centraux se font depuis plusieurs années les dealers d’héroïne monétaire sans limites, il ne faut pas s’étonner de découvrir un beau jour des zombies bancaires errant çà et là, près d’entraîner tout le monde au cimetière avec eux si l’on ne met pas fin avant à cette folie collective.
La Deutsche Bank (DB), l’une des 27 banques systémiques dont dépend la survie de tout le système financier mondial, poursuit sa descente aux Enfers. Le 8 juillet elle a annoncé un plan de restructuration de 7,4 milliards d’euros sans précédent.
A première vue, on pourrait s’en féliciter puisqu’elle annonce se retirer en grande partie des opérations de marché pour se reconcentrer sur ses clients. Cependant, au lieu d’une mise en faillite ordonnée selon les principes du Glass-Steagall de Franklin Roosevelt, qui aurait permis de scier la branche spéculative, la banque annonce simplement :
- son quasi retrait des activités de marchés, y compris la fermeture de ses opérations à Wall Street ;
- la création d’une « bad bank » pour gérer dans le temps ses 74 milliards d’euros d’actifs pourris ;
- la suppression de 18 000 emplois en trois ans, soit un cinquième de ses effectifs.
En réalité, comme dans le cas de Dexia, autre banque systémique, il s’agit d’une banqueroute soft supposée éviter la panique et la contagion.
Bank run
La chute du mastodonte bancaire allemand a débuté au moment de la crise des subprimes et de Lehman Brothers, en 2007-2008. La valeur de son action est ainsi passée de près de 110 euros en mai 2007 à 7 euros aujourd’hui ; soit une chute de 93 % ! Depuis 2012, la direction de la banque a changé cinq fois de PDG.
Quelques jours avant l’annonce du plan de restructuration, Renaissance Technologies (Ren Tec), l’un des hedge-funds (« fonds spéculatifs ») les plus performants au monde, a commencé à retirer ses liquidités de la DB. D’après Bloomberg, de nombreux clients – généralement des hedge-funds – ont depuis suivi Ren Tec, et nous assisterions désormais à un « bank run » institutionnel, les clients retirant 1 milliards de dollars par jour.
Après la Deutsche Bank, la BNP Paribas ?
Quand les cadavres sont à terre, les vautours ne sont généralement pas loin... Ainsi, pour stopper l’hémorragie, la DB envisagerait un plan de transfert d’environ 200 milliards d’euros de ses activités liées aux hedge-funds vers la BNP Paribas – qui salive sans doute à l’idée de devenir la première banque française d’investissement sur le continent.
A en croire ce qui filtre dans la presse, Deutsche aurait conclu un accord préliminaire avec la BNP, qui était la semaine dernière en compétition avec d’autres banques et notamment Citigroup, pour lui céder certaines activités sur les marchés actions et assurer ainsi une « continuité de service » auprès de ses clients.
Cet accord pourrait impliquer à terme le transfert des employés de la banque d’investissement, selon des sources proches du dossier citées par le Wall Street Journal. BNP Paribas est en négociations avec Deutsche Bank pour la reprise de ses activités de trading électronique (une spéculation folle) et de « prime services » à destination des hedge-funds (leur fournir du cash, des titres et des actions pour qu’ils puissent continuer à spéculer).
Dans la logique actuelle, c’est la course à la taille qui permet de triompher. Avec 14 milliards de capitalisation boursière (autant que les amendes qu’elle a dû régler), DB pèse à peine plus que Natixis, trois fois moins que BNP Paribas et vingt fois moins que la banque américaine JP Morgan ! Son bénéfice annuel en 2018 est l’équivalent de ce que génère BNP Paribas en moins de quinze jours.
