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Jason Ross : Nous avons discuté au cours des semaines précédentes de l’importance des travaux de deux « triades » de penseurs, Filippo Brunelleschi/Nicolas de Cues/ Jean Kepler et Max Planck/Albert Einstein/Vladimir Vernadski, et j’aimerais revenir sur quelques aspects supplémentaires concernant la triade Brunelleschi/de Cues/Kepler.
Nous allons commencer ici aussi avec une citation récente de M. LaRouche :
Qu’est-ce qu’a prouvé Brunelleschi ? Il a prouvé la fausseté de la ligne droite, de l’existence de la ligne droite dans le petit. Ceci fut sa grande contribution à la pensée humaine. Il a extrapolé à partir de sa compréhension du fait que l’on ne peut pas utiliser des lignes prédéterminées de quelque façon que ce soit, pour connaître comment les processus fonctionnent. (…) Il a inventé une architecture entièrement nouvelle, mais plus que cela : il a pris comme modèle une simple chaîne en suspension. Puis Kepler, en tant que disciple de de Cues (et aussi, de manière implicite, de Brunelleschi) a réussi à résoudre le problème, complétant ainsi la première triade. La science moderne ne peut ainsi être compétente que si elle prend comme référence Kepler, incluant les contributions de Brunelleschi et de de Cues. Quiconque élimine l’un de ces trois penseurs, comme faisant partie d’une triade unifiée, est un scientifique incompétent.
Filippo Brunelleschi : un grand révolutionnaire
Afin d’être sûrs de ne pas être incompétents d’un point de vue scientifique, nous allons nous concentrer aujourd’hui sur Brunelleschi et ses réalisations.
Bien sûr, sa réalisation la plus connue est la Coupole de Florence, celle de la cathédrale Santa Maria del Fiore. Il s’agit là, encore aujourd’hui, de la plus grande coupole en maçonnerie existant sur Terre, qui a été construite il y a plusieurs siècles. La cathédrale fut commencée en 1296 et la construction se poursuivit tout au long du XIVe siècle ; puis un débat, ou plus précisément un référendum, fut organisé en 1367 pour choisir une conception architecturale plus générale. Deux options furent alors présentées, la première, de style gothique, de Neri Di Fioravanti et la seconde, sur un modèle roman, de Giovanni di Lapo Ghini.
Comme vous le voyez, dans la cathédrale actuelle il n’y a pas d’arcs-boutants, ces arches de pierre soutenant les murs à partir de l’extérieur dans les cathédrales gothiques. Il n’y a pas de larges fenêtres non plus, car nous avons un style roman, jugé « plus florentin ». Le père de Brunellechi fut appelé à voter dans ce référendum, et opta pour le projet de style roman, qui prévoyait déjà la construction d’une large coupole.
Personne ne savait comment ériger une telle coupole en 1367 mais il fut décidé de poursuivre la construction de la cathédrale et de laisser le problème à la génération suivante. Pour vous donner un sens du gigantisme de ses proportions, la petite croix que l’on voit là haut culmine à 116m50, ce qui fait que l’édifice est bien plus élevé que le capitole de Washington.
Brunelleschi naquit en 1377 et grandit au pied de la cathédrale. Il était donc très familier avec le projet. Il fit son apprentissage en tant qu’orfève, qui était la profession la plus appréciée à l’époque en raison du travail de précision qu’elle exigeait. On dit même que Brunelleschi fabriqua la première horloge à ressorts, n’ayant pas besoin de la gravité pour fonctionner, mais cela n’est pas confirmé.
En 1401 ou 1402, un concours fut organisé pour déterminer qui aura l’honneur de concevoir les portes du baptistère. Brunelleschi fut l’un des deux finalistes, avec Ghiberti, qui gagna le concours. Il décida alors de partir pour Rome avec son ami, Donatello, pour y étudier l’art et l’architecture des ruines qui avaient survécu aux affres du temps. C’est dans ce contexte qu’il développa le concept de la perspective, introduisant l’idée de l’espace dans des tableaux jusque là plats. L’un de ses élèves, Masaccio, fit le premier véritable tableau en perspective : la Trinité (figure 2). Lorsqu’on regarde le sens de profondeur qui s’en dégage, on peut comprendre à quel point l’observateur put être choqué par le réalisme de la fresque.
