Palantir et le MI-6 dans l’ombre de la guerre contre l’Iran

vendredi 4 juillet 2025


Alors que les médias occidentaux s’adonnent à une orgie d’infos et de contre-infos sur le succès ou non des bombardements américains et les supposés stocks d’uranium enrichi de l’Iran, il devient clair qu’il ne s’agit dans tout cela que de trouver un prétexte pour la guerre, et non de légitimes préoccupations quant à la sécurité d’Israël et de la région. Dans le cas contraire, les négociations se seraient poursuivies et les États-Unis auraient conclu un accord (un « deal », comme aime à le dire Donald Trump), probablement négocié par la Russie avec l’Iran, permettant à Téhéran de développer l’énergie nucléaire à des fins pacifiques, tout en garantissant la sécurité d’Israël.

Au lieu de cela, le président américain a de toute évidence menti lorsqu’il a prétendu avoir demandé à Bibi Netanyahu de ne pas bombarder l’Iran pendant le déroulement des négociations, permettant ainsi à Israël de lancer une attaque surprise, tuant des dizaines de scientifiques et de chefs militaires iraniens. De plus, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), l’organisme de surveillance nucléaire censé être « neutre », a admis après les attaques israéliennes (et avant les attaques américaines) que l’Iran ne fabriquait pas de bombe, bien que l’agence ait affirmé quelques jours plus tôt, juste à temps pour fournir à Israël un prétexte pour attaquer, que l’Iran avait « violé » certaines dispositions.

Ces derniers jours, une série de révélations ont mis en lumière l’influence exercée sur l’AIEA par la société Palantir, l’entreprise technologique de Peter Thiel, l’un des soutiens de Trump, et le MI6, le service de renseignement extérieur britannique,

Une plateforme d’IA de Palantir à l’origine de la guerre

Dans la continuité de la tribune publiée le 23 juin par l’ancien diplomate britannique Alastair Crooke (à lire sur notre site), le journaliste américain indépendant Kit Klarenberg a publié le 30 juin un article intitulé « La guerre de l’ombre de Palantir contre l’Iran ». Il y démontre que l’adoption par l’AIEA de Mosaic, la plateforme d’IA de Palantir, est à l’origine de la guerre d’Israël contre l’Iran. « L’interprétation selon laquelle Palantir aurait été impliquée d’une manière ou d’une autre dans la guerre d’agression ‘préemptive’ illégale d’Israël contre Téhéran est largement renforcée par la publication de documents israéliens sensibles par le ministère iranien du Renseignement, écrit Klarenberg. Ces dossiers indiquent que l’AIEA avait précédemment fourni aux services de renseignement israéliens les noms de plusieurs scientifiques nucléaires iraniens, qui ont été assassinés par la suite. De plus, l’actuel directeur de l’AIEA, Rafael Grossi, entretient de longue date une relation étroite et clandestine avec des responsables israéliens. Des révélations ultérieures pourraient révéler l’alliance obscure de l’AIEA avec Palantir. »

Selon la chaîne iraniennePressTV, les documents cités par Klarenberg montrent que le directeur général de l’AIEA, Rafael Grossi, « a coopéré étroitement avec les responsables israéliens et a exécuté leurs directives et ordres dans leur intégralité (…). Cela soulève des questions sur la neutralité et l’indépendance de l’AIEA ». Le reportage de la chaîne iranienne est daté du 12 juin, veille du lancement par Israël de sa guerre d’agression contre l’Iran, qui a notamment entraîné l’assassinat de nombreux scientifiques nucléaires iraniens.

La politique étrangère sous contrôle de l’IA

Après l’entrée en vigueur en 2015 du Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA, l’accord nucléaire conclu entre l’Iran, l’Allemagne et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, dont les États-Unis), l’AIEA a mis en place en Iran le régime d’inspections le plus intrusif de son histoire. La plateforme Mosaic de Palantir en était le « noyau analytique » et la « plateforme de choix ».

Klarenberg rapporte que l’agence de presse Bloomberg a cité Ali Vaez, directeur du projet Iran de l’International Crisis Group, qui s’inquiétait de l’analyse par Mosaic de données « douteuses » obtenues par le Mossad, « qui se targue de tromperies ». Après tout, « même une petite quantité de fausses informations pourrait déclencher une vague d’inspections surprises inutiles et faire dérailler un accord qui a pris des années à être conclu ».

Plus les termes de la collaboration de Palantir avec l’AIEA sont étendus, plus la mission « ressemble à une expédition de pêche  », s’inquiétait Vaez, suggérant que l’Iran pourrait devenir moins disposé « à ouvrir ses portes aux inspecteurs ». Et c’est finalement ce qui s’est produit le 25 juin, lorsque le parlement iranien a adopté à l’unanimité une loi interdisant à l’AIEA l’accès à ses sites nucléaires, jusqu’à ce que la sécurité du programme iranien soit garantie.

