Le professeur Sergeï Poulinets, de l’Institut de recherches spatiales à l’Adadémie russe des sciences, s’est entretenu avec Benjamin Denniston le 30 avril 2015
Benjamin Deniston : Bonjour. Nous avons comme hôte aujourd’hui, depuis Moscou, le Pr. Sergeï Poulinets, pour une discussion approfondie sur les technologies que l’on peut utiliser pour contrôler la météo et en particuliers les précipitations, pour répondre aux situations de sécheresse comme celle qui prévaut actuellement en Californie ou ailleurs aux Etats-Unis et dans le monde.
Nous allons discuter de l’idée d’utiliser les ressources en eau de l’atmosphère afin de donner à l’humanité, potentiellement, la capacité d’accroître les précipitations où elles sont requises, et de mieux garantir les approvisionnements en eau.
Le professeur Poulinets jouit d’une certaine expérience et familiarité avec ces technologies, ainsi qu’avec les théories nous permettant de stimuler les précipitations grâce à des systèmes d’ionisation. Il a été impliqué dans les travaux d’une entreprise aux Etats-Unis, appelée Rain on Request, faisant la promotion de ces technologies aux Etats-Unis. Il a écrit plusieurs articles à ce sujet, dont un qui a été publié en 2009 par le site Russia Beyond the Headlines, intitulé « Weather Control ? Yes, It Is Really Possible » (Contrôler la météo ? Oui, c’est vraiment possible). Le Pr. Poulinet avait travaillé auparavant au sein d’une équipe ayant pour mission d’évaluer la validité et les fondements scientifiques de certains systèmes utilisés au Mexique, vers la fin des années 90 et au début des années 2000.
Pour commencer, j’aimerais vous demander, Pr. Poulinets, ce que vous répondez au scepticisme des gens à ce sujet, car dès qu’on le soulève, beaucoup de gens réagissent vivement et rejettent d’emblée l’idée que l’on puisse contrôler des choses telles que les processus météorologiques, en l’occurrence les précipitations ; vous avez toutefois travaillé pour évaluer les fondements scientifiques sous-tendant certains systèmes de contrôle qui ont été opérationnels pendant de nombreuses années, et qui ont connu un certains succès, dit-on, dans l’accroissement des précipitations au Mexique. Pourriez-vous résumer votre implication dans ces travaux et nous faire part des succès que vous avez rencontrés ?
Ionisation
Pr. Sergeï Poulinets : Pour clarifier les faits, j’aimerais d’abord préciser que je suis spécialiste de la physique spatiale. Une nouvelle idée a émergé à partir de la fin des années 90, lorsque nous avons commencé à apprendre des choses concernant les effets qui se produisent dans l’ionosphère en relation avec les séismes. Il était très intéressant de voir comment l’information parvenant de la surface terrestre, ou même du sous-sol, pénètre dans l’espace, et j’ai commencé à développer une théorie à ce sujet. Pour cela, j’ai dû me plonger dans la géophysique, la géophysique des solides, qui étudie ce qui se passe avant les séismes.
Pour la première fois, je me suis trouvé confronté au problème de l’ionisation engendré par le radon émanant de le croûte terrestre, et l’augmentation de ces émanations avant les séismes. Le radon peut provoquer l’ionisation de l’air près de la surface terrestre, puis, après l’hydratation de l’ion et la libération de chaleur latente, cette chaleur se propage vers les couches supérieures de l’atmosphère, jusqu’à la tropopause.
Nous savons cela grâce aux effets des rayons cosmiques dans l’atmosphère. Vous savez probablement que les nuages qui couvrent notre planète sont en grande partie formés par les rayons cosmiques galactiques, qui produisent l’ionisation, et que ces ions deviennent ensuite des centres de condensation de la vapeur d’eau, de nucléation, et de formation de gouttelettes et de nuages, que nous voyons tous les jours ; et il y a une corrélation entre la couverture nuageuse de notre planète et les variations du flux de rayons cosmiques.
Ainsi, la nature nous apporte la réponse, sur le fait que l’ionisation peut produire la condensation. Nous avons des exemples de cela depuis l’espace, avec les rayons cosmiques galactiques, et depuis le sol grâce à la nature de la radioactivité ; et nous pouvons voir, par exemple, les résultats d’études de scientifiques japonais (figure 1) qui ont créé, avec la décharge d’une aiguille, un flux d’ions et les ont mis dans un spectromètre, pour voir comment les particules grandissent.
