Les cryptoactifs, ruse de l’oligarchie pour un gouvernement mondial

dimanche 31 août 2025, par Karel Vereycken

Par Karel Vereycken

Jadis, lorsqu’on bousculait un peu les préjugés, il était coutumier de se faire traiter de « crypto-communiste » ou de « crypto-fasciste », sous-entendu qu’on avançait masqué. Sous des apparences trompeuses, on ne cherchait qu’à tromper son public.

Depuis le début de l’année, bizarrement, des personnalités aussi antagonistes que Donald Trump, Jacques Attali, Marine Le Pen et François Hollande, se sont soudainement prises d’un grand amour pour les cryptomonnaies.

Le 21 juin, dans une tribune au Monde, l’ancien ministre grec des Finances Yanis Varoufakis s’est penché sur l’adoption par le Sénat américain, le 17 juin, du projet de loi Genius (Guiding and Establishing National Innovation for U.S. Stablecoins), qui fait suite au décret pris par le président Donald Trump, le 6 mars, établissant une réserve stratégique de cryptomonnaies. La loi Genius fut adoptée et signée par Trump le 18 juillet.

Chez les banques centrales, la panique s’installe. S’ils avaient négligé les cryptoactifs,

« ils redoutent désormais que Trump s’appuie sur les ‘stablecoins’ [cryptoactif dont la valeur est indexée sur un autre produit] indexés sur le dollar, pour reconfigurer le système monétaire mondial (en faisant au passage sa fortune et celle de sa famille). Ils craignent un démantèlement délibéré et chaotique de l’ordre monétaire du XXe siècle, dans lequel les banques centrales régnaient en tant qu’architectes uniques de la monnaie. »

Rappelons qu’à Jackson Hole, en 2019, deux propositions avaient été mises sur la table : celle du gestionnaire d’actifs BlackRock, appelant à une dictature des banques centrales, autorisées directement (sans le consentement des Etats) à renflouer les citoyens et les bulles financières, et celle de Mark Carney, à l’époque encore gouverneur de la Banque d’Angleterre, aujourd’hui Premier ministre du Canada, appelant à construire un « monde multipolaire » de monnaies, « basées sur le virtuel plutôt que sur le physique », suivant le modèle de la cryptomonnaie de Facebook baptisé Libra.

C’est « le secteur public qui serait le plus à même de fournir cette monnaie, peut-être à travers un réseau de monnaies virtuelles de banques centrales », monnaie qu’on appellerait « Synthetic Hegemonic Currency » (SHC) précisait Carney.

Or, comme le note Varoufakis :

« Non seulement le projet de loi Genius autorise les stablecoins privés, mais une autre proposition de loi vise à interdire à la Réserve fédérale américaine d’émettre une monnaie numérique de banque centrale (MNBC). L’adoption définitive de ces deux textes consacrerait les jetons (‘tokens’) émis par quelques entreprises comme les nouveaux instruments de l’hégémonie du dollar. »

Si cette « privatisation de l’argent » peut séduire un certain nombre de dupes, en réalité, une élite techno-financière gardera la haute main sur les gamins jouant dans la crypto-crèche.

Le 16 mai, sur son compte X, Jacques Attali, toujours les yeux remplis d’étoiles lorsqu’une occasion se présente pour précipiter le monde vers sa folle utopie de « gouvernement mondial », s’enflamme :

« Contre toutes les tentatives souverainistes, la technologie aide les peuples de tous les pays à utiliser une monnaie digitale mondiale, le stablecoin, garantie par les économies les plus puissantes, détruisant toutes les barrières : une monnaie mondiale, créée par les peuples, pourrait naître ainsi. »

Le même jour, sur son blog, l’ancien sherpa de Mitterrand affirme que beaucoup de gens en voient l’intérêt :

