Forum de Valdaï

Poutine trace la voie d’un monde polyphonique

vendredi 10 octobre 2025

Poutine lors de sa prise de parole à Valdaï.
Les bouleversements chaotiques qui secouent le monde requièrent le courage de se débarrasser des axiomes et postulats désuets de l’ancien système, qualité faisant cruellement défaut à la classe politique française, qui nous offre un spectacle tragicomique sur le plancher des vaches.

« Nous vivons une époque où tout change, et très rapidement », a déclaré le président russe Vladimir Poutine, l’un des rares dirigeants mondiaux à se hisser, à sa façon, à la hauteur des défis notre époque, lors du Forum annuel de Valdaï, ajoutant « comme le temps et les événements récents l’ont montré, nous devons être prêts à tout ».

Extraits de son discours

Source : kremlin

Le président russe a commencé par une description magistrale des échecs politiques qui ont dominé les XXe et XXIe siècles. Le système en place vit son crépuscule, a-t-il observé, mais son dernier chapitre est sans doute le plus périlleux. Selon lui, l’arène mondiale implique désormais davantage de pays préoccupés par les affaires mondiales et disposant d’une plus grande liberté d’action. Cela signifie que les décisions prises unilatéralement doivent également être acceptables par la majorité mondiale. Un monde contrôlé par un petit groupe de nations dictant les règles n’est plus concevable.

En fait, « la multipolarité est une conséquence directe des tentatives d’établir et de préserver l’hégémonie mondiale, une réponse du système international et de l’histoire elle-même au désir obsessionnel d’organiser le monde dans une seule hiérarchie, avec les pays occidentaux au sommet », a-t-il déclaré. C’est dans ce cadre qu’il faut situer l’émergence des BRICS, de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et d’organisations similaires, et l’importance de l’ONU en tant qu’institution centrale, en dépit de ses lacunes évidentes.

Poutine a rappelé comment l’Union soviétique, puis la Russie, avaient tenté de s’intégrer dans une Europe unie en proposant de rejoindre l’OTAN, d’abord en 1954 puis en 2000, lorsque le président américain Bill Clinton s’était rendu à Moscou. Clinton avait d’abord considéré attentivement cette éventualité, mais après avoir consulté ses conseillers, il avait informé le président russe que ce ne serait pas possible. « En bref, nous avons eu une véritable occasion de faire évoluer les relations internationales dans une direction différente et plus positive. Pourtant, hélas, une approche différente a prévalu. Les pays occidentaux ont succombé à la tentation du pouvoir absolu », regrette Poutine. Tout cela n’a rien amené de bon. Aucun des problèmes fondamentaux n’a été résolu, au contraire, de nouvelles difficultés n’ont cessé de surgir et de s’accumuler. Les institutions de régulation internationale, issues d’un temps bien différent du nôtre, ont perdu l’essentiel de leur capacité d’action, quand elles n’ont pas tout simplement cessé de fonctionner. Quelle que soit la force qu’un pays ou un groupe de pays puisse concentrer, toute puissance rencontre, un jour ou l’autre, ses limites.

« Chez nous, on dit, ‘face à la force, rien ne fonctionne, hormis une autre force’. Or, cette force contraire finit toujours par survenir. Ici réside le nœud des événements en cours à l’échelle planétaire : il finit toujours par se présenter une force contraire. Cela sans compter que le désir de tout contrôler conduit toujours à une forme de surchauffe, au détriment de la solidité interne du système. C’est pourquoi on entend désormais les citoyens de l’Occident hégémonique se poser, très légitimement, la question, ‘à quoi bon tout cela ?’ Il y a quelque temps, j’ai même entendu certains de nos collègues américains me dire : ‘Nous avons conquis le monde, mais nous avons perdu l’Amérique.’ On comprend qu’ils ne puissent s’empêcher de se demander si cela en valait vraiment la peine. »

Le problème européen

« Dans toutes les sociétés des grands pays d’Europe occidentale, on voit mûrir et grossir un rejet des ambitions démesurées de l’élite politique locale. Les baromètres d’opinion publique le confirment chaque jour. Les élites en place n’ont cependant aucune intention de renoncer à leur pouvoir et sont prêtes, pour le conserver, à servir les pires mensonges à leurs concitoyens, à attiser les tensions à l’extérieur et recourir aux pires manigances en interne — le plus souvent à la limite, voire au-delà des cadres de la légalité.

