Non au régime des partis, rétablir l’esprit de la Ve République

mardi 21 octobre 2025, par Christine Bierre

Descente des Champs-Elysées, 26 août 1944.
Fondation Charles de Gaulle

Par Christine Bierre, rédactrice-en-chef du mensuel Nouvelle Solidarité.

On dit qu’un chat a sept vies... Avec Lecornu 2, le régime d’Emmanuel Macron en sera à sa sixième vie, à son sixième gouvernement, et au rythme où ça va, rien ni personne ne pourra empêcher le septième d’arriver.

Mais contrairement au dicton selon lequel les sept vies du chat symboliseraient la prépondérance de l’esprit sur la matière, c’est plutôt le contraire qui se passe. En effet, une fois de plus, c’est l’instinct de survie des partis qui a permis à Macron de sauver la mise. Le 16 octobre, craignant de ne pas être réélus par le peuple, le Parti socialiste et LR ont ainsi donné au chat cette sixième vie.

Le PS s’est vendu pour bien moins que 30 pièces d’argent : un report jusqu’en 2027 de la réforme des retraites... Rien d’étonnant venant d’un Parti socialiste, enclin, depuis la mort de Jaurès, à offrir ses bons services au grand capital contre ce peuple que François Hollande appelait « les sans dents ».

N’est-ce pas lui qui, de retour au PS et très actif dans la recherche d’un compromis à cette crise, est à l’origine, avec Emmanuel Macron, du CICE, ce fabuleux cadeau de 20 milliards d’euros par an, sous forme d’avantages fiscaux, sans contreparties, aux très grandes entreprises ? Cadeau qui n’a pas été annulé dans ce budget d’austérité...

On entend souvent dire aujourd’hui, face à un Macron qui n’a plus que 17 % d’opinions favorables, que le problème de la France est la Ve République et le trop grand pouvoir qu’elle accorde aux Présidents, devenus ainsi « indécollables ».

Paradoxalement, si la Ve République accorde en effet beaucoup de pouvoir aux Présidents, c’est le retour des partis politiques aux comportements de la IIIe République – où le pouvoir était détenu non pas par un Président issu du suffrage universel, mais par les partis politiques à l’Assemblée nationale, qui nommaient le président du Conseil – qui est devenu une constante ces dernières années, jusqu’à provoquer le blocage quasi total des pouvoirs législatifs depuis la dissolution de 2024 décidée par le Président.

Le « régime des partis » a également donné naissance à un véritable parti de l’étranger, se servant de la France comme un « proxy » au service d’une géopolitique contraire à ses intérêts. En 1953, les Etats-Unis assuraient les deux tiers du budget de guerre français, qui s’élevait à plus de 3,2 milliards de dollars (environ 1200 milliards de francs) !

C’est la première cohabitation, de mars 1986 à mai 1988, entre le Président socialiste François Mitterrand et le président du RPR Jacques Chirac, qui a constitué une première et sérieuse entorse à l’esprit de la Ve République. En effet, alors que François Mitterrand était président de la République depuis 1981, les élections législatives de mars 1986 ont porté à l’Assemblée nationale une majorité de droite. Or, dans l’esprit de la Ve, face à un tel désaveu du peuple, le Président doit remettre en cause son mandat et organiser de nouvelles élections. Car, à l’exception des pouvoirs régaliens (affaires étrangères, défense et monnaie), la cohabitation voit l’essentiel des pouvoirs passer aux mains d’un Premier ministre, dirigeant d’un parti opposé à celui du Président, et le Président, dépositaire des principaux pouvoirs par la Ve république, voit son rôle réduit à celui d’un d’arbitre, garant de la Constitution.

Autre source d’affaiblissement du pouvoir présidentiel, les arrangements contre-nature du premier ou du deuxième tour, où droite et gauche s’allient pour exclure un parti jugé extrémiste, le RN ou LFI en l’occurrence. De telles pratiques faussent totalement les résultats. Peut-on espérer créer une cohérence dans une assemblée où, après la dissolution de 2024, la droite s’est désistée au deuxième tour en faveur des candidats de gauche et vice-versa, aboutissant à un fort renforcement du RN et du Front populaire, au détriment des macronistes et du LR ?