Si vous examinez l’image, vous verrez la distance entre les lignes séquentielles du spectre : dans la masse atomique, cela correspond à 18. C’est la masse atomique de la molécule d’eau. Et vous voyez que les ions rallient de plus en plus de molécules d’eau, et ceci a été démontré d’un point de vue expérimental. Ceci constitue, disons, le fondement théorique concernant la manière dont l’ionisation peut produire des particules plus grosses, formées d’un ion au centre et d’une enveloppe de molécules d’eau.
L’expérience mexicaine ELAT
Je suis allé à Mexico pour travailler à l’Institut de géophysique de l’UNAM (Université autonome nationale de Mexico), la plus grande université du Mexique. J’ai travaillé sur le problème des tremblements de terre, mais j’ai rencontré des amis qui m’ont familiarisé avec une entreprise mexicaine nommée ELAT, qui avait fait des expériences dans la stimulation de la pluie. Ils avaient des contrats avec les gouvernements de plusieurs états, en particulier dans les régions désertiques tels le désert de Sonora, pour produire des précipitations afin d’accroître les récoltes dans ces régions.
Il est intéressant de voir comment l’idée principale, et peut-être même l’idéologie, avait aussi été proposée par un scientifique russe, Lev Pokhmelnyck, qui est également le fondateur de cette entreprise, soutenu par l’homme d’affaires Mario Dominguez, et principalement par le maire de Mexico, Cuauhtémoc Cárdenas Solórzano. Et puisque les mécanismes physiques en cause sont les mêmes, à part les sources d’ionisation qui sont différentes (nous avons le radon pour les séismes alors qu’ils ont une installation spéciale pour produire une ionisation artificielle), nous avons commencé à collaborer. Je connaissais déjà leurs résultats, j’avais en ma possession plusieurs photos accompagnées des résultats, que je peux mettre à votre disposition. C’est très impressionnant.
Après cela, je suis devenu membre de la commission scientifique des représentants des scientifiques de l’agence météorologique du Mexique travaillant dans le domaine de la physique de l’atmosphère. Il y avait un scientifique américain. J’ai participé à plusieurs rencontres où nous avons discuté des résultats.
Comment cela fonctionne-t-il ? (figure 2) On a un mat d’acier de presque 30 mètres de haut, à partir duquel partent, comme des rayons, des fils très minces. Pourquoi très minces ? Nous savons que si nous prenons une aiguille, par exemple, juste avant un orage, lorsqu’il y a un voltage élevé, un fort champ électrique dans l’atmosphère, on peut voir à l’occasion la décharge depuis l’aiguille. Imaginons ensuite que les bouts de l’aiguille soient reliés à ce fil très mince. Plus le diamètre du fil est faible plus la décharge coronale sera importante, en appliquant le voltage électrique plus élevé à ce fil.
On crée de cette manière une sorte de « parapluie » autour du mât, avec des mâts plus petits disséminés tout autour (figure 2a). Si on applique à cette installation un potentiel positif ou négatif, si par exemple on choisit un potentiel positif, les ions positifs seront déplacés par le champ électrique vers le haut, vers les couches supérieures. En ce faisant ils rassemblent de plus en plus de molécules d’eau et deviennent les noyaux de condensation conduisant à la formation des nuages. Nous pouvons voir par exemple ce type d’effets même avant les séismes, lorsque des nuages linéaires se sont formés au-dessus des failles tectoniques (figure 3).
Cet effet a été observé et rapporté par de nombreux scientifiques. C’est le même effet que celui produit par le champ électrique, par les ions issus de l’ionisation par le radon en s’élevant dans l’atmosphère, et qui forment des nuages linéaires au-dessus des failles tectoniques.
Voilà le principe servant de fondement à cette technologie. Il y a la physique derrière, mais je voudrais souligner une chose très importante : nous connaissons la technologie de ce qu’on appelle l’ensemencement des nuages, lorsque nous relâchons depuis un avion de l’iodure d’argent, ou on peut même utiliser du ciment, ainsi que tout grain de poussière ou aérosol dans l’air, pouvant servir de centres de condensation et stimuler la précipitation de l’eau.
