A l’occasion de différentes visites sur place, l’ambassadeur américain en Turquie, Thomas Barrack, a fait pression sur le gouvernement libanais pour qu’il désarme le Hezbollah. Or, en l’état actuel des choses, les Américains empêchant tout armement véritable de l’armée libanaise et Israël refusant de se retirer du sud-Liban, la défense du pays repose plus que jamais sur le Hezbollah.
Nous présentons ci-dessous une version très abrégée de l’analyse publiée le 18 juillet par la chercheuse Vanessa Beeley, concernant la préparation d’une offensive contre le Liban et le reste de l’axe de la résistance dans la région, à partir de la Syrie. Le titre à lui seul est déjà évocateur : « La ‘Grande Syrie’ et le ‘Grand Israël’ vont-ils s’affronter ou coexister sous le régime d’Al-Qaïda ? »
Vanessa Beeley fait le tour de la situation dans la région depuis le cessez-le-feu conclu le 25 juin 2025 entre les États-Unis, Israël et l’Iran, et passe en revue les principaux enjeux : guerre contre le Liban à partir de la Syrie, tensions entre la Turquie et Israël pour le contrôle de la Syrie, possible accord de sécurité entre Israël et le nouveau président syrien, ancien chef d’Al-Qaida (devenu HTS).
Liban
Thomas Barrack est l’homme de main économique inexpérimenté et l’envoyé spécial de Trump au Moyen-Orient. Ces dernières semaines, il a fait pression sur le gouvernement libanais pour qu’il procède au désarmement complet du Hezbollah, contrairement à la résolution 1701 de l’ONU, qui prévoit son retrait au nord du fleuve Litani. Les États-Unis et les conseillers de Trump savent tous qu’il s’agit d’une exigence irréaliste, car le Hezbollah n’acceptera jamais de désarmer tant qu’Israël sera à ses frontières et occupera des terres dans le sud du Liban...
Au Liban, l’option privilégiée consiste à provoquer une guerre civile qui occuperait le Hezbollah sur le plan interne, réduisant ainsi sa capacité à réagir à l’agression israélienne, du moins en théorie. Cependant, il s’agit là d’une erreur de calcul de la part du bloc sioniste. (...) Le Hezbollah a démontré sa capacité à résister et à empêcher toute invasion terrestre sérieuse par les forces sionistes. (...)
L’alternative serait d’armer le nouveau régime takfiri syrien contre le Liban afin de réaliser le programme sioniste. Les médias israéliens ont largement relayé les rumeurs selon lesquelles Jolani aurait conclu un accord pour amener Israël à la table des négociations avec la Syrie. (…) Barrack a amplifié les menaces contre le Liban, affirmant que si le Hezbollah n’était pas désarmé, la Syrie annexerait le nord du Liban dans le cadre de la Grande Syrie (Bilad Al Sham). Il a ensuite tenté de revenir sur ses propos sur X. (...)
Jolani aurait également menacé le Liban au sujet des milliers de prisonniers takfiris détenus dans les prisons libanaises, menaçant de fermer les frontières et d’exercer une pression économique sur le Liban si ses demandes n’étaient pas satisfaites. Bien que cela ait été démenti par le ministre de l’Information de la « Nouvelle Syrie », beaucoup pensent que ces menaces sont réelles. (...)
Un pacte de sécurité entre Israël et la « Nouvelle Syrie »
Une source vérifiée en Syrie a fait état, sur une chaîne Telegram, d’un pacte de sécurité entre Israël et la « Nouvelle Syrie ». Si le Liban refuse de rejoindre les accords d’Abraham et de normaliser ses relations avec l’entité sioniste, Jolani lancera des attaques contre lui. (...) Selon la même source, la planification du scénario d’invasion est déjà en cours. On est en train de préparer Jolani à devenir le bras armé régional d’Israël, rôle qui pourrait s’étendre à l’Irak à l’avenir. Les éloges prodigués par le président Trump à celui qu’il qualifie de « combattant fort au passé solide » sont liés à ce rôle que les États-Unis approuveront pleinement. ( ...)