Dernier Conseil des ex-ministres, lithographie d’Honoré Daumier. Michelet écrivait à Daumier le 30 mars 1851 : "Je me rappelle une autre esquisse où vous rendiez sensible, même au plus simples, le droit de la République. Elle rentre chez elle ; elle trouve les voleurs à table qui tombent à la renverse. Elle a la force et l’assurance de la maîtresse de maison [...]."

Six gouvernements depuis 2022 !

Résultat de ces pratiques, où seule compte pour les partis leur réélection à tout prix, la seconde présidence d’Emmanuel Macron (depuis 2022) a connu six gouvernements successifs, conduits successivement par Élisabeth Borne, Gabriel Attal, Michel Barnier, François Bayrou et Sébastien Lecornu I et II !

Le malheur de notre époque est que si Emmanuel Macron nous a conduits dans cette terrible impasse, aucun des partis qui réclament, à juste titre, son départ et de nouvelles élections, ne propose les solutions nécessaires et profondes pour sortir la France de la crise et la remettre sur la voie du progrès. Et quand quelqu’un comme Jacques Cheminade l’a fait, le système des partis s’est coalisé contre lui.

La discussion du budget aurait pu être l’occasion pour l’Assemblée nationale de jouer son véritable rôle : débattre de comment créer les conditions pour que la France retrouve sa souveraineté, relance sa production industrielle et son développement, en mettant fin à cette guerre inique, menée en Europe par les Etats-Unis contre la Russie, et à ses très coûteuses sanctions. En se rapprochant des BRICS et de la majorité globale, afin de réduire progressivement son endettement et son déficit, sans cure d’austérité pour les populations.

C’est pour mener de telles réformes, profondes et salutaires, qu’un peuple a besoin d’un régime présidentiel fort comme celui de la Vè République, non pour qu’un président s’y cramponne pour faire le bonheur d’une petite oligarchie financière dont le patrimoine des 500 les plus riches est passé, selon le dernier classement de Challenge, de 80 à 1 128 milliards d’euros, entre 1996 - année de la première présidentielle de Cheminade - et aujourd’hui ! Et ce, alors que le taux de pauvreté des français, a été établi par l’Insee en 2023, à 9,8 millions, si l’on utilise le seuil de 60 % du niveau de vie médian, comme base du calcul.

Ce que nous apprend l’histoire

En ce moment d’une extrême gravité, il est utile de revenir à ce que De Gaulle reprochait au régime des partis. Pour bien comprendre les choses, il faut se rappeler que dès janvier 1946, constatant que le régime des partis s’est reconstitué et alors même qu’il a été élu Président du gouvernement provisoire par l’Assemblée, De Gaulle quitte le gouvernement, d’où s’ensuit une longue traversée du désert.

Extraits de l’article « 1946 : De Gaulle subit le régime des partis… et s’en va »

« Le 21 octobre 1945, se déroulent dans une France qui vient de fêter la victoire, les élections législatives. Par la même occasion, 20 millions d’électeurs ont également décidé (un référendum doublait cette élection législative), comme le souhaitait le général de Gaulle, que cette assemblée serait constituante. Le résultat montrait de façon éclatante le rejet de la IIIe république et le souhait de voir de nouvelles institutions.

Suite à ces élections, le Général est élu par l’Assemblée Président du gouvernement provisoire le 13 novembre et le cabinet formé par lui le 21 novembre est tripartite. Il s’est donc entouré de ministres communistes, MRP et socialistes. Les trois partis obtiennent chacun 5 portefeuilles sur les 21 que compte le cabinet.

Le 4 décembre, la commission de la Constitution instituée suite aux scrutins du 21 octobre tient sa première réunion. Parmi les priorités des constituants figure la volonté de réduire au minimum les pouvoirs du futur président de la République. Les parlementaires ont en tête un système institutionnel où l’exécutif serait soumis au législatif. De Gaulle, dont le mandat à la tête du gouvernement vient d’être renouvelé, ne cache plus son agacement face à la réapparition du régime des partis et des combinaisons, qui avait fini par paralyser la IIIe République.

Les travaux de la commission désignée par la Constituante ne laissent guère de doute sur l’orientation du futur régime. Plutôt que d’être paralysé par un parlementarisme dévoyé, le Général préfère battre en retraite. (...)

