Pourquoi la Chine pose pied sur la face cachée de la Lune

mercredi 2 janvier 2019, par Karel Vereycken

Demain jeudi 3 janvier 2019, sauf catastrophe, la mission chinoise Chang’e 4, lancée le 7 décembre, se posera sur « la face cachée » de la Lune, du jamais-vu.

Le site d’atterrissage n’a pas été choisi au hasard. Il se trouve dans une région du pôle Sud de la Lune, le bassin Aitken, dont le terrain est particulièrement complexe et escarpé. Le cratère Von Kármán est l’un des plus grands et des plus anciens cratères qui existent sur la Lune.

La face cachée de la Lune est d’un très grand intérêt scientifique et y faire rouler un rover devrait permettre un retour d’expérience très significatif.

Voici en cinq points les grands enjeux de cette mission historique :

1. Alunir de façon autonome

Le problème de la « face cachée » de la Lune, c’est qu’elle échappe à toute communication radio. Cela s’explique par le phénomène de verrouillage gravitationnel, qui fait qu’un satellite tourne de manière synchronisée sur lui-même et autour de la planète et par conséquent nous montre toujours la même face.

Du coup, l’alunissage devient un défi majeur : tout devra être réalisé de manière autonome par la sonde. En cas de succès, la Chine renforcera son image de géant scientifique et technologique. Beijing a déjà montré sa puissance dans le domaine : à l’origine du premier satellite quantique et de la construction du plus grand télescope du monde, c’est également la Chine qui a envoyé le plus de fusées dans l’espace en 2018.

2. Pourquoi la « face cachée » est si différente que la face visible ?

Au sol, le rover étudiera les conditions géologiques propres à la « face cachée ». Il faut savoir qu’elle présente une géologie unique, complètement différente de celle de la face visible depuis la Terre.

Pourquoi possède-t-elle beaucoup moins de grands cratères et, pour ainsi dire, aucune mer ? Pourtant, est-elle marquée par une activité volcanique relativement récente, pouvant remonter à 100 millions d’années ? La mission Chang’e 4 nous fera avancer dans notre compréhension de ce paradoxe.

3. Pouvons nous y planter des « pommes de Lune » ?

Pour tenter de cultiver le tubercule, les graines seront placées dans un cylindre en compagnie de vers à soie.

Le rover va également examiner si des plantes sont susceptibles d’être cultivées sur la Lune. Pour cela, il apporte avec lui un conteneur rempli de graines, mais aussi d’insectes. Mais comment cultiver des légumes dans un environnement si hostile ? La Chine mise sur... les vers à soie. Dans un petit cylindre de 3 kg se trouvent des graines de pommes de terre et des œufs de ver à soie. Objectif : en se développant dans un environnement fermé, les œufs vont générer du dioxyde de carbone, consommé par les patates qui vont produire de l’oxygène... consommé par les œufs. Avec cet écosystème élémentaire, les chercheurs espèrent réussir à cultiver à terme des pommes de terre lunaires.

4. Etablir un observatoire pour étudier nos origines

Comment ? Grâce aux différents instruments à bord, Chang’e 4 va également lever les yeux vers les étoiles. En plus de ces équipements, le satellite de communication Queqiao, ainsi qu’un troisième micro satellite qui va orbiter autour de la Lune, précise Science magazine.

On ne parle pas encore de grands radiotélescopes, mais d’antennes visant à détecter des ondes radio de très basse fréquence. Théoriquement, c’est en analysant ce type d’ondes que nous pourrions mieux comprendre les premiers millions d’années de l’univers, le gaz interstellaire ou encore la manière dont les étoiles meurent.

Pour l’instant, il est impossible d’observer ces ondes depuis la Terre, en raison des interférences naturelles et artificielles qui entourent la planète bleue. Cachées par la Lune, ces antennes devraient donc pouvoir observer l’espace sans le « bruit » parasite venant de la Terre.

Ces observations pourraient donner lieu à des découvertes, mais devraient surtout ouvrir la voie à un nouveau mode d’observation des étoiles, l’astronomie dans le domaine des basses fréquences.

5. Une vaste réserve d’énergie pour l’humanité

Chang’e 4 est également d’un très grand intérêt économique. Il faut savoir que les échantillons ramenés lors des missions Apollo ont démontré que le sol de notre satellite naturel est parsemé d’hélium-3.

Or, selon les scientifiques, cet isotope de l’hélium pourrait devenir, dans le futur, le carburant privilégié de réacteurs nucléaires à fusion contrôlée (de deuxième génération), permettant de produire des quantités phénoménales d’énergie. Cet élément est plus abondant sur la Lune que sur Terre, et probablement plus encore sur la face cachée de la Lune.

En 2015, Ouyang Ziyuan, le responsable scientifique du programme chinois d’exploration lunaire, estimait : « La Lune est tellement riche en hélium 3 que cela pourrait régler le problème des besoins en énergie de l’humanité pour au moins 10 000 ans ».

La Chine a déjà lancé des recherches sur la possibilité d’ouvrir une mine sur la Lune et l’hélium-3 lunaire est toujours un objectif plus ou moins important dans chaque mission de son programme.