Neutralité permanente pour l’Ukraine ? Trump au pied du mur des BRICS ?

vendredi 22 août 2025, par Karel Vereycken

Par Karel Vereycken

Le parti belliciste anglo-européen fait tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher la signature d’un accord de paix. Son premier stratagème consiste à faire semblant d’accepter la demande russe que l’Ukraine n’entrera jamais dans l’OTAN. En contrepartie, le parti de la guerre exige des « garanties de sécurité » qui reviennent au même, c’est-à-dire à la présence, sur le terrain, de forces militaires des Etats membres de l’OTAN, une perspective totalement inacceptable pour la Russie.

L’enjeu central est de faire en sorte que l’Ukraine, idéalement sur le modèle de l’Autriche en 1955, devienne un État souverain, non aligné et doté d’un statut de « neutralité permanente ». Actuellement, six pays du continent européen se présentent encore comme des États neutres : l’Autriche, l’Irlande, Malte, la Moldavie, la Serbie et la Suisse. Ce faisant, ils s’engagent à demeurer, en toutes circonstances, militairement à l’écart de toute guerre interétatique et, dans cette perspective, à n’adhérer à aucune alliance militaire et à assurer seuls leur défense.

C’est bien cette option, même si certains détails restaient à régler, dont étaient convenus Ukrainiens et Russes à Istanbul en 2022, immédiatement après l’incursion russe en Ukraine de février. Selon le négociateur en chef pour l’Ukraine, David Arakhamia, pour les Russes, la neutralité de l’Ukraine « était la priorité absolue ».

De fait, le communiqué d’Istanbul, rédigé par Kiev et apparemment accepté provisoirement par la Russie comme cadre de négociation, avait mis la neutralité permanente et les garanties de sécurité nécessaires pour l’Ukraine au cœur des discussions.

Dans un article publié le 29 juillet 2025 sur le site Lawfare, l’avocat ukrainien Mykhailo Soldatenko confirme :

« L’objectif principal du dernier projet de traité multilatéral échangé entre les parties était également d’établir la neutralité permanente de l’Ukraine, qui serait reconnue et garantie, notamment par l’engagement, pris par les cinq membres permanents (P5) du Conseil de sécurité des Nations unies et potentiellement d’autres États, d’assurer collectivement la défense de l’Ukraine. »

Avec ce lien, vous pouvez ouvrir et lire le texte de l’accord d’Istanbul qui était en cours d’élaboration.

Le texte indique clairement que, hors de toute présence militaire sur le terrain, les membres du P5 (Royaume-Uni, États-Unis, France, Chine et Russie) se portaient « garants de la sécurité de l’Ukraine » : « La Grande-Bretagne, la Chine, la Fédération de Russie, les États-Unis, la République française (République de Biélorussie, République de Turquie), étant les garants de la sécurité de l’Ukraine en tant qu’État neutre permanent (États garants), et l’Ukraine, ci-après dénommées les Parties. »

Comme chacun le sait, pour faire capoter cette solution diplomatique, le parti de la guerre dépêcha illico Boris Johnson pour encourager les Ukrainiens à ne pas souscrire à cette proposition. Bien entendu, en devenant un « État neutre permanent », l’Ukraine n’aurait plus jamais pu intégrer l’OTAN ni aucune autre alliance militaire.

Les mémoires [1] du diplomate français Maurice Gourdault-Montagne (conseiller et sherpa du président Jacques Chirac et ancien ambassadeur de France en Russie et en Chine) relatent qu’en 2006 déjà, Chirac avait proposé de faire de l’Ukraine un État neutre permanent. (Voir son entretien avec la Revue des deux mondes de décembre 2022-janvier 2023)

Selon le diplomate, après les révolutions colorées ayant semé le chaos en Géorgie et en Ukraine à partir de 2003, Chirac avait pressenti une crise majeure. Il l’envoya alors à Moscou en 2006, avec sa proposition de neutralité permanente pour l’Ukraine. L’idée fut jugée très intéressante par les Russes, qui répondirent que cela « résoudrait » le problème que leur posait Sébastopol (en préservant la flotte russe dans ce port).

Gourdault-Montagne alla ensuite rencontrer ses homologues américains, notamment la néo-conservatrice Condoleeza Rice. Une fois informés, les Américains ont alors reproché à la France de vouloir entraver une fois de plus l’élargissement de l’Otan, ce qui était faux. La France ne s’était pas opposée à l’entrée des pays baltes et la Pologne. Furieuse, Condoleeza Rice, a alors déclaré, selon le diplomate, que « la France n’avait pas à bloquer l’adhésion de l’Ukraine et de la Géorgie [à l’OTAN] ».

En 2007, dans son discours à la conférence de Munich sur la sécurité, Poutine a lancé des avertissements très clairs. Puis vint le sommet de l’OTAN de Bucarest en 2008. La France et l’Allemagne refusèrent l’adhésion immédiate de l’Ukraine, qui restait seulement candidate. En 2009, Sarkozy réintégra la France dans le commandement intégré de l’OTAN. Les Français disaient alors : « Si vous n’êtes pas assis à la table, vous êtes au menu… »

Bien entendu, le projet d’accord d’Istanbul demeure un document fondamental pour tout accord de paix durable.

Il faut clairement expliquer au président Trump :

  1. que l’enjeu est de faire de l’Ukraine un « État neutre permanent » ;
  2. qu’aucune présence militaire d’une puissance étrangère sur le terrain n’est requise, sous quelque forme que ce soit. Ceux qui militent en ce sens cherchent à rendre impossible la neutralité (et donc la paix) ;
  3. que le P5, si la France et le Royaume Uni retrouvent leurs esprits, peut offrir des garanties de sécurité. Cela implique bien sûr non seulement les États-Unis, mais aussi la Chine, membre du Conseil de sécurité de l’ONU. La Russie n’exclut pas non plus la Turquie de cette liste.

Cette situation met Trump devant ses propres contradictions. La paix se fait avec les autres et non contre eux. Trump ne peut parvenir à la paix en Ukraine sans tendre la main à la Chine, et pour cela, il ferait mieux d’accepter l’invitation de Xi Jinping à participer aux commémorations de la défaite du fascisme à Beijing, le 3 septembre.

Une rencontre tri-latérale entre Xi, Poutine et Trump, serait un signal fort qu’un concert polyphonique de nations existe et pourra garantir le statut d’une nouvelle Ukraine neutre et en sécurité.


[1Les autres ne pensent pas comme nous (Bouquin, 2022)