Devant ses ministres réunis ce dimanche 20 janvier 1946, il explique qu’il serait « vain et même indigne, d’affecter de gouverner, dès lors que les partis ont recouvré leurs moyens et repris leurs jeux d’antan ». Il s’agit, dans son esprit, de bien choisir entre un gouvernement qui gouverne et une assemblée omnipotente, ne faisant que déléguer à un gouvernement pour accomplir ses volontés.

Pourquoi De Gaulle est partie

Dans ses Mémoires de guerre (le salut), le Général explique :

« J’entrai, serrai les mains et, sans que personne s’assît, prononçai ces quelques paroles : « Le régime des partis a reparu. Je le réprouve. Mais, à moins d’établir par la force une dictature dont je ne veux pas et qui, sans doute, tournerait mal, je n’ai pas les moyens d’empêcher cette expérience. Il me faut donc me retirer. Aujourd’hui même, j’adresserai au président de l’Assemblée nationale une lettre lui faisant connaître la démission du gouvernement. Je remercie bien sincèrement chacun de vous du concours qu’il m’a prêté et je vous prie de rester à vos postes pour assurer l’expédition des affaires jusqu’à ce que vos successeurs soient désignés. »

Eviter que l’État soit à la disposition des partis

Dans son entretien au journal Le Monde (17 décembre 1965) Michel Droit estimait que 85 % des Français, ainsi que les candidats, sont favorables à l’élection du président de la République au suffrage universel, et il demande en conséquence au général de Gaulle de dire comment les institutions pourraient être menacées « par des gens qui ne les remettent pas en cause ».

Le général répond :

« Les institutions, une Constitution, c’est une enveloppe. La question est de savoir ce qu’il y a dedans. Nous avons fait, j’ai proposé au pays de faire la Constitution de 1958, après les drames que vous savez et dans l’intention - que d’ailleurs j’avais annoncée de la façon la plus formelle et la plus publique - de mettre un terme au régime des partis. Il s’agissait d’empêcher que la République, l’État, fût, comme il l’était avant, à la discrétion des partis. C’est dans cet esprit que la Constitution a été faite, et c’est dans cet esprit que je l’ai proposée au peuple, qui l’a approuvée. Je suis sûr qu’il l’a approuvée dans cet esprit. Alors si malgré l’enveloppe, malgré les termes, malgré l’esprit de ce qui a été voté en 1958 les partis se ré-emparent des institutions, de la République, de l’État, alors, évidemment, rien ne vaut plus. On a fait des confessionnaux, c’est pour tâcher de repousser le diable ! Mais si le diable est dans le confessionnal, alors cela change tout ! Or, ce qui est en train d’être essayé c’est, par le détour de l’élection du président de la République au suffrage universel, de rendre l’État à la discrétion des partis.
« Car comment peut marcher la Constitution de 1958 et comment marche-t-elle, et marche-t-elle très bien, depuis sept ans ? Elle marche grâce à un chef d’État qui n’appartient pas aux partis ; qui n’est pas délégué par plusieurs d’entre eux, ni même, à plus forte raison, par tous ; qui est là pour le pays ; qui a été désigné sans doute par les événements, mais qui, en outre, répond à quelque chose qui est commun à tous les Français, pardessus les partis, et qui est leur intérêt commun, leur intérêt national.
« C’est comme cela que la Constitution marche depuis 1958. Si à la place de ce chef d’État, qui est fait pour empêcher que la République ne retombe à la discrétion des partis, on met un chef d’État qui n’est qu’une émanation des partis, alors, je vous le répète, on n’aura rien fait du tout et tout ce que l’on aura écrit dans la Constitution ne changera rien à rien, on en reviendra à ce qui était avant, avec peut-être quelque forme légèrement différente, mais on en reviendra au gouvernement - si tant est que l’on puisse l’appeler comme cela - des partis, et ce serait, j’en suis sûr, comme j’en ai toujours été sûr, une catastrophe nationale. »

Le régime des partis, c’est la pagaille

M. DROIT explique alors que M. Mitterrand se présente comme le candidat unique de la gauche, le candidat des partis « qui en 1936 formaient à eux trois le Front populaire », et que la droite reproche au général de Gaulle de faire en matière de politique étrangère une politique de gauche. Il lui demande de préciser comment il conçoit « les notions de gauche et de droite »

Voici la réponse :