Leon Battista Alberti, qui écrivit plus tard un livre sur la peinture, attribua à Brunelleschi la découverte de la perspective, qui est l’usage d’un point de fuite pour créer un véritable espace en trois dimensions dans un tableau, comme le fit ici Masaccio.
Parmi les choses que vit Brunelleschi à Rome, il y avait le Panthéon. Il a été construit, je crois, sous Dioclétien, comme temple romain consacré à tous les dieux, avec un diamètre presque similaire à celui de la coupole de Florence. Le Panthéon est cependant purement circulaire, tandis que la coupole de Brunelleschi a la forme d’un octogone.
Même s’ils ont pratiquement le même diamètre l’un et l’autre, le Panthéon n’est pas aussi haut que la coupole de Florence. En fait, lorsqu’on regarde le premier de côté depuis le sol, on ne voit presque pas la coupole. De plus, l’épaisseur du mur du Panthéon à la base de la coupole est de 7 m (comparé à 2 m pour celle de Brunelleschi), et on a dû faire appel à d’imposants échafaudages en bois pour la construire (le « cintrage »), afin que l’on puisse couler le béton et attendre qu’il durcisse.
C’est ce qui fut fait pour la construction des arches du Pont du Gard en France, ou bien pour tout autre aqueduc romain. Lorsque la portée de la structure à construire dépasse la longueur de la plus grande pierre disponible, il faut rassembler plusieurs pierres et l’arche est la forme qui permet de franchir une distance donnée. Pour construire ces arches, il faut des échafaudages, afin que l’on puisse entasser les pierres, jusqu’à ce que l’on place la clé de voûte. A partir de ce moment, la structure se maintient d’elle-même et on peut retirer l’échafaudage. Elle donc stable seulement une fois qu’elle est terminée, ce qui signifie que l’on peut enlever l’échafaudage uniquement à la fin, sinon la structure s’écroulerait.
En août 1418, un autre concours fut organisé pour déterminer comment la coupole allait être construite. C’est 50 ans après le référendum de 1367. Brunelleschi était de retour à Florence. Comme pour le cas du baptistère, Brunelleschi et Ghiberti se retrouvèrent les deux derniers finalistes. Brunelleschi affirma qu’il pouvait construire la coupole sans avoir recours à un échafaudage et que la structure allait être stable à chaque moment de sa construction : pièce après pièce, et pas seulement une fois terminée.
Personne d’autre que Brunelleschi ne pensait que cela fusse possible. Les gens en furent ébahis. Lorsqu’on lui demanda comment il allait procéder, il leur répondit qu’il suffisait de savoir comment faire tenir un œuf debout. Il les mit au défi de le faire, et selon les chroniques, il craqua la partie inférieure de l’œuf de manière à ce qu’il puisse tenir debout. Lorsqu’ils lui répondirent qu’ils auraient pu le faire s’ils l’avaient su, il répliqua que c’était exactement ce qu’il voulait leur faire comprendre. Il leur demanda de lui confier la construction de la coupole. La décision ne fut prise qu’en 1420 mais il obtint l’emploi, aux côtés, chose étrange, de Ghiberti.
Pendant que le comité débattait de la construction de la coupole, Brunelleschi obtint quelques autres contrats, dont le célèbre Ospedale degli Innocenti (figure 4), un hôpital pour les orphelins. Comme pour les édifices construits à l’intention des familles riches, il intégra un magnifique portique (loggia) à l’avant, en utilisant de manière entièrement nouvelle les colonnes, conférant à l’ensemble un caractère humaniste, montrant une grande préoccupation pour les gens qui allaient y habiter.
Pour revenir à la cathédrale de Florence, sa nef a une hauteur de 42 m, et il y a un tambour de 13 m de haut avant que ne débute la coupole. Ce qui fait un total de 55 m, soit deux fois plus que dans le cas du Panthéon. Pour ce qui est de la hauteur totale au sommet de la coupole, nous avons quelque 90 m, deux fois plus haute, ici encore, que le Panthéon.
Pour ce qui concerne l’usage d’un échafaudage, il n’y aurait pas au suffisamment de bois pour construire l’édifice. Il aurait fallu entre 500 et 1000 arbres, et aucun n’aurait été assez grand pour satisfaire aux exigences. Même plusieurs siècles plus tard, la marine britannique se vit obligée d’aller chercher dans le nouveau monde les arbres dont elle avait besoin pour fabriquer les mats de ses navires, d’une hauteur de 30 mètres environ. Aucun arbre en Europe n’aurait pu convenir à la tâche et il en allait de même pour la coupole de Florence.
