Henry Wallace et la « Révolution verte », l’art de nourrir la planète

mardi 23 septembre 2008, par Karel Vereycken

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Le 8 mai 1942 à New York, dans un discours puissant, « The Price of Free World Victory » (Le prix d’une victoire du monde libre), Henry Agard Wallace (1888-1965), à l’époque candidat à la vice-présidence sur le ticket démocrate du président américain Franklin Delano Roosevelt, esquisse sa vision pour faire entrer l’humanité dans le Century of the Common Man (le siècle de l’homme commun).

Il s’agit de faire entendre la voix de « l’autre Amérique », celle qui s’oppose avec force aux intérêts anglophiles de la famille Morgan et de leurs plumitifs, en particulier Henry Luce, rédacteur en chef de Time magazine. Luce, après avoir soutenu Mussolini, suggère dès 1941, que Amérique s’inspire du « Siècle britannique », en fondant, sur le modèle du vaste pillage entrepris par l’épopée coloniale britannique au dix-neuvième siècle, son propre « Siècle américain ».

Intime collaborateur de Roosevelt et diamétralement opposé à cette vision, Wallace avance qu’après l’abolition de l’esclavage par le président américain Abraham Lincoln, les dirigeants du monde doivent s’engager — une fois celui-ci libéré de système esclavagiste nazie — à libérer l’homme de l’esclavage des nécessités quotidiennes : l’esclavage de la faim, de la maladie et de l’insécurité sociale.

Henry Agard Wallace (1888-1965) en campagne avec Franklin Delano Roosevelt.

A la même époque, le Général de Gaulle, en accord avec le Conseil national de la Résistance (CNR), ne dit rien d’autre quand il affirme qu’il s’agit dorénavant « d’affranchir de l’angoisse, dans leur vie et dans leur labeur, les hommes et les femmes de chez nous, en les assurant d’office contre la maladie, le chômage, la vieillesse… »

Pour Wallace, tout comme pour de Gaulle, ce ne sont pas là de belles paroles, mais une conviction résultant de sa propre expérience du terrain. En tant que ministre de l’Agriculture de Franklin Delano Roosevelt, lors de la grande dépression des années trente, il est au cœur des politiques du New Deal qui tirent l’Amérique de la grande crise, notamment par une relance de l’agriculture en charge de la sécurité alimentaire pour l’ensemble de la population américaine.

La science moderne, dit Wallace, qui est un sous-produit et une partie centrale de la révolution a fait en sorte qu’il est technologiquement possible de garantir que tout les gens de la planète aient suffisamment à manger. Plaisantant à moitié et à moitié sérieux je disais l’autre jour à Madame Litvinov : ‘Le but de cette guerre est de faire en sorte que tous les êtres humains sur cette planète puissent avoir le privilège de boire un verre de lait par jour’. Elle répliqua alors : ‘oui, même une demie pinte’. La paix doit inclure un meilleur niveau de vie pour l’homme commun, pas seulement aux Etats-Unis et en Angleterre, mais aussi en Inde, en Russie, en Chine et en Amérique Latine – pas seulement pour les membres des Nations unies, mais aussi pour l’Allemagne, l’Italie et le Japon. » [les pays de l’Axe, donc ennemis à l’époque du discours, ndt]

Certains nous parlent du ‘Siècle Américain’ : Moi je vous dis que le siècle dans lequel nous entrons – le siècle qui sortira de cette guerre – peut et doit être le siècle de l’homme commun. Partout l’homme commun doit pratiquement apprendre à construire ses propres industries, de ses propres mains. Partout, l’homme commun doit apprendre à accroître sa productivité afin que lui et ses enfants puissent payer à la communauté mondiale tout ce qu’ils ont reçu. Aucune nation n’aura de droits divins pour exploiter d’autres nations. Les nations plus vieilles auront le privilège d’aider les jeunes nations à se lancer sur la voie de l’industrialisation, mais il ne doit y avoir ni impérialisme militaire, ni économique. Les méthodes du dix-neuvième siècle ne seront pas de mise pendant le siècle du peuple qui va commencer. L’Inde, la Chine et l’Amérique latine jouent gros dans le siècle des peuples. Maintenant que leurs vastes populations commencent à lire et écrire, et qu’ils se transforment en mécaniques productives, leur niveau de vie doublera et triplera. La science moderne, quand elle se consacre de tout son cœur à l’intérêt général, porte en elle des potentialités dont nous n’osons pas encore rêver…

Un milliard d’agricultrices et d’agriculteurs labourent encore la terre à la force des bras.

Aujourd’hui, hélas, on constate que cette vision optimiste reste à réaliser. Prenons la crise alimentaire mondiale et l’état précaire de l’agriculture de la planète. En ce début de XXIe siècle, on estime que sur les 1 430 millions de fermiers, en grande majorité des femmes, à peine 27 millions, c’est-à-dire moins de 2%, disposent de tracteurs et d’engins agricoles. 300 millions utilisent des animaux de trait (bœufs, chevaux), tandis que plus d’un milliard labourent encore la terre à la force des bras. Voilà la cause principale de la faim chronique qui frappe 900 millions de personnes, dont 530 millions de paysans !