« La France, c’est tout à la fois, c’est tous les Français. C’est pas la gauche, la France ! C’est pas la droite, la France ! Naturellement, les Français, comme de tout temps, ressentent en eux des courants. Il y a l’éternel courant du mouvement qui va aux réformes, qui va aux changements, qui est naturellement nécessaire, et puis il y a aussi un courant de l’ordre, de la règle, de la tradition, qui lui aussi est nécessaire. C’est avec tout cela qu’on fait la France. Prétendre faire la France avec une fraction, c’est une erreur grave, et prétendre représenter la France au nom d’une fraction, cela c’est une erreur nationale impardonnable.
« Vous me dites : à droite, on dit que je fais une politique de gauche au dehors ; à gauche, du reste, vous le savez bien, on dit : ‘De Gaulle, il est là pour la droite, pour les monopoles, pour je ne sais pas quoi. » Le fait que les partisans de droite et les partisans de gauche déclarent que j’appartiens à l’autre côté prouve précisément ce que je vous dis, c’est-à-dire que, maintenant comme toujours, je ne suis pas d’un côté, je ne suis pas de l’autre, je suis pour la France.
« Il y a, pour ce qui est de la France, ce qui se passe dans une maison : la maîtresse de maison, la ménagère, veut avoir un aspirateur, elle veut avoir un frigidaire, elle veut avoir une machine à laver et même, si c’est possible, une auto : cela c’est le mouvement. Et, en même temps, elle ne veut pas que son mari s’en aille bambocher de toute part, que les garçons mettent les pieds sur la table et que les filles ne rentrent pas la nuit : ça c’est l’ordre. La ménagère veut le progrès mais elle ne veut pas la pagaille, eh bien ! c’est vrai aussi pour la France. »

Il faut le progrès, il ne faut pas la pagaille.

« Or, le régime des partis, c’est la pagaille. Évidemment, on l’a vécu avant la première guerre mondiale, pendant longtemps. Ça allait cahin-caha. A ce moment-là on ne risquait pas grand-chose. A l’intérieur, on était très riche : je ne parle pas de tous les Français, bien entendu, il s’en faut, mais je vous parle de l’ensemble de ce que l’on appelait « la société », qui était très riche. (...) Il y en a qui disaient que c’était la belle époque. Bien sûr, on ne se transformait pas, on n’évoluait pas ! D’autres devenaient de grands pays industriels, comme l’Allemagne, l’Angleterre, qui avaient commencé avant tout le monde, les États-Unis qui avaient entrepris leur essor. Nous, nous restions, cahin-caha, comme nous étions. Et puis alors, au dehors, on ne risquait pas grand-chose non plus. Bien sûr, il y avait la menace allemande à l’horizon pour le cas où, mais il y avait l’alliance russe, et puis, après, il y a eu l’Entente cordiale. Enfin, ça allait comme ça.
« Puis, il y a eu 1914 : désastre initial, auquel nous avons échappé par une chance inouïe, par un sursaut du tréfonds national qui nous a permis de nous en tirer. Dieu sait d’ailleurs avec quelles pertes ! et encore de nous en tirer en 1914-1915 grâce au « pouvoir personnel du père Joffre, et puis, en 1917-1918, à la fin, où ça devenait dramatique et infiniment grave de nouveau, grâce au « pouvoir personnel » de Clemenceau ! Mais, dans l’intervalle, qu’est-ce qu’ils avaient fait, les partis ? Ils n’avaient rien fait ! Ils renversaient les ministères comme à l’habitude, ils renversaient le ministère Viviani, puis le premier ministère Briand, puis le deuxième ministère Briand, et puis le ministère Ribot, et puis le ministère Painlevé, et allez donc ! Voilà ce qu’ils faisaient les partis !
« Entre les deux guerres, après qu’on eut liquidé Clemenceau - que les partis eurent liquidé Clemenceau -, il y a eu alors ce qu’on sait, c’est-à-dire un régime de médiocrité, un régime d’impuissance où le désastre se dessinait à l’horizon sans qu’on fît en réalité rien pour l’empêcher. Entre M. Clemenceau et M. Paul Reynaud, c’est-à-dire de 1920 à 1940, on a eu quarante-sept ministères en vingt ans. Voilà le régime des partis ! Alors, naturellement, on a été battus, écrasés en 1940. On n’avait rien préparé, on était divisés par les partis, on n’avait pas les armes nécessaires. »