Geôle européenne : ceux qui tentent de se sauver et ceux qui s’enfoncent

jeudi 20 décembre 2018, par Christine Bierre

Le cri de colère de la France d’en bas qui subit depuis trente ans la désindustrialisation, les recettes libérales favorables aux très riches et l’austérité mortifère de Bruxelles, a fait tomber brutalement le masque de « progressiste » que M. Macron s’était arrogé lors des cérémonies du 11 novembre.

Désormais on peut parler de deux groupes de nations en Europe, celles qui cherchent la sortie de secours et les canots de sauvetage pour rejoindre le nouveau paradigme de croissance dans le monde autour de la Chine - le Portugal, l’Espagne, l’Italie, la Grèce et les nations d’Europe de l’Est – et d’autres qui, comme la France de Macron, cherchent a s’y enfoncer davantage.

Certes, ceux qui cherchent à s’en sortir forment un groupe très hétéroclite allant de la gauche aux populismes anti-immigration, en passant par des vrais patriotes. Mais c’est dans ces groupes « d’anti-système », engendrés par l’explosion des partis traditionnels broyés par la crise, que les options pour le changement profond que S&P défend depuis des années, commencent à se faire entendre. A nous de les faire triompher au milieu de cette grave crise que traverse le pays.

Ouvrir les yeux des parlementaires américains sur la nécessité d’une réforme bancaire et l’intérêt des Nouvelles Routes de la soie, une mission commune. De gauche à droite : Michele Geraci, secrétaire d’Etat italien au Développement économique, Paul Gallagher, rédacteur du service économique de l’Executive Intelligence Review (EIR), l’eurodéputé Marco Zanni (Ligue) et Alicia Cerretani du Comité d’action de l’homme politique américain Lyndon LaRouche.
LPAC

1. Lobbying italien au Congrès US pour la séparation bancaire

Une coopération des plus fructueuses entre nos amis italiens de Movisol et ceux du LaRouche PAC aux Etats-Unis vient d’aboutir à la visite au Congrès américain de Marco Zanni, eurodéputé de La Ligue au pouvoir en Italie, au Congrès américain, pour rencontrer une vingtaine d’élus américains.

Objectif : leur présenter la pétition lancée à l’initiative de Movisol et de sa présidente, Liliana Gorini, et signée par 217 élus italiens, demandant que les Etats-Unis, l’Europe et l’Italie rétablissent la séparation stricte entre banques spéculatives et banques de dépôts et de prêt à l’économie productive : le fameux Glass-Steagall Act introduit par Roosevelt en 1933 repris en France en décembre 1945 par De Gaulle et les communistes.

Marco Zanni a rappelé que « dans le programme gouvernemental [de la Ligue et du Mouvement 5 étoiles] figure la demande pour séparer les banques car nous devons mieux réguler nos marchés financiers (...) afin de créer un système qui soutiendra l’économie réelle et les investissements dans de grands projets d’équipement. »

Il a également noté que « la pétition qui circule depuis deux ans a été signée par de nombreux parlementaires et membres du gouvernement actuel, dont l’actuel Premier ministre-adjoint, Matteo Salvini ». Pas moins de trois ministres et quatre secrétaires d’Etat du gouvernement actuel ont en effet signé cette pétition.

Pourquoi aller voir le Président Trump ? Tout d’abord parce que « toute la législation sur ces questions », a rappelé Zanni « est rédigée et décidée au niveau international ».

Ensuite parce que la demande d’un retour au Glass-Steagall Act figure justement dans les programmes officiels du Parti républicain et du Parti démocrate américains. Comme Zanni l’a souligné, les « banques d’affaires aux Etats-Unis et en Europe ont continué leurs activités spéculatives d’avant » comme si de rien n’était « menaçant la stabilité de notre système financier, l’économie réelle et l’industrie avec des bulles financières prêtes à éclater ».

C’est pourquoi « nous ne devons plus faire ce que nous avons fait depuis cinq ans : créer des instruments pour résorber les nouvelles crises. Nous devons aller aux causes pour empêcher [l’apparition] de nouvelles crises financières ». Zanni est également à l’origine d’une proposition pour la création d’une banque pour financer les infrastructures.

Rencontre surprise avec le Secrétaire d’Etat au développement économique

Mais voilà que, au moment même où Marco Zanni présentait la pétition aux élus, Michele Geraci, Secrétaire d’Etat italien au développement économique, était aussi à Washington pour des rencontres avec des responsables américains, des congressistes, des milieux financiers et des dirigeants de la communauté italo-américaine.

Les deux amis italiens se sont rencontrés le soir du 28 novembre pour comparer leurs notes (voir la photo) et ont donné, le 30 novembre, des entretiens à la télévision du LPAC, qui seront publiés prochainement.