La solution à ce problème est donc parfaitement connue. Comme nous allons le montrer ici, les politiques agricoles développées par Wallace et son optimisme scientifique ont permis de définir une politique d’ensemble permettant de nourrir la planète, un concept qui a prouvé son efficacité et qui a servi de point de référence pour la mise en place de la « Révolution verte », d’abord au Mexique par Wallace lui-même, et ensuite, au début des années 1960 en Inde, en Asie et plus tard, en Afrique.

En Europe, cette approche était également celle des architectes de la Politique agricole commune (PAC), inscrit dans le Traité de Rome de 1957, et promue en 1962 par De Gaulle et Adenauer afin de garantir au vieux continent la paix par la sécurité alimentaire.

Contre cela, s’est toujours dressé ce que les économistes appellent aujourd’hui le Dutch disease (la maladie hollandaise), référence à gouvernement impérial croyant pouvoir faire l’économie d’un Etat-nation composé de citoyens et de producteurs. De ce point de vue, l’opposition, voire la haine, des élites britanniques pour la PAC est caricaturale.

Une petite anecdote, que raconte Jean-François Deniau dans ses Mémoires, est révélatrice. Deniau, à l’époque jeune fonctionnaire français participant aux négociations pour le traité de Rome raconte :

Dans ses débuts, un fonctionnaire britannique assistait aux réunions de travail. L’Angleterre, en effet, avait été invitée. Jamais son digne représentant n’ouvrait la bouche, si non pour y insérer sa pipe. Enfin, un jour, il demanda la parole à la surprise générale. C’était pour tenir le discours d’adieu suivant : ‘Monsieur le Président, Messieurs. Je voudrais vous remercier pour votre hospitalité et vous indiquer qu’elle va cesser à partir d’aujourd’hui. En effet, je regagne Londres. Fonctionnaire sérieux, il me gène de perdre mon temps et de ne pas justifier le modeste argent que me verse mon gouvernement. J’ai suivi avec intérêt et sympathie vos travaux. Je dois vous dire que le futur traité dont vous parlez et que vous êtes chargés d’élaborer :

  1. n’a aucune chance d’être conclu ;
  2. s’il était conclu, n’a aucune chance d’être ratifié ;
  3. s’il est ratifié, n’a aucune chance d’être appliqué.

Nota bene : S’il l’était, il serait d’ailleurs totalement inacceptable pour la Grande-Bretagne. On y parle d’agriculture, ce que nous n’aimons pas, de droit de douane, ce que nous récusons, et d’institutions, ce qui nous fait horreur. Monsieur le Président, Messieurs, au revoir et bonne chance…

Voilà donc l’essence de l’anglo-dutch disease. Mais revenons à notre sujet : comment la guérir.

Henry Agard Wallace

Henry A. Wallace est né dans l’Iowa le 7 octobre 1888. Henry Cantwell Wallace, son père, y édite un journal agricole, le Wallace Farmer. De 1921 jusqu’à sa mort en 1924, Henry est ministre de l’agriculture des administrations Harding et Coolidge.

George Washington Carver (1864-1943), premier professeur de couleur à enseigner à l’Université de l’Iowa, a l’habitude de faire des longues randonnées avec un enfant qu’il initie aux secrets de la biologie. Carver partage avec lui son amour pour les plantes et le jeune garçon répond avec enthousiasme. Dès l’âge de onze ans, le gamin commence à faire des expériences avec différentes variétés de maïs. Son nom est Henry A. Wallace. Il poursuit ses études sur la génétique et le croisement des espèces dans cette même université où officie Carver.

Dès cette époque, le jeune Henry Wallace découvre et dépose un brevet pour une variété de maïs plus productive. De plus, elle se montre plus résistante aux maladies. Sa passion pour l’amélioration des semences de maïs ne fait que grandir. Dans Wallace’s Farmer Magazine, la revue de son père, il présente donc sa trouvaille : une variété de maïs hybride. Ce succès le conduit à fonder sa propre entreprise et à distribuer son produit dans la région, générant un doublement et parfois le triplement des rendements dans le Midwest. Cette expérience de transformation d’une découverte scientifique en un bien pour la société dans son ensemble lui donne une stature hors du commun, et forme son caractère combattif.

Par tradition, les Wallace sont plutôt une famille républicaine. Cependant, le choc de la grande dépression, et son impact catastrophique dans le monde rural, amènent Henry à se tourner vers les démocrates. Dégoûté par les politiques agricoles de Coolidge et Hoover, il apporte donc son soutien politique aux démocrates et en 1932 se rallie à la candidature de Roosevelt qui, vu la générosité et la popularité du personnage, le choisit comme ministre de l’Agriculture.

Ministre de l’Agriculture

Partisan d’une intervention de l’Etat, le 12 mai 1933 Wallace est chargé de faire appliquer une loi visant à redresser l’agriculture américaine, l’Agricultural Adjustment Act, (« le 3A »). En rupture avec le libre échange britannique, l’interventionniste Roosevelt ordonne au Congrès de réguler l’offre et la demande des produits agricoles afin de garantir un juste prix pour les consommateurs et un revenu décent pour les producteurs.