L’approche de Brunelleschi à l’égard de l’espace et de la nature physique de la construction était entièrement différente. Au lieu de concevoir le projet comme une simple forme géométrique qui n’acquerrait sa stabilité qu’une fois terminée, Brunelleschi intégra la stabilité (physique) dans chaque partie de la coupole, comme si « chaque brique était une clé de voûte ». Elle était ainsi stable en tout point.
Pour ce qui concerne les techniques utilisées en tant que telles, Brunelleschi conçut également un treuil spécial pour la levée des 4 millions de briques utilisées. Avant lui, on utilisait des trépigneuses dans lesquelles des gens marchaient comme des hamsters dans une roue. Brunelleschi voulait que utiliser des bœufs (figure 5 : on voit ici un cheval à la place d’un bœuf), mais il fallait pour cela introduire un système de transmission pour passer à la renverse car les bœufs ne voulaient pas reculer. On pouvait ainsi passer rapidement de l’avant vers l’arrière et convertir le mouvement en un va-et-vient vertical pour faire monter et descendre les plateformes portant les briques.
Pour déplacer les lourdes charges, allant quelques fois jusqu’à plusieurs milliers de tonnes, Brunelleschi conçut aussi une grue appelée « castello », reprise plus tard dans un dessein de Léonard de Vinci. Celui-ci dessina plusieurs appareils inventés non pas par lui mais par Brunelleschi. Cette grue était dotée d’un système de contrepoids, permettant de déposer les gros objets à l’endroit où ils devaient l’être, quelques fois avec une grande précision.
Si nous regardons maintenant la forme de la coupole (voir ici pour notre article complet sur la construction de la coupole), nous nous apercevons qu’elle n’est pas sphérique. Il s’agit de ce qu’on appelle une « quinte pointée », formée de deux sections d’un cercle qui s’entrecroisent à un certain point, sauf que dans ce cas ci on a laissé un trou au centre de la coupole. C’est ce qui a permis de la rendre grande et magnifique comparée au Panthéon, qui est franchement laid. Cela permet aussi de réduire les tensions horizontales à la base de la coupole.
De plus, la coupole est constituée non pas d’une seule coque mais de deux. Il y a ainsi une coupole extérieure, celle que nous voyons de l’extérieur, et une autre à l’intérieur, d’une épaisseur de 2 m à la base (souvenez-vous que celle du Panthéon est de 7 m) et de 1,5 m au sommet. La coque extérieure est encore plus mince, avec 0,6 m à la base et 0,3 m au sommet. La coque extérieure est ainsi soutenue par la coupole intérieure.
Brunelleschi eut recours à des catenas (chaînes), qu’il intégra dans la structure de la coupole, comme des cerceaux qui cerclent les douves d’un baril. Il y a « 6 cercles [cerchi] de pierres solides, longues et renforcées de fer étamé » (selon une citation de Brunelleschi recopiée par Manetti) ; les registres montrent qu’il y a également 4 chaînes en fer, même si on ne peut pas les voir, car elles sont encastrées dans la maçonnerie, et il y a aussi une chaîne en bois pour aider à absorber le stress, ce qui est une chose étonnante.
Un autre aspect de la construction concerne la manière dont les briques ont été disposées. Déjà, une partie des 4 millions de briques utilisées avait une forme particulière, exigeant le recours à des moules spéciaux. Elles furent ensuite placées selon une disposition dite spina pesca [arête de poisson], de sorte que les rangées de briques puissent être reliées entre elles. Ainsi, une rangée inférieure aidait à maintenir celle située au-dessus.
Chaque aspect de ce dôme est unique en termes d’ingénierie, ainsi que par rapport aux techniques utilisées pour produire et manipuler les matériaux utilisés.
Brunelleschi a aussi obtenu le premier brevet de l’histoire pour un bateau qu’il a conçu pour transporter les gros blocs de marbre dont il avait besoin pour faire les arrêtes blanches séparant les huit plans incurvés de la coupole. Le bateau a malheureusement coulé et le marbre fut perdu, bien qu’une partie a pu être récupérée. On voit bien que Brunelleschi était impliqué dans plusieurs aspects des choses, allant de la perspective à l’architecture, jusqu’à l’ingénierie.
