Le Maglev, invention franco-américaine

mardi 13 avril 2010, par Karel Vereycken

Imaginer un train qui flotte et avance grâce à des champs électromagnétiques, tout en échappant au frottement de l’air grâce au vide créé dans un pipeline souterrain, il fallait être mordu d’exploration spatiale pour y penser !

Si l’idée d’une catapulte électromagnétique spatiale fut décrite en détail par John Munro dans un roman de science-fiction A Trip to Venus (Un voyage vers Vénus) paru en 1897, c’est en 1904 que le physicien américain Robert H. Goddard (1882-1945), reconnu après sa mort comme l’un des grands pionniers de l’aventure spatiale américaine, pose pour la première fois la question de comment franchir les deux principaux obstacles empêchant l’homme de se déplacer à de très grandes vitesses sur Terre et dans l’espace : la roue et l’air.

Car le frottement de l’air, aux alentours de 400 km/h, quel que soit le véhicule, accapare plus de 90% de l’énergie fournie. La solution à ce problème consiste à faire circuler le train dans un vide partiel (0,01 à 0,1 atmosphère). Pour les avions, on peut voler à haute altitude ; pour les transports terrestres, on descend au sous-sol. Pourtant, quand il ouvre le 31 mai 1914 les pages du Boston Sunday Globe, Goddard y découvre à sa grande surprise un article et une photo montrant la maquette d’un « train volant » et de son inventeur, le français Emile Bachelet (1863-1946).

C’est lui aussi un expérimentateur de génie, né à Nanterre, expatrié aux Etats-Unis, naturalisé Américain et travaillant comme électricien. En 1914, sa maquette épate le tout Londres. Churchill en personne, des scientifiques et des politiques de toute l’Europe et même du Japon, accourent pour voir ce miracle. Tous promettent une aide que Bachelet ne recevra jamais.

Deux années plus tôt, en 1912, ce dernier avait fait breveter aux Etats-Unis son « appareil de transmission par lévitation », capable de « transférer à grande vitesse, d’un point à un autre, des charges, ce qui est particulièrement avantageux pour des petits colis sur des grandes distances ». En cas de besoin, précise le brevet, « il est envisageable de construire un appareil plus grand pour le transport de fret ou de passagers ». Anticipant le moteur électrique linéaire, Bachelet affirme que « les moyens par lesquels le champ est formé pour effectuer la lévitation de la charge, peuvent être conçus de telle sorte qu’ils portent la charge tout le long de la voie, et la capsule peut évoluer le long de cette voie par des forces électromagnétiques produites par des électro-aimants (solénoïdes) placés le long de cette voie, qui poussent ou attirent à grande vitesse la capsule par un champ magnétique et sans y appliquer une quelconque force mécanique ». Mon invention, écrit Bachelet, « n’est pas limitée » à cela, mais entrevoit, dans un dispositif approprié, de « créer un vide devant la capsule ».

Goddard, piqué au vif par le succès de Bachelet, publie alors une mise au point dans le Worcester Polytechnic Institute Journal qu’il dirige.

Tout en tirant son chapeau pour l’exploit de Bachelet, Goddard rappelle que l’invention vient de lui. « Ca s’est passé ainsi. Lorsque l’auteur était en première année, le professeur Coombs demanda une dissertation sur les ‘transports dans les années 1950’. L’auteur considérait la méthode de transport mentionnée ci-dessus [par maglev sous vide] comme la méthode la plus probable pour la date en question [1950] et en donna une description devant sa classe, le 20 décembre 1904 ».

En janvier 1906, ajoute Goddard, son projet fut le sujet d’un court essai, « Le pari de la grande vitesse ». Son idée pour le transport maglev sous vide, affirme Goddard, fut reprise sous forme d’éditorial par la revue Scientific American du 20 novembre 1909. Après la mort de Goddard en 1945, sa fille Esther déposa deux de ses brevets détaillant « un système de transport dans un tunnel sous vide ».

Entre-temps, en Allemagne, Hermann Kemper (1892-1977) déposait en 1934 son propre brevet. Le chaos économique et financier résultant de la guerre retardera grandement tout investissement dans la technologie des maglev.

Quelques principes

Tout comme les moteurs électriques, la lévitation électromagnétique s’appuie sur la force d’attraction et de répulsion des aimants, le magnétisme.