Suite à une étude approfondie, les économistes du gouvernement américain arrivent à la conclusion qu’entre 1909 et 1914 les prix qu’avaient obtenus les fermiers pour leurs récoltes et pour la vente de bétail, peuvent servir comme prix de référence. Pendant ces cinq années, ces prix à la vente étaient à peu près en équilibre avec le prix de revient et une rémunération décente pour les producteurs et leurs familles. En d’autres termes, le revenu du travail d’un agriculteur garantissait son pouvoir d’achat. Cette notion se trouve incorporée dans le 3A et connue comme « la parité ». En temps de paix, jamais auparavant un gouvernement fédéral ne s’était autant impliqué dans la régulation du marché agricole à travers une planification. De plus l’Etat était contraint d’intervenir de toute urgence pour juguler le principal fléau qui frappait alors l’agriculture des Etats-Unis : une surproduction et des prix trop bas.

La crise agricole avant Wallace

Bien qu’en général, pour marquer le début de la grande dépression on retienne la date du « jeudi noir » d’octobre 1929, quand survient le krach à Wall Street, les années 1920 furent des années de terrible crise pour le monde rural outre-Atlantique. La Première Guerre mondiale va complètement désorganiser la production agricole européenne, ce chaos profitant aux fermiers américains. Pour répondre à la demande, ceux-ci augmentent massivement leur production et vendent leurs surplus à des prix élevés sur les marchés européens. Cependant, dès la signature de l’armistice en 1918, la production agricole européenne repart à la hausse, et les fermiers américains peinent à trouver des marchés pour leurs produits.

Les années vingt voient ainsi apparaitre la surproduction et l’effondrement des prix aux Etats-Unis. Pour les fermiers, cette baisse des revenus les mets dans l’impossibilité d’honorer les traites sur leurs emprunts hypothécaires. Pour « tenir » on se rendette. La dette hypothécaire du monde agricole américain s’accroît, passant de 3,2 milliards de dollars en 1910 à 9,6 milliards en 1930 et plonge un grand nombre de fermiers dans de graves difficultés financières. De plus, puisque la crise touche maintenant autant les villes que la campagne, ils n’ont guère d’alternatives.

L’effondrement des prix prend une tournure dramatique. Dans le Dakota du Sud, par exemple, les stocks des silos sont vendus à perte. Pour chaque boisseau de céréales qu’il cherche à vendre, c’est le producteur qui doit avancer 3 cents ! Le prix du coton est tellement bas que les gens ne le récoltent même plus, le prix de vente étant en dessous du coût de la main-d’œuvre requise pour la récolte. Les olives pourrissent sur les arbres et l’on brûle le blé, dont le prix est inférieur à celui du charbon, comme combustible dans les locomotives.

l’Agricultural Adjustment Act

D’aussi dramatiques problèmes appellent des solutions fortes. Ainsi, dès que Roosevelt entre en fonction en 1933, Wallace, ministre de l’agriculture, demande à Mordecai Ezekiel, un économiste du ministère, ainsi qu’à Frederic P. Lee, un avocat de l’American Farm Bureau Federation d’élaborer un projet de loi.

Dès le 16 mars, Roosevelt le soumet au Congrès en disant : « Je pense franchement que c’est une nouvelle voie jamais employé ; mais… une situation sans précédent exige que l’on tente des nouvelles méthodes pour sauver l’agriculture. »

Wallace en discussion avec des agriculteurs de l’Iowa dans les années 1930.

Le 12 mai 1933, le Congrès américain adopte le 3A. La loi autorise un ajustement des marchés et s’inspire d’expériences conduites avec succès par le Federal Farm Board, notamment dans le domaine des organisations communes déjà mises en œuvre pour organiser le marché des fruits et légumes.

Quant au surplus agricole, le 3A distribue, sous forme de coupons alimentaires (Food stamps), de grandes quantités de nourriture aux familles dans le besoin et organise des repas scolaires.

Le 13 mars 1933, c’est-à-dire le lendemain de l’adoption de la loi, Wallace, lors d’une intervention radio intitulé « Une déclaration d’indépendance », mêlant compassion et ténacité s’adresse aux agriculteurs :

En fin de compte, ce que nous envisageons, c’est une forme plus planifié d’utilisation des terres ; et l’on doit s’y résoudre sans tarder pour ces milliers de personnes qui ont échappés au mal vivre urbain et à la faim en se tournant, avec peu, ou même sans formation, vers la terre. Un nombre tragique de familles urbaines réoccupent des fermes délaissées ; des fermes sur lesquelles des fermiers aux origines paysannes, patients, expérimentés et habitués à vivre avec pas grand-chose n’avaient pas réussi à gagner leur vie. Comme conséquence, on compte actuellement 32 millions de personnes vivant sur des fermes aux Etats-Unis, le nombre le plus élevés de notre histoire. Quelques uns parmi ceux qui sont retournés à l’agriculture y retrouveront une place, mais la plupart d’entre eux, je le crains, ne la retrouveront pas…

Plaçant la barre très haute, Wallace insiste :

L’ajustement que nous espérons obtenir signifie d’abord un ajustement mental, une volonté. Il s’agit d’abandonner l’opportunisme pionnier du laisser-faire non régulé. La poussée incontrôlée de l’individualisme effrénée avait encore une justification à l’époque où il y avait tout l’ouest à conquérir ; mais ce pays s’est rempli et s’est développé. Il n’y a plus d’indiens à combattre. Il ne reste plus de terres fertiles dont on n’aurait qu’à s’accaparer. On doit opérer un changement d’état d’esprit et de cœur.

