Netanyahou doit partir, pour le bien d’Israël

mercredi 15 novembre 2023

Chronique stratégique du 15 novembre 2023

La situation en Asie du Sud-Ouest s’est considérablement détériorée au cours des dernières 72 heures, sur au moins trois fronts : 1) Les bombardements israéliens sur Gaza se sont intensifiés, avec un assaut total en cours contre l’hôpital Al-Shifa en particulier. 2) Les États-Unis ont lancé la troisième attaque aérienne en trois semaines contre des bases de milices présumées soutenues par l’Iran en Syrie, selon un communiqué officiel du Pentagone. 3) Les combats entre Israël et le Hezbollah se sont intensifiés, avec des frappes aériennes de Tsahal plus profondément dans le sud du Liban, suivies d’une attaque aérienne antichar du Hezbollah qui a blessé 14 Israéliens.

Cette détérioration suit de près le rejet croissant de la politique vengeresse de Netanyahou par une grande partie de l’opinion publique mondiale, et aussi de l’opinion publique israélienne. Le 4 novembre, des milliers de manifestants se sont rassemblés devant la résidence du Premier ministre Netanyahou à Jérusalem pour réclamer sa démission. En cause, sa gestion de la crise, qui met gravement en danger la vie des otages, et son échec à empêcher les attentats du 7 octobre par le Hamas. D’autres manifestations ont eu lieu à Tel Aviv, sans compter d’innombrables réunions moins publiques et d’autres actions plus restreintes.

Les familles des otages continuent de manifester devant la Knesset, plaidant pour que l’on privilégie la négociation dans la perspective de libérer les personnes détenues.

Avant cette nouvelle crise, Israël avait déjà connu de longs mois de protestations contre le Premier ministre, accusé de corruption et de vouloir réformer le système judiciaire à des fins politiques. Aujourd’hui, cependant, les accusations sont incomparablement plus graves : nettoyage ethnique systémique à Gaza, transformation délibérée de la bande de Gaza en « camp de concentration à ciel ouvert » et financement des extrémistes du Hamas.

Aux États-Unis et au Royaume-Uni, les cercles dirigeants qui ont toujours considéré Israël comme un pion utile sur leur échiquier géopolitique, commencent à craindre que le génocide à Gaza n’aille trop loin, faisant perdre à l’Occident le peu de crédibilité qui lui reste. Ainsi, dès le 30 octobre, on a pu lire dans le Financial Times de Londres, un éditorial appelant à un cessez-le-feu et à mettre fin à la « violation manifeste du droit humanitaire international » dans la bande de Gaza.

Par ailleurs, l’économiste américain Jeffrey Sachs, devenu fervent adversaire de l’« ordre unipolaire du monde », s’inquiète pour l’avenir de l’État hébreu. Dans son article du 31 octobre, intitulé « Les amis ne laissent pas leurs amis commettre des crimes contre l’humanité », il met en garde : « Israël manque de temps pour se sauver – non pas du Hamas, qui n’a pas les moyens de le vaincre militairement, mais de lui-même. Les crimes de guerre commis par Israël à Gaza, qui s’apparentent au crime de génocide selon le Centre pour les droits constitutionnels, menacent de détruire les relations civiles, politiques, économiques et culturelles d’Israël avec le reste du monde. Les appels se multiplient en Israël pour la démission immédiate du Premier ministre Benjamin Netanyahu. Un nouveau gouvernement israélien devrait saisir l’occasion de transformer le carnage en paix durable grâce à la diplomatie. »

La leçon de Rabin, d’Arafat et des accords d’Oslo

Le 4 novembre 1995, le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin était assassiné à Tel Aviv, alors qu’il quittait un grand rassemblement de soutien aux accords d’Oslo qu’il avait signés avec Yasser Arafat deux ans auparavant. L’assassin était mu par la haine envers Rabin et les accords de paix, propagée par Benjamin Netanyahou et ses alliés dans le camp extrémiste du mouvement pour un « Grand Israël ». Comme Netanyahou devait s’en vanter plus tard : « J’ai de facto mis fin aux accords d’Oslo. »

Pour comprendre comment surmonter aujourd’hui le cycle de violence afin de parvenir à la paix, il est essentiel d’examiner le changement de mentalité ayant conduit au processus de paix à l’époque.

