Créée en 2001, l’OCS réunit la Chine, la Russie et quatre Etats d’Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan et Tadjikistan), rejoints plus tard par l’Inde, le Pakistan, l’Iran et le Belarus. Elle représente aujourd’hui 43 % de la population mondiale et 23,5 % du PIB de la planète. Parmi les participants au sommet figuraient des chefs d’État et de gouvernement des 10 pays membres de l’OCS, de 14 Etats partenaires de dialogue et de la Mongolie en tant que pays observateur, accompagnés des centaines de membres de leurs délégations, y compris des médias nationaux.
Dans le contexte des extrêmes tensions, en Ukraine et au Moyen-Orient, marquant la fin de l’ère post-Guerre froide, le sommet de Tianjin a connu sa plus grande participation depuis sa création, en dépit des pressions exercées contre certains de ses principaux membres : Russie, Chine et Inde.
La présence du Premier ministre indien Narendra Modi, en particulier, a envoyé un message clair aux Occidentaux sur l’émergence d’un nouvel ordre international. Le président iranien Massoud Pazeshkian, dont le pays est frappé de sévères sanctions financières, a proposé la création, au sein de l’OCS, d’un système spécial de comptes et de règlements en monnaies nationales.
Écrivant dans le South China Morning Post, le journaliste britannique Anthony Rowley fait le parallèle entre la conférence de Yalta de 1945, où Roosevelt, Churchill et Staline avaient posé les bases de l’ordre mondial d’après-guerre, et ce sommet de l’OCS à Tianjin. Dans un article intitulé « L’esprit de Shanghai pour un nouvel ordre mondial doit être égalé par l’Occident », Rowley en appelle à l’Occident : « La vision du sommet de l’OCS ne peut être mise en œuvre sans instaurer les systèmes monétaires et financiers requis. L’Occident doit y jouer un rôle si l’on ne veut pas que le monde se fragmente en blocs ».
Une nouvelle phase de l’histoire
Cet engagement pour un nouveau paradigme de coopération internationale était perceptible dans les divers discours et documents conjoints du sommet de Tianjin, qui promet d’être suivi de nombreuses initiatives allant de programmes économiques à des mesures de lutte contre le terrorisme, sans oublier les domaines scientifiques et culturels. Furent évoqués notamment les bienfaits découlant de projets multinationaux tels que la construction d’infrastructures facilitant la connectivité, dont le Corridor de transport Nord-Sud et le Corridor économique Chine-Pakistan sont des exemples notoires.
Le président Poutine était l’invité d’honneur de l’OCS, démentant une fois de plus la propagande répandue sur l’isolement de la Russie au niveau international. Au lendemain du sommet, il entamait sa visite en Chine, accueilli par le président Xi Xinping. S’adressant aux participants, le dirigeant russe a proposé de créer une nouvelle plateforme d’investissement pour les pays membres de l’OCS, similaire à celle qu’il propose pour les BRICS, notant que l’OCS pourrait contribuer à instaurer un nouveau système en Eurasie en remplacement des modèles « eurocentriques et euro-atlantiques » dépassés.
De son côté, lors de son discours devant le Conseil des chefs d’État de l’OCS, le président Xi a défini « l’esprit de Shanghai » comme un esprit de « confiance mutuelle, d’avantage mutuel, d’égalité, de consultation, de respect de la diversité des civilisations et de recherche d’un développement commun ». Dans cet esprit, a-t-il déclaré, « des progrès scientifiques et pionniers ont été accomplis dans le développement et la coopération au sein de l’OCS ».
Le président chinois a également proposé une nouvelle « initiative de gouvernance mondiale », qu’il a décrite comme une « vision de la gouvernance mondiale caractérisée par une large consultation et une contribution commune pour un bénéfice partagé, visant à mettre en pratique un véritable multilatéralisme ».
Alors que les principaux médias européens ont décrit ce sommet comme « autocratique » et « anti-occidental », en réalité la porte reste grande ouverte à tous les pays occidentaux qui souhaiteraient adhérer à « l’esprit de Shanghai », à condition de renoncer à la géopolitique anglo-américaine de domination unilatérale et d’œuvrer pour un avenir meilleur pour tous. Il est d’ailleurs évident que seul ce type d’approche permettra de résoudre les conflits qui ensanglantent le monde, à Gaza, en Ukraine et ailleurs.