Comme la Terre, les aimants possèdent un pôle Nord et un pôle Sud (inséparables l’un de l’autre) et deux pôles identiques se repoussent tandis que deux pôles contraires s’attirent.

En envoyant un courant électrique dans un fil enroulé autour d’un noyau ferromagnétique on obtient une bobine, ou électroaimant, qui produit un champ magnétique.

Dès sa découverte ce principe électromagnétique a permis la construction de moteurs électriques, d’abord cylindriques, ensuite linéaires.

En ce qui concerne la lévitation magnétique, on fait la différence entre d’une part la lévitation électromagnétique (EML) générée par des électroaimants régulés, et d’autre part la lévitation électrodynamique (EDL) basée sur les forces de répulsion générées par des courants induits qui n’apparaissent que lors d’un déplacement relatif du véhicule.

Le Transrapid allemand et le Swissmetro font appel à l’EML tandis qu’aujourd’hui le maglev japonais est le projet EDL le plus avancé.

Si le Japon démarre ses recherches en 1962, son maglev voit le jour grâce aux travaux de James Powell et Gordon Danby, deux chercheurs américains travaillant pour le Laboratoire national de Brookhaven aux Etats-Unis, qui déposent en 1967 le premier brevet américain pour un maglev utilisant des électroaimants supraconducteurs.

Le professeur James Powell (à droite) travaillait aussi sur les réacteurs de fission et de fusion et sur la propulsion nucléaire pour l’exploration spatiale.

Le professeur Gordon Danby (à gauche) dirigeait la recherche sur les aimants supraconducteurs, les accélérateurs de particules à haute énergie et le développement des scanners IRM de nouvelle génération.

Conçu d’après ces découvertes américaines, le maglev japonais se déplace sur une voie de guidage en forme de U plutôt que sur un rail. Des électroaimants dont la polarisation est alternée sont placés dans les côtés verticaux de la voie de guidage.

Ces électroaimants servent à maintenir le train en lévitation au centre de la voie et le propulsent grâce à un courant alternatif. Au démarrage, le train se déplace sur des roues semblables à celles d’un avion. Lorsque sa vitesse dépasse 100 km/h, il entre en lévitation. Les Japonais estiment que cette technologie offre plus de sécurité, puisque en cas d’une panne du système le train peut rouler.

A cela s’ajoute l’aimant supraconducteur embarqué qui n’a pas besoin d’être alimentés en permanence pendant le trajet, ce qui simplifie le procédé. Cependant, la contrainte est qu’il doit être maintenu à de très basses températures, de l’ordre de -260° C.

En 2003, dans un article publié dans 21st Century Science & Technology, repris en 2004 par le magazine scientifique Fusion, Powell et Danby écrivaient :

« Emile Bachelet (1863-1946) a proposé que l’on soulève par lévitation magnétique des trains en disposant des boucles de courant alternatif (CA) au-dessus de plaques de métal conducteur, comme l’aluminium, posées sur le sol. On développa d’autres modèles avec des aimants électromagnétiques et des aimants permanents conventionnels. Cependant, toutes ces propositions étaient irréalisables. La consommation d’énergie était trop importante ou la suspension était instable, ou encore la charge pouvant être soulevée était trop petite.

« Le premier système maglev réalisable fut proposé et publié par nos propres soins en 1966. Il était constitué d’un véhicule équipé d’aimants supraconducteurs de faible poids qui induisaient des courants dans une série de boucles d’aluminium ordinaire, montées sur un rail de guidage. Ces courants induits interagissaient avec les aimants supraconducteurs du véhicule, le mettant ainsi en lévitation au-dessus du rail de guidage. Le véhicule en lévitation est stable de manière inhérente et passive vis-à-vis de toutes les forces externes, y compris les forces du vent latéral et les forces centrifuges dans les courbes. Si un vent latéral pousse le véhicule sur le côté, une force magnétique opposée est immédiatement produite, maintenant le véhicule sur son rail de guidage. Si le véhicule est poussé vers le rail de guidage, la force de lévitation augmente automatiquement, empêchant tout contact. Si une force extérieure soulève le véhicule hors du rail de guidage, la force de lévitation décroît et le véhicule retombe à sa hauteur d’équilibre de suspension.

