Chronique stratégique du 2 février 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)
Les « Robins des Bois » contre les fonds vautours
La bourse américaine vient de connaître sa pire semaine depuis trois mois. Cette chute a été causée par la révolte de milliers de petits actionnaires qui, regroupés sur la section « WallStreetBets » de la plateforme Reddit, se sont rués de façon coordonnée sur les actions de plusieurs entreprises en difficulté, provoquant une flambée vertigineuse de leurs cours, et infligeant d’énormes pertes aux fonds d’investissements qui pariaient à la baisse. Les « entreprises zombies » en question – GameStop, BlackBerry, Nokia ou encore AMC —, en déperdition depuis plusieurs années, sont en effet devenues des proies pour ces fonds vautours, qui engrangent d’énormes bénéfices sur leurs malheurs.
En quelques jours, les actions de GameStop, la maison mère de Micromania, ont grimpé de 1700%, lui faisant atteindre la valeur d’une entreprise comme Renault. De même pour les actions d’AMC et de BlackBerry, qui ont respectivement pris 600% et 400%. Le fonds Melvin Capital, forcé de liquider ses positions, a dû être renfloué à près de 3 milliards de dollars par d’autres fonds d’investissement, comme le rapportent Les Echos.
Ce processus est le résultat de la démocratisation tout azimut du boursicotage aux Etats-Unis, qui a explosé avec la crise de la Covid-19 ; immobilisés chez eux par le confinement, des millions d’Américains, et en particulier des jeunes, ont été attirés dans les paris en ligne. Il s’agit d’investisseurs inexpérimentés, affamés et pressés. On les appelle les « New Day Traders » (NDT), le daytrading étant une stratégie consistant à fermer toutes ses positions avant la clôture des marchés. Leur essor est favorisé par l’explosion d’applications de trading sans frais tel que Robinhood qui compte plus de 13 millions d’utilisateurs.
Et c’est ainsi que l’argent des aides gouvernementales a fini en Bourse — démontrant (par le trou de la lorgnette) que les plans de sauvetage anti-Covid n’ont pas servi à relancer l’économie réelle.
Monnaie et finance dématérialisées
Ainsi, tandis que certains voudraient y voir le retour d’Occupy ou la révolte des « Robins des Bois » contre les ultrariches de la finance, les événements de la semaine dernière à Wall Street sont surtout réminiscents de la « bulle des Tulipes » de 1637 aux Pays-Bas : c’est-à-dire le moment où monsieur et madame Tout-le-monde sont poussés à spéculer sur des actions sans véritable valeur, conduisant à l’explosion de la bulle. Ajoutons qu’il est parfaitement vain de vouloir extorquer les accapareurs immoraux, sur un prétendu objectif moral, sans changer les bases immorales du système. Autant imposer une taxe aux voleurs à la sortie de leur hold-up…
Comme Jacques Cheminade l’a toujours dit, les bases de ce système de pillage ont été posées il y a 50 ans, avec la dématérialisation de la monnaie et la dérégulation financière. C’est ce que rappelle Bruno Bertez dans La Chronique Agora : « Une révolution copernicienne est intervenue en 1971 et 1973 quand on a dés-ancré les monnaies et qu’on les a libérées de leur lien au réel, écrit-il. On les a fait flotter dans l’air ».
La dématérialisation de la monnaie entraînant la dématérialisation des actifs financiers, les banques centrales ont compensé en prenant le contrôle, d’abord des taux courts par les politiques monétaires non-conventionnelles, puis des taux longs par les programmes de « Quantitative easing » — les renflouements à répétition engagés depuis la crise financière de 2007-2008 et visant à maintenir debout la pyramide des actifs spéculatifs. Jusqu’au jour où ça craquera, c’est-à-dire quand les banques centrales perdront le contrôle du champ monétaire.
Dans le chaos, les idées fusent
Aujourd’hui, la dette globale (publique et privée) atteint 275 000 milliards de dollars, pour un PIB mondial d’environ 80 000, soit plus de trois fois supérieur. Pour l’oligarchie financière de New-York et de Londres, il s’agit de gagner du temps en détournant l’attention de la faillite du système et d’assurer de toute urgence un transfert massif de flux financiers vers la bulle — quitte à prendre pour prétexte la pandémie de Covid-19 et le réchauffement climatique (lire notre dossier sur le New Deal Vert).
C’est ainsi qu’un « comité de conseillers » de Jamie Dimon, le PDG de la banque JP Morgan a formulé ses recommandations dans une lettre adressée à Joe Biden. Font partie de ce comité des anciens hauts responsables politiques et des grands patrons, tels que Tony Blair, Condoleezza Rice, Henry Kissinger, Robert Gates, Bernard Arnault ou encore le patron de Johnson & Johnson.
En premier lieu, il s’agit pour eux de ramener les aiguilles de l’horloge au temps d’avant l’ère Trump, où le mot « mondialisation » n’était pas péjoratif. Selon ces hommes et ces femmes « honorables », qui ont joué un rôle de premier plan dans la dérive financière (et militaire) des deux dernières décennies, la Covid-19 montrerait les limites non pas du modèle néolibéral mais d’une politique anti-mondialiste : le défaut de leadership américain sous Donald Trump dans le monde, associé à l’approche nationaliste adoptée par de nombreux pays, se seraient fait « aux dépens d’une réponse cohérente et internationale de la pandémie », écrivent-ils . Jamie Dimon souligne le rôle que devra jouer le privé dans la reconstruction du monde. Alors que sa banque vomissait Franklin Roosevelt, ce patron qui vient d’encaisser plusieurs millions de dollars en salaire pour 2020, prétend vouloir se repentir et rêve même du « War Program » de Roosevelt, comme exemple d’une association « heureuse » entre la puissance publique et les milieux d’affaires.
La réalité, c’est que le discours de Joe Biden en faveur de l’économie réelle et des emplois n’est qu’un décor de « village Potemkine », destiné à cacher la désintégration sociale et économique en cours, et surtout une politique où l’on compte payer la dette avec de la dette, toujours au détriment de l’économie réelle. A moins de prendre vraiment le taureau de la finance par les cornes, comme l’avait fait Roosevelt dès 1933.
D’ailleurs, face aux turbulences causées par les Robins des Bois de Wall Street, certains se souviennent de Lyndon LaRouche qui a toujours affirmé qu’en réintroduisant le Glass Steagall Act (la séparation entre banques de dépôt et banques d’affaires), il s’agissait d’établir une régulation au service de l’intérêt général, et pas au service du plus fort.