La différence cependant entre ces deux technologies est la suivante : en ensemençant, vous ne pouvez que précipiter l’eau qui existe déjà dans l’air ; ici par contre, nous créons des noyaux nouveaux, et nous prenons la vapeur d’eau et la rassemblons en gouttelettes. Et si nous mettons notre installation près de la côte, comme en Californie par exemple, on peut collecter l’humidité puis la transporter, car on peut mettre des potentiels différents entre deux installations. Ceci créé du mouvement dans l’air, rempli de ces noyaux, pour la formation de nuages à l’intérieur des terres (figure 4).
Créer des précipitations
Nous pouvons prendre de l’eau des océans, l’amener vers l’intérieur des terres et créer des précipitations. Pour cela, il faut créer des conditions propices, des relations entre la température à l’altitude des nuages et la température de rosée. La première doit être plus basse que la seconde, pour que la condensation ait lieu. Ceci créé des gouttes et le type d’instabilité qui nous donne dans la nature des orages.
Tous les gens, et quelques fois aussi les physiciens qui étudient l’atmosphère, pensent en termes d’hydrodynamique. Pour décrire les typhons ou les ouragans par exemple, ils ne prennent en compte que le mouvement mécanique hydrodynamique, et ils oublient que nous vivons dans un monde électrique : il y a un gigantesque potentiel électrique au sommet de l’ouragan.
Nous vivons dans le champ électrique constant qui se trouve entre l’ionosphère et le sol (figure 5) ; la différence de potentiel entre les deux est de presque 250 kilovolts, et peut atteindre à l’occasion 400 ou même 500 kilovolts. A la surface du sol, le gradient vertical du champ électrique est de 100 ou 150 volts par mètre. Vous êtes grand, donc entre vos jambes et votre tête vous avez une différence de potentiel de 200 volts en tout temps !
Cette différence de potentiel est créée par l’activité générale des orages. Ces derniers chargent l’ionosphère en positif par rapport à la terre, et dans les zones ou la météo est au calme nous avons un courant qui est très bas ; mais nous avons néanmoins un circuit électrique fermé que nous appelons, en termes scientifiques, « le circuit électrique global » (figure 6). Nous nous contentons d’utiliser tout ce que nous a donné la nature, en aidant un peu, grâce à cette ionisation, à créer des centres supplémentaires de nucléation.
Il y a en science un concept nommé « nucléation induite par voie ionique », qui est une nucléation explosive en présence d’une source d’ionisation. On peut ainsi produire des centres de condensation, et notre tâche est de les transporter ensuite à l’altitude de la formation des nuages, puis de créer les conditions de précipitation.
Hydratation des ions
Deniston : Pour aider nos lecteurs, j’aimerais que nous revenions quelques pas en arrière. Vous dites que nous commençons par le fait qu’il y a, d’un côté, beaucoup de vapeur d’eau dans l’atmosphère, et que l’on peut créer les conditions permettant d’accélérer le taux auquel cette vapeur d’eau se condense et forme des gouttelettes, ce qui peut aider…
Poulinets : Nous n’avons pas au départ des gouttelettes encore, elles sont trop petites pour que l’on puisse les appeler « gouttelettes », mais des noyaux de condensation. C’est un processus complexe que de passer de l’ion à une particule plus grande, l’agrégat, puis au noyau de condensation et enfin à la gouttelette. C’est le même processus qui mène à la formation des nuages dans des conditions naturelles. La seule chose ici est que l’on forme des noyaux de condensation près du sol, avant de les faire monter vers le haut grâce à un champ électrique.
Deniston : Vous avez dit que des scientifiques japonais ont fait des expériences démontrant le rôle de l’ionisation accrue dans la facilitation de ce processus.
Poulinets : Effectivement. Ils ont publié plusieurs articles, qui sont très intéressants. Je devrais souligner que contrairement à la pure condensation, qui nécessite de la vapeur d’eau saturée, 100 % d’humidité relative, ce processus est appelé « hydratation ionique », qui est la fixation de la molécule d’eau sur l’ion. Et comme vous pouvez le voir dans les illustrations, ce processus de formation d’agrégats d’ions a lieu à n’importe quel taux d’humidité relative, voire même à seulement 25 %, auxquels viennent se fixer des molécules d’eau. Bien sûr, plus le taux d’humidité est élevé, plus le processus de formation de particules plus grosses est efficace. Mais en général, l’hydratation a lieu à n’importe quel taux d’humidité. Même dans des conditions de faible humidité, on peut créer des particules de grande taille et les faire se précipiter sous la forme de rosée, par exemple.