Bien que cela puisse paraître paradoxal aujourd’hui, le premier but du 3A consiste à réduire la surproduction agricole pour faire grimper les prix. La hausse du revenu des fermiers leur permet d’alléger immédiatement leur dette, de moderniser l’outil de travail et d’investir dans de meilleures productions. Pour faire accepter cette mesure temporaire, le gouvernement fédéral met en place des aides pour l’abattage et les jachères. C’est à contrecœur que Wallace ordonne la destruction d’une partie de la production.

Le 10 mars 1933, dans une autre allocution radio, « La crise agricole », Wallace avait préparé les fermiers à ces mesures en leur rappelant que « Pendant les quelques années précédant 1929, nous vendions sur les marches internationaux l’équivalent de la production fourni par environ 60 millions d’acres de terre. La valeur de nos exportations pour l’année fiscale écoulée (1932) était en gros 60% plus bas qu’en 1929. Soit l’on retrouve ces marchés et le marché intérieur, et l’on fait grimper les prix, soit l’on est obligé de réduire de manière ordonnée le nombre d’hectares cultivés superflus ; ou encore, l’on réussit à faire les deux à la fois. »

Le 21 août 1933, Wallace défend une fois de plus sa politique à la radio :

Sur l’une des plus grandes plantations du Mississippi, j’ai assisté à un épisode dramatique démontrant l’effort que nous accomplissons dans un monde qui a changé. Là-bas, il y avait deux immenses champs de coton séparés par une route. D’un coté, des hommes labouraient la terre en enterrant sur des centaines d’acres de vigoureux plants de coton, hauts de trois pieds. De l’autre coté de la route, un avion épandait des pesticides sur autant d’acres de plantations pour préserver le coton contre les maladies. Ces deux opérations étaient menées côte à côte, sur la même exploitation. Dans l’état critique de notre déséquilibre économique, toutes deux sont justifiables et nécessaires.

A part la destruction de dix millions d’acres de coton, Wallace subventionne l’abattage de 6 millions de porcs et de 220.000 vaches. Pour indemniser les pertes, l’Etat débloque des millions de dollars. Wallace se moque de ceux qui ridiculisent son plan sans faire l’effort d’en comprendre la logique économique. « Peut-être pensent-ils que les agriculteurs doivent gérer des genres de maisons de retraite pour cochons ».

Après ces drastiques mesures temporaires pour tarir la surproduction et provoquer une hausse des prix, le 3A subventionne sept « productions de base » : le maïs, le blé, le coton, le riz, les cacahuètes, le tabac et le lait. Bien que l’on cherche à lui coller l’étiquette de « plus grand boucher de la chrétienté », la politique de Wallace est un franc succès, les prix de vente grimpent de 50%.

Parallèles à cette nouvelle politique agricole, la réforme du système bancaire menée par Franklin Roosevelt et la renaissance industrielle du New Deal augmentent de façon conséquente le pouvoir d’achat de la population. Les anciens fermiers et ouvriers agricoles trouvent des emplois bien rémunérés dans l’industrie et les grands projets d’infrastructures. Les barrages et l’électrification rurale permettent la modernisation de l’outil de travail et l’accès aux engrais et à l’irrigation.

Le problème aujourd’hui

Aujourd’hui, nous ne sommes pas dans la même équation que Roosevelt en 1933, bien que les mêmes principes soient en jeu. En particulier depuis deux décennies, le libre échange mondialisé et une dérégulation au profit de quelques uns, de pair avec une réduction des subventions et la liquidation des stocks, ont fait chuter les prix, tout en réduisant le pouvoir d’achat et le niveau de vie du plus grand nombre.

Pour la plupart de producteurs le prix est trop bas et pour la majorité des consommateurs le prix est trop élevé ! Où est la faille ? Ce sont les intermédiaires privés qui font la loi, et non pas les Etats. Le concept même d’un « prix mondial » dans le domaine agro-alimentaire est une fraude. Par exemple, si la production mondiale de céréales est de deux milliards de tonnes, seuls 200 millions, c’est-à-dire 10%, sont échangés sur les marchés mondiaux ! Par quel droit divin ces 10% définissent-ils le prix des 90% restant ? De plus, sur ce petit volume, 80% sont échangés par seulement trois cartels de l’agro-alimentaire : Cargill (USA), Archer Daniel Midland (USA) et Louis Dreyfus (France).

Parfaitement analysé au début des années vingt et trente par Mordecai Ezekiel, le conseiller de Roosevelt et l’un des auteurs du 3A, le marché agro-alimentaire manque totalement « d’élasticité ». La moindre discontinuité de l’offre ou de la demande (sécheresse, inondation, etc.), à moins d’être régulée, suffit pour provoquer une instabilité majeure des prix.

