S&P répond à Bayrou sur la dette : inspirez-vous d’Henri IV !

dimanche 24 août 2025, par Karel Vereycken

Le 13 juillet, à la veille de la fête nationale, le Président français Emmanuel Macron parlant devant les forces armées, a évoqué l’instabilité mondiale croissante pour justifier l’augmentation des dépenses de défense jusqu’en 2027.

Le lendemain, la Revue stratégique nationale - un texte doctrinal destiné à aligner les priorités de la France sur les bouleversements géopolitiques actuels – a été rendue publique.

Dépenses de guerre

Tout cela n’est pas gratuit. « Aujourd’hui, le budget de la défense ne représente que 2% de la richesse nationale, c’est 60 milliards d’euros », a expliqué le journaliste Jean-Paul Chapel le 24 juin sur FranceInfo.

Selon le Haut-commissariat au Plan, qui a fait ses calculs à l’horizon 2030, le budget militaire atteindrait la barre des 100 milliards d’euros si la défense représentait 3 % du PIB. « Et à 5 % [comme l’exige Donald Trump pour l’OTAN], l’objectif final, on arrive à 172 milliards d’euros, ce serait alors le premier budget de l’État, soit deux fois plus que l’actuel budget de l’Éducation nationale », précise le journaliste. A la demande de l’UE, les agences de notation (aux mains des banques), magnanimes, accepteront que ces dépenses militaires supplémentaires ne soient pas prises en compte dans leur calcul de conformité avec les « critères » de Maastricht.

Où en est notre dette ?

Au premier trimestre 2025, la dette publique française au sens du Traité de Maastricht – norme de référence dans l’Union européenne – s’élève à 3 345,4 milliards d’euros, en hausse de 40,2 milliards par rapport au trimestre précédent. En pourcentage du PIB, elle représente désormais 113,9 %, dépassant une nouvelle fois la barre symbolique des 100 %. Son montant est donc bien supérieur à la richesse économique du pays. Ce seuil critique rappelle combien la promesse de maintenir la dette publique sous les 60 % du PIB, posée lors des accords de Maastricht, est désormais lointaine. Avec une dette près de deux fois supérieure à cette limite, la France fait partie des pays les plus endettés de la zone euro, devancée seulement par la Grèce (153,6%) et l’Italie (135,3 %). La France rattrape les États-Unis (122 %) mais reste derrière le Japon (236,7 % en 2024).

La charge de la dette, qui s’élève déjà à près de 59 milliards d’euros, continue de croître sous l’effet de son propre poids. Elle atteindra 67 milliards d’euros en 2025, un niveau historiquement élevé. Ce poste budgétaire a désormais dépassé celui de la Défense et se rapproche dangereusement de celui de l’Éducation nationale. Selon les prévisions du Haut Conseil des Finances Publiques (HCFP), rien que la charge de la dette dépassera les 100 milliards d’euros en 2029...

Aux États-Unis, le paiement des intérêts de la dette (37 000 milliards de dollars) est estimé à plus de 1200 milliards de dollars, soit 40 % des recettes de l’impôt sur le revenu. C’est plus que ce que les États-Unis dépensent pour leur défense (880 milliards).

Pour Bayrou, comme pour tout responsable qui tente de trouver une solution « à l’intérieur du système actuel », ces chiffres ne peuvent que provoquer la panique.

La note sera salée

Rien d’étonnant que le 15 juillet, soutenu par Macron, il a donc passé « la note » aux contribuables français. Son plan budgétaire pour 2026 comprend un vaste programme d’économies de 43,8 milliards d’euros : coupes budgétaires massives, suppressions d’emplois de fonctionnaires, 1 fonctionnaire sur 3 partant à la retraite non remplacé, non revalorisation des retraites et des prestations sociales avec l’année blanche, gel du barème de l’impôt sur le revenu, déremboursements de médicaments, suppression de 2 jours fériés...

Répondre à Bayrou

Invoquant régulièrement l’exemple de Pierre Mendès France – qui rendait compte de son action de chef du gouvernement (1954-1955) à la radio nationale – François Bayrou, par sept courtes allocutions sur YouTube s’est lancé dans une « opération de communication directe » jusqu’au début du mois de septembre, en abordant les différents enjeux des textes financiers qui seront examinés au Parlement à partir d’octobre. Il invite également les Français à directement écrire au chef du gouvernement via l’adresse mail fbdirect@premier-ministre.gouv.fr

Le message de Solidarité & Progrès à François Bayrou :

Monsieur le Premier ministre,

Nous vous félicitons d’ouvrir un dialogue direct avec les Français sur un sujet aussi important que l’avenir des finances publiques de notre pays dans l’esprit des échanges radio auxquels se livrait à son époque le visionnaire Pierre Mendès France.

Puisque vous nous invitez à vous soumettre nos réflexions et propositions, voici quelques pistes. Sans cynisme ni cruauté, je ne peux que vous inviter à relire plusieurs pages intéressantes d’un ouvrage intitulé Henri IV, le roi libre de la plume d’un certain... François Bayrou, publié chez Flammarion en 1994.