Les plans consistent à faciliter l’entrée d’éléments takfiris dans le nord du Liban, à déployer le long de la frontière orientale des forces takfiris étrangères avec artillerie et armes lourdes, à mettre en action des cellules dormantes à l’intérieur du Liban pour mener des attentats-suicides, et peut-être à susciter des troubles civils chez les ennemis du Hezbollah. Simultanément, Israël pourrait s’étendre plus profondément dans le territoire sud, avec l’approbation tacite des États-Unis.
C’est le plan, mais fonctionnera-t-il ? Dix ou vingt mille extrémistes ouïghours, ouzbeks, tchétchènes et même syriens ne peuvent pas vaincre le Hezbollah dans un affrontement terrestre. Les tribus du nord du Liban ont déjà repoussé de violentes attaques takfiristes, sans l’aide des Forces armées libanaises ni du Hezbollah. (...)
Le plan B consisterait, pour le bloc, à continuer d’exercer une pression économique écrasante sur le Liban, à retenir les fonds destinés à la reconstruction et à réduire les ressources financières du Hezbollah en restreignant son système bancaire Qard Al-Hassan, système basé non pas sur l’usure mais sur des prêts coopératifs sans intérêt, accessibles à tous les Libanais. Les États-Unis imposeraient des sanctions et blâmeraient le Hezbollah afin de monter la population et l’État libanais contre le parti.
La Syrie est désormais le carrefour des intérêts régionaux
La Syrie est un domaine de concurrence majeur pour Israël et la Turquie. Le projet de Grand Israël se heurte à l’empire néo-ottoman. Le président Erdogan aspire à devenir le seul gardien de la Syrie après Assad. (...)
Après la chute de Damas, nous avons vu l’Arabie saoudite occuper le devant de la scène en organisant la rencontre entre Jolani et Trump, à laquelle Erdogan a participé par liaison téléphonique. Ce fut l’un des premiers signes d’un affaiblissement de l’influence turque sur Jolani, du moins sur le plan politique.
Les États-Unis considèrent les intérêts régionaux à travers le prisme d’Israël. Erdogan ne souhaite pas voir la Syrie normaliser ses relations avec Tel-Aviv, même s’il ne le dit pas ouvertement. Jolani s’oriente clairement vers une première phase de normalisation, condition posée par Trump pour lever les sanctions et conclure d’autres accords en sous-main. Pour Erdogan, normalisation signifie sionisation de la Syrie et réduction de son rôle dans le pays.
Pour l’Arabie saoudite, la Syrie serait une porte d’entrée vers l’Europe, et Jolani donnerait aux États arabes du Golfe un accès exclusif aux ressources syriennes, marginalisant ou excluant la Turquie et peut-être même la Russie, qui détient historiquement les droits d’exploration des réserves de gaz côtières syriennes. (...)
L’Arabie saoudite entretient de bonnes relations avec les factions kurdes des FDS soutenues par les États-Unis et Israël, dans le nord, tandis que l’inimitié historique de la Turquie envers les Kurdes entrave l’accord de centralisation entre Jolani et les FDS. Le Conseil de coopération du Golfe (CCG), dirigé par l’Arabie saoudite, peut fournir plus facilement que la Turquie les investissements nécessaires à la reprise économique de la Syrie, dont l’économie a été décimée par l’implication d’Erdogan dans le financement de la guerre visant à renverser le régime syrien depuis 2011. (…) Enfin, l’Armée nationale syrienne, qui bénéficie du soutien total de la Turquie, pourrait représenter un sérieux défi pour le leadership de Jolani. La coopération avec Israël pourrait lui offrir une certaine protection contre un éventuel coup d’État de l’ANS. (...)