« Le processus de lévitation est automatique tant que le véhicule se déplace à une vitesse au-dessus du seuil de décollage. En dessous de cette limite, se situant entre 30 et 80 km/h selon la conception, la résistance électrique donnée par la boucle d’aluminium du rail de guidage fait décroître les courants induits au point où les forces magnétiques sont trop faibles pour mettre en lévitation le véhicule.

« A faible vitesse, le véhicule repose sur des roues auxiliaires ou en alimentant localement le rail de guidage. Ces sections à basses vitesses du rail de guidage sont très courtes et ne sont nécessaires uniquement que quand on accélère pour sortir de la gare ou ralentir pour y entrer.

« Notre article de 1966 avait suscité un énorme intérêt dans de nombreux pays. Il était évident que les aimants supraconducteurs rendaient possible la réalisation d’un maglev. En bref, les aimants supraconducteurs sont extrêmement puissants et allègent les aimants permanents. Comme ils ont une résistance électrique nulle, leur consommation électrique est nulle, même lorsqu’ils sont traversés par des courants de plusieurs centaines de milliers d’ampères, mise à part la faible puissance nécessaire pour maintenir le supraconducteur à une température cryogénique. »

Le Transrapid allemand

Après le Japon, c’est en 1973 l’Allemagne qui se lance et met au point son maglev « Transrapid » en 1979. Jamais exploitée commercialement en Allemagne, les véhicules du Transrapid ont engrangé des centaines de milliers de kilomètres sur leur voie d’essai à Emsland en Allemagne et ont transporté en douceur et en sécurité des milliers de passagers à des vitesses atteignant 450 km/h. Le premier système commercial de Transrapid au monde a été inauguré en janvier 2004 à Shanghaï en Chine. La ligne Transrapid, longue de 30 km, transporte les passagers du centre de Shanghai à l’aéroport de Pudong.

Powell et Danby n’hésitent pas à critiquer l’approche allemande : « L’Allemagne a suivi une voie différente. Au lieu d’utiliser des aimants supraconducteurs, le système du Transrapid allemand utilise des aimants électromagnétiques conventionnels fonctionnant à température ambiante sur ces véhicules. L’image ci-dessous montre comment les électroaimants sont soulevés vers les bords des rails de guidage, constitués par des poutres d’acier en forme de T, fournissant la force magnétique nécessaire pour mettre en lévitation le véhicule.

Néanmoins, la force de lévitation magnétique du Transrapid est intrinsèquement instable alors que celle du maglev supraconducteur est de manière inhérente stable. Dans le cas du maglev supraconducteur [japonais], plus le véhicule se rapproche du rail de guidage, plus la force de répulsion magnétique devient grande, repoussant automatiquement le véhicule du rail de guidage. Dans le cas du maglev électromagnétique [allemand], plus le véhicule s’approche du rail de guidage, plus la force électromagnétique d’attraction devient grande, attirant automatiquement le véhicule vers le rail de guidage.

Pour empêcher les voitures lancées à grande vitesse d’être soulevées et d’entrer en contact avec le rail de guidage, le Transrapid utilise un système d’asservissement automatique qui ajuste le courant magnétique en continu, sur une fréquence d’un millième de seconde, pour maintenir un espace de sécurité entre les électroaimants du véhicule et l’acier du rail de guidage.

« Etant donné que les électroaimants consomment d’importantes quantités d’électricité pour générer les champs magnétiques, l’espace entre les aimants du véhicule du Transrapid et le rail de guidage doit être petit, de l’ordre de 0,8 cm. En comparaison, les véhicules [japonais] utilisant des aimants supraconducteurs sont distants du rail de guidage de 10 cm ou plus.

« De notre point de vue, les systèmes de maglev supraconducteurs [japonais] sont supérieurs aux systèmes à aimants permanents ou à aimants électromagnétiques [allemand et chinois] (…) »

Ailleurs en Europe, seul le professeur Rodolphe Nieth de l’Ecole polytechnique de Lausanne a proposé, avec le projet Swissmétro, un système de Maglev sous vide circulant en tunnel souterrain pour des transports en commun à l’échelle de toute la confédération helvétique. Le projet fut bloqué par un puissant lobby ferroviaire et financier.

Aujourd’hui, des sociétés américaines comme Magplane proposent des systèmes à lévitation électromagnétique pour le transport de personnes et de fret, notamment par pipeline souterrain. Leur client ? Pas Obama, mais la Chine.


Un 9 juin pour le salut commun


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