Lors de son intervention à Marseille, le 25 août 2018, Jean-Luc Mélenchon a rappelé la position de la France Insoumise pour qui le développement de l’Afrique est indispensable pour réduire les causes qui engendrent sporadiquement des vagues migratoires. Extrait (à partir de 1h04) :
Si vous voulez faire quelque chose d’utile : arrêtez de demander à l’agriculture paysanne africaine de s’intégrer dans le marché mondial, c’est-à-dire de détruire les agricultures vivrières pour produire du riz qu’ils ne mangent pas, du blé dont ils n’ont pas besoin mais qui permet de figurer dans les statistiques internationales. Si vous voulez faire quelque chose d’utile : arrêtez de faire des contrats de pêche qui permettent aux grandes compagnies européennes, moyennant finance à l’Etat considéré, d’aller tout ramasser tout ce qu’il y a sur les côtes, si bien que les pêcheurs qui ont vécu, depuis des générations, de la pêche artisanale ne peuvent plus en vivre et sont obligés d’aller vivre en ville et de la ville, de partir vers les pays dont on leur dit qu’il y a du travail.
(…) Si vous voulez faire quelque chose d’utile, allez voir en Afrique et demandez vous : pourquoi le lac Tchad a perdu 90 % de sa flotte ? Qu’est-ce que cela à voir avec le changement climatique ? Qu’est ce que cela a à voir avec les pratiques agricoles que vous avez imposé à ces gens qui, avant, n’avait jamais consommé des quantités pareils d’eau ? Si vous voulez faire quelque chose d’utile qui empêche les anciens agriculteurs, morts de famine et de détresse, d’aller s’enrôler comme mercenaire dans d’invraisemblables bandes armées qui, sous couvert d’Islam, terrorisent tout le monde, si vous voulez empêchez ça, permettez-leur de vivre dignement de leur revenu, d’être d’honnêtes paysans, d’être d’honnêtes pêcheurs, d’être d’honnêtes artisans de toutes sortes qui travaillent autour de ces activités : aidez à remettre de l’eau dans le lac Tchad car on sait comment faire. Et alors, c’est cinq pays que vous tirerez d’affaire…
Mélenchon aurait-il lu Cheminade ?
Ce qu’affirme Mélenchon résonne étrangement comme ce qu’écrivait Jacques Cheminade dans son projet présidentiel de 2016 :
Résoudre le ‘problème de l’immigration’, c’est donc traiter d’abord celui de l’émigration. Cela implique de jeter la Françafrique à la rivière, avec ses mallettes, ses valises, ses cassettes et ses licornes, et de fournir aux pays africains les moyens de leur indépendance et de leur développement réel.
De manière à ce que le capital humain puisse y rester, d’une part en y promouvant l’équipement social et culturel, d’autre part en organisant dans chaque pays et à une échelle panafricaine un vecteur scientifique tractant leur économie vers le futur. C’est notre intérêt bien compris et le leur. C’était le rêve d’un Cheikh Anta Diop et d’un Thomas Sankara, il est temps de le réaliser.
Pour cela, il faut d’abord sortir du système d’ajustements structurels du FMI qui détruit la santé, l’éducation et les infrastructures, de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et des accords de partenariat avec l’Union européenne qui, dans leur logique actuelle de démantèlement tarifaire, portent un coup fatal au développement des pays africains.
Ensuite, lancer de grands projets infrastructurels à une échelle panafricaine. La remise en eau du lac Tchad, afin de créer un poumon de développement au cœur du continent, est une nécessité absolue, de même que la construction du canal de Jonglei au Soudan, la plantation d’une ceinture verte transversale dans le centre de l’Afrique et la remise en eau douce des chotts algériens et tunisiens.
En même temps, il faut construire des chemins de fer et des transports à grande vitesse, intérieur-intérieur et côte-côte. Il s’agit de sortir du modèle quasi unique intérieur-côte, organisé pour le pillage des matières premières. L’on pourra ainsi réunifier les marchés entre régions intérieures, en mettant l’accent sur la consommation locale de cultures vivrières.
Rupture avec l’écologisme irrationnel ?
Certes, ce n’est pas la première fois que Mélenchon évoque la détresse du bassin du lac Tchad. Lors de sa campagne, il a exprimé lui aussi sa volonté de lutter contre la désertification du Sahel, ou d’aider à « revivifier » le bassin du lac Tchad pour tarir les flux migratoires. Selon lui, agir contre le « dérèglement climatique » nécessite un « transfert de technologies et une aide financière et matérielle à la transition dans les pays les plus vulnérables. »
Rappelons ici que les tenants du réchauffement climatique, dont Mélenchon, voient dans la « disparition » du lac Tchad la validation de leurs thèses.
Or, pour le courant anti-humain et fondamentaliste, le lac Tchad « apparaît » et « disparaît » dans une série de longs cycles naturels. En clair, à part saupoudrer la région avec quelques pompes tournant à l’énergie solaire et une aide humanitaire immédiate, on ne peut, et surtout l’on ne doit rien faire pour déranger la Mère Terre, y compris lorsqu’elle décide de faire mourir des millions de gens de faim. Le WWF a par exemple œuvré pour faire classer les restes du lac Tchad en zone humide à protéger… Se rendent-ils bien compte des conséquences ?
C’est, en gros, la vision de Ségolène Royal et des dirigeants du Programme Alimentaire Mondial (PAM) de l’ONU. La conférence qui doit se tenir à Berlin début septembre souscrit à ses thèses. L’aide humanitaire, et non le développement infrastructurel, y figure comme arme choisie pour lutter contre le phénomène migratoire. Dans cet esprit, le Japon vient de débloquer 1,3 millions d’euros au profit du PAM.
Le tout est donc de savoir ce qu’entend Jean-Luc Mélenchon lorsqu’il parle de « on sait comment faire ». Veut-il dire faire une remise en eau du lac Tchad en détournant une partie infime des eaux du fleuve Congo comme le réclame Jacques Cheminade depuis des décennies en invoquant le projet Transaqua ? Ce serait alors un tournant intéressant.
M. Mélenchon est-il au courant qu’en février de cette année, à Abuja, cinq chefs d’Etats de la région, la Commission du bassin du lac Tchad, l’entreprise chinoise Power China (Maitre d’oeuvre du Barrage des Trois Gorges) et Bonifica (Italie) ont lancé l’étude de faisabilité pour la réalisation du projet Transaqua, dont M. Cheminade parlait dans la présidentielle ?
La conclusion du Sommet d’Abuja est un choix courageux, s’éloignant de la politique des petits pas pour enfin lancer une politique de grands projets à l’échelle continentale.
Extrait du texte final du Sommet d’Abuja :
Les différentes études réalisées montrent qu’il n’y a pas de solution au rétrécissement du lac Tchad qui n’implique pas de recharger le lac par transfert d’eau de l’extérieur du bassin. Que le transfert d’eau entre bassins n’est pas une option mais une nécessité. L’incapacité à prendre des mesures appropriées et opportunes entraînera l’assèchement rapide du lac Tchad, ce qui entraînera à la suite une crise humanitaire, posera de sérieux problèmes de sécurité, non seulement pour la région, mais pour tout le continent africain et le monde. Le projet Transaqua, qui prélèverait l’eau de l’affluent droit du fleuve Congo et l’acheminerait par un canal de 2 000 km jusqu’au fleuve Chari, est l’option préférable.