Si les tirades contre la France et l’immigration de Matteo Salvini sont désormais bien connues en France, d’autres dans ce gouvernement tiennent un langage bien plus intelligent. Premier acte de rébellion de ce gouvernement : Giovanni Tria, ministre de l’Economie et Michele Geraci – tous deux fins connaisseurs de la Chine et parlant le mandarin – avaient choisi pour leur premier déplacement à l’étranger la Chine et non Bruxelles.

Le 28 août 2018, Geraci a créé une « Force opérationnelle Chine » (China Task Force) destinée à renforcer « la relation entre la Chine et l’Italie dans les domaines des échanges, de la finance, des investissements, de la R&D, des coopérations conjointes en pays tiers », et notamment en Afrique « où la Chine peut aider l’Italie à résoudre le problème de l’immigration en aidant l’Afrique ». Enfin, la force-opérationnelle Chine a pour objet de « garantir à l’Italie une position de leadership en Europe vis-à-vis des initiatives chinoises d’Une Ceinture Une Route et du Made in China 2025. »

Mais qui est Michele Geraci ? Ces extraits de son discours à l’ultralibéral Institut de l’économie internationale, le 27 novembre, vous surprendront :

Comment l’Italie peut-elle concurrencer une Chine qui produit presque la moitié de ce que produit le monde ? C’est, dit Geraci, en développant son soft power.

En Italie, nous avons un secteur manufacturier de haute qualité, non seulement parce que nous avons de bons ingénieurs, mais parce que ces ingénieurs se lèvent le matin et voient des œuvres d’art. Ils sont inspirés par la culture, par l’histoire qui entoure tout le système italien. Cela aide aussi ceux qui font du design industriel, et même ceux qui travaillent sur des machines. (…) Nous continuons à vivre des choses que nous avons faites il y a 500 ans. Nous voulons créer une nouvelle Renaissance où l’on fait à la fois de la manufacture et du soft power. (…) Que ceux qui veulent être peintres le soient, parce que leurs contributions à la société dépassera leur seule peinture.

Port de Sines au Portugal.

2. L’Espagne et Portugal toutes voiles dehors sur la Nouvelle Route de la soie

Deux responsables américains de l’Institut Schiller, Dennis et Gretchen Small, viennent de conclure une tournée en Espagne et au Portugal où ils ont présenté à des groupes de hauts responsables, instituts stratégiques et chefs d’entreprises, la substantifique moelle du rapport de l’Institut Schiller : Nouvelles Routes de la soie, Pont terrestre eurasiatique. Pour en finir avec la géopolitique.

Fruit du hasard, leur tournée a presque coïncidé avec la visite officielle du président chinois Xi Jinping en Espagne le 27 novembre et au Portugal le 4 décembre. 18 accords ont été signés avec l’Espagne, dont la Chine est devenue le principal partenaire commercial en dehors de l’UE. 17 accords ont été signés avec le Portugal dont, le plus important est le Protocole d’entente avec la Nouvelle Route de la soie (NRS).

Sinistré par le plan de « sauvetage » de la Troïka et du FMI après la crise de 2008, ce pays a repris du poil de la bête en désobéissant aux diktats budgétaires de l’UE et a compris qu’il fallait regarder vers l’Orient pour préparer l’avenir. Depuis, la Chine a acquis une position dominante chez l’électricien Energias de Portugal (EDP), chez le gestionnaire du réseau électrique REN, la BCP, la principale banque privée du pays et Fidelidade, le premier assureur).

Si les accords sont importants, le véritable enjeu pour Lisbonne et Madrid est leur coopération en Méditerranée aux Nouvelles Routes de la soie, une participation vivement souhaitée et déjà en cours de planification dans ces deux pays qui propulserait la péninsule ibérique au cœur de principaux corridors de développement lancés dans le monde sous l’impulsion de Xi Jinping.

Malheureusement, craignant que l’intervention chinoise dans une Europe en déclin ne provoque sa dislocation, l’UE veut désormais interdire à ses Etats-membres de signer des accords bilatéraux avec la Chine et la contraindre à signer des contrats uniquement avec Bruxelles ! Une pression face à laquelle l’Espagne et le Portugal réagissent différemment.

Suite au voyage de Xi Jinping, l’Espagne, dont les projets de jonction avec la NRS en cours d’élaboration sont pourtant très importants, a choisi de n’agir que dans le contexte de « l’initiative de connectivité avec l’Asie » lancée par l’UE, tout en ne s’interdisant pas cependant « d’identifier des synergies » entre les deux projets. Le Portugal a quant à lui considéré que l’identité de son pays, en tant que puissance maritime « ouverte au monde depuis cinq siècles », lui conférait le droit de poursuivre dans cette voie. C’est pourquoi le protocole d’entente qu’il a signé établit « les modalités d’une coopération bilatérale dans le domaine de l’initiative chinoise (...), couvrant une vaste gamme de secteurs, concernant en particulier la connectivité et la mobilité électrique ».