La guerre de l’eau
La population syrienne souffre d’une grave pénurie d’eau potable à cause du manque de pluie au cours des derniers hivers. Le rationnement de l’eau à Damas a atteint un niveau sans précédent et devrait s’aggraver pendant les mois les plus chauds de l’été. Ce n’est pas un hasard si Israël, qui tire 30 % de ses besoins en eau du Golan syrien occupé, souhaite prendre le contrôle du bassin de Yarmouk, riche en eaux souterraines, du mont Hermon (un réservoir naturel d’eau provenant de la fonte des neiges et des eaux de pluie) et d’autres zones riches en ressources hydriques comme le barrage d’Al-Mantara près de Deraa, dans le sud de la Syrie.
bande de territoire qui relierait le sud de la Syrie (région druze de Souwayda) aux zones kurdes du nord-est (FDS/YPG). Il traverserait ainsi la Syrie du sud au nord, coupant le pays en deux.
Le corridor de David, un projet militaire d’Israël qui aurait le soutien américain, relierait Israël à l’est de la Syrie, garantissant non seulement l’occupation militaire israélienne, mais permettant également d’accéder à l’Euphrate, contrôlé par la Turquie grâce à un système de barrages. La Turquie en a délibérément réduit le niveau des eaux afin de faire pression et d’assiéger les factions kurdes du nord-est. Israël, quant à lui, considère les Kurdes comme des alliés opportuns pour faciliter son accès à l’approvisionnement en eau. (...)
L’importance de Homs, à la frontière avec le Liban
Pour tous les acteurs en Syrie, l’importance stratégique de Homs réside dans sa position centrale et son rôle de plaque tournante majeure pour le commerce et les transports, combinés à ses riches ressources en hydrocarbures. Le gouvernorat de Homs s’étend de la frontière irakienne, à travers le désert central syrien, y compris Palmyre, jusqu’à la frontière libanaise.
La milice de Jolani s’est récemment concentrée sur le nettoyage ethnique de toutes les minorités dans la région de Homs, le vol de maisons et l’installation d’éléments takfiris dans la région afin de modifier complètement la démographie. Cela rappelle le projet brutal d’installation takfiri en cours dans la région côtière syrienne. Sécuriser ces régions a notamment pour objectif de prendre le contrôle total du territoire syrien adjacent, aux frontières nord et est avec le Liban. Homs constitue un point central pour les concentrations militaires et le lancement d’attaques de missiles vers le Liban. De plus, elle ouvre la voie à l’État islamique pour entrer au Liban depuis ses bastions dans l’est de la Syrie et le désert central syrien.
Dans le cadre de l’accord de sécurité entre la Syrie et Israël, Homs jouerait un rôle central pour entraver l’entrée de forces de résistance irakiennes au Liban pour soutenir le Hezbollah. (...)
Le 13 juillet, les médias israéliens ont affirmé que Jolani avait rencontré l’envoyé spécial de Netanyahu à Bakou, en Azerbaïdjan. Les discussions entre Jolani et le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev ont porté principalement sur les solutions à la crise énergétique qui touche la Syrie.
Il est toutefois certain, malgré les démentis de diverses parties, que les discussions ont surtout porté sur l’accord de sécurité entre la Syrie et Israël. Ce n’est pas un hasard si, immédiatement après le retour de Jolani de Bakou, des tensions ont éclaté entre les factions druzes du sud de la Syrie et les Bédouins, factions tribales syriennes liées au HTS et à l’EI, conduisant à 48 heures d’affrontements violents et sanglants qui se poursuivent encore aujourd’hui, les milices du HTS tentant de prendre le contrôle de la région et de mettre au pas les factions druzes, dont certaines ont accepté un cessez-le-feu, tandis que d’autres ont continué à se battre.
Israël exploitera ce conflit pour réaliser le programme sioniste visant à obtenir un accès total et le contrôle de la province de Sweida, au sud-est de la Syrie, facilitant ainsi la création du corridor de David le long de la frontière orientale avec l’Irak et la Jordanie. À cette fin, une déclaration commune a été publiée par le Premier ministre Netanyahu et son ministre de la Défense Israel Katz, promettant le soutien militaire des Forces israéliennes d’occupation aux factions druzes. (...)
L’accord de sécurité avec Israël soulage en fait Jolani de la pression exercée sur lui pour maintenir l’ordre dans le sud et allège le fardeau militaire de la milice takfiri, ce qui lui permet de se concentrer plus facilement sur le Liban ou toute autre cible, assignée à Jolani par les États-Unis et Israël.