Pour les plantes, cela n’a aucune importance que la précipitation se fasse sous forme de pluie ou de rosée ; elles peuvent s’approvisionner en eau même à partir de gouttes de rosée.
Entraîner l’eau des océans
Deniston : Vous avez dit qu’en plus de provoquer la précipitation de l’humidité présente dans l’atmosphère, soit sous forme de pluie ou de rosée, il est possible également de provoquer de plus grands flux d’humidité à partir des océans, d’accroître la quantité d’eau disponible dans l’atmosphère.
Poulinets : Oui, comme on peut le voir grâce aux figures provenant des expériences mexicaines. Nous voyons la ligne des installations, perpendiculaire à la rive et qui part du Pacifique : cette ligne a contribué au déplacement de la masse d’air remplie d’humidité vers l’intérieur des terres (figure 7).
Deniston : Et donc, selon vos travaux, ces systèmes développés au Mexique ont permis d’obtenir des résultats impressionnants.
Poulinets : Effectivement. Nous le constatons sur le taux de remplissage des réservoirs associés aux barrages et aux centrales hydroélectriques. Les résultats concernent deux barrages, pour une durée d’un an et demi, et on peut voir comment ces réservoirs ont été remplis grâce à cette technologie (figure 8). En fait, ils ont également tenté de combattre les feux de forêt dans la péninsule du Yucatán, en créant de la pluie artificielle.
Deniston : Ont-ils obtenu des résultats ?
Poulinets : Oui, il y a des résultats statistiques concernant les feux de forêt au cours de cette période. Il peut y avoir une augmentation des précipitations de 20 à 30%, non pas que l’on puisse créer une pluie abondante, mais la quantité de précipitation a essentiellement augmenté.
Deniston : J’aimerais faire encore un pas en arrière. Vous aviez dit que le phénomène est similaire au rayonnement en provenance du système galactique. J’aimerais que l’on consacre un peu de temps à cette question, car il s’agit d’un domaine d’étude relativement nouveau, où nous commençons à apprendre et comprendre ce que fait le Soleil, ainsi que les effets du rayonnement de haute énergie en provenance de la galaxie, dont l’apport constant façonne l’environnement de l’atmosphère, le climat et la température, ainsi que le cycle de l’eau. Vous avez dit que ce qui repose derrière ces technologies d’ionisation, ce sont essentiellement les mêmes processus qui agissent en provenance de la galaxie. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Poulinets : L’énergie d’ionisation des molécules d’air étant de 10 à 15 électron-volts, toute particule dotée d’une énergie plus élevée que cette dernière peut ioniser une molécule d’eau [sic]. Si nous en restons aux sources cosmiques de l’ionisation, elles sont au nombre de deux : il y a notre étoile, le Soleil ; puis les rayons cosmiques d’origine galactique, qui ont une énergie beaucoup plus élevée. Et l’altitude de pénétration de ces particules dans l’atmosphère dépend de leur énergie. Les particules solaires ont une énergie plus faible, et elles ne peuvent par conséquent pénétrer dans les couches plus basses de l’atmosphère : elles perdent leur énergie à une altitude de dizaines à des centaines de kilomètres (figure 9a). Telle est la source des aurores boréales.
Elles excitent les molécules, en fait les atomes car à ces altitudes élevées nous parlons d’atomes d’oxygène et d’azote, et nous voyons les lignes vertes et rouges de cette lumière polaire (figure 9b).
Mais les rayons cosmiques galactiques, qui ont une énergie bien plus grande, perdent leur énergie à une altitude correspondant à la tropopause, située à 10 ou 15 km d’altitude. Elle correspond à la partie supérieure de la couche nuageuse (figure 9a). C’est là que se forment les nuages, et les premiers résultats statistiques satisfaisants ont été obtenus par [Henrik] Svensmark ; c’est un scientifique danois, qui a montré qu’au cours de deux cycles d’activité solaire, en l’occurrence 22 ans, le coefficient de corrélation entre les variations dans le flux des rayons cosmiques et la couverture nuageuse de notre planète était de 95 % (figure 10).