« Ils ont compris qu’on pouvait s’en procurer sans avoir de compte bancaire et donc sans avoir à fournir les informations nécessaires pour en ouvrir un ; et qu’on pouvait aussi en acquérir dans les pays n’ayant que peu ou pas de dollars en réserve, et les transférer ensuite n’importe où, par une transaction virtuelle, pour en faire un usage libre. (...) On peut imaginer que cela aille beaucoup plus loin et que des millions de gens, dans un pays, transfèrent peu à peu leurs échanges entre eux et avec l’étranger vers le dollar, sans que leurs gouvernements n’y puissent grand-chose. On assisterait ainsi à une dollarisation de l’économie par le bas, sans décision centrale. On peut même imaginer que peu à peu une très large part des échanges de l’économie mondiale soit ainsi organiseé en stablecoins, c’est-à-dire en dollars virtuels adossés sur les bons du trésor américains. Quelques grands pays pourraient voir disparaître leur monnaie nationale : le Brésil, le Nigéria, l’Indonésie, la Turquie, l’Inde, sont des candidats naturels à une telle transformation. »

Un monde sans banques centrales et même sans banques du tout, mais sous la tutelle du dollar, c’est pas beau ça ? Y compris quelques membres importants des BRICS tels que le Brésil et l’Inde.

C’est dans ce cadre que certains envisagent de retirer l’argent liquide (car jusqu’ici un instrument émis par des banques nationales et des Etats souverains). « Une mesure simple » proposé le 24 mai par le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, qui permettrait de réduire la délinquance, en particulier le trafic de drogue, en freinant l’activité des points de deal, où les transactions se font en espèces. Il oublie qu’une grosse partie du trafic s’organise sur le darknet ou la majorité des transactions se font en cryptomonnaies...

Varoufakis n’a pas tort lorsqu’il met en garde :

« Les mêmes libertariens qui s’insurgent contre l’Etat supplient aujourd’hui celui-ci de transformer leurs stablecoins en monnaie officielle de facto. Pire, ils demandent à pouvoir adosser leurs jetons aux réserves d’une banque centrale, la Réserve fédérale. Imaginez un monde dans lequel Tether, Circle ou un ‘X token’ soutenu par Elon Musk bénéficieraient de l’appui implicite du Trésor des Etats-Unis tout en échappant à toute réglementation bancaire. Une forme de féodalisme monétaire ! »

Bien avant Varoufakis, dans Nouvelle Solidarité et sur le site de S&P, nous avons révélé les détails de cette stratégie. Voir à ce propos notre article de 2020 Les cryptomonnaies, l’arme qui va liquider les banques commerciales.

Face à cette nouvelle crue d’impérialisme monétaire, la seule banque centrale à avoir pris les devants est la Banque populaire de Chine. Dotée de son propre renminbi numérique, d’ores et déjà en service, la BPC peut se permettre de refuser de conférer une légitimité aux stablecoins, en les interdisant.

En France

Tout cela ne semble pas avoir convaincu Marine Le Pen, connue pour ses grosses lacunes au niveau de ses connaissances économiques et financières. Depuis l’élection du pro-bitcoin Donald Trump aux Etats-Unis, elle a changé de ton à l’égard de la cryptomonnaie. Alors qu’en 2017, elle s’était prononcée en faveur de l’interdiction du bitcoin, le considérant comme dangereux, lors de l’élection présidentielle française de 2022, elle souhaitait non plus l’interdire mais le réguler.

Le 11 mars de cette année, en visite à la centrale nucléaire de Flamanville, la présidente du Rassemblement national (RN) a indiqué vouloir exploiter les surplus de production des centrales nucléaires françaises pour miner du bitcoin, une activité, tout comme l’IA, fortement demandeuse d’électricité.

Séduite par l’argent magique crypto, Marine Le Pen a évoqué le minage de cryptomonnaies, permettant de « constituer des réserves stratégiques pour EDF qui aideront à financer la maintenance et la rénovation des réacteurs ». En gros, chacun défendra son pays avec ses cryptos, et advienne que pourra.

Le Rassemblement national n’est pas le seul parti français à soutenir le minage de bitcoin. Il y a quelques mois, la députée européenne Sarah Knafo (du parti Reconquête, d’Eric Zemmour) s’est prononcée en faveur de la création de réserves stratégiques de bitcoins en Europe et de l’industrie du minage.

De son côté, François Hollande a rencontré des bitcoiners, membres de l’Institut national du bitcoin (INbi), fraîchement créé. Attali avertit que faute de créer un stablecoin adossé à l’euro, toute l’épargne européenne partira aux Etats-Unis ! Ainsi, la guerre des crypto va rattraper les autres.

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