Un aveu surprenant est apparu lundi 2 juillet parmi les principaux titres de la chaîne de télévision américaine pro-Wall Street CNBC : « Les entreprises qui rachètent leurs propres actions sont l’unique chose qui maintient le marché boursier à flot à l’heure actuelle ». Quand le drogué admet lui-même qu’il est au bord de l’overdose, c’est que la fin est proche !
Et en effet, le second trimestre 2018 a vu s’établir un nouveau record en terme de rachat d’actions, avec 433,6 milliards de dollars (!) contre 242,1 milliards au 1er trimestre. En tête des entreprises concernées, on trouve par exemple Nike et le groupe pharmaceutique Walgreens Books Alliance, qui ont respectivement racheté pour 15 et 10 milliards de dollars de leurs propres actions au 2nd trimestre. « les actions sont actuellement suspendues à un fil, stimulées par une pléthore d’acquisitions sans précédent dans l’histoire du marché et freinées par une explosion des ventes par les investisseurs qui a également établi un nouveau record », écrit CNBC.
Cette logique folle a été d’autant plus alimentée par les baisses d’impôts massives mises en œuvre par l’administration Trump le 1er janvier, qui ont « libéré » des masses de cash. « Les liquidités des entreprises vont trouver un lieu où se loger, et il s’agira soit de rachats d’actions, de dividendes ou de fusions-acquisitions. Par contre, elles n’iront pas dans des investissements », reconnaît Art Hogan, stratège en chef des marchés à B. Riley FBR, cité par CNBC. « Les gens prennent conscience qu’il y a cette année des turbulences que nous n’avions pas l’année dernière. Cela constitue une sorte de signal pour les investisseurs ».
Vous n’y comprenez rien, Madame Michu ? Relisez donc L’argent d’Emile Zola, qui s’était inspiré du krach de l’Union générale en 1881-1882, où le banquier Eugène Bontoux avait ruiné des milliers de petits et moyens épargnants en les entraînant dans un montage construit sur du sable mouvant, et s’était mis à racheter ses propres actions pour maintenir leur valeur à un cours élevé.
La différence aujourd’hui est qu’il ne s’agit pas d’un phénomène relativement isolé mais de la logique de tout le système, une logique d’autant plus folle que les entreprises côtées en bourse, qui se financent de plus en plus non pas par des crédits bancaires mais par l’émission de titres, s’endettent désormais pour racheter leurs propres actions, encouragées par les programmes de « quantitative easing » (assouplissement quantitatif) des banques centrales, et avant tout de la Réserve fédérale américaine et de la Banque centrale européenne.
Le cabinet de conseil McKinsey Global Institute vient de publier un rapport sur l’augmentation gigantesque de la bulle de la dette des entreprises non financières (que les spécialistes qualifient de « corporate debt ») depuis le crash de 2008. En dix ans, cette dette a presque doublé, passant de 37 000 à 66 000 milliards de dollars, c’est-à-dire 92 % du PIB, qui est actuellement de près de 80 000 milliards. Cela représente quasiment autant que la dette publique globale, bien qu’on en parle beaucoup moins.
Comme le montre McKinsey, plus de la moitié de cette bulle de la dette concerne les États-Unis et l’Europe, et seulement ensuite la Chine. Soulignons au passage le fait que si l’endettement des entreprises chinoises est important, il est associé à une politique de développement intérieur et extérieur de l’économie réelle, ce qui n’est pas le cas dans la région transatlantique. Aux États-Unis, 22 % de la dette des entreprises non financières se compose d’obligations « pourries » qui concernent des émetteurs de catégorie spéculative.
Le célèbre journaliste Matt Taibbi a saisi cette occasion pour publier le 2 juillet dans le magazine Rolling Stone une tribune appelant à mettre en place une taxe sur les transactions financières et à rétablir le Glass-Steagall Act. « Depuis plus d’un an », écrit Taibbi, « l’envolée du marché — et en particulier les cours insoutenables des valeurs technologiques — a fait courir le bruit de l’existence d’une nouvelle bulle spéculative. (…) Il serait grand temps, par exemple, de rétablir l’ancienne loi Glass-Steagall, dont le 85e anniversaire est passé dans le silence le mois dernier. Cette loi a permis de contenir la spéculation pendant des générations entières en séparant les banques de dépôt des banques d’investissement ».
La question de la séparation bancaire est d’une urgence absolue. C’est le seul moyen de mettre un pare-feu entre les bulles spéculatives (si possible avant qu’elles n’éclatent) et les fonctions de la banque liées à l’économie réelle, et avant tout l’épargne. Cela constituera la première étape d’une mise en faillite ordonnée du système financier, devant aboutir à un nouveau système de crédit public, refaisant de l’argent un service public, pour financer l’école, l’hôpital, le laboratoire, la PME, etc.
Depuis la crise de 2008, Les milieux de l’oligarchie financière et leurs serviteurs politiques à Washington, Paris, Londres, Berlin et Bruxelles sont parvenus à mettre cette question sous le boisseau. Mais l’imminence d’un nouveau « tsunami financier », comme l’avait prévenu Jacques Cheminade pendant la présidentielle, change la donne.
La mesure de séparation bancaire figurait sur les programmes des deux mouvements (Ligue et M5S) qui viennent de prendre le pouvoir en Italien, et le Premier ministre Giuseppe Conte a réitéré cette intention lors de son discours de politique générale. En France, la campagne que mène Solidarité & Progrès depuis un an pour la proposition de loi de « moralisation de la vie bancaire », rencontrant plus de 250 députés et sénateurs, a contribué à ouvrir un débat qui, s’il se déroule pour l’instant principalement en coulisses, peut très vite surgir sur la place publique.