Le port de Sines au Portugal

Lors d’un premier séminaire à Lisbonne, Dennis et Gretchen Small se sont adressés à un groupe de décideurs. Pour eux, la clé pour le Portugal est le Port de Sines, premier port artificiel du pays situé au sud de Lisbonne.

Il comporte essentiellement deux atouts : d’abord il pourrait devenir la pointe extrême de la Nouvelle Route de la Soie terrestre à l’Ouest. Potentiellement, car les trains venant de Chine s’arrêtent pour l’instant à Madrid.

Il faudra étendre le réseau ferré jusqu’à Sines (660 km) et faire de toute cette zone un véritable corridor de développement. Ensuite Sines est sur l’Atlantique le port le plus proche de l’hémisphère occidental, ouvrant la route vers les Caraïbes, l’Amérique centrale et le Canal de Panama.

Grâce à Sines donc, le Portugal pourrait devenir « la porte » du pont terrestre vers la Chine et le port ouvrant sur l’Afrique et sur l’Amérique Latine.

Élargissement du Port de Valence

Dennis et Gretchen Small ont ensuite continué leur tournée vers Valence, sur la côte est de l’Espagne, désormais premier port de conteneurs en Méditerranée et sixième port d’Europe. Ils ont pu y rencontrer tout ce qui compte dans l’activité maritime, depuis les décideurs politiques aux ingénieurs faisant de la prospective dans le domaine des infrastructures. « Nous savons ce que sont les Nouvelles routes de la soie », ont-ils dit à nos amis. « Nous échangeons avec la Chine depuis 2000 ans, parce que Valence était l’un des ports sur l’ancienne Route de la Soie ».

Leur ambition ? Faire de ce port le troisième d’Europe. D’abord en construisant une nouvelle zone de 2 km de docks puis en étendant le port jusqu’à Sagonte, à 20 km au nord. Il s’agit de connecter les deux villes pour ne faire qu’un seul grand port intégré.

Et ils pensent encore plus grand.

Valence n’est qu’une partie d’un corridor méditerranéen qui doit être organisé pour mettre l’Espagne en liaison avec les réseaux maritimes mondiaux. Mais on ne peut pas se contenter de cela. En face, en Afrique, il y a l’image miroir de notre réseau : le corridor Trans-Maghreb. Il faut regarder la Méditerranée comme un miroir avec ces deux composantes. La seule manière de résoudre les problèmes d’immigration, de pauvreté et de terrorisme en Afrique est de développer ces deux corridors.

Pour populariser cette initiative, ces groupes ont même lancé une campagne intitulée « Nous voulons un corridor ». Des équipes se déplacent en bus vers tous les petits villages pour expliquer aux populations pourquoi seule cette politique permettra de sortir de la crise.

Ils ont lancé également l’initiative 5 + 5 où les 5 principaux pays méditerranéens d’Europe (France, Italie, Espagne, Portugal et Malte) représentant une population de 185 millions d’habitants, doivent travailler de concert avec les 5 principaux pays maghrébins (Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie et Libye) représentant 96 millions de gens, pour assurer le développement de toute la région.

Dennis et Gretchen Small ont pu constater le même engouement pour le projet chinois lors d’une conférence organisée à Madrid par Catedra Chine, un institut de prospective. L’orateur Marcelo Munoz y a présenté son dernier ouvrage, qui présente sous une lumière enthousiasmante l’ampleur du projet chinois tout en soulignant que la clé de son succès est « l’innovation, la technologie et le développement scientifique ».

Organiser le combat politique

Cependant les Small ne se sont pas limités à décrire les projets, car, comme on l’a vu au début en parlant de l’opposition de l’UE au NRS, le droit à se développer est aujourd’hui un combat ! C’est pourquoi, l’une des sections du rapport est consacrée à la méthode économique de Lyndon LaRouche, fondateur avec Helga Zepp-LaRouche de l’Institut Schiller. Bien que la menace d’un nouveau krach financier soit évoquée partout, la plupart de responsables ignorent l’ampleur du danger.

Avec un quadrillion de dollars (un million de milliards) de produits dérivés, des titres purement spéculatifs, notre système financier mondial est virtuellement déjà en banqueroute. C’est pourquoi nos pays n’investissent plus dans les infrastructures, car tout argent qui va dans ces investissements met en danger l’existence de cette pyramide mondiale de dette.

L’UE, au cœur de ce système, va aussi très mal. Depuis la crise de 2008, le bilan de la Banque centrale européenne s’est élevé à plus de 4 000 milliards d’euros, notamment en raison des renflouements accordés aux banques européennes criblées de créances douteuses, via les programmes d’allègement quantitatif.

C’est ce qui explique également que les jolis rapports que l’UE publie depuis des années au sujet d’alléchants projets d’infrastructures, ne se concrétisent jamais. C’est pourquoi nous nous mobilisons pour que les élites européennes fassent enfin le choix, non seulement des grands projets, mais d’une réforme profonde du système financier international (Nouveau Bretton Woods).