L’auteur y rappelle d’abord que le roi, lors de son accession au trône, retrouva, après un demi-siècle de guerres civiles et de conditions climatiques désastreuses, « non pas la France, mais le cadavre de la France » selon l’expression de Pasquier.

Henri IV et Sully, constate l’auteur, ont réussi à « désendetter le pays de 50 % en dix ans », permettant ainsi le redressement du pays. (p. 347)

L’auteur note alors, non sans raison, l’empathie profonde du bon Roi Henri et de Sully pour les Français : « Comment Henri et Sully réussirent-ils à rétablir ainsi le budget et le crédit de l’État ? Ce ne pouvait être en ponctionnant davantage les petites gens. Au-delà de la crise des finances publiques, la hausse du prix du blé, la crise générale des subsistances et la précarité de ces temps troubles mettaient en effet le peuple de France au bord de la misère ».

Avant de poursuivre, l’auteur rappelle également l’énorme gouffre en termes de richesse qui pouvait séparer un gentilhomme modeste, pouvant se contenter de 150 livres par an, et les seigneurs résidant à la cour pouvaient gagner plusieurs milliers de livres par an.

Pour faire face, écrivez-vous, « Sully commença par l’urgence. Lutte contre la corruption, récupération autoritaire des créances (...) Plus importante pour le long terme, la renégociation habile des dettes du roi auprès de ces principaux créanciers, qu’il s’agisse des cantons suisses, auxquels on avait largement emprunté, de princes étrangers, de financiers français ou italiens, voire de villes du royaume. Chaque fois, Sully procédait à une vérification minutieuse des arriérés et des remboursements réclamés, qui permettait une estimation beaucoup plus raisonnable. Il ouvrait ensuite une négociation avec le créancier, lui proposant un règlement immédiat d’une partie des arriérés en échange d’un rééchelonnement des remboursements et de l’abandon d’une partie de la créance. Souvent menacés de faillite financière si leur débiteur ne les réglait pas rapidement, les créanciers ne pouvaient qu’obtempérer... Sully parvient en quelque sorte à déplacer l’endettement de l’État royal vers les grands financiers (l’équivalent de nos grandes banques actuelles) » (p. 349)

Courage !

Voilà donc des pistes pour vous, cher Béarnais ! Sully avait compris le fameux dicton : « Si vous devez 100 000 euros à votre banque, vous avez un problème. Mais si vous lui devez 100 milliards, c’est elle qui a un problème ! ».

Vous objecterez que ce qui était possible en 1600 ne l’est plus en 2025 et qu’à l’époque, il n’y avait pas les contraintes européennes... L’histoire, en effet, ne se répète jamais, mais quelques grands principes sont immuables.

Nous estimons également que vous avez tort de vouloir appliquer à la comptabilité nationale la sage gestion que doit s’imposer un simple ménage plombé par le surendettement. La France, avec le poids de son économie et le volume de son épargne, n’est ni Chypre ni la Grèce !

Prenez conscience que ce sont les grandes banques internationales qui sont faibles. Elles sont vérolées par des produits financiers exotiques et des créances spéculatives et dangereuses (produits dérivés, titrisations et maintenant cryptos contre lesquels Jacques Cheminade n’a cessé de mettre en garde). Que gagne-t-elle en s’endettant auprès de banques dont la faillite ne saura tarder ?

En réalité, vous êtes donc en position de force pour imposer un changement des règles du jeu. Cela pourrait se traduire par le retour à des vraies banques nationales, par une séparation stricte des banques, par un audit des dettes et des intérêts abusifs permettant un jubilé de dettes (effacement partiel et rééchelonnement) comme le réclame le Vatican.

Si la France prenait la tête d’une telle initiative, elle serait écoutée, respectée et suivie et pas seulement par les pays membres des BRICS. Si la technocratie de Bruxelles s’y oppose, une dissolution ordonnée de l’UE et de l’Euro, permettra de refonder à plusieurs un cadre plus sain entre États européens souverains sur le modèle du « Plan Fouchet » du général De Gaulle. Votre Commissariat au Plan, au lieu de servir de bureau d’étude, retrouverait alors le rôle de pilote de la transformation économique. Vous dites que la France manque de courage. Saurez-vous l’incarner ?

Payer la dette avec le sang et les larmes de son peuple n’est pas seulement abject, mais inefficace, Monsieur le Premier ministre ! La seule dette qui est due, c’est celle envers les générations à naître.

Car, comme le disait George Boris, l’inspirateur et ami de Pierre Mendès France : « C’est en dirigeant la monnaie et non en se laissant diriger par elle que, sous le règne social où nous vivons, un remède peut être apporté aux grands maux dont nous souffrons ».

Veuillez agréer, Monsieur le Premier ministre, l’expression de nos salutations respectueuses.

Karel VEREYCKEN
Vice-président de Solidarité & Progrès