Depuis quelques années, le monde a vu l’arrivée du bitcoin* et de milliers d’autres cryptomonnaies*, des monnaies numériques émises par des acteurs non-gouvernementaux (banques, entreprises, fonds spéculatifs, etc.). Si leurs profits hautement volatils sont légendaires, leurs échecs le sont autant. Mais ça, c’était hier...
Les sorciers financiers qui ont convaincu Trump de leur science auraient trouvé la parade pour en faire des valeurs « sûres »...
La loi Genius, que le Sénat américain vient d’adopter le 17 juin et qui doit encore être validée par la Chambre, propose, pour cela, d’adosser une crypto à une valeur sûre pour en faire un « stablecoin* », ou « jeton stable ». Ces jetons « doivent être entièrement adossés à des réserves liquides et sûres, par exemple le dollar ou les bons du Trésor américain ». C’est-à-dire que pour chaque transaction en stablecoin, il y aurait une réserve calculée selon la valeur de 1 stablecoin = 1 dollar. Et ces réserves liquides, promettent-ils, seront auditées régulièrement.
D’après BFM,
De nombreux économistes européens tirent cependant la sonnette d’alarme contre cette loi, y voyant un moyen de booster le système dollar, qui pourrait même aboutir à la mort des systèmes bancaires publics, censés veiller au bien être de toute nation.
Un article de Marc Angrand dans Le Monde du 28 juin définit bien les dangers de ce système et dresse un état des lieux effrayant de la situation dans ce domaine.
La conclusion de cet article, décrivant l’impact néfaste que ce système aurait sur l’Europe s’il était appliqué, reflète le haut niveau de panique et d’opposition chez les élites européennes. Si rien n’est fait pour le contrer, ce mécanisme pourrait inaugurer une phase entièrement nouvelle de pillage des actifs européens par un empire américain lourdement endetté, en pleine phase de cannibalisation de ses propres alliés afin de survivre et de se préparer à la guerre.
La montée spectaculaire de ce marché fait penser à une nouvelle tentative de méga- sauvetage du système du dollar en faillite, cette fois avec beaucoup plus d’argent sale de la mafia qu’en 2007-2008, provenant des stablecoins mais aussi des cryptomonnaies.
Marc Angrand rapporte que la valeur totale des stablecoins en circulation aujourd’hui approche déjà les « 250 milliards de dollars », contre seulement 1 milliard en 2018. Quant à l’avenir, la banque Standard Chartered table déjà sur 2000 milliards de dollars d’ici 2028.
Le marché est dominé à 90 % par deux acteurs américains :
- Tether (qui émet 66 % du stablecoin USDT) et
- Circle (28 % de l’USDC).
Les deux entreprises prospèrent, rapporte Le Monde, profitant des taux d’intérêt payés par les obligations du Trésor américain auxquelles ces stablecoins sont désormais adossées. Tether a dégagé un bénéfice de 13,7 milliards de dollars en 2024 et Circle a vu sa capitalisation multipliée par six en moins de trois semaines, dépassant les 48 milliards de dollars. Au cours des douze derniers mois, les transactions en stablecoins ont représenté 34 800 milliards, selon le réseau Visa.
Quelles régulations ?
Pourquoi est-ce si dangereux ? Tout d’abord, l’ajout d’une telle quantité d’argent, issue non de la production mais de la spéculation, diluera encore davantage la valeur de la monnaie existante. Ensuite, il y a la question du contrôle à exercer sur ces transactions, avec des acteurs qui, hier encore, étaient en guerre contre le système bancaire et ses autorités de contrôle et dont certains refusent toujours d’être contrôlés.
Pour la sénatrice démocrate Elizabeth Warren, élue du Massachusetts, très en pointe dans la lutte contre la spéculation, le Genius Act ne proposerait qu’une « réglementation légère », qu’elle compare à la phase de déréglementation aux Etats-Unis ayant conduit à la crise financière de 2008.
Grave problème, les stablecoins seront hébergés dans les mêmes blockchains* que les cryptomonnaies, elles-mêmes connectées au darknet, un espace numérique hors de tout cadre légal, utilisé par les criminels pour organiser leurs opérations liées à la drogue, au terrorisme, à la prostitution, etc. C’est donc une véritable invitation à toutes les mafias à blanchir leurs capitaux via ce système.
Avant les stablecoins, un investisseur qui vendait ses bitcoins pour acheter d’autres cryptoactifs, devait commencer par les vendre, puis, il devait sortir de la blockchain pour récupérer ses dollars, avant de les réinvestir, après avoir payé des impôts sur les plus-values. Dans cette nouvelle politique, le stablecoin remplaçant le dollar, l’ensemble de l’opération restera dans la blockchain.