Une autre chose intéressante est qu’une seule personne a perdu la vie au cours de toute la période qu’a duré la construction, selon les archives officielles. Brunelleschi a fait appliquer des règles de sécurité, a utilisé des harnais et plateformes de sécurité. Les gens travaillant près du sommet n’avaient pas le droit de boire du vin, du moins dans sa forme pure : il devait être dilué avec un tiers d’eau. Personne n’avait le droit d’embarquer dans les paniers utilisés pour faire monter les pierres, il fallait obligatoirement utiliser les échelles prévues à cet effet.
Comme le montrent certains sonnets composés par des ennemis de Brunelleschi pour le dénoncer, on lui reprochait son attitude prométhéenne, c’est-à-dire sa volonté de construire l’impossible.
La coupole a été terminée en 1436, et le pape Eugène IV est venu consacrer la cathédrale. A partir de 1439 allait s’y tenir le Concile de Florence – il avait commencé à Ferrara mais a dû être transféré à Florence à cause de la peste. Ainsi le Concile de Florence, organisé par de Cues avec l’aide financière des Médicis, eut lieu dans cette cathédrale étonnante dont la coupole venait tout juste d’être complétée. Il n’y a aucun doute qu’une telle œuvre a contribué à insuffler un élan et un esprit particulier au Concile.
Brunelleschi est décédé en 1446. D’autres personnes ont participé à certaines tâches finales, dont Léonard de Vinci qui, en tant qu’apprenti dans l’atelier de Verrocchio, a aidé à couler le bronze de la grosse boule qui se trouve aujourd’hui au sommet. Puis, en 1474 ou 1475, Toscanelli a ajouté une plaque dans la lanterne, dans laquelle il avait percé un trou, afin que les rayons du soleil puissent dessiner une tâche sur le sol de la cathédrale. Il put ainsi corriger les Tables alfonsines (des tables astronomiques composées par ordre d’Alphonse X, roi de Castille au XIIIe siècle), car les observations du mouvement du soleil furent les plus précises jamais obtenues en raison de l’extraordinaire hauteur de la cathédrale, ainsi que de sa grande stabilité. Le cercle de marbre blanc de la figure 7 correspond au solstice d’été.
Toscanelli a pu recalculer ces tables qui furent ensuite utilisées par les navigateurs pour s’orienter sur les mers. Il travailla également sur une carte du monde, puis écrivit à la court royale portugaise pour proposer de naviguer vers l’ouest jusqu’en Chine. Il ne reçut aucune réponse, mais Christophe Colomb trouva après la lettre de Toscanelli et lui écrivit avec enthousiasme.
En 1481, les deux s’écrivirent à plusieurs reprises à ce sujet. En 1486, Colomb demanda à être reçu à la cours de Ferdinand et d’Isabelle en Espagne et comme chacun le sait, en 1492, il se mit en route vers l’ouest, armé des connaissances astronomiques que lui avaient transmises Toscanelli, ainsi que d’une carte lui disant qu’il pouvait atteindre l’Orient en voguant vers l’ouest.
On peut donc dire que la coupole de Brunelleschi a joué un rôle dans la création du Nouveau monde.
Ce que Brunelleschi a compris, c’est que l’espace dans le petit n’est pas géométrique mais physique, de la même manière que Kepler approcha ensuite le problème par rapport à l’astronomie. Pourquoi les planètes, prises en tant qu’ensemble et non pas de manière individuelle, se meuvent-elles d’une certaine manière et pas d’une autre ?
Kepler prend le relais
Dès 1596, dans son premier livre, Mysterium Cosmographicum (Le secret de l’univers) Kepler publia un modèle fixant les distances entre les planètes. Il stipula que ces distances n’étaient pas arbitraires, qu’il devait y avoir une raison. Il chercha à identifier ce qui caractérisait l’espace en tant que tel, et fit appel aux 5 solides platoniciens (figure 8). Ces solides sont les seules formes divisant la sphère de manière régulière, mais pourquoi ?
