Les 6 et 7 juillet s’est tenu le sommet annuel des BRICS à Rio de Janeiro, au Brésil. Lors de son discours d’ouverture, le président du pays hôte, Lula da Silva, a évoqué sans détour le contexte de fortes tensions internationales, dénonçant le « génocide perpétré par Israël » contre le peuple palestinien, la campagne de réarmement de l’OTAN et le retour du spectre d’une guerre nucléaire.
Rappelant que les pays des BRICS+ (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud, auxquels se sont joints en 2024 l’Indonésie, l’Iran, les Émirats arabes unis, l’Égypte et l’Éthiopie) sont les héritiers du mouvement des non-alignés, il les a appelés à jouer un rôle décisif pour sortir le monde de cette dangereuse trajectoire et poser les bases d’un nouveau système de gouvernance, y compris financière et monétaire.
Ce rôle, les milieux financiers dominants de la City de Londres et de Wall Street ne sont pas prêts à les laisser jouer. D’ailleurs, comme nous l’avons écrit dans nos précédentes chroniques, les frappes ordonnées par Donald Trump le 22 juin contre les installations nucléaires iraniennes avaient pour but, entre autres, d’envoyer un message clair, dans le style mafieux, à la veille du sommet des BRICS, aux nations du Sud qui souhaiteraient, comme l’Iran, faire valoir leur droit non seulement à la technologie nucléaire à des fins civiles, mais aussi à toutes les avancées technologiques nécessaires au développement souverain de leur peuple.
Péril international
Ainsi que l’a souligné le président brésilien, ce sommet des BRICS, le quatrième organisé par son pays, est celui qui se déroule dans le contexte international le plus défavorable. Les frappes américaines en Iran, décrétées unilatéralement par Donald Trump quelques jours avant le 80e anniversaire de l’ONU, ont sonné le glas du droit international et du multilatéralisme.
« Le droit international est devenu lettre morte, tout comme le règlement pacifique des différends, a déclaré Lula. Nous sommes confrontés à un nombre sans précédent de conflits depuis la Seconde Guerre mondiale. La récente décision de l’OTAN alimente la course aux armements. Il est plus facile d’allouer 5 % du PIB aux dépenses militaires que d’allouer les 0,7 % promis à l’aide publique au développement. Cela montre que les ressources nécessaires à la mise en œuvre de l’Agenda 2030 existent bien, mais ne sont pas disponibles en raison d’un manque de priorité politique. Il est toujours plus facile d’investir dans la guerre que dans la paix. »
Lula a dénoncé les « vieilles manœuvres rhétoriques » recyclées pour justifier des interventions illégales, faisant un parallèle entre l’« instrumentalisation » actuelle de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), censée servir la cause de la paix, dans la guerre menée contre l’Iran (lire notre chronique « Palantir et le MI6 dans l’ombre de la guerre contre l’Iran »), et la façon dont, il y a 20 ans, l’administration G.W. Bush avait chassé le diplomate brésilien José Bustani de son poste de directeur de l’OIAC (Organisation pour l’interdiction des armes chimiques), pour avoir refusé de répéter les mensonges sur les armes de destruction massive, utilisés pour justifier l’invasion de l’Irak.
En conséquence, « la peur d’une catastrophe nucléaire est revenue dans la vie quotidienne, a souligné Lula, alors que les interventions désastreuses en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie se répètent. C’est à partir du terrain fertile créé par de telles crises non résolues que le terrorisme se développe, et non à partir d’une religion ou d’une nationalité. On doit rejeter le terrorisme, où qu’il se produise, au Cachemire ou par le Hamas, mais nous ne pouvons rester indifférents au génocide pratiqué par Israël à Gaza et au meurtre aveugle de civils innocents, ainsi qu’à l’utilisation de la faim comme arme de guerre ».
Les BRICS dans le collimateur de l’Occident
Publié à la veille de l’ouverture du sommet de Rio, un article du New York Times, intitulé « Un Iran isolé se tourne vers les BRICS pour trouver des alliés, testant un nouvel ordre mondial », exprime sans prendre de gants le message à transmettre aux pays des BRICS : « Les frappes militaires contre l’Iran mettent à l’épreuve leur unité ».
Les BRICS sont une« alliance d’économies émergentes [qui] espère offrir un contrepoids aux États-Unis et aux autres puissances occidentales », déclare le Times, et le sommet des BRICS « est l’occasion pour l’Iran, un nouveau venu dans le groupe, de montrer qu’il a de puissants alliés, même confronté à des sanctions et à des menaces de nouvelles frappes militaires sur son programme nucléaire ».