Extension rapide du système
Cette croissance du marché des stablecoins, aux transactions beaucoup plus rapides et moins chères, contamine déjà le secteur financier traditionnel. « SG Forge (filiale spécialisée de la Société Générale) a annoncé, le 10 juin, le lancement de son propre stablecoin en dollars. Cinq jours plus tard, JP Morgan Chase a déposé la marque PMD, ravivant les spéculations sur un lancement prochain. »
BlackRock a créé son propre fonds tokenisé* en 2024, PayPal a créé le sien en 2023, tandis qu’Amazon et Walmart envisagent de le faire. Les stablecoins sont désormais en concurrence avec les réseaux de paiement de détail tels que Visa et Mastercard. Plusieurs grandes compagnies de transport maritime envisagent de lancer leurs propres stablecoins afin de réduire leur dépendance au système bancaire et de gérer elles-mêmes les flux transfrontaliers.
Pour le plus grand profit de l’oligarchie anglo-américaine
Les stablecoins, explique Marc Angrand, sont
En 2024, Tether était le 7e acheteur mondial de bons du Trésor, devant le Canada, le Mexique et la Norvège. En mai 2025, son portefeuille mondial s’élevait à 115 milliards de dollars, soit plus que celui de l’Allemagne ou des Émirats arabes unis.
En privilégiant les cryptomonnaies, l’administration Trump mise sur l’émergence de nouveaux acheteurs pour sa dette. Notamment à un moment où elle doit trouver des capitaux pour couvrir un déficit budgétaire équivalent à 7 % du PIB brut.
A l’heure aussi où la question du réarmement en vue d’une nouvelle guerre mondiale se pose aussi aux États-Unis.
« Les stablecoins pourraient devenir l’un des alliés financiers les plus fiables du gouvernement américain », résume Lorenzo Valente, responsable américain chez Ark Invest, dans une note publiée le 5 juin.
« Je crois que les stablecoins renforcent la suprématie du dollar », s’est aussi félicité le patron du Trésor américain, Scott Bessent, dans un entretien à une journaliste du New York Post le 18 juin.
De qui se moque-t-on ? On nous vend une « monnaie » privée totalement fictive, supposément meilleure que celle des Etats, et pour cela, on lui octroie la garantie des Etats (c’est-à-dire nous). A-t-on oublié que les assignats sous la Révolution française, les bons Mefo d’Hitler et les subprimes d’hier ont tous disparu ? Et pourtant ils étaient adossés à des valeurs « stables »...
Le point de vue européen
La vision n’est pas la même de ce côté-ci de l’Atlantique, souligne Angrand, qui cite les propos d’Emmanuelle Assouan, directrice générale de la stabilité financière et des opérations à la Banque de France :
Seul Circle s’est conformé à la réglementation européenne sur les marchés de cryptoactifs, connue sous le nom de MICA*. Tether a toujours refusé. Circle impose des obligations de transparence et d’audit régulier sur la composition de ses réserves, obligatoirement conservées par un dépositaire externe, et sur les événements susceptibles d’en influencer la valeur.
Plus intéressant, les autorités européennes s’inquiètent du risque d’un accident susceptible de déstabiliser l’ensemble du système financier.
La Banque de France a publié le 24 juin un scénario de perte de confiance, où un retrait soudain de certains investisseurs obligerait les émetteurs de stablecoins à liquider rapidement leurs positions, créant des tensions au sein même du marché des obligations du Trésor.
L’exemple donné est celui de la faillite de la Silicon Valley Bank (SVB), en mars 2023, où Circle avait déposé 3,3 milliards de dollars de réserves, et qui a provoqué une chute de 13 % dans la valeur de l’USDC.
Selon Marc Angrand, la zone euro prévoit de réagir en créant une monnaie interbancaire numérique fonctionnant sur une blockchain, reliant banques centrales, banques commerciales et autorités de régulation.
La Banque centrale européenne adopte une position plus conservatrice que les États-Unis. « La tokenisation ne doit pas se faire au détriment de la stabilité financière, et en particulier de la monnaie centrale, qui est le pivot, le point d’ancrage de la confiance du système monétaire », a déclaré Emmanuelle Assouan. « Le temps presse », avertit l’Europe, et « vu l’ampleur prise par les acteurs américains », certains proposent une action européenne coordonnée dans ce sens.