L’espace semble être vide, il ne semble être doté d’aucune caractéristique, mais dès que l’on cherche à y faire quelque chose on se rend compte que certains actes sont possibles et que d’autres ne le sont pas. Kepler pensait par conséquent que s’il y avait quelque chose d’inhérent à la manière dont l’espace fonctionnait, que cela pouvait être trouvé dans l’organisation spatiale des planètes. Pour déterminer s’il était dans le vrai ou non, il devait savoir de manière plus précise comment les planètes se mouvaient, et c’est ainsi qu’il révolutionna complètement l’astronomie dans son second livre, La nouvelle astronomie. Il adopta ainsi l’approche de Brunelleschi, selon qui il n’y a pas de linéarité dans le petit, seulement l’action physique. Il développa son idée que le soleil était responsable du mouvement des planètes, et qu’à chaque moment la distance du soleil déterminait l’impact qu’il pouvait avoir sur le mouvement de la planète, en particulier sa vitesse. Il restait ensuite à convertir ce mouvement en une orbite d’ensemble.
Tandis que les distances données par les solides étaient uniques pour chaque planète, Kepler se retrouvait avec deux distances : la plus rapprochée et la plus éloignée du soleil. Il pénétra pour résoudre ce problème dans un autre domaine sensoriel, celui de l’audition, même si cela va au-delà du son en tant que tel.
De la même manière que ces solides divisent l’espace visuel, Kepler chercha à diviser l’espace « auditif », celui du son, de la musique. En étudiant les intervalles, il regarda comment les planètes pouvaient se mouvoir en créant les gammes majeures et mineures (cf. la discussion du 28 mai sur Kepler). En se mettant à la place de Dieu, en imaginant comment il aurait créé le système solaire, il se dit qu’il utiliserait en premier lieu les solides platoniciens, puis qu’il incorporerait la musique pour développer un système où rien ne serait laissé au hasard, où les vitesses perçues comme son formeraient un tout harmonique ! Si le système se trouvait à la confluence de sens qui semblent être au premier abord différents, il n’en était rien puisque tout relevait du domaine de l’harmonie pour Kepler.
C’est ainsi que Brunelleschi, de Cues et Kepler forment une triade dont les travaux sont à l’origine de la science physique moderne.
Lyndon LaRouche : Ce qui a été oublié ici est la question de la caténaire. Car il y a deux concepts qui sont au centre du travail de Brunelleschi : l’un est l’infinitésimal, et il a toujours été lié à la manière dont il a cherché à comprendre la lumière, dans ses premiers travaux. L’autre est quelque chose qui détruit complètement le concept linéaire d’espace et de temps. La construction de sa coupole était basée sur le principe de la caténaire, une chose qui était largement répandue en Italie. Il y avait ces ponts au-dessus d’abîmes profonds, et lorsqu’on les traversait ils se mettaient à danser [rires]. Il y a cette célèbre chanson...
Ross : Oh ! Tu veux dire « Funiculi, funicula ».
LaRouche : C’est cela, c’est la chanson qui parlait de chaînes suspendues. Ainsi, ce qui est arrivé, soudainement, c’est qu’on se retrouve en dehors de l’espace en tant que tel, qui n’existe pas. Ce qui est existe est l’action dans l’espace, qui doit être définie selon sa propre caractéristique, et la caténaire est le principe de cette caractéristique.
A partir de ce moment, tout ce qui était associé à la « Grèce classique » se désintégra, car il n’est pas possible d’avoir une construction linéaire dans l’univers qui reposerait sur un système mathématique. Ainsi, les mathématiques sont mortelles pour la pensée humaine, et nous voyons des mathématiciens déambulant comme des zombies. Ils meurent en plein travail, mais ils n’allaient nulle part de toute façon.
L’infinitésimal ne vient donc pas du petit mais du grand, car nous faisons l’expérience de ce qui est relativement grand. Et nous trouvons que le principe d’action ne correspond pas à une extrapolation linéaire. Tout le travail qu’accomplit ensuite Kepler apporte une certaine complétion à ce concept, qui est l’idée de l’espace physique par opposition à l’espace linéaire. C’est contraire à tout ce qu’Euclide représente, qui était reconnu comme étant maléfique. Il était nécessaire de trouver une principe qui corresponde à ce qui n’est pas maléfique.