Certains argueront que c’est la loi de la concurrence, et que le plus fort l’emporte dans la jungle des marchés. Sauf que, comme l’a montré l’économiste Jean-Pierre Chevallier, le ratio de la BNP Paribas entre ses fonds propres et les prêts consentis — « l’effet de levier » — est de 41,6 (autant que la Société Générale, d’ailleurs), alors que celui de la DB est de 36. Pour rappel, celui de Lehmann Brothers était de 32 au moment de sa faillite, en septembre 2008...
« Un réacteur en fusion au cœur de la zone euro »
Il n’en reste pas moins que l’effondrement de la DB constitue une véritable bombe à retardement pour l’ensemble du système financier international. « Le cas de la Deutsche Bank est un tabou dans les milieux financiers », expliquait en septembre 2018 à Capital le responsable macroéconomique d’une grande banque européenne, sous anonymat. « C’est le maillon faible de la chaîne à cause de son exposition aux produits dérivés ». [1]
De part son intrication dans l’ensemble du tissu économique de l’Allemagne, et de part la masse d’actifs spéculatifs dans lesquels elle s’est compromise, la DB risque de devenir bientôt « un réacteur en fusion au milieu de la zone euro », comme l’a récemment affirmé un de ses concurrents. La banque allemande est en effet la banque la plus exposée aux produits dérivés financiers du monde. Selon différentes sources, cette exposition se situe entre 43 000 et 64 000 milliards d’euros, soit plus de 13 fois le PIB de l’Allemagne, ou 21 fois la dette publique.
Selon l’économiste allemand Marc Friedrich, interrogé le 19 juin sur Sputnik News, l’effondrement de la DB « déclenchera un écroulement financier tel que le monde n’en a jamais connu. Comparé à cela, la banqueroute de Lehman Brothers paraîtra une simple gaminerie ».
En mai 2018, S&P, le parti présidé par Jacques Cheminade, qui a toujours été à la pointe de la bataille pour « la moralisation » de la vie bancaire (Nouveau Bretton Woods, séparation stricte entre banques de marchés et banques ordinaires, jubilé sur la dette, etc.), constatant qu’en avril de la même année la BCE avait fait de Deutsche Bank la première institution sous sa supervision à devoir fournir un rapport sur les coûts et les conséquences sur les marchés en cas de démantèlement de sa division « banque d’investissement », avait alerté les élus de la nation :
Chers élus de la Nation,
Plus de 200 concitoyens, signataires de la pétition pour une moralisation de la vie bancaire, sont venus vous voir dans votre permanence ou vous ont eu au téléphone pour vous présenter notre proposition de loi pour séparer les banques d’affaires des banques de dépôts. En effet, c’est le moyen préventif le plus simple et efficace face à la menace d’un krach bancaire, dont les prémices se font sentir et où les premières victimes seraient les épargnants et les entreprises.
(…) La débâcle en cours de Deutsche Bank nous rappelle le titre d’un de nos articles de 2016 : « Avec Deutsche Bank, une vraie régulation bancaire se rappelle au bon souvenir de tous ».
Interpellés depuis des mois par les signataires de la pétition en faveur d’une « moralisation de la vie bancaire », plusieurs députés et sénateurs français sont bien conscients qu’une vraie séparation des banques est la seule mesure permettant d’assainir la situation et de protéger les dépôts des Français. Il s’agit également de la première mesure requise pour remettre le crédit au service de l’économie réelle, de la croissance et de l’emploi.
L’inquiétude exprimée aujourd’hui de façon très officielle par la BCE devrait les convaincre de ne pas attendre le prochain tsunami financier mais de passer, sans tarder et à titre préventif, à l’action.
Nos députés et sénateurs ne pourront donc pas se dire « surpris » ! Et Christine Lagarde, après avoir « sauvé » la Grèce, pourra appeler la Troïka au chevet de l’Allemagne.
Vous venez de lire notre chronique stratégique « Le monde en devenir ». ABONNEZ-VOUS ICI pour la recevoir sans limitation. Vous aurez également accès à TOUS les dossiers de ce site (plus de 400 !)...