Pourtant, nourrir la planète est un processus physique et non pas un jeu d’écritures. Produire de la nourriture prend du temps. Si la spéculation financière prospère en « surfant » sur les variations incessantes du prix des biens à très court terme, la sécurité alimentaire, en tant que politique, requiert la stabilité sur de longues périodes. Si un prix trop bas pénalise fatalement les agriculteurs et les rend incapables de planifier les productions futures, un prix trop élevé pénalise l’accès à la nourriture des populations, tant en quantité qu’en qualité.

Le succès des New Deal de Roosevelt et du 3A de Wallace ont prouvé la validité d’un protectionnisme qui est finalement tout aussi éloigné de la « planification impérative » soviétique que du pillage libre échangiste britannique. Ce succès en a fait une référence après-guerre pour la reconstruction du monde, en particulier pour la « Révolution verte ».

Cependant, le succès de cette politique dépend d’une chose pour laquelle les financiers anglo-hollandais éprouvent de l’horreur : elle nécessite l’existence de gouvernements qui défendent l’intérêt général, plutôt qu’être les paillassons de quelques intérêts particuliers.

Norman Borlaug et la « Révolution verte »

Rendements du blé dans les pays en développement, 1950-2004.

Il y a quelques semaines, Helga Zepp-LaRouche, présidente de l’Institut Schiller, a lancé un appel en faveur d’une « Nouvelle Révolution verte » pour résoudre la crise alimentaire mondiale. D’habitude, ce terme désigne la grande mobilisation scientifique et économique qui a conduit en moins de quinze ans, l’Inde, un pays six fois la taille de la France mais peuplé d’un milliard d’hommes, à accéder à une forme rudimentaire d’autosuffisance alimentaire, du moins pour sa production de riz et de céréales.

La production annuelle de blé indien est passée de 12 millions dans les années soixante-dix, à 70 millions de tonnes aujourd’hui. Cette révolution démarra en mai 1962, lorsque l’agronome M.S. Swaminathan - par la suite l’un des conseillers d’Indira Ghandi - invita son collègue américain Norman Borlaug qui amena avec lui la « Révolution verte » déjà expérimentée au Mexique.

M.S.Swaminathan et Norman Borlaug en 2005.

Né le 25 mars 1914, Norman Ernest Borlaug reçoit en 1970 le prix Nobel de la Paix pour le développement de semences de blé à haut rendement. Adolescent, Borlaug travaille sur la ferme de son père dans l’Iowa, l’Etat de Wallace. Il se spécialise ensuite en agronomie et en génétique.

Selon ses propres dires, il est stupéfait de constater l’état de sous-nutrition des jeunes américains alors qu’il travaille pour la Civilian Conservation Corps (CCC), un programme conçu par Roosevelt dans les années trente pour réintégrer un certain nombre de jeunes dans le monde du travail. Pendant la guerre, Borlaug travaille comme chercheur pour l’armée.

Le Mexique

Après l’élection présidentielle de 1940, Wallace s’embarque pour un voyage au Mexique. Sur place, il constate le rôle central qu’y joue le maïs dans le régime alimentaire. Mais les rendements sont fortement inférieurs à ceux obtenus par les fermiers américains faisant appel aux variétés hybrides.

Wallace a donc une idée. D’abord il crée des sites expérimentaux, comme ceux de l’Iowa. Ces centres de production développeront des variétés de maïs adaptées au climat et au sol Mexicain. De retour aux Etats-Unis, Wallace propose l’idée à la Fondation Rockefeller et les convainc que ce projet cadre avec « l’intérêt stratégique » des Etats-Unis. En tout cas, Wallace s’arrange pour que la décision soit prise d’aider l’Administration Camacho pour fortement accroître la production agro-alimentaire du Mexique et qu’une « station expérimentale » y soit construite.

Pour faire aboutir ce projet, Borlaug, ainsi que quelques autres agronomes sont appelés à la rescousse. Abandonnant un poste bien rémunéré chez Dupont et une femme en attente d’un bébé, Borlaug se jette dans un avion pour se mettre au travail au Mexique.

Norman Ernest Borlaug.

Examinant les conditions géographiques et agronomiques du pays et de la région, Borlaug se rend à l’évidence : on peut exploiter le fait que le Mexique dispose de deux cycles climatiques. En consultant des producteurs engagés dans des essais agronomiques aux quatre coins du pays, il établit un réseau de recherche expérimental qui deviendra le CIMMYT (Centre International de Mejoramiento del Maïs y Trigo).

Son idée d’utiliser les deux cycles climatiques pour accélérer la multiplication des semences est écartée d’emblée par ses supérieurs. Après une énorme bataille – menaçant même de démissionner – il obtient le feu vert pour tenter l’essai. L’été, il fait pousser du blé au centre du Mexique comme d’habitude. Ensuite, une fois recueillies les semences, il les sème sur le site expérimental dela vallée Yaqui, près de Ciudad Obregon, dans l’Etat de Sonora, au nord du pays. Cet effort nécessite de doubler la quantité de travail et les coûts. Le plan de Borlaug égratigne aussi un principe considéré jusqu’alors comme sacro-saint en agronomie, mais prouvé erroné depuis lors. A l’époque on considère que toutes les semences ont besoin d’une période de repos après récolte afin de stocker leur énergie avant la germination. Ainsi, à partir de 1945, on cultive du blé au Mexique à deux endroits différents, séparés de 1000 km et avec une différence d’altitude allant jusqu’à 2600 m. Certains appelleront cette approche une shuttle culture (« culture navette »).