Le mal était associé à l’esclavage : le comportement humain brut, en tant qu’esclavage, ou un système qui se réduit lui-même à l’esclavage. Cette question revient dans le cas des Grandes pyramides, dans la mesure où ce mensonge affirmant qu’il s’agirait de constructions linéaires faites par des esclaves ou quelque chose de ce genre est de la pure folie ! Les pyramides ne pouvaient pas avoir été construites de cette manière. On faisait flotter les blocs de pierre sur le Nil, et c’est pourquoi elles sont situées là où elle sont, car on faisait flotter les éléments nécessaires. On utilisait aussi le sable comme fluide.
Au pied des Grandes pyramides, il y avait non pas des quartiers abritant des esclaves, mais des quartiers habités par des ingénieurs et leurs familles ! Ainsi les Grandes pyramides étaient un vaste projet d’ingénierie, qui utilisait le Nil et le sable du désert (même s’il était moins présent qu’aujourd’hui) comme dispositif servant à déplacer les choses.
Il s’agit en fait d’une bataille contre Zeus, qui a toujours insisté sur l’idée qu’on pouvait faire les choses en faisant appel à des esclaves seulement, sans aucune conception dynamique. Ainsi l’histoire selon laquelle il faudrait commencer avec des esclaves comme forme primitive de travail humain est une fraude. L’idée de faire appel au développement de l’intellect est complètement opposée à cela. Le principe de la caténaire est un bon exemple de cela. En construisant ces ponts avec des chaînes suspendues, une technique particulièrement répandue en Italie, en faisant appel à une caractéristique physique de l’espace-temps physique, nous avons une démonstration simple de ce processus.
Ainsi, Brunelleschi n’a jamais utilisé de point-zéro dans son travail, car l’univers était caractérisé selon lui par un processus d’action, qui n’est connaissable qu’en faisant appel aux pouvoirs noétiques de l’esprit humain, comme le montre l’usage de la caténaire pour construire un pont au-dessus d’une abîme.
La conférence de 1900 sur les mathématiques à Paris
Le défi est ainsi de nous libérer de ce qui nous a été imposé en 1900, qui est un retour au primitivisme, quelque chose qui est par conséquent maléfique. Il ne faut se faire aucune illusion sur le véritable objectif des organisateurs de cette conférence de Paris. Leurs motivations étaient maléfiques. Ce type, Hilbert, est un personnage maléfique, et nous sommes aux prises encore aujourd’hui avec un système euclidien, un système stupide, chroniquement stupide.
Ross : Ainsi, lorsque Hilbert a proposé de systématiser la pensée humaine, il a été repris très rapidement, avec enthousiasme, par Bertrand Russell, et la créativité a été réduite à l’idée d’une simple déduction de théorèmes à partir d’axiomes prédéterminés. La créativité consistait donc, selon eux, à simplement trouver de nouvelles formules. Voilà ce qu’ils ont fait de la science !
LaRouche : En fait, il y a deux choses : la première est que Leibniz a été rendu possible par de Cues. De Cues avait légué une conception de la science, et Kepler a démontré que la nature physique de l’espace et du temps éliminait toutes les conceptions linéaires de l’organisation de l’espace et du temps. Leibniz représente le type de questionnement et d’intuition caractérisant le mieux ce qui est devenu la science moderne (voir l’article de Pierre Bonnefoy « Le calcul différentiel de Leibniz : le langage de la découverte »).
Il y a eu ensuite une seconde phase, qui a commencé au début du siècle suivant (XIX e), avec l’arrivée de Gauss. Il y a eu ensuite Riemann, son véritable disciple en quelque sorte. Nous avons un jeune Riemann, étudiant l’œuvre de Gauss et ce dernier, âgé, dans les dernières années de sa vie, regardant ce jeune divulguer tous ses secrets dans sa grande thèse d’habilitation, et ce dès les trois premiers paragraphes où il tort le coup à la science officielle ! On peut imaginer la délectation de Gauss, bien qu’il n’en n’ait donné aucun signe extérieur. Nous arrivons ensuite au paragraphe final, qui horrifie tous les pontes officiels, disant : « Ceci nous conduit dans le domaine d’une autre science, dans le domaine de la Physique, où l’objet auquel est destiné ce travail ne nous permet pas de pénétrer aujourd’hui. »
Voilà donc la déclaration, qui constituait le secret que détenait Gauss pendant tout ce temps ! Il s’était gardé d’expliquer aux autres comment il était arrivé à faire toutes ses découvertes, il se contentait de les communiquer dans leur état final. Dans tous ses travaux, sur l’organisation de l’espace physique, et ainsi de suite, il cachait ce qu’il savait, car on lui avait fait comprendre, depuis ses premiers travaux sur le théorème fondamental de l’algèbre, qu’il valait mieux se faire discret. C’est pourquoi il s’abstint par la suite d’expliquer comment il était arrivé à ses découvertes, et c’est ce à quoi mit fin le jeune Riemann, en ouvrant pour ainsi dire la boîte de Pandore.