L’inquiétude de voir le programme d’inspection de l’AIEA « dépasser la frontière entre la surveillance nucléaire et la collecte de renseignements » a été exacerbée « par le fait que Mosaic est basé sur le très controversé ‘logiciel de police prédictive’ de Palantir ». Selon Klarenberg, « le risque que des civils iraniens innocents deviennent des cibles de surveillance, de harcèlement, voire d’assassinat, créé par des données erronées introduites et/ou diffusées par Mosaic, est gargantuesque ».

« Si Mosaic a influencé la stratégie de l’entité sioniste pendant la guerre des Douze Jours, cela pourrait expliquer pourquoi des individus sans aucun lien avec le programme nucléaire civil iranien ont été directement ciblés, conclut le journaliste. Parmi eux figure Majid Tajan Jari, éminent professeur en intelligence artificielle, tué lors d’une frappe israélienne contre un immeuble résidentiel à Téhéran le 16 juin. »

Au sujet du rôle de Palantir dans la politique étrangère américaine, nous vous encourageons à lire notre article « États-Unis : La dernière chose dont on a besoin, c’est d’une politique étrangère inspirée par Palantir ».

L’infiltration de l’AIEA par le MI6

Lorsqu’il s’agit de fabriquer des faux dossiers de renseignement, les services secrets britanniques ne sont jamais très loin. Rappelons à ce propos que le fameux « sexy dossier » ayant servi de base au Premier ministre Tony Blair et au président George W. Bush pour justifier la guerre d’Irak en 2003, avait été concocté par les soins du chef du MI6 de l’époque, Sir Richard Dearlove. Vingt-deux ans plus tard, le même Dearlove est réapparu, dès le début du second mandat de Trump, parmi les plus chauds partisans d’une guerre contre l’Iran, dans une tentative évidente d’attirer le président américain dans ce piège.

Il n’est donc guère étonnant de retrouver le service secret britannique au cœur de cette affaire, comme le démontre Kit Klarenberg dans un autre article publié le 1er juillet sur le site The Grayzone, sous le titre « Espionnage sur l’Iran : comment le MI6 a infiltré l’AIEA ». Klarenberg évoque notamment le cas de l’agent britannique du MI6 Nicholas Langman, dont le nom et la biographie ont été découverts dans « une mine de documents divulgués détaillant les activités de Torchlight, une annexe des services de renseignement britanniques ». Langman rapporte qu’il « a dirigé de grandes équipes inter-agences pour identifier et vaincre la propagation de la technologie des armes nucléaires, chimiques et biologiques, y compris par des moyens techniques innovants et des sanctions ».

Le CV de Langman lui attribue le mérite d’avoir joué un rôle de premier plan dans l’organisation du régime de sanctions contre l’Iran, en « établissant des relations très efficaces et mutuellement complémentaires au sein du gouvernement et avec ses collègues de haut niveau des États-Unis, de l’Europe, du Moyen-Orient et de l’Extrême-Orient » entre 2010 et 2012. Dans sa biographie, il se vante du fait que cela aurait « permis le succès diplomatique majeur de l’accord sur le nucléaire iranien et des sanctions ».

Par ailleurs, Langman s’est fait connaître pour avoir détourné les accusations visant les services de renseignement britanniques, pour leur implication dans la mort de la princesse Diana. Il a par ailleurs été accusé par les autorités grecques d’avoir supervisé l’enlèvement et la torture de 28 migrants pakistanais à Athènes, soupçonnés d’avoir participé aux attentats de Londres en 2005. Des révélations qui n’ont visiblement pas embarrassé les autorités britanniques, puisque Langman a ensuite été nommé à la tête du département Iran du ministère britannique des Affaires étrangères, et décoré en 2016 de l’Ordre de Saint-Michel et Saint-Georges, titre décerné également à l’espion britannique fictif James Bond.

« L’influence que Langman prétend avoir exercée sur l’AIEA ajoute du poids aux allégations iraniennes selon lesquelles l’organisme international de réglementation nucléaire aurait comploté avec l’Occident et Israël pour saper sa souveraineté, écrit Klarenberg. Le gouvernement iranien a allégué que l’AIEA avait fourni aux services de renseignement israéliens l’identité de ses principaux scientifiques nucléaires, permettant ainsi leur assassinat, et avait transmis aux États-Unis et à Israël des renseignements essentiels sur les installations nucléaires qu’ils ont bombardées lors de leur assaut militaire en juin dernier. »