Tsipras et Kammenos accusés d’être sous l’influence de l’Institut Schiller

jeudi 26 février 2015

par Alexandra Noury

Panos Kammenos
Institut Schiller

L’Empire britannique n’aime pas le nouveau gouvernement grec, ni les gouvernements qui protègent leurs peuples tout court. Un article du 15 février dans le journal allemand Die Welt, par Boris Kalnoky, livre une attaque en règle contre le ministre grec de la Défense Panos Kammenos pour sa défense de la nouvelle Route de la soie, entre autres choses. Ce faisant, il laisse entendre que l’Institut Schiller est l’inspirateur de la nouvelle politique stratégique d’Athènes.

Il est parfaitement exact que Panos Kammenos s’est exprimé en octobre 2014 à la conférence de l’Institut Schiller et que plus récemment, il a signé, avec plusieurs centaines d’autres personnalités, la pétition de l’Institut Schiller appelant l’UE et les Etats-Unis à renoncer à leur attitude belliciste envers les pays des BRICS.

Kalnoky écrit que l’« idéologie » de Kammenos, qu’il partage avec Alexis Tsipras et le ministre des Finances Yanis Varoufakis, « semble être puisée directement dans les écrits de l’Institut Schiller ». Cette « idéologie » tourne autour « d’une ’’renaissance de la route de la soie’’, c’est-à-dire des routes commerciales entre l’Asie et l’Europe ». Tsipras, note Kalnoky, « nourrit des idées similaires ».

Kalnoky croit pouvoir avec son article nuire à ce projet, en pervertissant intentionnellement la notion de nouvelle Route de la soie, sous prétexte qu’il s’agit de la politique promue par des idéologues d’extrême-droite comme Alexandre Dougine et Marine Le Pen. Mais voyons de plus près qui est M. Boris Kalnoky, et pourquoi il est tant dérangé par le projet de Nouvelle Route de la Soie et par l’influence de l’Institut Schiller.

Démanteler les Etats-nations européens

Pour les germanophones, une simple enquête sur le site du grand quotidien allemand permet de mieux comprendre les positions de M. Kalnoky. On y trouve un article qui ne touche pas à la Grèce, mais à un autre pays à la frontière de l’Europe : la Roumanie, qui a livré, tout comme les Grecs, un long combat contre les empires.

Kalnoky se passionne notamment pour la cause des autonomistes hongrois de la région roumaine de Transylvanie, les Szekely, et se livre à la propagande en utilisant notamment des fausses cartes. La cause autonomiste des Szekely, minorité hongroise en Roumanie, majoritaire dans deux départements, crée une étrange entente entre d’une part le gouvernement voisin hongrois de Viktor Orban, et d’autre part quelques familles de comtes hongrois ayant dominé le peuple roumain en Transylvanie, sous l’ancien régime.

Cette cause consiste dans des démarches politiques des Szekely pour demander une petite enclave autonome sur critère ethnique au milieu de la Roumanie ; mais elle est accompagnée de facto par le rachat massif de terre dans toute la région transylvaine et par des procès qui rognent le domaine public : on entre en possession de villages entiers (maisons, cimetière et église comprise, exemple de Nades) ou d’écoles, d’universités, appartenant depuis la nationalisation de 1920 à l’Etat roumain.

Ce développement s’inscrit en réalité dans un projet européen de démantèlement lent des Etats-nations et de retour au moyen âge, à propos duquel nous avons déjà alerté les lecteurs et qui est subtilement mis en œuvre partout en Europe, même en France. Ce projet mise sur l’exacerbation des identités locales sur une base ethnique, pour détruire l’unité nationale et l’adhésion à l’idée plus élevée de « république » et de « domaine public ». Ceci peut détruire la paix sociale, faire monter les tensions sur le fonds de crise, et peut transformer la Roumanie dans un nouveau foyer de guerre en Europe.

La carte Heineken-Wesselink divisant l’Europe dans une myriade de mini-Etats d’environ 5 million d’habitants chaque.

