Dans une lettre ouverte publiée par le quotidien flamand De Morgen, Dirk Tieleman, Johan Depoortere, Ng Sauw et Walter Zinzen, des anciens journalistes du service public d’information radiophonique et télévisuel flamand VRT, appellent leurs collègues de cesser à alimenter « l’hystérie de guerre » et les informations biaisées véhiculées par le service public.
Chers anciens collègues,
Les soussignés, vétérans de l’information publique, regardent et écoutent avec étonnement vos émissions lorsqu’elles traitent de la guerre et de la paix en Ukraine et ailleurs. Nous nous demandons où est passé l’équilibre dans vos reportages entre les partisans d’un armement toujours plus important pour la Belgique et l’Europe et ceux de solutions pacifiques et diplomatiques.
Cela est particulièrement évident – mais pas exclusivement – dans les débats auxquels nous assistons sur Terzake et De afspraak. Les partisans du réarmement, généralement d’anciens militaires, ont la possibilité illimitée d’exprimer leurs opinions sans être interrogés. Ceux qui ont des opinions différentes sont rarement invités et sont tenus de se justifier longuement. Jonathan Holslag n’est jamais critiqué pour être officier de réserve et chargé de cours au Collège de défense de l’OTAN, mais Tom Sauer, un scientifique engagé professionnellement dans les questions de sécurité et de désarmement, est contraint de justifier ses actions en raison de son engagement au sein du mouvement pacifiste catholique Pax Christi.
La question clé est rarement, voire jamais, posée : davantage d’avions, de chars, de drones et de missiles signifie-t-elle réellement une plus grande sécurité pour les citoyens ? La sécurité citoyenne signifie également que les Bruxellois peuvent prendre le métro sans risquer d’être abattus par des trafiquants de drogue. L’augmentation du nombre de bombardiers F-35 renforce-t-elle cette sécurité ? Et qu’en est-il des conséquences de la crise climatique, dont plus aucun responsable politique ne semble se préoccuper ? Pourquoi ne posez-vous jamais ces questions à Théo Francken, le ministre de la Guerre, qui est constamment dans vos studios ?
L’ancien chef de l’OTAN, Willy Claes, a longtemps plaidé en faveur de l’ouverture de négociations sur le désarmement, comme ce fut le cas pendant la Guerre froide. Il l’a également fait lors de l’émission télévisée « De afspraak » (Le Rendez-vous). Mais son appel est tombé à l’eau. Personne n’a pensé à expliquer au téléspectateur comment tout cela fonctionnait.
Ce que vous faites, c’est utiliser une terminologie qui normalise et banalise le langage de la guerre. Dans l’actualité, le terme « menace de guerre » est introduit avec imprudence et désinvolture dans le langage courant. On ne s’interroge pas sur ce que cette menace implique exactement, ni sur sa réalité. La référence constante aux « dépenses de défense » est là où il faut en réalité entendre par « dépenses militaires ». La défense est bien plus que la simple dissuasion et la sécurité militaires, bien plus que la protection contre une agression étrangère.
Le pire élève de l’OTAN
Pourquoi acceptez-vous aveuglément l’affirmation selon laquelle la Belgique est la pire élève de la classe à l’OTAN parce que nous n’atteignons pas l’objectif financier ? Ils oublient qu’en termes absolus, la Belgique se classe quatorzième sur 31 pays de l’OTAN en termes de dépenses, ce qui la place en milieu de tableau, et non en bas de tableau. Entre 2017 et 2024, notre budget militaire a doublé pour atteindre 7,9 milliards d’euros. Comment peut-on dire qu’il est sous-financé ?
Un principe fondamental du journalisme est de vérifier et de revérifier une information et de l’examiner sous tous les angles. C’est seulement ainsi que l’on peut découvrir la vérité. Une information partiale n’y contribue pas. Et pourtant, c’est exactement ce que vous faites. Nous n’avons certes aucune objection à ce que les militaristes participent au débat, mais où est la voix discordante ?
Pourquoi ne se demande-t-on jamais pourquoi les anciens États soviétiques étaient si désespérément appelés à rejoindre l’OTAN ? Le 9 février 1990, le secrétaire d’État américain James Baker déclarait publiquement que l’OTAN ne se déplacerait pas d’un pouce vers l’est après la réunification de l’Allemagne. Cette promesse ne fut pas tenue. De plus en plus de pays de l’ancien bloc de l’Est limitrophes de la Russie rejoignirent l’OTAN.
En 2007, Vladimir Poutine a évoqué cette promesse non tenue lors de la Conférence de Munich sur la sécurité, à laquelle participaient tous les principaux dirigeants de l’OTAN et de l’UE. Un an plus tard, lors du sommet de l’OTAN à Bucarest, sur l’insistance des États-Unis, l’adhésion à l’OTAN a été promise à l’Ukraine et à la Géorgie. Qu’y avait-il de si important pour l’Europe ? Qu’elle redevienne l’ennemi de la Russie ?
Considéré auparavant par Tony Blair, entre autres, comme un « bon » dictateur, malgré ses nombreux crimes, Poutine est désormais devenu un « mauvais » dictateur, un ennemi de l’OTAN.
Que l’adhésion potentielle de l’Ukraine à l’OTAN était la cause directe de l’invasion russe en février 2022 a été clairement indiqué par l’ancien chef de l’OTAN Jens Stoltenberg dans un discours au Parlement européen en septembre 2023. « Pour éviter la guerre, Poutine voulait que nous signions un document promettant que l’Ukraine ne deviendrait pas membre de l’alliance », a déclaré Stoltenberg, ajoutant : « Bien sûr, nous avons refusé. »
Crédibilité
Cela ne justifie évidemment pas l’invasion russe, mais la guerre en Ukraine n’aurait probablement jamais eu lieu si, après la chute du mur de Berlin, une structure de sécurité commune avait émergé, ce à quoi aspiraient non seulement Boris Eltsine, le président russe de l’époque, mais aussi son jeune successeur Poutine.
Ne devrions-nous pas nous attendre à ce qu’un radiodiffuseur public indépendant enquête sur les causes de cet échec ? Cela ne serait-il pas plus bénéfique pour sa crédibilité que de se joindre à l’hystérie guerrière dont nous sommes bombardés ?
Nous appelons donc les leaders d’opinion des radiodiffuseurs publics, les rédacteurs en chef et les rédactrices en chef, ainsi que les journalistes, à examiner de manière critique leurs propres reportages et à considérer leur responsabilité de fournir au public les informations les meilleures, les plus impartiales et les plus complètes disponibles.