Et aujourd’hui cette théorie a été bien développée, montrant comment les ions primaires sont formés avant de participer à des réactions chimiques pour créer des ions finaux. Ces ions finaux deviennent ensuite hydratés pour former les noyaux des nuages. Cette théorie est très avancée : vous avez peut-être entendu parler de cette grande chambre qui a été créée au CERN de Genève, où ils ont étudié ce processus de formation des nuages. Beaucoup d’argent a été dépensé, mais je préfère une autre expérience réalisée au Japon, une expérience simple mais très rusée, qui montre très clairement ce processus.
Chaleur latente
Ce qui est très intéressant est que les physiciens qui travaillent sur ces questions ne prennent parfois pas en compte un autre effet connecté à cette ionisation : la libération de chaleur latente. Vous savez que les molécules d’eau qui circulent librement dans l’air ont des énergies différentes. L’eau peut exister sous trois phases : gazeuse, liquide et solide, en d’autre termes la vapeur d’eau, l’eau que nous buvons et la glace. Il y a entre ces trois phases une différence d’énergie dans les molécules d’eau, que nous ne voyons pas. C’est pourquoi nous l’appelons « chaleur latente » (figure 11). Ainsi, par exemple, dans le cas de l’évaporation, il y a un proverbe qui dit « un pot qui est surveillé ne bout jamais ». Car vous avez l’impression d’avoir atteint une température de 100°C, mais vous devez attendre un certain temps avant que la vapeur commence à s’échapper de l’eau. Il s’agit d’une période où les molécules d’eau emmagasinent cette énergie latente pour s’évaporer, pour se libérer de la surface. Et nous avons le processus inverse : lorsque l’eau se condense, elle relâche cette chaleur dans l’environnement (figure 11).
C’est donc pourquoi, dans les pays asiatiques, nous voyons beaucoup de fontaines – et vous avez probablement aussi les systèmes spéciaux en Californie – car lorsque l’eau des fontaines commence à s’évaporer elle absorbe la chaleur et fait baisser la température dans les alentours. C’est pourquoi nous créons des fontaines, pour faire baisser la température un peu, là où le climat est chaud.
Donc, lorsque nous avons affaire à l’ionisation, nous sommes confrontés au même effet. Lorsque l’eau se condense sur les ions, elle libère de la chaleur. Mais si vous diminuez la condensation, vous allez diminuer la température dans cette région. C’est la raison pour laquelle on a découvert la connexion entre la chute marquée de flux de rayons galactiques lors de tempêtes magnétiques et la formation des ouragans.
Pour revenir au Mexique, un de mes proches collègues, Jorge Pérez-Peraza, travaille sur le lien entre les flux de rayons cosmiques galactiques et la formation des ouragans dans les régions de l’Atlantique et du Pacifique qui sont proches du Mexique. Il a rassemblé une grande quantité de données montrant que lorsque vous avez beaucoup de dépressions Forbush – et donc une forte activité solaire et de nombreuses tempêtes magnétiques – cela fait croître la probabilité de formation de cyclones et d’ouragans tropicaux.
Nous avons publié un article montrant les mécanismes physiques impliqués : avec une baisse dans le flux de rayons cosmiques galactiques, nous obtenons une baisse de la température au niveau de la tropopause, et ainsi la différence de température entre la surface des océans et la tropopause s’accroît. Cela fait monter la convection et contribue à la formation des ouragans (figure 12).
Rayonnement cosmique galactique
Deniston : Je trouve que ce que vous dites est remarquable, que ces particules de haute énergie, qui ne proviennent ni de notre terre ni de notre Soleil mais de toutes les régions de l’espace interstellaire et de la galaxie, puissent en fait jouer un rôle dans des choses comme la force des ouragans et les conditions de leur formation.
Poulinets : Effectivement. Les scientifiques israéliens Nir Shaviv et Ján Veizer ont découvert encore un autre effet de la modulation dans le flux de rayonnement cosmique galactique, avec des périodes de glaciation sur Terre dans le long terme (figure 13a). Et ils ont pu démontrer que cela pourrait, et il ne s’agit que d’une hypothèse, être relié au déplacement de notre Système solaire dans les bras spiraux de notre galaxie. Et lorsque le Système solaire est à l’intérieur d’un bras, il y a plus de poussières, et par conséquent un flux plus faible de rayons cosmique.