Tout comme Wallace, Borlaug se passionne pour l’amélioration des espèces végétales. Le « dwarfing » est l’une de ses spécialités (l’obtention d’espècesnaines). Si le blé à paille longue réussit à capter plus de lumière, il tend à s’effondrer sous le poids des graines, c’est « la verse ». A l’opposé, le blé nain produit des tiges solides et ne connait pas ce problème. En 1953, Borlaug réussi à croiser du blé nain japonais avec des variétés américaines à haut rendement. Ensuite, il croise la nouvelle variété avec des variétés fortement résistantes aux maladies, mieux adaptées aux tropiques. Ces nouvelles variétés ont fondamentalement changé la donne en terme de rendement. Dès 1963, 95% des cultures de blé au Mexique utilisent les nouvelles variétés développées par Borlaug et la récolte est six fois plus abondante cette année là qu’en 1944, année où Borlaug arrive au Mexique. Le pays est désormais autosuffisant et exportateur de blé, de plus, il a doublé sa production de maïs.

Du Mexique à l’Inde

Dans le reste du monde, bon nombre de gouvernements et d’élites, particulièrement en Asie, suivent de près ces développements. Comme nous l’avons dit, c’est à l’initiative de M.S. Swaminathan que Borlaug et ses contributions sont appelées pour secourir l’Inde.

Swaminathan réussi à convaincre le ministre indien Subramanian d’importer des semences mexicaines à haut rendement, bien que leur prix avoisine le double de celles produites sur place. Après le blé, Borlaug se concentre sur une autre céréale fondamentale pour la survie de l’humanité, le riz. Son perfectionnement est entrepris dans l’ensemble de la région avec le soutien de l’International Rice Research Institute (IRRI) dont le siège se trouve aux Philippines.

En 1968, William Gaud, directeur de l’agence américaine d’aide internationale (USAID), déclare :

Ces cinq dernières années, il y a plus de monde souffrant de la faim. Mais quelque chose de nouveau s’est produite. Le Pakistan est autosuffisant en blé et en riz, et l’Inde se dirige vers la même situation. Cela n’a pas été une révolution rouge et sanglante. Cela a été une révolution verte.

Mais cette révolution verte ne serait jamais devenue « verte »sans le « paquet technologique et politique » suivant.

D’abord le volet « technologique » :

  1. L’Inde utilise des variétés de semences à haut rendement (V.H.R), comme celles développées pour le maïs et le blé au Mexique, ou pour le riz aux Philippines.
  2. Avant de les produire, l’Inde importe des engrais et des pesticides. Comme l’a récemment formulé Jacques Diouf, directeur général de la FAO, lors de l’Université d’Eté du Parti Socialiste, à La Rochelle : « les agricultures productives des pays du nord utilisent 250 à 300 litres d’engrais par hectare ; ceux du sud, à très faibles rendements, n’utilisent en moyenne que 9 litres. Voilà toute la différence ! »
  3. Les semences et les intrants ne donnent aucun résultat sans eau. L’Inde lance un vaste programme d’irrigation, partant de régions comme le Pendjab, riche d’une certaine expérience dans ce domaine. Les surfaces irriguées sont multipliées par trois entre 1950 et 1996. Encore aujourd’hui, l’eau et l’électricité pour l’agriculture sont quasiment gratuites !

Agronome et économiste, Michel Griffon, fin connaisseur de la Révolution verte, souligne dans son livre Nourrir la planète que l’on ne peut réduire cette révolution à un simple dispositif technique. Il précise :

Le modèle de la révolution verte n’est pas, comme on le croit très souvent, seulement un modèle technique fondé sur l’amélioration génétique du blé et du riz ou plus généralement seulement sur la technologie. C’est tout autant une politique agricole d’accompagnement…

Pour M.S. Swaminathan, ce que l’on avait d’abord appelé la wheat revolution (la révolution du blé) en 1968, était concrètement à la fois une technologie et un ensemble de mesures telle que l’électrification rurale pour pomper l’eau des nappes phréatiques, la création d’une commission agricole pour recommander des prix efficaces, la constitution de la Food Corporation of India pour acheter le blé aux producteurs à un prix antérieurement fixé par l’Etat, et la création de la National Seed Corporation pour produire les variétés à haut rendement.

Plus précisément, le modèle économique d’accompagnement tel qu’il est ensuite diffusé en Asie et dans le monde est caractérisé par les mesures de base suivantes :

  • garantie d’achat des récoltes pour le producteur ;
  • garantie de prix donnée au producteur avant la campagne de production ;
  • subventions aux engrais et aux semences ;
  • prêts subventionnés du crédit agricole pour les achats annuels et les équipements (pompes d’irrigation, matériel de travail du sol) ;
  • vulgarisation gratuite des connaissances.