Nous libérer du formalisme euclidien
Nous sommes coincés aujourd’hui avec des gens dont le travail est de rendre les élèves stupides. C’est ce que l’on fait dans les écoles. En enseignant Euclide. Nous détruisons les capacités intellectuelles de presque tous les élèves. Je le sais, je l’ai vu de mes yeux. Je ne savais par ce qu’était Euclide à l’époque, mais je savais que c’était faux. Et je l’ai dit ! Vous auriez dû voir les gémissements et les cris que j’ai entendus, pendant trois ans ! Mais la vérité est qu’ils étaient en train de se faire laver le cerveau. Toute l’école, qui était considérée comme une bonne école, au nord de Boston. Tout était pollué dès qu’on arrivait à la géométrie.
Et dans la plupart des universités aujourd’hui, les professeurs sont handicapés, comme si leur cerveau ne s’était pas entièrement développé. Certains scientifiques pouvaient faire preuve de talent lorsqu’il s’agissait de construire des dispositifs expérimentaux, mais dès qu’il s’agissait de théorie ils s’en remettaient entièrement aux mathématiques. Avec cette conférence de 1900 à Paris, ainsi que la destruction de l’Allemagne après la Première guerre mondiale, il y a eu une véritable dégénérescence dans le système d’éducation, des écoles jusqu’aux universités. Il y a des gens très brillants encore, quelques uns, mais ils ont tous peur de s’en prendre à Bertrand Russell, qui est l’équivalent d’une réincarnation de Satan !
Megan Beets : Vous avez indiqué à plusieurs reprises, lors des disputes que vous avez eues dans le cadre de la Fondation pour l’énergie de fusion (FEF), qu’on en revenait toujours à la question de Kepler contre Newton, et que de nombreux scientifiques brillants devenaient hystériques dès qu’on remettait en question l’autorité de Newton, qui était selon eux le vrai scientifique, tandis que Kepler n’était que celui qui avait pondu les trois lois portant son nom. C’est pourtant Kepler qui avait révolutionné la science, de la même manière que Riemann révolutionna les mathématiques par la suite, en disant qu’il fallait quitter le domaine des mathématiques pour entrer dans celui de la physique.
LaRouche : Le plus important après cela est en fait Leibniz, qui a accompli une véritable percée dans la manière de décrire le problème. C’est lui qui a rendu compréhensible ce qu’a fait Kepler. Ils ont attendu qu’il soit mort avant de s’attaquer à lui, avant de franchir le premier pas dans la destruction de la science, et ce dès le début du XVIII e siècle. C’est à partir de ce moment que le système d’éducation a commencé à dégénérer, même si des progrès ont été accomplis dans certains domaines, et ce malgré l’usage des mathématiques. Et une chose qu’il faut apprendre de la Renaissance, c’est que les mathématiques ne sont pas le principe sur lequel repose la physique.
Ross : Il est ironique de penser que certains disent que Newton est le début de la physique.
LaRouche : C’était la mort de la physique !
Beets : Leibniz a démontré la chose très clairement dans sa correspondance avec ce disciple de Newton qu’est Samuel Clarke, que la croyance dans des mathématiques fixes et que l’espace et le temps sont linéaires et vides (ce qui en est la description mathématique), conduisent à un système maléfique. Voilà la racine du mal, ce en quoi s’est réincarné Bertrand Russell.
LaRouche : Bertrand Russell en était très conscient. Voilà ce à quoi nous sommes confrontés aujourd’hui. Cela inclut le domaine politique, car c’est ce que les gens ont été amenés à croire, ils essaient de tout expliquer en vertu de cet entraînement qu’ils ont reçu. Ils ne sont pas compétents car ils ont en eux ces axiomes qui sont faux.