Entre les bras, le flux de rayonnement est plus important (figure 13b). Et ces périodes correspondent, dans le temps, aux périodes de hausse et de baisse des températures sur notre planète.
Deniston : Tous ces effets d’ionisation produits par les rayons cosmiques que vous décrivez ici, créent constamment dans notre atmosphère des conditions qui affectent la manière dont se comportentr la vapeur d’eau, les conditions météorologiques et le climat.
Poulinets : Oui, et il ne faut pas oublier que les nuages créent des zones d’ombre sur la surface terrestre. Les variations de température ne sont pas uniquement reliées à la chaleur directe créée par les rayons cosmiques, mais aussi aux zones d’ombre : plus nombreux sont les nuages, plus nombreuses sont les zones ombrageuses. Avec moins de nuage, l’ouverture sur le Soleil est plus grande. Ainsi, les variations qui sont reliées à l’ombre sont aussi essentielles.
Deniston : J’ai l’impression que cela change ce que nous voulons dire lorsque nous parlons de climat terrestre, car nous avons plus affaire à un climat solaire ou galactique qu’à un climat terrestre à proprement parler.
Poulinets : Il faut prendre en compte les deux aspects. On ne peut pas dire qu’il ne s’agissent seulement d’un climat galactique. Mais la galaxie contribue aux variations du climat.
Deniston : Avec les travaux que vous faites sur les système d’ionisation, il est possible en quelque sorte de commencer à manipuler ce type de paramètres, à influencer ces systèmes météorologiques, en particulier le cycle de l’eau, et à l’utiliser à notre propre profit.
Poulinets : Je crois que cela est possible. Mais il faut s’y prendre avec une grande prudence. Je présume qu’il devrait y avoir une forme contrôle de l’État sur ces processus, car influencer l’environnement peut être une chose dangereuse. On doit établir certaines limites, puisqu’il est possible de construire de gigantesques installations pour ioniser de grandes parties de l’atmosphère, et selon la polarité ils est donc possible de multiplier ou de diminuer le nombre de nuages. Certains pourraient vouloir beaucoup de soleil, d’autres avoir de la pluie pour l’agriculture, et on pourrait assister à des batailles entre voisins pour savoir si on veut plus ou moins de nuages ! Ce type d’activités devraient être réglementé, bien sûr.
Une gestion responsable de l’eau
Deniston : Quelle devrait être la prochaine étape selon vous dans le développement de ces systèmes, en prenant en compte comme vous dites la nécessité de réglementer ? Je crois que cela ouvre la voie à un nouveau champ de possibilités, sur la façon dont l’humanité peut bien sûr faire face aux défis posés par les sécheresses, ou les conditions conduisant aux inondations.
Cette question prend une grande importance. L’eau a une grande importance, pas seulement pour les Etats-Unis mais pour le monde entier. Il y a plusieurs endroits dans le monde où l’eau manque cruellement et où les précipitations sont très irrégulières. Il semble que vous ouvrez la porte ici à d’incroyables perspectives, où on pourrait, dans un cadre réglementé, commencer à gérer l’eau de manière responsable, de manière entièrement nouvelle, en gérant les processus à l’œuvre dans l’atmosphère, et pas seulement une fois que les précipitations ont touché le sol.
De votre point de vue, quelle devrait être la prochaine étape dans le développement, et ce de manière responsable, de ce type de systèmes ?
Poulinets : Je suppose qu’il faudrait organiser des expériences ouvertes et transparentes à ce sujet, avec un bon soutien scientifique, pour que les scientifiques puissent être en mesure de contrôler les résultats et de voir que ce type d’effets existe réellement. Car il faut reconnaître que les spécialistes de l’atmosphère et les météorologistes disent parfois que cela n’est pas possible ; il faut donc d’abord faire les expériences nécessaires, pour démontrer à la communauté scientifique, et ensuite au public, qu’il n’y a aucun danger. Les effets ne sont pas plus dangereux qu’un champ électrique ordinaire.
Je sais que lors de certaines expériences au Mexique, les vaches se sont approchées des installations, car elles se sentaient mieux à l’intérieur du champ électrique ! Cela prouve par conséquent qu’il n’y a aucun danger pour la nature. Quand aux oiseaux, qui ressentent ces champs très facilement, ils ne s’en approchent pas.