(…) Cette politique volontariste n’était pas très différente de celle que les pays occidentaux avaient appliquée ou appliquaient à l’époque. Le plan Marshall, établi notamment pour sortir l’Europe de la pénurie alimentaire dès l’après-guerre, et l’action du général MacArthur au Japon pour relancer l’économie étaient fondés sur le même effort massif combinant une nouvelle technologie et des mesures d’aide très fortement incitatives. Ces mêmes principes ont inspiré pendant la même période la politique agricole française puis la PAC.

Nous voyons maintenant la forte parenté entre la Révolution verte et la politique du New Deal de Roosevelt et Wallace.

La révolution « blanche » et « jaune »

La révolution blanche : l’Inde est aujourd’hui le premier producteur mondial de lait.

En Inde, la révolution verte fut suivie par la « Révolution blanche », celle du lait. En 1968, elle créa le National Dairy Development Board (NDDB) pour généraliser des coopératives laitières, plus efficaces que la distribution par l’Etat.

En 10 ans, plus de 13.000 coopératives sont créées, atteignant 95000 en 1995. Les coopératives apportent des éléments techniques nécessaires à l’accroissement de la production : soins vétérinaires, aliments du bétail, insémination artificielle (croisement avec la race laitière Holstein), etc.

Entre 1970 et 1985, la production de lait a doublé, presque entièrement au profit des petits producteurs (70% ont moins de 2 vaches) et aujourd’hui 70 millions de familles vivent de la production laitière.

A son tour, cette Révolution blanche a généré une « révolution jaune », car il fallait nourrir le bétail. Le NDDB, fort de son succès, fut chargé de répliquer ce même type d’organisation pour les oléagineuxs (huile et protéines végétales pour l’alimentation du bétail).

Comme le relate Griffon,

Le NDDB a organisé des opérations massives d’intervention sur les marchés par trois moyens : canalisation des importations, achat sur le marché local en période d’abondance et création de bassins d’approvisionnement pour les huileries. Il en a résulté une baisse des importations, une stabilisation des prix, une stimulation de l’offre et le développement de filières domestiques. Dès le début des années 1990, la production nationale s’est accrue, passant d’environ 10 millions de tonnes à près de 25 millions de tonnes.

Les succès cumulés des Révolutions verte, blanche et jaune ont permis aux indiens d’entamer une « transition alimentaire », passant d’une consommation de céréales, tubercules et légumes secs, aux protéines d’origine animale, alimentation ensuite enrichie avec des fruits et légumes vertes.

Qui a tué la Révolution verte ?

Il nous faut cependant admettre que chaque solution déployée par l’homme dans l’adversité provoque parfois l’apparition de nouveaux problèmes, encore plus passionnants ; ainsi, seule une politique permanente de recherche, menant à la découverte de nouveaux principes physiques, est capable d’accroître la capacité d’accueil de la planète. Par exemple, si l’on irrigue pendant des années avec une eau légèrement salée, on aboutit à la salinisation des terres agricoles. La science et les techniques modernes permettent, avec les investissements nécessaires, de traiter ce problème. Seuls des malthusiens farouches, telle Greenpeace en Espagne, proposent de bannir l’irrigation tout court !

En réalité, la cause de la fin de l’amélioration des rendements et de la productivité depuis une décennie, n’est pas celle de « l’échec » de la Révolution verte, mais bien celle des politiques économiques permettant son efficacité et démantelées au nom du « Consensus de Washington ». La politique de mondialisation ultra-libérale, imposée par les principaux bailleurs de fonds (FMI, Banque mondiale), et fondée sur la trilogie « stabilisation, ajustement et libéralisation », est au cœur de la contre-Révolution verte.

Ces trois chevaliers de l’apocalypse ont démantelé les systèmes économiques de politique agricole publique naissant progressivement, bon gré mal gré, avec la Révolution verte. Car, écrit Griffon, « Dans chaque pays, le développement résultait d’un processus planifié de manière très rationnelle, conduisant à créer l’ensemble des institutions et des circuits économiques nécessaires à la Révolution verte et le développement régional ». En bref, rien que l’ombre d’un Etat-nation irrite les « maîtres de la planète » autoproclamés !

Le Consensus de Washington, dominé par la politique impériale anglo-hollandaise, exige des baisses substantielles des dépenses publiques en laminant ou supprimant les budgets, suite à cela, plusieurs pays ont replongé dans l’insécurité alimentaire. Si avant l’effondrement du système soviétique on tolérait que certains pays puissent se nourrir afin d’éviter qu’ils tombent sous contrôle communiste, à l’heure actuelle, la fête est terminée. De toute façon, le calendrier malthusien fixé par l’ONU pour « stabiliser » la population mondiale coïncide avec l’arrivée de la crise alimentaire et le retour des épidémies, qui en sont une conséquence.

Peut-on réussir une nouvelle Révolution verte ?

