Conférence de Paris du 8 et 9 novembre 2025

Jonathan Thron : la poésie allemande pour résister aujourd’hui

mercredi 19 novembre 2025

Le 8 novembre, Jonathan Thron, lors de son intervention à la conférence de Paris.

Intervention de Jonathan Thron, représentant du Büso à Berlin, lors de la conférence internationale organisée par S&P et l’Institut Schiller à Paris, les 8 et 9 novembre 2025.

Encouragement

Il semble parfois difficile de rassembler la force nécessaire pour inspirer les autres ou leur faire comprendre à quel point le monde est dangereusement proche du précipice d’une troisième guerre mondiale.

Oui, il nous arrive à tous de nous sentir découragés et impuissants. Parfois, les obstacles qui se dressent sur le chemin d’une vision ambitieuse semblent si insurmontables qu’ils nous abattent.

Toutefois, accordons-nous le luxe de contempler l’héritage de leadership que nous ont légué certains de nos ancêtres les plus courageux ! Avant nous, des hommes et des femmes courageux ont déjà tenté de guider le monde vers un avenir meilleur. Même si certains cyniques prétendent qu’ils ont échoué vu que les problèmes persistent aujourd’hui, c’est tout simplement faux. Le courage est toujours récompensé. Il porte toujours ses fruits immédiatement et bien au-delà de l’époque de ces personnes courageuses.

Prenons l’exemple de Martin Luther King, figure emblématique du mouvement américain des droits civiques, qui a rassemblé de nombreux hommes et femmes luttant pour l’égalité des droits humains pour tous. Le Dr King a déclaré :

« Vous avez peut-être 38 ans, comme moi. Et un jour, une occasion unique se présente à vous et vous appelle à défendre un grand principe, une grande cause, un grand enjeu. Et vous refusez de le faire par peur (…) Vous refusez de le faire parce que vous voulez vivre plus longtemps (…) Vous craignez de perdre votre emploi, d’être critiqué, de perdre en popularité, ou encore que quelqu’un vous poignarde, vous tire dessus ou que votre maison soit bombardée ; alors vous refusez de prendre position. Vous pouvez vivre jusqu’à 90 ans, mais vous êtes tout aussi mort à 38 ans qu’à 90. Et l’arrêt de votre respiration n’est que l’annonce tardive d’une mort spirituelle antérieure. »

Prenons par exemple les Allemands courageux qui ont résisté à la tyrannie du régime nazi, comme Sophie Scholl et ses compagnons (Hans Scholl, Christoph Probst et plusieurs autres), qui sont tout autant de modèles à suivre. Ils ne sont pas restés les bras croisés à regarder une bande de criminels plonger l’Allemagne et le monde toujours plus profondément dans la destruction ; ils ont agi avec courage. Dans des conditions très difficiles, ils ont expédié par courrier des milliers de tracts qu’ils avaient rédigés eux-mêmes et en ont distribués par d’autres moyens. Je trouve très intéressant de constater à quel point ce qu’ils ont écrit il y a près de 80 ans est toujours d’actualité. Au début de leur premier tract, voici ce qu’on peut lire :

« Rien n’est plus indigne d’un peuple cultivé que de se laisser ’gouverner’ sans résistance par une clique de dirigeants irresponsables et mus par de sombres instincts. »

N’est-il pas vrai que chaque Allemand honnête a aujourd’hui honte de son gouvernement, et qui parmi nous peut deviner l’ampleur de la honte qui s’abattra sur nous et nos enfants lorsque le voile sera levé de nos yeux et que les crimes les plus atroces, dépassant toute mesure, seront mis au jour ?

Ces deux grands militants, Sophie Scholl et Martin Luther King, ont su prononcer des paroles si puissantes qu’elles résonnent encore aujourd’hui et continueront de résonner à l’avenir, car ils avaient tous deux de solides bases culturelles. J’aimerais donc évoquer trois grands poètes allemands, ayant vécu à la même époque, afin de montrer les fondements nécessaires pour suivre de grands modèles et devenir nous-mêmes des personnes exceptionnelles.

(Malheureusement, je ne suis pas encore très doué pour traduire de la poésie dans une autre langue, c’est pourquoi les courts extraits que je vais lire ne pourront probablement pas en transmettre toute la profondeur et la puissance.)

Friedrich Schiller fut le plus important poète allemand de son temps et assurément l’un des plus grands poètes de l’histoire mondiale. Dans son poème inachevé « La grandeur allemande », il décrit ce qu’est la véritable grandeur :

Ce n’est pas la grandeur de l’Allemagne
De conquérir par l’épée,
Pénétrer le royaume des esprits,
Lutter courageusement contre l’illusion,
Voilà ce qui est digne de son zèle.

Heinrich Heine avait une approche légèrement différente du développement de l’esprit humain. Il utilisait l’ironie et l’humour pour nous rappeler, avec légèreté, ce qui compte vraiment. Je dirais qu’il prenait un malin plaisir à polémiquer contre la schwärmerei (emballement émotionnel) romantique, comme dans ce magnifique poème :

La jeune femme se tenait au bord de la mer

La jeune femme se tenait au bord de la mer
Et soupirait longuement et anxieusement,
Elle était si émue
par le coucher de soleil.

Ma dame ! Courage !
C’est une vieille astuce ;
Le soleil se couche ici devant nous
et revient par derrière.

Mais j’ai gardé le meilleur pour la fin.

Le poète anglais Percy Bysshe Shelley a écrit que les poètes sont les législateurs secrets du monde. Et c’est tout à fait vrai, car c’est seulement à ce niveau de pensée, le niveau créatif, que nous, humains, pouvons découvrir les véritables lois de l’univers.

Friedrich Rückert, né en Thuringe (Allemagne), est l’un de ces poètes d’une grande créativité. Il y a quelques années, un ami m’a offert un recueil de ses poèmes, et j’y ai trouvé une source d’inspiration précieuse pour tous ceux qui s’efforcent de convaincre autrui d’améliorer la situation politique actuelle.

Friedrich Rückert a écrit :

Comment un aimant transmet-il ses propriétés
Au fer sans perdre son propre pouvoir ?

Parce qu’il ne transmet pas la puissance d’un mouvement ;
Il ne fait que donner une direction et une stimulation ;

Pas comme un bol d’eau, qui, quand on y plonge quelque chose,
Perd une partie de sa substance,

Et les choses chaudes se refroidissent, rendant les choses froides plus chaudes ;
Ainsi, un homme riche qui donne aux pauvres s’appauvrit.

Mais aucun esprit ne devrait s’appauvrir lorsqu’il donne une étincelle :
Car un autre esprit s’enflamme alors :

Si tu te plains de te sentir plus faible en partageant,
Honte à toi, tu es une éponge et non un aimant.

Merci pour votre attention !