Deniston : Vous avez discuté des expériences en cours au Mexique, mais il y a d’autres endroits dans le monde où ces systèmes ont été développés, n’est-ce pas ?
Poulinets : Je sais qu’il y a des société en Arabie saoudite, peut-être en Australie. Il y en a d’autres je crois en Russie, mais elles ne conduisent pas activement des expériences. Je sais qu’il y a eu des expériences sur l’ionisation au Japon, sur une période de cinq ans. Mais elles n’étaient pas liées à la pluie, elles avaient plutôt pour objectif de disperser les brouillards sur les routes montagneuses du pays. On peut engendrer des précipitation et diminuer le brouillard, pour améliorer les déplacements dans les tunnels en haute montagne, où les brouillards se forment très fréquemment.
Deniston : Combien de temps faudra-t-il selon vous pour établir des systèmes de démonstration, en Californie par exemple ?
Poulinets : Pour ériger une installation de ce type il faut seulement une ou deux semaines, et je présume qu’il faut au moins une année pour étudier la succession des saisons, pour voir à quel moment les conditions sont les plus favorables pour engendrer des précipitations. Il faut également prendre en compte le calendrier des agriculteurs pour les semences, et répondre à leurs besoins, mais aussi au besoin d’approvisionnement en eau des villes, etc. Mais il semble selon moi qu’un an suffirait pour conduire ce type d’expériences.
Deniston : En tout cas, cela ouvre des perspectives très excitantes, car non seulement il y a la technologie, mais aussi l’aspect théorique qui permet à l’homme de mieux comprendre ces problèmes.
Poulinets : Je n’en ai pas discuté ici en détail, car il faudrait le faire dans le cadre d’une conférence scientifique. Les principes physiques sont assez complexes, et il faut une bonne formation scientifique pour pouvoir les comprendre.
Deniston : Et vous avez dit que vos travaux concernant les signes précurseurs des séismes et la manière dont la lithosphère, l’atmosphère et l’ionosphère interagissent pour préparer les séismes, que le cadre théorique que vous avez développé dans ce contexte peut aussi s’appliquer à ces systèmes de contrôle de la météo.
Poulinets : Oui, bien sûr. Il s’agit du même processus physique, et aussi du même environnement, car le dispositif est situé près du sol. Seules les sources d’ionisation sont différentes.
Poursuivre la coopération internationale
Deniston : Etant donné leur importance, je crois que ces travaux devraient être poursuivis dans le cadre d’une saine coopération entre les pays, en particulier entre la Russie et les Etats-Unis.
Poulinets : Bien sûr, étant donné les conditions actuelles, cela pourrait contribuer à améliorer nos relations, qui se sont quelque peu dégradées au cours de la dernière année. Mais la coopération, par exemple dans le domaine spatial, au sein de l’ISS, ou dans les sciences physiques et autres, n’ont jamais dépendu des conditions : elles ont toujours été très solides et très franches, et je présume que nous devrions poursuivre cette collaboration.
Deniston : Cela semble être un domaine approprié, car nous parlons de problèmes qui dépassent le cadre d’un seul pays. La sécheresse n’est pas un phénomène local, se limitant à une seule partie du monde. C’est le genre de choses auxquelles l’humanité devrait réfléchir.
Poulinets : Il s’agit bien sûr d’un problème global, et les pays devraient s’unir pour améliorer les conditions.
Deniston : Que pouvez-vous nous dire en guise de conclusion ? J’apprécie réellement le temps que vous avez pris pour nous expliquer certains des principes impliqués dans ce domaine.
Poulinets : Je vous remercie également. Je voudrais faire remarquer que ce type de dispositifs ne demande pas beaucoup d’argent.
Deniston : C’est donc quelque chose qui coûte relativement peu. Ce n’est pas une opération incroyablement chère.
Poulinets : En comparaison avec les systèmes d’ensemencement [des nuages] à partir d’avions, par exemple, le coût est modéré.
Deniston : Merci encore, professeur Poulinets. C’est toujours un plaisir de pouvoir s’entretenir avec vous pour discuter de ces questions.
Poulinets : Merci, Ben. Et je vous invite à venir nous visiter.
Traduction : Benoit Chalifoux