Cependant le quotidien new-yorkais, et avec lui l’ensemble du parti de la guerre anglo-américain, espère qu’« avec le conflit impliquant l’Iran en toile de fond, (…) le groupe aura du mal à forger un front uni », car les autres nations ne veulent pas subir le traitement infligé à l’Iran.
En Grande-Bretagne, Christopher Sabatini, chercheur principal pour les Amériques à Chatham House, a publié le 2 juillet un article intitulé « Le programme brésilien des BRICS pourrait être difficile à mettre en œuvre après la guerre Iran-Israël », dans lequel il soutient que « venant juste après le bombardement de l’Iran par Israël et les États-Unis, le sommet sera le premier véritable test de la coalition ».
Sabatini affirme que « les membres les plus démocratiques de la coalition avaient exprimé en privé des inquiétudes » lors du sommet de Johannesburg en 2023, où les BRICS ont intégré l’Indonésie, l’Iran, les Émirats arabes unis, l’Égypte et l’Éthiopie – « faisant pencher le bloc vers les autocraties ». Aujourd’hui, « il est également devenu de plus en plus difficile pour la réunion des BRICS+ de faire avancer les objectifs du groupe sans s’aliéner les gardiens existants de l’ordre international libéral, y compris les États-Unis, le Royaume-Uni, l’UE et l’Australie ».
Pour une nouvelle architecture financière mondiale
Toutefois, il ne sera pas si facile d’intimider et de réduire au silence les 48 % de l’espèce humaine (3,9 milliards de personnes) représentés par les 10 nations des BRICS+. Lors de son discours du 4 juillet à la réunion annuelle de la Nouvelle Banque de développement des BRICS (NBD), qui s’est également tenue à Rio, le président Lula a réitéré son appel à substituer « une architecture financière réformée » au système actuel qui n’a engendré que pauvreté, guerres et endettement massif. Les BRICS doivent « montrer au monde qu’il est possible de créer un nouveau modèle de financement, sans conditionnalités » permettant de canaliser le crédit vers des projets de développement productifs plutôt que vers la spéculation, a-t-il expliqué.
« Pendant des décennies, l’absence de réformes efficaces au sein des institutions financières traditionnelles a limité à la fois le volume et la diversité du crédit disponible par l’intermédiaire de nos banques multilatérales, a poursuivi Lula. Je pense que vous pouvez et devez montrer au monde qu’il est possible de créer un nouveau modèle de financement, sans conditionnalités (…). La soi-disant austérité exigée par les institutions financières a appauvri les pays, car chaque fois qu’il est question d’austérité, les pauvres s’appauvrissent et les riches s’enrichissent. »
Le président brésilien faisait référence au système de financement typique fourni par Wall Street et la City de Londres, avec le FMI comme gendarme du système. « Il est inconcevable que le continent africain doive 900 milliards de dollars et que les paiements d’intérêts soient souvent supérieurs à l’argent dont ils disposent pour investir. Soit nous discutons de nouvelles formes de financement pour aider les pays en développement, en particulier les pays les plus pauvres d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, soit ils resteront pauvres pendant encore un siècle », a-t-il ajouté.
L’approche de Lula fait écho à celle du président russe Vladimir Poutine qui, lors du sommet des BRICS de 2024 à Kazan, avait plaidé pour la création de « nouvelles plateformes d’investissement » afin de contourner la faillite du système libellé en dollars, avec ses 2 millions de milliards de dollars d’actifs financiers spéculatifs, et de fournir du crédit productif pour le développement du Sud.
Bien que les médias occidentaux se complaisent à répéter que le président russe Poutine et le président chinois Xi n’étaient pas présents en personne au sommet de Rio, le fait est que Poutine et Xi ont récemment discuté de la possibilité de faire de la proposition de nouvelles plateformes d’investissement un sujet de discussion central à Rio. Comme l’a rapporté l’assistant présidentiel russe Iouri Ouchakov le 19 juin, Poutine et Xi ont discuté, lors d’une récente conversation téléphonique, de « la promotion des initiatives russes présentées lors du sommet des BRICS de l’an dernier à Kazan (…), en particulier, une nouvelle plateforme d’investissement. Sa mission est de promouvoir la croissance économique de nos pays et de nos partenaires auprès des représentants des pays du Sud ».
Comme nous le proclamons depuis longtemps, de concert avec l’Institut Schiller international, la meilleure politique pour les États-Unis et l’Europe occidentale consisterait à se joindre aux BRICS pour créer cette nouvelle architecture axée sur le développement, plutôt que de rester sous le joug du vieux système moribond de la City de Londres et de Wall Street.