Megan Beets : Cela est la question cruciale à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui, cette cellule de prison oligarchique dans laquelle les gens s’enferment volontairement, en s’accrochant à l’idée que l’esprit humain n’a aucun impact sur l’univers physique, que tout ce que nous savons et faisons est dérivé de la déduction mathématique et de l’expérience [la perception des sens]. Ils se soumettent ainsi à un système oligarchique, qui est un système conduisant à l’extinction. Car si on n’arrive pas à en sortir, si nous ne revenons pas à une structure politique véritablement humaine, permettant l’application des découvertes de l’esprit à l’économie physique, dans le cadre d’un système d’économie physique, tel qu’il s’est incarné, au mieux, dans le système américain d’économie politique, alors nous allons vers l’extinction.
LaRouche : Le problème est que les gens ont peur de se retrouver isolés dès qu’ils se mettent à douter du système. C’est ce qui les rend stupides.
Il faut mettre le système face à ses propres contradictions, et c’est ce qui est sur le point d’arriver avec l’émergence de l’Asie, par rapport à la région transatlantique. Ce qui se passe en Asie n’est pas parfait, loin de là, mais au moins c’est différent ! Il y a une dynamique de progrès, tandis que dans la région transatlantique nous avons une maladie appelée environnementalisme. Cette maladie est le mal incarné ! Et les gens qui en sont affectés sont tout simplement incompétents et s’en prennent vicieusement à tous ceux qui les remettent en question. Eux aussi croient aux mathématiques, qui n’ont aucune correspondance avec la réalité.
Nous sommes arrivés à un point où il y a certaines choses que nous pouvons savoir, que nous pouvons trouver en retraçant l’histoire de la science et de la culture. Nous constatons rapidement que le travail de Vernadski nous a conduit à une percée, à une nouvelle conception de l’humanité ou de la pensée humaine dans l’univers. Pour la première fois, la vie humaine devient une norme pour la compréhension du système solaire dans son ensemble, et même au-delà. Par ce que c’est l’homme dans le système solaire qui est maintenant la norme de vérité, d’une vérité relative. C’est le mieux que l’on puisse faire pour l’instant, et c’est pourquoi il est urgent d’être réellement présent dans l’espace. Il faut tout repenser non pas du point de vue de ce qui se passe sur Terre, car ce qui nous menace et ce qui menace la Terre vient d’au-delà, de l’espace. Voilà la vraie question.
On ne peut pas vivre sur Mars, personne n’a encore la capacité de le faire, ni sur un astéroïde. Mais nous pouvons y mettre des machines, et les mettre en action en les contrôlant depuis la Terre, définir les institutions nécessaires pour contrôler ce que l’on fait dans l’espace proche, sur la Lune et au-delà.
L’humanité peut ainsi commencer à contrôler l’espace proche et c’est ce que nous devons faire, entre autres choses. Car il nous faudra changer les conditions sur Terre et voir comment on peut influencer le soleil. Il faut penser comme nos précurseurs de la Renaissance, retrouver cet état d’esprit qui a été écrasé par la suite.
Beets : Ce serait l’accomplissement de ce que Kepler a fait. Il a soumis les corps du système solaire au principe de l’esprit humain, prenant le système solaire comme un tout. C’est ce que nous devons à nouveau faire aujourd’hui, il faut que nous soumettions l’activité du système solaire au principe de la pensée humaine.
LaRouche : C’est exactement cela. Précisément ! Les gens doivent se débarrasser de leur petitesse et s’inspirer des penseurs de la Renaissance, et ce à un moment crucial de notre histoire, celle de l’humanité. Car le système actuel ne fonctionne pas, il ne peut pas fonctionner, il contient sa propre déchéance, il ne peut pas être civilisé. Il faut rejeter non seulement les mathématiques mais aussi la perception des sens comme source du savoir, et la Renaissance est de ce point de vue un point tournant dans l’histoire de l’humanité. Ce que Kepler a fait en définissant le système solaire de cette manière, en tant que principe, est une conception ontologique, non pas formelle, et cette conception change tout.
Et les gens qui refusent un tel changement sont intrinsèquement stupides. Ils sont une menace pour l’humanité. Voilà la question essentielle. Nous devons comprendre ce principe : c’est la chose la plus importante que nous puissions faire.
Traduction et adaptation : Benoit Chalifoux.