La couronne britannique

Si vous continuez votre recherche par quelques articles dans la presse roumaine et anglaise, vous trouverez des faits encore plus intéressants au sujet de la famille Kalnoky : M. Boris K. n’aime pas uniquement les autonomistes hongrois, il est également passionné par l’histoire de sa famille, anciens grands comtes hongrois en Transylvanie. Il a même écrit un livre à ce sujet. Le frère de Boris Kalnoky, Tibor, s’est installé en Roumanie il y a quelques années et se bat depuis, en enchaînant les procès pour se refaire un domaine, une sorte de comté. Ça paye, car il gagne sa vie en louant des appartements de vacances haut de gamme sur internet.

Foto : Boris Kalnoky/Kalnoky Conservation Trust

Boris Kalnoky est également passionné de ballades avec le prince Charles, lui-même passionné par la chasse, les fleurs et l’Empire Britannique. Boris se fait un honneur dans Die Welt à raconter ses escapades avec le prince Charles. La famille Kalnoky est liée à la couronne britannique par des liens de sang. Son frère, Tibor, est l’administrateur d’une propriété nouvellement achetée par le prince Charles et située juste à coté. Il passe ses étés en sa compagnie.

Qu’est ce qui se cache derrière le lustre « ecolo ? »

En plus de la bataille pour démembrer l’Etat Roumain, Tibor Kalnoky est très engagé, comme son ami le Prince Charles, à empêcher l’Etat roumain (ainsi que l’Etat grec) de se développer. En langue des comtes, cela s’appelle « protéger la nature ». J’envoie nos lecteurs sceptiques vers le site du « Kalnoky Conservation Trust », son association pour la sauvegarde de la nature. Ici, on nous explique que la « Transylvanie est le pays que le temps a oublié » et que « la nature a profité du rythme lent du développement ». « Un moulin à eau, par exemple, devrait continuer à moudre le grain pour la communauté du village et ne pas être gardé juste en tant que pièce de musée. » M. Kalnoky adore quand « les chevaux et les chariots partagent la route avec des voitures ». On y apprend également que le but de son association est de « sensibiliser aux activités économiques qui ne menacent pas la biodiversité de la Transylvanie ».

Si vous voyagez à Viscri, l’endroit très reculé de Roumanie, vous allez trouver les nouvelles propriétés achetées par le prince Charles et administrées par Tibor Kalnoky. Ici, l’Union Européenne, tout comme le temps et la nature, ont fait leurs ravages. Depuis la chute du communisme il y a 25 ans, la route menant à Viscri n’a presque pas été réparée. Sortir du village est devenu un exploit réservé aux riches occidentaux dans leurs 4x4 : un moyen de transport très écologique n’est ce pas ? Se rendre chez le dentiste dans la ville voisine devient une aventure. Les paysans mendient à coté du bel édifice du prince, tout en vendant des chaussettes faites maison, car pratiquer l’agriculture, ça ne rapporte plus rien.

La présence du prince britannique a apporté aussi de nouvelles règles : le village de Viscri a été labellisé « patrimoine de l’UNESCO » et les villageois se sont retrouvés figés dans le temps : le village n’a plus le droit de changer. Un panneau affiché au centre leur montre comment construire la maison, pour garder l’impression « authentique ». Par exemple les doubles-vitrages en PVC blanc accessibles aux moins fortunés sont interdits ici. Et l’hiver est rude.

Qu’est ce que la Route de la Soie représente pour ces pays ?

Vu l’intérêt du nouveau gouvernement Grec pour les BRICS, vu le projet de la Nouvelle route de la soie qui avance, étant donné que le gouvernement du Premier ministre roumain Ponta s’est engagé à construire, en partenariat avec les Chinois, deux nouveaux réacteurs, des autoroutes, des centrales hydroélectriques et des lignes ferroviaires, les Kalnoky et les Windsor paniquent : plus de pauvres, plus de moulins à eau, plus de chevaux, mais des TGV, de l’électricité. Et surtout, des républiques ou nous sommes tous nés « libres et égaux en dignité et en droits », car « nous sommes doués de raison et de conscience, et devons agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. » Quelle horreur !