« On ne peut pas transformer indéfiniment les processus démocratiques en farce électorale ; on ne peut pas manipuler impunément la volonté des peuples, comme cela a été le cas en Roumanie (sans entrer dans les détails). Les manœuvres de ce type se multiplient dans tous les pays d’Europe, à coups d’interdictions d’adversaires politiques bénéficiant d’une légitimité et d’une confiance croissante du côté des électeurs. (…) Comme on le sait, cela ne fonctionne pas, on n’obtient rien par voie d’interdiction. Or la volonté des peuples, des citoyens ordinaires de ces pays est simple : que leurs dirigeants s’occupent des problèmes de leurs concitoyens, de leur sécurité et de leur qualité de vie, au lieu de courir après des chimères. (…) Les États-Unis, où la demande populaire a entraîné un tournant assez radical de l’orientation politique du pays, sont un exemple significatif. Et, comme on le sait, les exemples sont contagieux. »

Un monde différent

[( « Le monde d’aujourd’hui est différent, et l’intérêt de tous doit être pris en considération. (…) Néanmoins, l’atmosphère mondiale fondamentalement nouvelle, dans laquelle le ton est de plus en plus donné par les pays de la majorité mondiale, promet que tous les acteurs devront d’une manière ou d’une autre prendre en compte les intérêts des autres lorsqu’ils chercheront des solutions aux problèmes régionaux et mondiaux », poursuit le président russe.

« Après tout, personne ne peut atteindre ses objectifs tout seul, isolé des autres. Malgré l’escalade des conflits, la crise de l’ancien modèle de mondialisation et la fragmentation de l’économie mondiale, le monde reste intégré, interconnecté et interdépendant. »

Mettre fin à la guerre en Ukraine

Pour le président russe, chaque culture et chaque civilisation doit jouer son rôle et revenir à la pratique de la diplomatie classique, en tenant compte de l’intérêt de tous, en particulier dans le domaine de la « sécurité indivisible ». Poutine place son espoir dans les efforts du président américain pour parvenir à une solution juste à la question palestinienne. Il a également approuvé l’affirmation de Donald Trump selon laquelle, s’il avait été président à l’époque, la guerre en Ukraine n’aurait jamais commencé.

Vladimir Poutine a expliqué comment la situation en Ukraine avait été provoquée par des forces déterminées à faire tomber la Russie, en s’appuyant sur des antagonismes et des préjugés anciens. « Pour ceux qui ont fait cela, le peuple ukrainien ne compte pas ; ils l’utilisent simplement comme appât pour satisfaire leurs volontés hégémoniques. »

Il est convaincu que cette tentative n’aboutira jamais, compte tenu de la géographie et de la place de la Russie dans le monde et de la détermination du peuple russe à se défendre contre toute agression. Il a évoqué les divisions de la société européenne face aux tentatives insensées des élites occidentales de poursuivre leur croisade implacable et leurs tentatives hystériques de convaincre la population que la Russie est prête à attaquer l’OTAN.

Si les Etats-Unis agissent pour leurs propres intérêts, alors « excusez-moi, la Russie se réserve également le droit d’être guidée par ses intérêts nationaux, dont l’un, soit dit en passant, est de rétablir des relations à part entière avec les États-Unis, a-t-il précisé. Et quelles que soient les différences, si nous nous traitons les uns les autres avec respect, alors les négociations, même les plus difficiles et les plus persistantes, mèneront finalement à un consensus, ce qui signifie qu’en fin de compte, des solutions mutuellement acceptables sont possibles (…) Nous défendons la diversité, la polyphonie et une symphonie de valeurs. (…) Mais dans le monde multipolaire d’aujourd’hui, cette harmonie, cet équilibre dont j’ai parlé ne peut être atteint, bien sûr, que par un travail commun. Et je puis vous assurer que la Russie est prête pour ce travail », a conclu le président russe.