La carrière militaire d’Yitzhak Rabin fut marquée par sa volonté d’assurer la sécurité d’Israël en la fondant sur une supériorité militaire écrasante par rapport à la population palestinienne et à ses voisins arabes. En 1967, il était à la tête des Forces de défense israéliennes (FDI) ayant pris Jérusalem, la Cisjordanie, le plateau du Golan et Gaza lors de la guerre des Six Jours. En tant que ministre de la Défense lors de la première Intifada des Palestiniens, en décembre 1987, il ordonna aux FDI d’utiliser la force, de démolir les logements et d’expulser les émeutiers afin de mater la révolte. Par la suite, il en vint à reconnaître que de telles méthodes ne permettraient pas d’aboutir à une solution pacifique. Comme l’écrit son épouse Leah dans son autobiographie Rabin : Our Life, His Legacy : « L’Intifada a montré clairement (...) qu’Israël ne pouvait pas gouverner un autre peuple. » On a compris que « seule une solution politique pouvait réussir à long terme ».

L’occasion d’agir s’est présentée après l’élection de Rabin au poste de Premier ministre en 1992. Il appela à accepter l’autonomie palestinienne, à négocier directement avec des responsables palestiniens et au gel des colonies dans les territoires occupés.

En même temps, il engagea des pourparlers secrets avec les responsables de l’OLP en Norvège, qui allaient aboutir aux accords d’Oslo, assortis de deux annexes économiques décisives prévoyant une coopération autour de projets de développement mutuellement bénéfiques, portant notamment sur l’eau, l’énergie, les transports et la production industrielle. De son côté, Yasser Arafat renouvela son engagement à renoncer au terrorisme et à reconnaître Israël, ce qui se concrétisa par la célèbre poignée de main entre Rabin et Arafat, lors de la cérémonie de signature à la Maison Blanche le 13 septembre 1993, en présence du président américain Bill Clinton.

Lors de cette rencontre, Rabin témoigna de la grandeur d’esprit requise pour mettre fin à une guerre prolongée. Il déclara : « Permettez-moi de vous dire, à vous les Palestiniens, que nous sommes destinés à vivre ensemble sur le même sol du même pays. Nous, les soldats qui sommes revenus de batailles tachés de sang, nous qui avons vu des membres de nos familles et nos amis tués sous nos yeux, nous qui avons assisté à leurs funérailles et ne pouvons plus regarder leurs parents dans les yeux, nous qui venons d’un pays où les parents enterrent leurs enfants, nous qui nous sommes battus contre vous, les Palestiniens, nous vous disons aujourd’hui d’une voix forte et claire, assez de sang et de larmes. Assez ! »

Yasser Arafat déclara de son côté : « Mon peuple espère que cet accord, que nous signons aujourd’hui, ouvrira une ère de paix, de coexistence et d’égalité des droits. »

Le 25 juillet 1994, en signant à la Maison Blanche un traité de paix avec le roi Hussein de Jordanie, Rabin évoqua la condition nécessaire pour garantir la paix : « Si je lève mon verre, c’est à ceux qui ont le courage de changer les axiomes, de surmonter les préjugés, de changer les réalités, et à ceux qui le rendent possible. (...) L’Chaim ! »

Hélas, la promesse des accords d’Oslo ne s’est jamais réalisée. Les fonds promis pour lancer les projets communs décrits dans les deux annexes économiques ne furent jamais déboursés par la Banque mondiale, puis Rabin tomba sous les balles d’un assassin. Pendant son mandat de Premier ministre, de juin 1996 à juillet 1998, le rôle de Netanyahou dans le torpillage du processus d’Oslo et de l’héritage de Rabin et d’Arafat, est bien documenté. De retour à ce poste depuis 2009 (outre une brève période de 18 mois), il s’est employé à étouffer toute perspective de négociations avec les Palestiniens.