Le dragon, l’éléphant et le siècle asiatique qui se profile
Au-delà de l’accueil réservé à Vladimir Poutine à Tianjin, ce qui a sans doute déconcerté plus encore le parti de la guerre transatlantique, c’est la présence du Premier ministre indien Narendra Modi. Après des années de fortes tensions entre la Chine et l’Inde en raison d’un conflit frontalier séculaire, les deux dirigeants ont tenu une réunion bilatérale en marge du sommet. Il s’agissait du premier voyage du Premier ministre indien en Chine depuis sept ans, et il marque l’intention des deux dirigeants de se rapprocher davantage face aux pressions exercées par Washington et d’autres capitales occidentales.
Avant leur rencontre, le président chinois a fait cette courte déclaration : « La Chine et l’Inde sont deux civilisations anciennes de l’Orient. Nous sommes les deux pays les plus peuplés du monde, et nous sommes également des membres importants du Sud global. Nous avons tous deux la responsabilité historique d’améliorer le bien-être de nos deux peuples, de promouvoir la solidarité et le renouveau des pays en développement et de favoriser le progrès de la société humaine. »
Le Premier ministre Modi lui a fait écho en adoptant à son tour un ton optimiste : « L’année dernière, nous avons eu une discussion très constructive à Kazan, qui a donné une orientation positive à nos relations. Une atmosphère de paix et de stabilité s’est installée après le désengagement à la frontière. Nos représentants spéciaux sont parvenus à un accord sur la gestion des frontières (...) La coopération entre nos deux pays est liée aux intérêts de 2,8 milliards de personnes. Elle ouvrira également la voie au bien-être de l’humanité tout entière ».
Les communiqués publiés des deux côtés à l’issue de la réunion se font écho, soulignant que les deux pays doivent s’efforcer de travailler ensemble dans leur intérêt mutuel. Le communiqué chinois note que la Chine et l’Inde représentent l’une pour l’autre des opportunités de développement et non une menace. Selon le communiqué indien, les deux dirigeants se sont félicités de la « dynamique positive et des progrès constants » enregistrés dans les relations bilatérales depuis leur dernière rencontre et ont « réaffirmé que les deux pays étaient des partenaires de développement et non des rivaux, et que leurs divergences ne devaient pas se transformer en différends ».
Narendra Modi a invité Xi au sommet des BRICS que l’Inde accueillera en 2026. En retour, Xi a offert le soutien de la Chine à la présidence indienne du groupe. Selon le communiqué chinois, le Premier ministre indien a déclaré que la coopération entre l’Inde et la Chine ferait du XXIe siècle un véritable « siècle asiatique ». Toutefois, les deux dirigeants précisent bien que leur rapprochement et leur développement ne sont aucunement dirigés contre l’Occident ou tout autre pays.
« Un nouveau système économique est en train d’émerger. Il n’est pas encore consolidé mais il est clair que la majorité de la population mondiale, représentée à cette réunion de l’OCS, a changé le monde », a déclaré Helga Zepp-LaRouche, présidente de l’Institut Schiller, lors de la réunion hebdomadaire de la Coalition internationale pour la paix, le 5 septembre. (Cf. notre chronique du 8 septembre, « Poutine, Modi et Xi Jinping, ensemble pour un ordre économique polyphonique ».) « Elle est en train de créer un système économique indépendant qui a le potentiel de devenir un nouvel ordre mondial. (…) Je suis convaincue que nous devons absolument soutenir la Majorité mondiale, mais surtout mobiliser les pays d’Europe, les États-Unis et tous ceux appartenant à cette faction occidentale, Japon, Corée du Sud et Nouvelle-Zélande, pour la soutenir sans réserve et surmonter cette division géopolitique ».
A voir : L’éclairage de Jacques Cheminade du 6 septembre, « Sommet de Shanghai : la France face au basculement du monde »