En ce qui concerne l’amélioration des variétés, obtenues avec ou sans OGM, des pistes prometteuses montrent que l’on est loin d’avoir épuisé toutes les potentialités. Bien que nous ignorions si les découvertes signalées à l’époque furent appliquées avec succès, un rapport de l’université John Hopkins, publié en 1997, faisait état des possibilités suivantes :

Super riz. L’Institut international des recherches rizicoles (IRRI), aux Philippines, a créé une nouvelle souche de super riz permettant d’accroître le rendement de 25 %, soit 100 millions de tonnes par an, quantité suffisante pour nourrir 450 millions de personnes supplémentaires. Cependant, il ne semble pas avoir un bon rendement sur les terres marginales, son utilisation pourrait donc se limiter aux terres basses, bien irriguées.

Maïs amélioré. Le Centre international pour l’amélioration du maïs et du blé, au Mexique, a créé plusieurs variétés de maïs, obtenant un rendement amélioré jusqu’à 40 %, elle pourraient être cultivées sur des terres marginales et donc par des agriculteurs pauvres. Si elles sont largement utilisées, ces nouvelles variétés peuvent nourrir 50 millions de personnes en plus chaque année.

Une nouvelle pomme de terre. Le Centre international de la pomme de terre, au Pérou, affirme que moyennant un investissement de 25 millions de dollars, il peut obtenir une nouvelle race de pomme de terre résistante à une forme virulente de brunissure qui sévit sur tous les continents, à l’exception de l’Australie.

Pour sa part, M.S. Swaminathan défend les OGM tout en réclamant une « Révolution doublement verte », car aujourd’hui nos connaissances scientifiques dépassent nettement celles des années 60. Pour lui, et je pense que cela est juste, nous pouvons non seulement continuer a augmenter les rendements, mais le faire en travaillant avec une meilleure compréhension de la biosphère. En effet, le sous-développement économique et le pillage des ressources résultant des politiques néolibérales finissent par détruire autant l’homme que le potentiel de son environnement.

Le passage vers une économie basée sur l’hydrogène, grâce au développement du « nucléaire du futur », et la science des isotopes permettrait de faire un saut qualitatif. Le dessalement de l’eau de mer, grâce notamment à des réacteurs nucléaires de quatrième génération, permettrait d’accroître massivement l’irrigation sans épuiser les nappes phréatiques ou les réserves d’eau fossile. Grâce à de gros investissements, l’on pourrait utiliser plus efficacement irrigation, engrais et pesticides, réduisant d’autant la salinisation et l’érosion des sols.

L’agroforesterie

Bien d’autres techniques sont à l’étude. L’INRA travaille actuellement sur l’agroforesterie combinant production de bois et de productions agricole. Les premières études de rentabilité montrent que les projets agroforestiers présentent des résultats égaux, voire supérieurs, à la situation agricole d’origine ou à un boisement en plein. Cet effet résulte de la stimulation des complémentarités entre arbres et cultures dans les parcelles agroforestières. Ainsi, les mauvaises herbes spontanées présentes dans les jeunes boisements en plein sont remplacées par des cultures récoltées ou pâturées : l’entretien est moins coûteux et les ressources du milieu mieux utilisées.

La lutte biologique (LB), ou intégrée, est une autre piste à explorer. Elle permet de réduire les effectifs d’un parasite - animal ou plante - en le faisant détruire par un ennemi naturel. Les insectes sont très présents dans la LB, d’abord comme cible : contre les ravageurs des cultures et autres vecteurs de maladies, on recourt aux services de bactéries, de champignons et surtout d’autres insectes, prédateurs ou parasites. Par exemple, en 1868, la coccinelle Rodolia cardinalis fut prélevée en Australie, son habitat naturel, et importée en Californie où les agrumes dépérissaient sous l’action de la cochenille Icerya purchasi (elle-même soupçonnée de provenir d’Australie). Opération victorieuse : les coccinelles, génération après génération, ont détruit les cochenilles. À l’époque, l’ingéniosité devait pallier l’absence d’insecticides.

Les avis peuvent fortement varier sur ces approches. Par exemple, on estime qu’en « agriculture intégrée », basée sur des techniques de prévention des maladies (semis tardifs et moins denses, mélange de variétés), on obtient de meilleurs résultats. Qu’entend-t-on par résultats ? Bien qu’en réalité les rendements baissent de 10%, la diminution du volume d’intrants (dont les prix explosent avec la hausse du prix du pétrole), offre une baisse des charges qui préserve la marge des agriculteurs. Grâce au bio, le rendement financier augmente …

Notons néanmoins, sans pour autant sombrer dans le fondamentalisme écologique, que l’économiste américain Lyndon LaRouche souligne l’importance de la biodiversité. L’homme ne peut pas simplement « éliminer » les espèces « non productives » pour la simple raison qu’il ne dispose pas encore des connaissances adéquates pour valoriser leur immense potentiel. Car réduire la biodiversité réduit les chances de survie de l’espèce humaine et donc celles de la biosphère. Cette dernière est elle-même dépendante de la survie de ce que le scientifique russe Vernadski appelle la noosphère.

Le problème n’est pas la croissance démographique, ni la pénurie croissante de terres cultivables, mais simplement un manque de volonté pour défaire l’oligarchie malthusienne et laisser l’humanité faire son métier : nourrir plus de gens, dans de meilleures conditions.

Documents originaux (en anglais) : New Deal Network


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